I
Le jour s'étendait paresseusement sur les toits du lycée, la lumière froide d'un matin d'automne glissant entre les vitres poussiéreuses des salles de classe. Haydée longeait les couloirs sans se presser, ses chaussures effleurant le carrelage sans bruit. Elle n'était ni la fille que tout le monde regardait, ni celle que l'on oubliait totalement. Une présence discrète mais solide, qui se fondait dans le décor du quotidien sans chercher à l'éviter.
Cette invisibilité choisie, elle l'avait construite avec soin. Peut-être parce que rester dans l'ombre était devenu une habitude confortable, un moyen d'échapper aux jugements des autres. Mais ce n'était pas une solitude totale. Il y avait Azélie.
Azélie était différente des autres. Leur relation, tissée de complicité silencieuse et de soutien mutuel, avait survécu aux tumultes du collège et des premiers mois chaotiques du lycée. Elle était au CNED maintenant, une solution trouvée pour échapper à ses propres démons. Haydée se souvenait encore de ces années où son amie disparaissait des bancs de l'école, engloutie par une peur qu'elle ne pouvait nommer. Mais malgré tout, elles étaient restées proches.
Haydée avait toujours été celle qui agissait, ramenant les cours, faisant passer les devoirs, trouvant des stratagèmes pour qu'Azélie garde une connexion avec cette vie scolaire dont elle semblait vouloir s'effacer. Pourtant, aujourd'hui, c'était Haydée qui avait besoin de ce lien. Les messages de son amie étaient devenus une bouée dans l'océan qu'était la vie. Ses mots simples, teintés d'une ironie discrète, apportaient une chaleur rassurante.
La veille encore, Azélie lui avait envoyé une photo d'une page de roman annotée de commentaires en marges griffonnés à la hâte. « Si ça, ce n'est pas une preuve qu'on peut tordre les réalités à notre guise, je ne sais pas ce que c'est », avait-elle ajouté. Haydée n'avait pu réprimer un sourire. Ces petits messages avaient un pouvoir salvateur dont Azélie ne semblait pas avoir conscience.
— Tu sais, t'es plus forte que tu ne le crois, lui avait elle dit un jour, comme si c'était une évidence.
Haydée aurait voulu y croire. Mais cette force, elle la cherchait encore.
La sonnerie retentit, brisant le fil de ses pensées. Les élèves se dispersèrent dans un désordre bien réglé, leurs conversations rebondissant contre les murs. Haydée entra en classe et prit place au fond, là où personne ne cherchait jamais à s'asseoir. Elle sortit machinalement son cahier, mais son esprit était ailleurs.
Le professeur de d'EMC entra, imposant le silence d'un simple regard. C'était un homme grand, aux cheveux grisonnants, avec une présence magnétique qui forçait l'attention.
— Aujourd'hui, nous allons parler du pardon et de la justice, annonça-t-il en écrivant les deux mots au tableau. Peut-on vraiment se libérer du poids du passé ?
Les mots flottèrent dans l'air, trouvant un écho inattendu en Haydée. Elle baissa les yeux sur son cahier, traçant des spirales distraites dans la marge. La question la hantait sans qu'elle ne sache pourquoi.
Elle sentit un regard posé sur elle et tourna la tête. Ophélia, assise deux rangées plus loin, discutait discrètement avec Isilys. Leurs visages rayonnaient de cette assurance que seules les personnes bien entourées possèdent. Haydée se rappela leurs fous rires partagés au collège, leurs confessions lors de ce fameux voyage scolaire, leurs bons moments passés au théâtre mais surtout cette amitié à laquelle elle avait crû. Tout cela semblait appartenir à une autre vie.
Désormais, Isilys et Ophélia faisaient partie d'un cercle dont Haydée était exclue. Livia, la fille parfaite, trônait au centre de ce groupe. Brune, sûre d'elle, chaque geste mesuré comme une chorégraphie naturelle de popularité. Haydée les observait de loin, sans rancune apparente, mais avec une douleur sourde qu'elle préférait ignorer.
La voix du professeur la ramena au présent.
— Le pardon peut-il être une forme de justice ? demanda-t-il.
Un silence tendu s'installa dans la classe. Haydée sentit son cœur s'accélérer. Pourquoi ces mots semblaient ils la viser directement ?
Lorsque la sonnerie libéra enfin la classe, elle se précipita vers la sortie, évitant les discussions bruyantes. Elle avait rendez-vous avec son psy après les cours, une habitude prise à contrecœur mais devenue une forme de rituel. Le cabinet était petit, chaleureux, avec des murs peints en vert doux et une bibliothèque remplie de livres aux titres philosophiques.
En attendant l'heure de sa séance, Haydée consulta son téléphone. Un message d'Azélie venait d'arriver.
« Courage pour ton rendez-vous. Peut-être que ton psy est secrètement un philosophe métaphysique. »
Malgré elle, Haydée esquissa un sourire. Azélie avait toujours cette manière d'alléger les choses avec une pointe d'humour absurde.
Le psy entra dans la salle d'attente et lui fit signe.
— Comment tu te sens aujourd'hui ? demanda-t-il, une fois qu'elle fut installée dans le fauteuil en cuir.
la jeune fille haussa les épaules.
— Pareil
— C'est-à-dire ?
Elle fixa un point invisible sur le mur.
— Comme si tout ce que je fais n'avait pas d'importance. Les gens passent, me regardent sans vraiment me voir. Mes amies, ou du moins celles qui l'étaient, vive sans me voir. Comme si le collège était une vie parallèle. On ne me voit pas, ne me regarde pas. Mais bon, il vaut mieux ça que d'être mal accompagné...
Un silence perturbant s'installa avant que l'homme grand et imposant ne reprenne :
— Ce n'est pas la première fois que tu vis ceci, je me demande même si l'inverse t'est déjà arrivé?
—Comment ça ?
—Honnêtement Haydée, as tu déjà connue une amitié stable qui a perdurée ? En primaire tes amis te harcelaient, au collège ton amie la plus proche, celle avec qui tu formais LE duo, s'est éloignée sans évènement majeur. Depuis ton arrivée au lycée tes autres amies se sont fait leur place sans toi. Et tu sais aussi bien que moi que tu n'as jamais gardé aucun lien alors que tu fais toujours de ton mieux. Tu n'as qu'une amie aujourd'hui, et tu te doutes comme moi que rien ne l'empêche de te tourner le dos quand cela l'arrangera. Il y a peut-être une raison à cela tu ne crois pas ?
—Vous voulez me faire comprendre quoi exactement ?
—Je veux simplement te dire de faire attention. Si toutes ces personnes t'oublient aussi vite qu'elles t'ont rencontré c'est qu'elles peuvent aussi te faire du mal rapidement, se servir de toi car elles connaissent ton point faible : tu feras toujours tout pour garder les gens près de toi, qu'ils soient gentils ou méchants, tu seras toujours aveuglée.
Une seule larme silencieuse roula sur sa joue.
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