Chapitre 22 : Réssurection (2/2)

La horde hurla, mais pas aussi fort que les fusils. Les balles claquèrent contre les murs, ricochèrent contre les plexiglas et perforèrent les chairs. Le prisonnier souleva Kyle du sol et, un bras autour de son cou, recula en se servant de son corps comme d'un bouclier. Plusieurs tirs les frôlèrent. Quatre soldats fédérés inondaient le hall d'entrée d'un torrent de feu et d'acier. Kyle tenta de se soustraire à l'emprise du détenu, de fuir ce carnage mais se calma bien vite lorsque une simple pression sur sa gorge lui fit comprendre que, vivant ou mort, ce serait lui qui encaisserait les flots destructeurs.

Le mur de détenus avançait inexorablement, enjambait les cadavres, affrontait de plein fouet l'ire des fusils. Ils s'approchaient dangereusement. Ils beuglèrent à l'unisson, galvanisés par l'espoir de réussir l'impossible. Une grenade déchiqueta cette folle espérance. Elle désintégra les prisonniers en une tempête de feu, d'éclats de métal et de bris de plastique. Les parois carbonisées se tapissèrent de traces sanglantes où s'épinglaient des morceaux de viande informes. Ne restaient plus que Kyle et son tortionnaire face au quatre fédérés.

— Ces enfoirés avaient l'un des nôtres en otage ! s'exclama un soldat en les désignant.

— J-Je le tiens toujours en ot-tage ! répliqua le détenu avec une démence panique.

— Plus maintenant.

L'officier avait parlé. Son fusil se leva, la balle fusa, frôla l'oreille de Kyle et creusa un trou dans le crâne derrière le sien. Le mort manqua d'entraîner son captif dans sa chute. Kyle parvint à se rattraper et resta hagard, les jambes flageolantes, la respiration saccadée. Il balbutia un vague remerciement au gardien qui passa un bras sous son aisselle pour le soutenir.

Quel ironie d'avoir été sauvé par des fédérés...

— Vous êtes blessé ? s'enquit l'officier.

Kyle fit signe que ses jambes pouvaient le porter.

— Juste un peu secoué.

— Où se trouve le reste de votre unité ?

— Tuée par les prisonniers que nous escortions, mentit Kyle d'une voix âpre. Nous sommes... Nous étions en charge de leur transfert.

— Quel bande de chacals... Ils ont aussi emporté la moitié de mes hommes. Rassurez-vous, l'émeute est presque contenue. Mais des intrus ont été repérés dans la tour. Vous venez avec nous, soldat. Pas de repos pour les braves.

— Oui, chef.

Kyle ramassa son pistolet vide. Son regard glissa sur les quatre militaires qui l'attendaient, leurs fusils d'assaut prêts à ouvrir le feu. Il devait leur fausser compagnie. Sauf qu'ils s'en rendraient immédiatement compte. Et il n'irait pas bien loin : le temps était écoulé, le reste de la meute avait déjà dû fuir à bord du fourgon. Les fédérés le rattraperaient aussitôt. La panique rendit ses doigts moites. Surtout rester calme, ne pas attirer les soupçons. Prendre les problèmes un à un.

— Je suis à sec, lança-t-il en rejoignant la petite troupe.

Une fédérée lui lança deux chargeurs.

— Économisez-les. Nous aussi on commence à en manquer.

Kyle rechargea son pistolet, simulant une maladresse pour gagner de précieuses secondes. Il devait se débarrasser de ces sauveurs. Aussi impossible que cela puisse lui paraître, il fallait essayer. Il n'avait pas le choix.

— Je suis prêt. Allons-y.

Dès l'instant où les soldats lui tournèrent le dos, il braqua son pistolet vers la nuque du plus proche et tira. Les trois autres sursautèrent, firent volte-face tout en étant emportés par leur début de course. Ils n'eurent pas le temps de réagir qu'un deuxième s'affala au sol. Un troisième éclair illumina la pièce à l'instant où les fusils se levèrent. Le dernier canon s'aligna sur la tête de Kyle. Les secondes se dilatèrent en heures. Il ne serait jamais assez rapide. La mort s'apprêtait à le cueillir d'un tressaillement de doigt.

Une détonation. Le sifflement d'un trait d'acier. Destiné au crâne de l'officier et non à celui de Kyle. Dans le rectangle de lumière se découpait la silhouette de Miranda, un pistolet encore fumant entre les mains. Un hoquet de soulagement s'échappa de la poitrine de Kyle. Il enjamba les corps et détala comme si le diable était à ses trousses. Il émergea enfin de l'enfer. La morsure du froid glacial lui fut indolore.

— La meute n'abandonne personne, capitaine, l'accueillit Samuel Pitt.

Kyle les aurait serrés dans ses bras, lui et Miranda, s'ils n'étaient pas aussi pressés par le temps. Les trois rebelles se précipitèrent sur le fourgon aux portières grandes ouvertes. Samuel plongea dans la soute pendant que Kyle et Miranda s'engouffrèrent dans la cabine. Le capitaine de la meute tapa contre la cloison arrière.

— Tout le monde est là ?

— Tous ceux qui sont encore vivants... bruissa Neck avec des accents funestes.

— Plus tard pour l'engueulade ! intervint Miranda avant même que Kyle ne puisse dire quoi que ce soit. On s'arrache !

Elle enfonça l'accélérateur au plancher. Le fourgon fila en trombe, plaquant Kyle contre son siège. Les murs de béton, les lampadaires et la route défilèrent à une vitesse vertigineuse. Miranda coupait au plus court vers la sortie, traversant les marquages, ignorant les trottoirs, louvoyant entre les énormes camions citernes amassés au pied de la tour. Le silo fuselé ressemblait à un énorme détonateur perdu dans le ciel d'encre. Un commando rebelle s'attelait en tout cas à le muer en une énorme bombe : il plastifiait en ce moment même ses énormes réserves de gaz.

L'entrée de Cerberus apparut à travers le pare-brise. Les hautes murailles de noirceur se craquelaient d'innombrables brèches. Les miradors flambaient en torches de métal fondu. L'unique ouverture grouillait de tuniques rebelles. La gueule du Cerbère mordait sans la moindre pitié ses anciens maîtres, retranchés sur les parkings. Le rythme infernal des coups de feu ne se brisait que sous la percussion d'une explosion. Miranda, sans la moindre hésitation, fonça droit vers ce maelstrom de mort.

Une secousse particulièrement puissante projeta plusieurs rebelles contre une cloison à en juger par les chocs sourds et les cris de protestation. Le nez en pointe et les tâches de rousseur de Yekaterina apparurent dans la lucarne.

— Euh... vous êtes sûrs qu'on doit vraiment foncer dans ce foutoir ?!

— C'était juste une roquette perdue, tenta de la rassurer Miranda, mâchoire crispée.

Ses prunelles de glace, agitées de mouvement convulsif, repéraient les obstacles et surveillaient les menaces omniprésentes tout en cherchant le meilleur itinéraire. Le fourgon s'infiltra dans le no man's land à travers deux positions fédérées. Miranda, le front couvert de sueur, s'efforçait de ne rien perdre de leur vélocité entre les épaves calcinées, les lampadaires et les tirs.

Elle n'était toutefois pas en mesure de tout anticiper, de tout éviter. Une rafale de balles claqua contre le pare-brise. Les deux occupants de la cabine glapirent un hoquet de surprise. Heureusement, les projectiles s'étaient contentés de dessiner de petites toiles d'araignées sur le verre composite. Une deuxième volée de métal cueillit le fourgon de plein fouet. Les impacts de plus en plus nombreux déformaient le pare-brise. Miranda, de peur de le voir céder, donna un coup de volant pour se sortir de la zone de tir. Elle contre-braqua aussitôt, écrasant un panneau, esquivant de justesse un lampadaire tordu, perdant le contrôle du fourgon. La course chaotique du véhicule les précipita vers le cratère d'une bombe.

— Putain de merde !

Par ce cri, Miranda avait à peu de chose près exprimé la pensée générale de Kyle. Les chocs les ballottèrent avec fracas. La sensation d'apesanteur d'un vol plané succéda, à la fois éphémère et éternelle, où les toiles d'araignées du pare-brise n'avaient plus que la voûte noire du ciel comme support. Puis la secousse de l'atterrissage, la gueule du Cerbère de nouveau en ligne de mire, l'écran de bord qui s'éteignit, l'arrêt progressif du fourgon.

— Non ! s'écria Miranda en appuyant frénétiquement sur le démarreur sans parvenir à rétablir le contact. Me fais pas ça ! Non non non non non !

Une grêle de métal tambourinait le blindage du fourgon. Des hurlements de panique retentissaient à l'arrière par la faute des bosses qui déformaient les parois. Un rétroviseurs explosa, l'autre exhiba un gardien à genoux, ajustant un lance-roquette sur son épaule.

— Miranda !

J'essaie !

La rebelle cogna de rage. Le tableau de bord illumina la cabine. Le fourgon s'élança à pleine vitesse dans une clameur de joie qui se transforma aussitôt en injures catastrophées : la roquette explosa à l'endroit précis où ils s'étaient trouvés une seconde auparavant. Une série d'explosions les poursuivit, dévora l'asphalte dans leur sillage. Le fourgon émergea des nuages de poussière. Il fumait par endroit, l'une de ses roues semait des étincelles sur une hauteur d'homme, son blindage se bosselait au point de rompre, son pare-brise ressemblait à une mosaïque de verre, mais il roulait encore.

Miranda le poussa dans ses retranchements. Il traversa les rangs phœnix telle une furie, franchit l'épaisse muraille et fusa de la gueule du monstrueux Cerbère qui, dans un sursaut d'agonie, donnait l'impression d'être sur le point de refermer ses mâchoires.

— On... on a réussi... souffla Miranda, incrédule. On a réussi ! On est dehors !

Un seul phare éclairait le ruban de bitume des landes sibériennes. Derrière eux, le porc-épic de lumière avait perdu la plupart de ses piquants. Une exultation euphorique éclata dans la soute. Rebelles et évadés célébraient liberté et survie, la meute et leur victoire.

— Je sais pas comment ils peuvent encore avoir l'énergie de trépigner comme ça ! commenta Kyle tout en esquissant un sourire.

— Faut dire, aucun d'entre eux n'a eu aussi chaud que toi.

— J'aurai eu bien plus chaud sans toi, Miranda.

Un sourire étira les lèvres de la conductrice.

— Alors là, ça m'étonnerait.

Kyle haussa les yeux au ciel et préféra se tourna vers la lucarne. Son rire de réjouissance face à la liesse se figea sec. Que faisait Neck en slip ? Et il manquait surtout six rebelles. Encore plus de prisonniers.

— Que s'est-il passé, Miranda ? Où sont les disparus ?

Elle jeta un coup d'œil dans le rétroviseur, certainement pour s'assurer que personne ne les avait pris en chasse, puis répondit enfin du bout des lèvres après avoir retardé ce moment au maximum :

— L'un de nos prisonniers n'était plus dans sa cellule. Un autre est mort durant l'évasion. Quant à l'équipe de Neck, il... il en est l'unique survivant.

La colère crispa le poing de Kyle mais la fatigue eut tôt fait de le desserrer.

— C'est pas vrai... Comment a-t-il pu merder à ce point ?

— Tu es bien prompt à l'accuser... fit remarquer Miranda en coulissant le clapet de la lucarne. Pour toi, une fois qu'on s'est séparé, est-ce que tout s'est passé comme prévu ? Non ? Pareil pour moi. Pareil pour lui. Sauf qu'il n'a peut-être pas eu autant de chance que nous. Peut-être que la situation qu'il a dû affronter était inextricable. Peut-être que c'est déjà une chance qu'il y ait eu un survivant.

Un grognement rétif lui répondit.

— Je sais que tu as une dent contre Neck. La preuve : tu restes persuadé que la mort de son équipe est entièrement de sa faute. Mais souviens-toi... Si quelqu'un t'avait balancé la même chose lorsque tu avais survécu au reste de la meute, comment aurais-tu réagi ?

Le bourdonnement artificiel du moteur électrique soliloqua un long moment dans la cabine.

— Tu as raison... finit par admettre Kyle, mal à l'aise aux souvenirs des incessantes réprimandes et des blâmes perpétuelles décochés contre le titan rebelle. Avant de le traiter comme un coupable, je dois lui laisser une chance de s'expliquer.

La rebelle marqua son approbation d'un sourire en coin. Un flash aveuglant balaya les ténèbres sibériennes, projetant des ombres démesurées sur les tapis d'ivoire. Dans le rétroviseur, le porc-épic aux lumières brisées brillait comme jamais il n'avait brillé, emporté dans le feu des Phœnix. L'explosion, colossale, embrassa les nuages eux-mêmes. Rien ne pouvait survivre à un tel cataclysme.

La prison de Cerberus n'était plus.

Avec elle, un bon millier de fédérés avait été balayé. Certains, à l'instar du colonel Pattern, avaient pris un plaisir malsain à dégrader les humains sous leur responsabilité en sous-hommes. D'autres avaient abusé de leur petit privilège pour des plaisirs sordides, tel l'ignoble gardien qui avait violé Yekaterina au cours des fouilles. Mais d'autres avaient risqué leur vie pour sauver l'un des leurs et lui tendre la main. Cette liste déjà hétéroclite s'enrichissait des centaines de milliers de détenus. Parmi eux, combien d'opprimés, à l'image de Neshka et sa bande, dont la dernière liberté avait été de choisir leur mort ? Combien possédaient-ils le même altruisme que Jeronovich, extirpant un inconnu des griffes de la mort au risque de s'y précipiter lui-même ? Combien s'avéraient coupables des mêmes « crimes » que Mukoko Ngoma et ses codétenus, libérés de geôles mortelles vers un désert tout aussi mortel ?

Pour la fédération, ils n'avaient été qu'une ligne de rentabilité, des bêtes de somme, des esclaves déjà morts, des machines organiques jetables. Pour les Phœnix, ils n'étaient que des sacrifices. Les deux belligérants aux idéaux contraires s'étaient comportés à leur égard d'une manière tout aussi abject.

Le regard de Kyle tomba sur ses mains ensanglantées.

Lui aussi, il n'avait pas été en reste.

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