CHAPITRE 22 - JEFF
Je m'adosse à mon fauteuil en écoutant l'un des actionnaires du label. Il nous explique le partenariat mis en place avec une plateforme de streaming destinée à promouvoir nos artistes, avec showcase privé pour la presse et quelques fans triés sur le volet. Je trouve cette idée vraiment intéressante et note de prendre contact avec l'équipe pour mettre en place la promotion de mes artistes incontournables, Harry en tête.
Mon portable vibre sur la table en verre. C'est la cinquième fois en moins de trente minutes. Le numéro n'est pas répertorié dans mon téléphone donc je ne prends pas l'appel.
"Jeff, intervient Liam mon associé, si la personne insiste tant, c'est peut-être urgent. Tu devrais répondre. C'est bon, je te ferai un débrief..." murmure-t-il en se penchant vers moi.
Je m'excuse auprès des participants à cette réunion et sors de la salle. Je m'arrête devant la machine à café pour me servir une nouvelle fois avant de rappeler ce correspondant inconnu et insistant. J'ai à peine le temps de m'emparer de la tasse et de me mettre un peu à l'écart que le téléphone vibre à nouveau dans le creux de ma main.
"Allô !
- Monsieur Azoff, m'interpelle la voix hésitante d'une femme.
- Lui-même. A qui ai-je l'honneur ? je demande un peu sec.
- C'est le docteur Corday, Monsieur Azoff."
Je reconnais maintenant la voix du médecin qui nous a reçus Harry et moi il y a maintenant quinze jours. C'est aujourd'hui que Harry doit se faire opérer et, je reconnais que face à son mutisme et surtout sa disparition soudaine des deux dernières semaines, je ne me suis pas inquiété de son sort.
"Oui, bonjour docteur Corday. Que puis-je pour vous, je reprends après quelques secondes de silence.
- Avez-vous choisi de consulter un autre spécialiste avec Harry ? elle demande tendue.
- Non. Comment ça ? Il n'était pas prévu que nous prenions un deuxième avis, je réponds. Tous les rendez-vous ont été pris auprès de votre clinique. Je ne comprends pas...
- Harry ne s'est pas présenté lundi aux rendez-vous pré-opératoires, m'interrompt le docteur Corday.
- Pardon !?! je m'exclame.
- J'ai pensé qu'il était un peu stressé et qu'il se présenterait directement à moi ce matin. Mais le rendez-vous était fixé à 7h30 et il est 11h45, explique-t-elle, sa voix changeant à nouveau d'intonation.
- Je ne comprends pas docteur Corday....
- Harry ne s'est pas présenté. A aucun des rendez-vous que nous avions fixés pour son opération."
Je reste abasourdi par les propos du médecin. Harry était terrifié par cette intervention mais il la savait aussi nécessaire pour pouvoir retrouver sa voix. Je me sens terriblement con de ne pas m'être plus inquiété pour lui, de ne pas avoir su l'écouter et l'épauler dans cette épreuve. Que ce soit mes dernières paroles ou même mon dernier message, je n'ai fait que parler business à Harry. J'aurais dû m'inquiéter pour mon ami avant de le faire pour le boulot.
Je passe mes doigts dans mes cheveux et soupire. Le docteur Corday me sort de mes réflexions.
"Il est parti se mettre au vert en attendant son opération, j'informe le médecin. Il y a peut-être eu un problème pour son vol de retour.
- Vous ne savez pas s'il est en ville ? demande-t-elle surprise.
- Non. Il a coupé son téléphone, je réplique dépité.
- Retrouvez-le rapidement Monsieur Azoff. L'intervention est urgente. Tenez-moi informée !" ajoute le docteur Corday avant de raccrocher.
Passé la surprise de l'appel et la culpabilité d'avoir abandonné Harry, un élan de colère me submerge. Comment diable peut-il être aussi irresponsable ? Qu'il boive, se drogue occasionnellement, passons, c'est de son âge ! Mais qu'il mette sa santé et sa carrière en danger parce qu'il flippe, c'est de la pure bêtise.
Je traverse le long couloir recouvert d'une moquette grise et j'appelle l'ascenseur pour rejoindre mon bureau. Je tente de joindre Harry sur son portable, mais comme à chaque fois je bascule sur sa messagerie. A peine suis-je dans la cabine que je vois Liam me rejoindre en trottinant. Je bloque les portes pour lui permettre de monter avec moi.
"Alors cet appel ? il demande en appuyant sur le bouton de notre étage.
- Le médecin qui devait opérer Harry, je réponds.
- Tout s'est bien passé ? demande mon associé.
- Il ne s'est pas pointé ce sombre idiot !!! je vocifère.
- Non ?!? Tu plaisantes ?
- J'aimerais mieux, je réplique sur un ton coupant. Tu t'occupes des rendez-vous pour aujourd'hui. Je vais aller chez lui. Son portable est toujours coupé. Et s'il n'y est pas, je file chez Kendall.
- OK, t'inquiète pas je gère le temps qu'il faudra, m'assure le jeune homme.
- Merci" je réponds simplement.
Dans mon bureau, je récupère ma veste et ma sacoche avant de quitter l'immeuble. Je parcours la ville à toute vitesse tentant de joindre Harry à plusieurs reprises sur le numéro de sa maison.
Je laisse une dizaine de messages et finis par appeler Kendall. Elle répond à la troisième sonnerie.
"Hey Jeff, salut ! elle décroche étonnée.
- Kendall, où est Harry ? je demande sans préambule.
- On est mercredi Jeff. Harry se fait opérer. C'est pas la peine de le chercher, elle me répond sur un ton hautain.
- Justement Kendall. On est mercredi et Harry ne s'est pas présenté à la clinique, je réponds furibond.
- Quoi ? s'exclame-t-elle.
- Est-ce qu'au moins il est rentré ? Il est chez toi j'imagine ? je l'interromps.
- Quoi ? Mais non ! elle répond offusquée.
- Est-ce que tu as un moyen de le joindre ?
- Son portable est éteint depuis des jours. Et là où il est...
- Tu sais où il est alors ? je demande en perdant patience.
- Écoute Jeff, calme-toi OK ? S'il n'est pas rentré je suppose qu'il est toujours aux Capucines.
- C'est quoi ça ? Les Capucines ? je demande, agacé.
- C'est l'auberge où il s'est enfuit. C'est pas la peine de les appeler, ils ne nous le passeront pas. Ils préservent l'intimité de leurs clients, surtout des clients comme Harry, elle explique.
- OK. Je suis chez toi dans moins de vingt minutes. Prépare-toi on part le chercher !
- Jeff !!!"
Je ne laisse pas Kendall ajouter quoique ce soit et raccroche brusquement. Il est impératif que nous fassions entendre raison à Harry et si pour ça, on doit se rendre dans cette foutue auberge tous les deux, alors on ira !
***
J'ai eu beau faire jouer mes relations, nous n'avons pas pu trouver un vol disponible pour rejoindre la côte est des États-Unis. Nous sommes donc partis ce matin et avons atterri, Kendall et moi, il y a plus d'une heure.
J'ai loué une voiture et nous nous sommes engagés sur la voie rapide. Le GPS m'indique de quitter la route à la prochaine sortie.
Ça change de Los Angeles. Ici, tout est plus vert, plus grand, plus calme. Ça ne ressemble absolument pas à Harry. Je secoue la tête, ne comprenant pas pourquoi il est venu s'enterrer dans ce coin paumé du Connecticut.
"Arrête de bougonner Jeff, me demande Kendall.
- Comment il a trouvé cet endroit ? je peste. Je suis sûr qu'il n'y aucun réseau ! C'est pour ça qu'on n'arrive pas à le joindre. Il ne se serait pas coupé du monde volontairement.
- Détrompe-toi ! Et c'est sa mère qui lui a conseillé. Elle connaissait la propriétaire, m'explique Kendall.
- Ça ne me dit pas pourquoi il est venu là, franchement...
- Il ne voulait croiser personne, réplique-t-elle, irritée. C'était la meilleure solution selon lui.
- Pourquoi il n'est pas rentré ? Il doit se faire chier ici, non ?
- Je ne sais pas Jeff, enchaîne-t-elle. J'ai fait un aller-retour express quelques jours après son arrivée. Il m'a gentiment demandé de rentrer. J'ai pas eu plus de contact que toi, je t'assure..."
Kendall tente de me calmer. Et comme souvent, elle prend la défense d'Harry. Quand ils s'y mettent ces deux-là, j'ai vraiment l'impression d'avoir deux adolescents devant moi !
"Tiens, c'est là !" me dit-elle alors que nous apercevons un grand portail en fer forgé.
Je ralentis et entre dans le parc arboré. Je me penche sur mon volant pour observer les environs. On ne peut pas être plus au vert qu'ici.
L'allée en gravier est bordée par de grands arbres et j'aperçois en contrebas une grande étendue d'eau. La façade de l'auberge est imposante. C'est un beau bâtiment dont la terrasse longe ce qui semble être un lac.
Je stationne la voiture sur le petit parking réservé à la clientèle. Il ne doit y avoir qu'une dizaine de places. Kendall et moi sortons du véhicule. La jeune femme s'avance déjà vers l'entrée tandis que je prends quelques minutes pour regarder autour de moi.
Je ne peux pas nier que c'est un bel endroit, très calme. Sûrement agréable pour un week-end prolongé mais certainement pas pour plus de deux semaines. Je n'arrive pas à comprendre comment Harry, lui si actif, a pu tenir ici.
Je finis par rejoindre Kendall et après avoir gravi les marches du perron, nous entrons dans l'auberge. Une jeune femme se tourne vers nous tandis qu'elle dépose deux tasses sur une table et des biscuits pour un couple de clients installés dans le salon. La baie vitrée est ouverte et nous pouvons entendre des rires venant de l'extérieur.
"Bonjour, bienvenue aux Capucines, nous accueille la jeune femme blonde. Je crois vous avoir déjà rencontrée Mademoiselle, dit-elle à l'attention de Kendall.
- Bonjour. Oui en effet, je suis une amie de Harry, répond-elle.
- Oui, bien sûr..., semble se souvenir notre hôtesse.
- C'est important que nous puissions voir Harry. Jeff, dit Kendall en se tournant vers moi, et moi devons impérativement lui parler et surtout le ramener à Los Angeles rapidement. Vous savez qui je suis. Pouvons-nous monter dans sa chambre ou nous faire annoncer ? S'il vous plaît ?"
Je suis surpris par le ton de Kendall. Elle est extrêmement diplomate, elle qui est d'un naturel exalté. J'imagine que lors de sa première visite, elle s'est faite envoyer sur les roses. Je reporte mon attention sur la jeune femme près du comptoir de la réception. Elle semble ennuyée.
"Harry n'est plus là, dit-elle soudainement.
- Quoi ? Il n'est pas non plus chez lui et nous n'arrivons pas à le joindre, j'interviens.
- Je veux dire qu'il ne loge plus dans notre auberge. Il... Il est toujours sur le domaine mais..."
J'ai envie de la secouer. Elle voit bien que nous connaissons personnellement Harry, elle n'a pas besoin de tenter de nous cacher l'endroit où il séjourne.
"Je vous propose une tasse de thé, enchaîne-t-elle. Je vais aller le chercher."
Elle nous fait signe de nous installer dans le salon. Kendall s'exécute alors je la suis. Ma patience atteint ses limites. A peine cinq minutes plus tard, la jeune femme revient avec du thé et un assortiment de mini cupcakes. Elle presse l'épaule de Kendall puis s'éloigne vers la baie vitrée ouverte.
"C'est Reese, commence Kendall. C'est la cuisinière de l'auberge. Et vu comment elle a réagi, je ne serais pas surprise qu'elle sache que H devait rentrer à L.A.
- Ouais, enfin elle fait beaucoup de mystères quand même" je m'exaspère.
Kendall hausse les épaules et entame la dégustation d'un gâteau. Je soupire et m'adosse à la chaise sans pouvoir empêcher ma jambe de tressauter.
Je m'impatiente. Ça doit faire dix minutes que nous attendons dans ce salon et si la fameuse Reese est rentrée en nous faisant un signe de tête, il n'y a toujours aucune trace d'Harry. Je me lève et m'avance jusqu'à la terrasse, Kendall sur mes talons.
La vue est magnifique. La terrasse est bordée de magnifiques massifs de fleurs. Le domaine est vaste, parfaitement entretenu et mène en pente douce jusqu'au lac. Mon regard se porte sur le ponton. Je plisse les yeux comme pour ajuster ma vue.
"Oh c'est pas vrai !" j'entends Kendall près de moi, sa main en visière pour se cacher du soleil.
Harry est là, juste en face de nous, quelques mètres plus bas, accroché au corps d'un jeune homme. Le visage d'Harry est calé sur l'épaule de son partenaire qui sourit, relevant l'une ses mains pour s'emparer du bras d'Harry. Finalement, il se tourne entre ses bras pour échanger un baiser... langoureux. Même d'ici, on peut ressentir toute l'intensité qu'ils y mettent.
Kendall rit, ravie de voir son ami heureux pendant que ma colère monte en flèche.
Harry finit par se détacher du jeune homme et remonte le ponton. Il emprunte ensuite le chemin qui mène à l'auberge. Son sourire s'efface au fur et à mesure de ses pas, lorsqu'il nous aperçoit Kendall et moi.
"Ne soit pas trop dur avec lui..." me demande Kendall, comme une mise en garde, alors qu'Harry nous rejoint.
Il glisse ses doigts dans ses cheveux, embrasse la joue de Kendall avant de s'approcher de moi. Mais c'est plus fort que moi, je le repousse, ma main sur son épaule.
"Tu te fous de moi Harry ?!? j'explose. Tu disparais pendant deux semaines, tu loupes tes rendez-vous médicaux et l'opération, je fulmine. Et pourquoi ? Pour que je te retrouve dans un lieu paumé, dans les bras d'un... d'un... d'un quoi d'ailleurs ? C'est qui ce gars ?"
Harry attrape mon bras en regardant derrière moi. Je suppose que les quelques clients présents sont attirés par mon esclandre.
"On va aller discuter ailleurs, si tu veux bien, dit Harry la voix bien plus basse qu'il y a deux semaines. Je souffle partagé entre ma colère et l'inquiétude face à son état.
- J'ai besoin d'explications Harry ! Mais j'ai surtout besoin que tu prennes tes affaires et qu'on quitte cet endroit rapidement.
- Non, murmure-t-il. Je n'ai pas l'intention de te suivre.
- Harry ! Tu t'entends ? je m'exclame rageusement. Ce n'est pas sérieux. Le docteur Corday m'a appelé et m'a demandé de te ramener illico !" j'insiste.
Je tente de le raisonner mais je vois bien dans son attitude, son regard, que sa décision est prise. Je suis déçu de constater qu'il n'hésite même pas à mettre sa carrière en péril...
*
* *
J'aime bien changer de point de vue, avoir un regard extérieur sur la relation des loulous, sur leur comportement.
Ce chapitre, comme le précédent, marque un tournant dans l'histoire pour Harry.
J'espère qu'il vous a plu et vous donne envie de poursuivre l'aventure.
J'ai ralenti mon rythme de publication parce que je n'écris plus autant que je le souhaiterais mais les Capucins ne vous abandonnent pas.
#CapucinesFic
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