II

Le soleil de la matinée filtrait à travers les grandes baies vitrées du lycée, projetant des formes diffuses sur le sol carrelé. Haydée marchait d'un pas mesuré dans le hall principal, son sac battant doucement contre sa hanche à chaque pas. Les conversations des autres élèves lui parvenaient comme un bruit de fond incessant, une symphonie chaotique de rires, de murmures et de salutations enthousiastes.

Elle longea les murs, préférant rester dans l'ombre plutôt que de traverser la foule joyeuse qui se rassemblait autour des bancs. Isilys et Ophélia étaient là, entourées de leurs nouvelles amies. Livia trônait au centre, comme toujours, rayonnante et sûre d'elle. Une vague de nostalgie s'empara de Haydée en les observant. Autrefois, c'était elle qui partageait ces rires complices, ces confidences murmurées entre deux cours.

Maintenant, elle était une spectatrice silencieuse, reléguée à la périphérie de leur monde.

Elle tenta de se convaincre que cela ne la touchait plus, mais la morsure de l'isolement était toujours présente, acérée et douloureuse. Chaque jour au lycée lui rappelait qu'elle était différente, invisible. Les autres semblaient naviguer avec aisance dans cet univers de popularités changeantes, tandis qu'elle restait figée, comme une pièce d'un puzzle qui ne trouvait pas sa place.

La sonnerie retentit, arrachant Haydée à ses pensées. Elle se dirigea vers sa salle de classe, croisant des regards qui glissaient sur elle sans s'arrêter. Elle avait appris à porter un masque, un sourire soigneusement calibré qui cachait ses tourments intérieurs. Personne ne devait savoir à quel point elle se sentait seule.

Le professeur d'histoire entra en classe, interrompant les bavardages. Haydée sortit son cahier et son stylo, prête à prendre des notes, mais son esprit vagabonda rapidement. Les mots du professeur se mêlaient à ses pensées sombres.

Elle repensa à Isilys et Ophélia, à leur complicité retrouvée avec ces nouvelles filles. Qu'avait-elle fait pour être mise de côté ? Qu'avait elle de moins que ces filles populaires? Pourquoi personne ne semblait jamais tenir à elle ?Pourquoi tout avait-il changé si brutalement ? Elle n'avait jamais reçu de réponses, juste ce vide glacial laissé par leur éloignement.

— Haydée, tu peux répéter ce que je viens de dire ? demanda soudain le professeur.

Elle sursauta, les joues en feu. Les regards de ses camarades se tournèrent vers elle.

— Euh... je... je n'ai pas bien suivi, murmura-t-elle.

Le professeur soupira mais poursuivit son cours sans insister. Haydée baissa les yeux sur son cahier, honteuse. Elle sentit les chuchotements et les rires discrets derrière elle. Une boule se forma dans sa gorge, mais elle la ravala avec habitude. Chaque jour était le même recommencement. Lorsqu'elle levait la main on ne l'interrogeait pas, en revanche lorsqu'elle se permettait quelques secondes d'évasion elle était au centre de l'attention.

La pause déjeuné arriva enfin. Haydée traversa la cour jusqu'à un coin plus isolé, près des grilles. Elle s'assit sur un muret, son sandwich à la main, regardant distraitement les élèves s'animer autour d'elle.

Azélie lui manquait. Si elle avait été là, elles auraient ri de cette absurdité qu'était la vie lycéenne, trouvé des moyens de transformer le banal en aventure. Mais Azélie n'était plus physiquement présente. Haydée savait qu'elle pouvait toujours lui envoyer un message, mais ce n'était pas pareil.

Son téléphone vibra soudain. Un message d'Azélie justement.

« Alors, toujours en mode élève fantôme ? »

La jeune élève esquissa un sourire.

« Je crois que je bats des records aujourd'hui. »

« Record d'invisibilité ou de méditation pendant les cours ? » répliqua Azélie.

« Les deux. »

Le simple échange allégea un peu le poids qui pesait sur ses épaules. Azélie avait ce don, même à distance.

L'après-midi était consacrée à un cours de travaux dirigés. Les élèves étaient regroupés par petits groupes, travaillant sur un projet commun. Haydée, comme à son habitude, était seule.

Elle tentait de se concentrer sur son travail quand une voix familière l'interrompit.

— Salut, Haydée.

Elle leva les yeux. C'était Ophélia.

— Tu travailles seule ? demanda-t-elle, presque avec surprise.

— Oui, répondit Haydée simplement.

Ophélia sembla hésiter.

— Si tu veux, tu peux rejoindre notre groupe...

Le ton était poli, mais pas vraiment chaleureux. Haydée savait qu'il s'agissait plus d'une formalité que d'une réelle invitation. Elle sourit faiblement.

— Merci, mais ça va.

Ophélia haussa les épaules et retourna vers son groupe. Elle sentit une pointe de regret, mais aussi de fierté. Elle avait choisi de rester seule, plutôt que d'accepter une place offerte par obligation.

Elle connaissait bien ce petit jeu. A chaque fois c'était la même chose. Elle devenait l'amie que tout le monde voulait, puis, ne voulant blesser personne, elle acceptait tout, même de faire le travail à leur place. Elle avait mis fin à ce manège à la demande de ses parents, ils l'avaient réprimandé car elle "travaillait trop", chose complètement absurde selon la jeune élève.

Les profs ne voyaient rien à tout ça, un jour, on lui avait même reproché de remettre le sal travail à Isilys et Ophélia, et de ne rien faire pour alléger leur charge mentale soi-disant surchargée . Quoi qu'elle face, Haydée restait sans cesse la fautive, celle qui ne faisait jamais rien de bien, jamais rien d'assez bien pour plaire.

Le soir, de retour chez elle, la jeune fille s'installa à son bureau. La journée l'avait laissée épuisée, vidée par cette lutte constante pour paraître indifférente alors que chaque regard évité, chaque mot non prononcé, la blessait un peu plus.

Le seul refuge qu'elle avait trouvé était le travail. S'immerger dans les devoirs, les révisions, les lectures imposées ou non, lui permettait d'échapper à cette sensation de vide. Mais cette stratégie, qui aurait pu lui valoir reconnaissance et respect, n'était qu'un autre prisme de malentendus.

À la maison, ses parents la voyaient comme une élève trop studieuse, une perfectionniste incapable de relâcher la pression. « Tu devrais apprendre à souffler un peu, tu sais, ce n'est pas grave si tu n'as pas 20 sur 20 partout,» disait souvent sa mère en posant une tasse de chocolat chaud sur la table. Son père, lui, s'inquiétait de la voir passer autant de temps enfermée à son bureau.

Mais au lycée, c'était une toute autre histoire. Malgré sa participation orale récurrente, certains professeurs et surtout ces "amies" Ophélia et Isilys, lui avaient voué une réputation inattendue : celle d'une flemmarde, de quelqu'un qui se contentait de faire le strict minimum. Le contraste était cruel, presque risible, mais Haydée n'avait jamais su comment rectifier cette perception.

Elle continuait simplement à avancer, la tête baissée, noyée dans cette routine éreintante. Elle était enfermée dans un paradoxe étouffant : jugée trop studieuse chez elle et trop paresseuse à l'école.

L'athlétisme était censé être une évasion, un moyen de décompresser. Et parfois, c'était le cas. Sur la piste, elle se sentait différente, plus légère, surtout lorsqu'elle partageait ces moments avec deux amies, Gianna et Julie. Elles riaient beaucoup ensemble, lâchant la pression dans une complicité presque naturelle. Pendant ces instants suspendus, Haydée avait l'impression de retrouver une part de ce qu'elle avait perdu.

Mais une fois de retour au lycée, les choses étaient différentes. Gianna et Julie restaient courtoises, toujours polies, mais elles gardaient une distance respectueuse. Haydée savait qu'elles ne voulaient pas la blesser, mais préféraient s'intégrer à d'autres cercles plus dynamiques et populaires. Elles n'avaient sans doute pas conscience de l'impact que leur éloignement avait sur elle, mais chaque fois que leurs chemins se croisaient dans les couloirs, un sourire fugace suivait un silence qui pesait lourd.

Elle prétendait que ça ne la touchait pas. Après tout, elle avait l'habitude de ces relations fragmentées, où les autres venaient et repartaient selon leur envie. Mais au fond, elle ressentait toujours cette douleur sourde, celle de ne jamais être pleinement choisie.


 Le silence de sa chambre était parfois rassurant, mais ce soir-là, il lui semblait oppressant. Elle ouvrit son carnet et traça quelques lignes sans but précis. Les mots se perdaient sur le papier, reflétant son état d'esprit confus.

« Pourquoi est-ce que je ne trouve jamais ma place ? » pensa-t-elle en posant son stylo.

Elle referma son carnet et se laissa tomber sur son lit, le regard fixé au plafond. Demain serait une autre journée, identique à celle qui venait de s'écouler. Mais peut-être, juste peut-être, les choses changeraient un jour.

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