Chapitre 22 : Réssurection (1/2)
Le fragment de meute gravit les étages de ténèbres sans rencontrer le moindre obstacle. Les bottes de Kyle produisaient un vacarme de tous les diables sur les degrés métalliques, aussi, en vue du battant dissimulant la surface, il ralentit l'allure et s'en approcha silencieusement pour coller son oreille. Le métal froid assourdissait des éclats de voix. Kyle fit signe à Jackson de le rejoindre. Ils poussèrent le vantail aussi doucement que possible pour découvrir une scène de carnage.
Dans les mares de lumière rouge des veilleuses et jaune des rares fenêtres grillagées, trois fédérés se dressaient au milieu du hall d'accès. Ils ne parlaient que par monosyllabes fiévreuses. Leurs armes et leurs regards ne parvenaient à se détacher des portes closes de l'ascenseur. Partout, la grisaille des murs se balafrait d'impacts de balles et de giclées carmines. Au sol, des cadavres gisaient, si nombreux qu'ils formaient un mur orange dont la hauteur augmentait à chaque pas.
L'une des sentinelles perçut un mouvement derrière la porte. Il brandit son fusil, ouvrit la bouche pour lancer un avertissement mais ne put qu'expirer son dernier râle. Ses deux compères le rejoignirent au sol dans la seconde. Kyle et Jackson émergèrent de leur cachette avec précaution. Plus aucun danger n'était visible. Ils appelèrent leurs compagnons, guettant avec nervosité l'ascenseur et l'entrée du hall.
— On doit faire vite ! les exhorta Kyle pendant que les rebelles s'emparaient des fusils et armes de poing des défunts. On fonce jusqu'au fourgon !
— J'espère que Neck et Miranda y sont déjà ! commenta Samuel.
Kyle approuva d'un hochement de tête avant de jeter un coin d'œil à leurs protégés. S'ils avaient accueilli leur libération avec sidération dans un premier temps, ils revenaient lentement à eux, arborant des masques où se mélangeaient peur et espoir.
— Quant à vous, leur lança-t-il, vous n'avez qu'à nous suivre et survivre.
— Avec une arme, intervint Jeronovich en chancelant, nous pourrions faire bien plus que vous suivre.
— Pas question. Ce sont mes supérieurs qui vous veulent vivants. Moi, je n'ai aucune confiance en vous.
Le regard de Jeronovich glissa vers les autres forçats. Son œil parvint à dire sans le moindre mot « je suis d'accord, comrade ». Une explosion ébranla le bloc tout entier, leur rappelant l'urgence de fuir Cerberus. Ils ne se firent pas prier pour détaler à travers les corridors peuplés d'ombres. À l'extérieur, les staccatos des mitrailleuses, les bourdonnements des bombes et les sifflements des balles gagnaient du terrain.
Au détour d'une intersection, le petit groupe tomba nez à nez sur une volée de drones. Les fusils crevèrent en étincelles électriques les ballons de métal sans même leur laisser le temps de réagir. La dernière carcasse roula au sol, le carré luminescent de son capteur visuel grésillant, se dissipant dans les ombres au point de disparaître. Mais un filin jaillit pour s'accrocher au bras de Jackson. Un hurlement de douleur s'étouffa dans sa mâchoire crispée. Son corps se cambra, ses muscles tremblèrent violemment. La décharge électrique l'assomma. Il s'effondra telle une poupée de chiffon, retenu in-extremis dans sa chute par Samuel.
— Il... Il est vivant, dit le rebelle, deux doigts sur sa gorge.
D'un coup sec, il arracha le dard enfoncé dans la peau puis interrogea du regard son supérieur. Face au doute évident de ce dernier, il ne put se retenir de proclamer :
— On peut pas le laisser là ! Il mérite pas ça, capitaine ! Jackson mérite pas ça !
— La meute n'abandonne personne, asséna-t-il avec force, comme pour balayer ses sombres pensées. Tu le prends sur ton dos et on dé...
— Je m'en occupe ! intervint Jeronovich en se laissant tomber à côté du rebelle inconscient. À défaut d'une arme, je porterai vos blessés !
Kyle faillit l'en dissuader : les genoux de l'épave humaine flanchaient déjà sous le poids de son propre corps, alors en supporter un autre...
— Bien, opina-t-il tout de même, étrangement persuadé qu'il parviendrait à tenir parole. Samuel, tu restes à ses côtés au cas où. Les autres, en formation de combat.
Le commando rebelle s'élança à travers les restes mécaniques. Jeronovich, en dépit de son fardeau, parvint à suivre sans faillir. Il ne les ralentissait pas, en un monstre de volition que rien ne pouvait arrêter, pas même les nouvelles tâches pourpres qui s'agrandissaient sur ses lambeaux. L'effort déchirait ses mutilations les plus récentes. Et pourtant... pourtant, il continuait, payant de sa vie pour sauver celle d'un inconnu.
Le hall d'entrée émergea enfin au bout du dédale de ténèbres. La sortie se découpait en un rectangle de lumière. Le soulagement et l'euphorie envahirent rebelles et évadés avant d'être brutalement douchés par des vociférations infernales. Les hurlements montaient d'un couloir attenant au leur. Ils s'empressèrent de franchir la dernière intersection où se précipitaient également des détenus. À la vision de l'uniforme de Kyle, leurs braillements s'enragèrent, des morceaux de ferraille prolongèrent leurs poings, la fuite devint charge.
— COUREZ !
Kyle laissa passer son escouade et tira un coup de feu vers la horde de prisonniers. Le trait d'acier qui siffla au-dessus de leur tête, bien loin de les disperser, ne fit qu'exploser leur rage. Kyle ne perdit pas une seconde de plus et fit volte face. Il vint prêter main forte à Jeronovich qui hurlait pour outrepasser la douleur du sprint final. Sa résolution, aussi puissante soit-elle, était incapable de remplacer les traînées sanglantes perdues, pas plus qu'elle ne pouvait réparer les fibres de ses muscles sectionnées, brûlées et atrophiées. Sans l'aide de Kyle et Samuel, sa course se serait achevée sur le seuil de la libération.
— Allez, encore un effort ! l'exhorta Kyle, conscient de demander l'impossible.
Ils passèrent les machines d'identification, les comptoirs protégés de plexiglas et de grillage, les portes des salles de fouilles puis les portiques de sécurité. Le minuscule rectangle de lumière grandissait à chacun de leur pas. Le vent glacial courait sur leur visage alors que les vagues de haine brûlante les pourchassaient. Elles s'abattirent sans la moindre pitié sur Kyle pour le plaquer contre un mur, se personnifièrent en un géant, une main enserrée autour de sa gorge, un immense coutelas ensanglanté dans l'autre.
À l'instant où la lame siffla, un tir perfora la gorge de son détenteur. Il s'effondra en un râle de strangulation. Kyle, crachant, toussotant, avala goulûment des lampées d'oxygène, recula vers la sortie en s'aidant du mur, maintint à distance l'arc de bagnards grâce à son arme.
— Capitaine ! s'écria Samuel, loin et si proche à la fois dans son dos.
Kyle ne commit pas l'erreur de tourner la tête.
— Dégage ! Fout le détenu à l'abri !
Une prisonnière se détacha du groupe avec la démarche d'une louve solitaire. Elle s'avança devant tous les autres en train de s'égosiller, silencieuse et calme, imperturbable face au canon du pistolet, guettant la moindre faille pour attaquer.
— J'ignore pourquoi tu aides certains d'entre nous... gronda-t-elle entre ses dents. Mais tu portes leur uniforme. Tu es l'un d'eux. Un tortionnaire.
— Non ! s'insurgea Kyle, le mur de prisonniers de plus en plus proche. Je ne suis pas l'un de ces salauds ! Nous pouvons tous sortir d'ici vivants !
La louve solitaire, sans crier garde, en une brutale fulgurance, bondit. La gâchette du pistolet fut pressée, mais un simple déclic retentit. Kyle se figea d'horreur. Le chargeur de l'arme était vide. L'habitude de son fusil laser lui avait fait oublié de vérifier ses munitions. Une faute stupide, une erreur monumentale. Il n'eut même pas le temps de se maudire que le poing de son assaillante percuta sa mâchoire. Le reste de la horde se jeta sur lui. Ses bras furent saisis. Des coups plurent de toute part. Son dos claqua contre le sol. Un choc lui coupa le souffle. La prisonnière le dominait, à califourchon sur sa poitrine.
— Je... Je ne suis pas un gardien... gémit Kyle en crachant un filet de sang.
Le visage au-dessus de lui, fondu en partie par une brûlure, s'ouvrit en un rictus ironique.
— Et qui es-tu alors ?
— Un rebelle ! Nous nous sommes infiltrés dans Cerberus ! Des renforts nous attendent à l'extérieur ! Vous n'entendez pas les bruits de l'assaut ? Nous sommes venus vous libérer !
— Nous libérer, nous ?
Un rire aigre, presque douloureux, s'exsuda de sa poitrine.
— Pourquoi s'intéresser aux rebuts de la société ? À ceux dont l'existence a disparu entre ces murs ? À cette bande de déchets, de sous-êtres, d'animaux et de cadavres ambulants que nous sommes devenus ? Violés comme des quartiers de viande ! Condamnés à nous chier les uns sur les autres ! À crever dans le froid ! De faim ! Broyés par une foreuse ! Dans les émanations brûlantes des machines ! Ou les poumons liquéfiés par une vapeur toxique !
Toute trace de son cruel amusement s'envola.
— Personne ne se soucie de nous. Personne ne veut de nous.
— T'as raison, Neshka, renchérit un autre forçat. Ça pue le piège, son histoire.
— Personne est assez taré pour attaquer Cerberus ! s'éleva une voix anonyme. Il a juste pas les couilles d'avouer que c'est une évasion !
— Ouais ! Si ça setrouve, ses protégés, c'était leurs petites salopes ! Des putains d'indics !
— Ce fils de pute nous ment ! Crevons-le !
— Non... s'il vous plaît... écoutez-moi...
Une clameur approbatrice noya les protestations de Kyle. Des grognements bestiaux appelèrent au meurtre, résonnèrent dans son crâne en vibrations de pure terreur. Une délectation morbide transfigura le visage de Neshka, se répandit telle une peste au reste de la horde.
— Mon pauvre chéri, lui susurra-t-elle à l'oreille avec une tendresse perverse. Regarde comme tu trembles, tu en as les larmes aux yeux ! Chut... N'aie pas peur. Tu ne mourras pas aujourd'hui. Tu te contenteras de souffrir. Souffrir comme nous avons souffert. Pendant très, trèèèèès longtemps. Ton agonie sera des plus...
Le souffle sadique s'interrompit. Le plat de la main qui caressait la joue de Kyle se suspendit. Les clameurs vengeresses se tarirent. Un mutisme inquiétant envahit le couloir. Les yeux de Neshka se perdirent par-delà le mur de prisonniers qui lui-même se braqua en un même ensemble vers le cœur du bloc. Kyle se tordit la nuque, tenta de trouver une faille dans la muraille d'orange et de chair qui lui obstruait la vue. Un prisonnier lui écrasa sa paume sur la bouche, autant pour le contraindre à l'immobilisme que pour l'empêcher de parler.
— Bande de sacs à merde ! Au moindre geste hostile, vous crevez tous !
Les vibrations de mépris absolu ne pouvait appartenir qu'à un gardien. Un frisson de peur traversa les rangs des prisonniers. Neshka, elle, n'eut aucun mouvement de recul. Au contraire, elle se releva avec lenteur et s'avança en première ligne, aussitôt remplacé par un autre codétenu pour maintenir Kyle à terre.
— Vous vous séparez d'au moins un mètre ! crépita la grêle abrupte. Allez ! Face contre terre et mains dans le dos !
Un détenu jeta un regard en coin à Kyle puis s'approcha de Neshka.
— On peut l'utiliser en otage ?
— Ce serait la pire des choses à faire.
— Alors quoi ? On retourne crever sous terre ?!
— Putain, c'est hors de question ! intervint une autre détenu en un furieux murmure.
— Assez de messes-basses ! rugit le gardien. Le prochain qui ouvre sa gueule, je lui fourre le canon de mon flingue à l'intérieur et je lui explose le crâne ! Pareil pour celui qui se vautre pas à terre dans les trois secondes !
Le pelage orange de la louve glissa parmi ses sœur et frères de tourmente.
— Aujourd'hui, gronda-t-elle sans plus se donner la peine de chuchoter, d'une manière ou d'une autre, nous serons libres !
— Dernier avertissement !
Les prisonniers prirent une profonde inspiration. Toute terreur les avait quittés. Ils n'étaient plus que froide résignation.
— CHARGEZ !
— FEU !
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