CHAPITRE 37 - LOUIS
J'ai l'impression d'avoir laissé un bout de moi à Los Angeles en quittant Harry pour rentrer aux Capucines.
Je suis mélancolique, malheureux comme les pierres. J'erre comme une âme en peine entre la maison et l'auberge, de mon bureau à la réception jusque sur la terrasse que je m'obstine à balayer. Le temps est aussi maussade que moi. Il pleut et vente tous les jours depuis mon retour.
Je frissonne en entrant dans l'auberge, enlève ma veste avant de me diriger vers la cuisine. Tout est calme cet après-midi. Reese ne sera pas de retour avant une bonne heure. Je me prépare une tasse de thé, puis, la boisson chaude entre les mains, me dirige vers le salon.
La porte en est désormais toujours ouverte et quelques clients aiment s'y installer pour prendre un en-cas l'après-midi. Personne cependant ne s'est aventuré vers le piano. Seul Harry, désinvolte, avait eu l'audace de jouer sans autorisation.
Je caresse les touches du clavier en m'asseyant, déposant ma tasse sur l'instrument. Je commence une mélodie, l'une des préférées de ma mère. Je regrette son absence ces derniers temps. Elle aurait sûrement trouvé les mots pour m'aider à y voir plus clair dans ma relation avec Harry.
Je ferme les yeux et enchaîne les notes, laissant mes pensées se perdre dans la musique.
Le bruit d'une chaise qu'on tire sur le parquet interrompt la sérénité dans laquelle je m'étais enfermé. J'ouvre les yeux et tourne mon visage pour découvrir Reese s'installer près de moi, les mains posées sur le piano tenant une tasse de thé.
"J'ai préparé du thé. Le tien doit être froid, me dit-elle alors que je termine de jouer la mélodie. J'aime bien entendre le piano dans le silence de l'auberge. Ça faisait longtemps...
- Juste quelques jours, je réponds.
- Harry n'est plus là depuis deux semaines déjà. Ça faisait longtemps, c'est bien ce que je dis. Et surtout d'entendre tes mélodies, précise mon amie, tandis que je soupire. Est-ce que tu vas bien Louis ? me demande-t-elle doucement face à mon désarroi.
- Je peux être tout à fait honnête avec toi ?
- C'est à ça que servent les amis... Je t'écoute."
Je me recule légèrement et m'empare de la tasse. Je bois quelques gorgées du thé. La chaleur du liquide me réchauffe et me réconforte. Je lève le regard vers mon amie avant de me confier.
"La vérité, c'est que ça ne va pas du tout... Je pensais que Harry allait me suivre jusqu'ici.
- Pourquoi tu as avancé ton retour ? Tu n'as rien dit en revenant...
- On ne vit pas dans le même monde Reese. Harry et moi, on s'aime. Je l'aime sincèrement et il s'est confié sur ses sentiments. Mais nos vies sont à l'opposé. J'aime le calme, la nature et la simplicité, quand il vit dans le luxe, l'excès et les fêtes, j'explique.
- Est-ce qu'on parle du même Harry ? Celui qui a fait demi-tour parce qu'il préférait risquer sa santé et sa carrière plutôt que te quitter ? Celui qui a préféré venir s'installer ici pour sa convalescence pour être près de toi ?
- Reese... C'est plus compliqué que ça !
- Je ne vois pas, non. Je pense que tu te mets une barrière Louis. Tu te caches derrière un problème parce que tu as peur de l'inconnu. Harry est l'inconnu, son univers est l'inconnu mais il ne te laissera pas seul au milieu de tout ça !
- Il boit, il se drogue en soirée ! je m'indigne, tellement déçu au souvenir de cette nuit-là. Je ne peux pas m'imaginer vivre avec lui dans ces conditions.
- Mais tu ne peux pas lui demander de devenir une autre personne, d'abandonner sa vie, ses amis, pour te suivre ici. Le temps se chargera de vous aider à trouver votre équilibre. Mais tu n'as pas le droit de lui imposer quoique ce soit.
- Je ne lui impose rien ! je m'offusque.
- Tu as fui Los Angeles parce que tu n'as pas supporté de le voir comme ça. Tu espérais qu'il te suive mais Harry espérait sûrement que tu restes !"
Les mots de Reese font écho à ceux de Kendall, lorsqu'elle me disait que Harry était passé à autre chose. Mon amie a peut-être raison : je me focalise sur mes insécurités sans prendre en considération celles de Harry. Je dois bien reconnaître que depuis que nous nous fréquentons, Harry n'a plus montré cette condescendance derrière laquelle il se cachait à notre rencontre. J'ai découvert un homme parfois timide et humble, un homme à plusieurs facettes : l'artiste et l'homme, simplement.
Reese dépose un baiser sur ma joue, me laissant à ma réflexion.
***
Installé dans mon canapé, je zappe à la recherche d'un programme qui pourrait m'occuper l'esprit. Mais les mots de Reese ne cessent de me revenir en mémoire. Harry me manque. Aujourd'hui, je ne sais plus si j'ai pris la bonne décision en écourtant mon séjour à Los Angeles. Je me suis privé de quelques jours en sa compagnie avant de revenir sur le domaine. Il serait rentré avec moi et nous aurions repris notre petite routine, ici à l'auberge. Je sais qu'il s'y sent bien mais ne reste-t-il pas seulement pour être avec moi, tandis que moi, je suis incapable de lui offrir une semaine à Los Angeles, chez lui ?
Je bascule ma tête sur le dossier du canapé en soupirant. J'étais en colère en quittant Harry. Je suis maintenant malheureux.
Cette décision est certainement l'une des pires que j'ai dû prendre dans ma vie. Je dépose mon avant-bras sur mes yeux, essayant de réfléchir à la manière de me faire pardonner. Et comme s'il entendait ma détresse, mon téléphone sonne. Mon cœur s'emballe légèrement lorsque je décroche et que la voix rauque de Harry résonne à mon oreille.
"Salut, je lui dis timidement.
- Tu vas bien ? me demande-t-il sur le même ton. Mais je dois mettre un peu trop de temps à lui répondre, car il enchaîne. Je ne vais pas revenir aux Capucines...
- Bien sûr, je comprends, je l'interromps alors que mon cœur se fissure.
- Je vais partir un peu chez ma mère en Angleterre, poursuit-il sur le même ton, hésitant.
- Elle va être ravie de t'avoir près d'elle. Tu as raison... je réponds en laissant échapper un soupir.
- Mon avion atterrit à l'aéroport de Manchester jeudi à 15h48. Il y a un vol qui part de New York et qui arrive le même jour à 16h22. Accompagne-moi..."
Je reste sans voix face à cette proposition mais mon esprit commence déjà à chercher l'organisation adéquate pour le rejoindre.
"Louis... reprend Harry, je n'en peux plus de cette distance entre nous... Dis-moi oui. Je veux te prouver que tu te trompes.
- Je ne te mérite pas Harry, je lui confie.
- On a tous des défauts, un passé, Louis. Mais on a tous un avenir. Aujourd'hui, je ne vois plus le mien sans toi. S'il te plait...
- Je ne te mérite pas, je répète. Je suis tellement désolé pour mon attitude.
- Ça veut dire que tu viens ? il me demande, la voix plus enjouée.
- Oui... Avec plaisir, je lui réponds, le sourire sur les lèvres et dans ma voix.
- Je t'envoie toutes les infos par message. Je me suis déjà occupé de ta réservation. Je lève les yeux au ciel mais savoure cet instant, cette flamme au fond de moi qui semble se raviver. Et donc, tu n'as pas répondu, il poursuit. Tu vas bien ?
- Maintenant, oui..."
***
Il reste environ une heure de vol avant d'arriver à Manchester. Je feuillette un magazine sans prêter beaucoup d'attention aux articles qui s'y trouvent. J'ai hâte d'arriver mais je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine appréhension à retrouver Harry.
Pourtant je n'ai pas hésité une seule seconde lorsqu'il m'a proposé de le rejoindre. J'ai déboulé à l'auberge et prévenu Reese de ma prochaine absence. Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine que j'ai peiné à trouver mon souffle pour expliquer à mon amie les raisons de mon départ. Je souris en repensant à Reese, s'approchant de moi et déposant ses mains sur mes épaules, m'intimant de me calmer et de m'asseoir. Un grand verre d'eau fraîche plus tard et des phrases sans aucune cohérence, Reese m'a serré dans ses bras et m'a gentiment demandé : "Arrête un peu de déconner et va vivre cette histoire à fond !". Le "S'il te plaît" ajouté à la petite tape sur la joue m'a permis de réaliser à quel point j'ai failli perdre l'homme dont je suis amoureux.
Je ferme le magazine et le range dans le petit bac près de mon siège. Harry m'a réservé un vol en première et je ne peux nier que c'était vraiment agréable. L'hôtesse passe près de moi et me demande si je veux quelque chose avant que nous n'amorcions notre descente. Je décline dans un sourire et me réinstalle correctement dans le fauteuil, tambourinant d'impatience l'accoudoir avec mes doigts.
Nous avons atterri avec quelques minutes de retard. Dès que je suis descendu de l'avion, j'ai envoyé un message à Harry pour l'avertir de mon arrivée.
Je traverse le hall et emprunte l'escalator qui mène aux parkings. Harry m'a indiqué de sortir à la porte 3. Le regard rivé sur les panneaux de signalisation, je slalome à travers la foule jusqu'à atteindre mon but. Les portes automatiques s'ouvrent devant moi et, à peine ai-je avancé sur le trottoir, qu'une voiture s'approche de moi. Le carreau de la porte passager se baisse une fois arrivée à ma hauteur. Harry est installé au volant et un sourire timide s'affiche sur son visage. Je dépose mon sac sur la banquette arrière et m'installe à l'avant. Je passe la ceinture de sécurité tandis que Harry démarre pour nous faire sortir de l'enceinte de l'aéroport.
"Tu as fait bon voyage, me demande-t-il simplement.
- Oui. C'était un vol agréable. Merci pour la première classe, je réponds, un peu déçu de cet échange de banalités.
- De rien. Ça me faisait plaisir" me dit-il en tournant son regard vers moi.
Je lui souris en retour et glisse mes mains sur mon jean. Je sens mes joues s'empourprer et une légère anxiété me gagner. Nous avons environ une heure de route pour rejoindre la propriété de sa mère. Je regarde le paysage défiler devant moi dans un silence pesant. Je me racle la gorge, prêt à engager la conversation, à présenter une nouvelle fois mes excuses à Harry.
Il met son clignotant et s'engage sur une petite route en dehors de l'itinéraire affiché par le GPS. Cinq minutes plus tard, il s'arrête et coupe le contact avant de descendre du véhicule. Surpris, constatant qu'il n'y a pas âme qui vive aux alentours, je me défais de la ceinture et le rejoins.
"J'ai grandi ici, commence-t-il en me tournant le dos, le regard porté vers l'horizon. La campagne anglaise dans toute sa splendeur. Le vert à perte de vue, la pluie souvent, la boue. J'ai des souvenirs merveilleux ici et chaque fois que j'y reviens, je me fais la réflexion que je m'y sens vraiment bien. Et que je devrais vraiment venir plus souvent."
Je suis juste derrière lui. J'hésite une fraction de seconde avant d'enrouler mes bras autour de son buste, calant mon visage entre ses omoplates. Ses mains s'accrochent aux miennes et il enlace nos doigts avant de les serrer ensemble.
"Je me suis habitué à la vie facile à Los Angeles. Là-bas, on répond à ta moindre demande de jour comme de nuit. Et forcément mon statut amplifie cette réalité. Je perds pied souvent, poursuit-il, même si je refuse autant de le reconnaître. Quand j'ai commencé à avoir mes problèmes de voix, j'ai compris que tous ces avantages n'allaient rien m'apporter. J'avais besoin de retrouver un peu de l'Angleterre sans pour autant quitter le pays."
Harry se tourne finalement entre mes bras. Nos regards se croisent, bordés de larmes, le sien de peine, le mien de culpabilité. Il embrasse la commissure de mes lèvres doucement.
"Les Capucines était l'endroit idéal même si j'étais terrorisé à l'idée d'y être seul et contraint au silence. Et puis un soir, je t'ai entendu jouer du piano et je t'ai observé. Tu as emporté mon cœur avec ces quelques notes. Alors, je suis plein de défauts, j'ai certaines addictions quand je me perds mais s'il y a bien quelque chose que je ne renierai jamais, c'est là d'où je viens. Nos vies ne sont pas si opposées que tu le crois, Louis."
Les battements de mon cœur résonnent dans tout mon corps. Je me hisse légèrement sur la pointe des pieds et embrasse Harry ; l'amertume de notre dernier baiser échangé à Los Angeles laisse place à l'espoir.
*
* *
Rassuré ?
Continuez de prendre soin de vous. Restez chez vous. Lisez, écrivez...
Mimi
#CapucinesFic 🌸🌸🌸
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