5. Une proposition et une virée nocturne

Eva pénétra dans le réfectoire en se frottant les yeux. Elle avait bien dormi mais aurait bien aimé rester quelques heures de plus sous la couette. Après s'être glissée dans un jean et un passage à la salle de bain de son étage, elle était sortie pour le petit-déjeuner. Le réfectoire était une pièce immense remplie de longues tables de bois et d'un buffet, tout au fond, bien garni. Le petit-déjeuner était digne d'un hôtel : café, thé, lait ou boisson à la demande, viennoiseries, pain, beurre, confitures, jus de fruits, fromages, charcuterie, fruits frais. Eva ne savait plus où regarder. Elle se servit finalement une tasse de thé et prit un bout de pain avant de s'asseoir à la même table que la veille. Seule Donata était déjà debout et la salua joyeusement.

_ Bien dormi Evanouissement ?

Eva esquissa un sourire.

_ Vu l'heure matinale je valide ton jeu de mots mais je suis sûre que tu peux faire mieux ! Mais sinon, oui très bien dormi, merci.

Donata lui fit un clin d'œil en ébouriffant sa frange. Elle n'ajouta rien et Eva se mit à beurrer ses tartines.

_ T'es dans la chambre d'Amy, reprit Donata en sortant un livre qu'elle posa à côté de son café.

Ce n'était pas une question et Eva ne s'y trompa pas. Ce fut donc la petite brune qui reprit.

_ Elle est gentille mais un peu obsédée par la danse, t'en dis quoi ?

Eva ferma un instant les yeux et son visage se crispa légèrement. Puis elle reprit son expression normale et Donata crut avoir rêvé.

_ Elle ne m'a pas beaucoup parlé, elle s'est couchée presque immédiatement. Mais elle a l'air gentille.

Heureusement pour Eva qui n'avait aucune envie de parler de la passion de sa colocataire, Arthur et Fadi arrivèrent et posèrent leurs plateaux couverts de nourriture.

_ Et ben dis donc, vous avez pas peur du diabète vous, railla Donata en se plongeant dans sa lecture.

_ On est en pleine croissance, riposta Arthur. Et crois-moi, le basket me maintient en forme. Tu pourras me parler de diabète quand tu arrêteras de te bousiller la vue en lisant des bouquins écrits en taille 9.

La jeune fille le fusilla de ses yeux verts en amande et rétorqua calmement :

_ Je finirai peut-être myope mais au moins j'aurais quelque chose dans le crâne, moi !

_ Par pitié, vous pouvez vous chamailler après le repas, intervint une voix douce.

Tous se tournèrent vers Marie qui arrivait avec Enzo. La grande blonde sourit à la petite assemblée et s'assit légèrement. Eva lui offrit son plus beau sourire. Marie était le parfait opposé de Donata. Là où l'italienne était petite et pulpeuse avec une peau matte et des cheveux d'ébène, Marie était grande et sportive avec une chevelure dorée et des yeux transparents. Timide et réservée, elle s'entendait pourtant à merveille avec son amie au caractère explosif.

Instinctivement, Eva sentait que la jolie blonde était une personne sûre sur laquelle on pouvait toujours compter. Et Marie semblait la seule à ne pas se rendre compte de la personne qu'elle était. Eva porta sa tasse à ses lèvres. Elle se sentait bien.

Soudain, Donata écarquilla brusquement les yeux et regarda au-dessus de l'épaule de la bordelaise. Tous ses amis en firent autant. Eva ne comprit pas immédiatement et sursauta lorsqu'une main se posa sur son épaule. Elle étouffa un cri et, par mégarde autant que par réflexe, elle secoua sa tasse en se retournant. Cette dernière se renversa sur la personne dans son dos qui poussa un cri et Eva devint écarlate lorsqu'elle reconnut l'assistant de Hector.

Celui-ci se secoua en jurant avant de la regarder. Eva ne savait comment interpréter l'expression de son visage et s'excusa du bout des lèvres.

_ Pas de soucis, marmonna Aïtor en s'essuyant les cuisses. J'aurai du prévoir une catastrophe pour notre deuxième rencontre. Ce n'est pas étonnant avec toi, ajouta-t-il moqueur.

Eva se vexa et répliqua :

_ Si tu m'avais abordée comme une personne civilisée je n'aurais pas eu peur ! Qu'est-ce que tu me veux ?

Dans son dos, Donata étouffa un rire. L'assistant fronça les sourcils et répondit froidement :

_ Pour commencer des excuses mais j'imagine que c'est mort. Sinon, je voulais te donner ça, fit-il en déposant un sac en plastique sur les genoux d'Eva. T'en auras besoin. A ce soir Eva.

Puis il tourna les talons et traversa le réfectoire. La jeune fille resta soufflée et se retourna vers ses nouveaux amis qui la regardaient les yeux ronds. Donata résuma l'avis général :

_ Décidément, t'as pas perdu de temps, ce gars, je le convoite depuis deux ans et je t'assure que je suis pas la seule !

Eva haussa les épaules et, sur l'injonction de Fadi, elle ouvrit le sac. Dedans se trouvait un maillot de bain une pièce de natation noir. Malgré elle, un sourire s'épanouit sur ses lèvres pendant que Donata et Marie la charriait gentiment.

La journée passa très vite. Eva ne croisa son frère qu'à une reprise mais fut heureuse de voir qu'il allait bien. Elle parvint à se concentrer sur presque tous les cours et à chasser son père de ses pensées. Du moins la plupart du temps. Lorsque la dernière sonnerie retentit, elle empoigna avec plaisir le sac de sport qu'elle avait préparé et prit la direction des installations sportives.

_ Tu vas où ? lui cria Donata qui partait en étude avec Fadi.

_ A la natation !

Eva n'avait pas vraiment envie de se ridiculiser comme la veille pourtant elle se sentait étrangement légère lorsqu'elle pénétra dans le vestiaire. Féminin. Les six autres filles étaient en train de se changer et lui décochèrent de petits sourires.

Rassurée, Eva enfila le maillot de bain qui lui allait comme un gant. Ensuite, l'entraînement commença. Hector était motivé et, avec l'aide d'Aïtor, il leur proposa un programme épuisant. Eva fut la seule qui subit un cours spécial de plongeons. Elle en bava mais trente minutes plus tard, alors que ses camarades s'acharnaient dans l'eau, elle savait plonger assez correctement. La moue satisfaite d'Hector le lui avait confirmé.

Elle voulait parler à Aïtor, mais l'entraînement éreintant ne lui en laissa pas l'occasion. Elle partit au vestiaire sans avoir pu lui adresser un mot.

_ Tu te débrouilles pas trop mal finalement, lui lança une dénommée Camille pendant qu'elle se séchait.

Elle la remercia et se changea. Elle sortit la dernière certaine de devoir attendre le lendemain pour pouvoir parler à l'assistant d'Hector. Les entraînements avaient lieu le lundi, mercredi et jeudi. Ce jour-là était une exception. Eva était rassurée. Elle n'était pas sûre de pouvoir encaisser quatre entraînements comme celui d'aujourd'hui d'affilé. Un raclement de gorge attira son attention.

Elle tourna la tête et vit Aïtor, appuyé contre le bâtiment. Le grand brun la toisa un instant du regard puis vint à sa rencontre.

_ Tu m'attendais ? demanda-t-elle.

Il hocha la tête et Eva haussa un sourcil.

_ Pourquoi ?

_ Pour récupérer ma serviette, fit-il sobrement.

La jeune fille s'empourpra et lui tendit le bout de tissus qu'elle avait soigneusement plié le matin même.

_ D'ailleurs, commença-t-elle maladroitement, je voulais m'excuser pour hier et puis pour ce matin aussi.

Aïtor hocha la tête et Eva poursuivit plus à l'aise :

_ Je voulais aussi te remercier pour le maillot. Je te rembourserai ne t'en fais pas.

_ Pas la peine, il était à une amie à moi qui a arrêté la natation. Te prends pas la tête pour ça.

Eva se dandina gênée. Le jeune homme la regardait fixement et elle ne savait plus quoi dire. Elle opta finalement pour le plus simple :

_ Bon ben salut alors hein ! A demain.

Elle se détourna rapidement mais la voix d'Aïtor la retint.

_ Attends !

Il lui empoigna le bras pour qu'elle se retourne et reprit :

_ Hector pense que t'as du potentiel mais que tu as beaucoup de retard sur les autres. Ecoute-moi bien parce que je ne le proposerai qu'une fois. T'es musclée, ça se voit. T'es aussi plutôt endurante mais t'as pas la technique.

_ Où tu veux en venir ? l'interrompit Eva.

_ A une proposition. Un simple proposition. Je te propose de t'entraîner personnellement sur nos temps libres pour faire de toi la meilleure nageuse de Verlaine.

_ Rien que ça, ironisa Eva en levant les yeux au ciel.

_ Je suis sérieux Eva. Alors ta réponse ?

En effet, il avait l'air on ne peut plus sérieux. Eva hésitait. Elle savait que c'était une opportunité à saisir. Le grand brun était doué, il serait un super coach, elle en était certaine. Pourtant, elle sentait au fond d'elle que sa proposition était pour elle une rupture définitive avec son passé. Et elle avait peur. Elle ferma brièvement les yeux, c'était devenu un réflexe pour réfléchir et organiser ses pensées.

Sa mère lui avait un jour dit : « la vie te tendra toujours la main, il faut juste accepter de la saisir au bon moment. Même si tu as peur. Même si tu doutes. Surtout si tu doutes. Le doute peut faire des miracles ma fille tant qu'il te pousse vers l'avant ».

C'est sûrement en se remémorant ses paroles et les doux yeux marrons de sa mère qu'elle lâcha simplement :

_ C'est d 'accord.

Aïtor fut tout aussi bref.

_ Alors on dit vendredi matin à cinq heures devant le bâtiment des dortoirs. Sois à l'heure.

Il tourna les talons et Eva resta seule, un sourire idiot sur les lèvres.

Elle ne trouva le temps de se poser que le soir dans sa chambre. Après s'être acharnée sur un exercice de maths. Quelle idée aussi de prendre cette option ? Elle n'aurait pas pu prendre espagnol approfondi comme la majorité de sa classe ? Où même latin ou arts plastiques ! Mais non, poussée par son frère le matheux, elle avait coché maths. Et à présent, elle s'en mordait les doigts. Heureusement, sa colocataire lui avait filé un coup de main providentiel et cet exercice avait constitué les premiers pas d'une éventuelle amitié.

Amy était une fille qui ne semblait jamais hors tension. Elle vivait à cent à l'heure, était capable de passer la nuit à apprendre un contrôle de physique et de se lever le matin fraîche comme un pinson. Elle n'avait qu'une notion très relative du mot tact et avait une fâcheuse tendance à aimer les plans foireux. Ou du moins, potentiellement foireux. Eva le découvrirait bien assez tôt. Le soir même pour être exact.

La jeune fille lisait un roman fantastique emprunté à sa colocataire lorsque celle-ci se redressa brusquement dans son lit. Le couvre-feu était passé depuis une paire d'heures et Eva pressentait que la danseuse n'allait pas lui proposer une partie de bridge.

_ T'as sommeil ?

Eva posa son livre et soupira longuement.

_ Je suppose que ma réponse ne t'intéresse pas vraiment alors on va répondre non.

_ Ta réponse m'intéresse. Mais si tu avais dit oui j'avoue que ç'aurait été la même chose.

_ Amy, il est vingt-trois heure. Les gens normaux s'apprêtent à dormir.

La jeune fille sortit de son lit et sauta sur celui d'Eva. Un immense sourire traversait son visage encadré par de longues mèches obscures.

_ Je ne suis pas normale et tu as une dette envers moi !

_ Parce que tu m'as aidée pour un exercice de maths ! s'étrangla Eva.

Amy hocha la tête vigoureusement et Eva poussa un nouveau soupir qui signifiait très clairement sa défaite. Après tout, elle n'avait plus vraiment sommeil et l'étincelle dans les yeux de sa colocataire l'attirait. Son penchant pour l'aventure et les choses interdites était trop fort. Eva ne pouvait lutter.

_ Qu'attends-tu de moi ?

Amy ne prêta pas attention au ton mélodramatique de son acolyte et poussa un cri de joie.

_ Lève-toi on part en vadrouille.

La grande brune se saisit d'un sac en tissus et entrouvrit la porte. Eva la suivit et les deux filles se retrouvèrent dans le couloir obscur. Et désert. Un rayon de lune taquinait la moquette à leurs pieds et nimbait le couloir d'une lumière veloutée. Loin d'être effrayée, Eva sentait l'adrénaline affluer. Elle chuchota :

_ Où on va ?

_ Tais-toi, rétorqua Amy. Tu le sauras bien assez tôt, le tout est de passer devant la chambre du cerbère sans la réveiller.

Le cerbère était la surveillante de nuit. Au bruit produit par ses ronflements, les deux filles pouvaient être tranquilles. La vieille femme ne se réveillerait pas de sitôt. Sur la pointe des pieds, elles se glissèrent dans les escaliers et Eva se risqua à interroger de nouveau sa compagne de chambre.

_ Tu vas m'aider à assouvir ma vengeance. Mon ex m'a quittée comme une merde après m'avoir trompée et le fait qu'il soit un minable ne change rien. Il doit payer ! Le plan est simple et toi tu vas être mon assistante !

Eva réprima un gloussement en entendant le plan de la jeune fille. Elle l'adorait. Vraiment. Puis, elles atteignirent le pallier des garçons et le silence reprit ses droits. Aussi silencieuses que le souffle de la lune, elle se glissèrent dans le couloir. L'obscurité ne les gênaient pas et elles avancèrent tout en souplesse. Amy s'arrêta devant une porte semblable à toutes les autres et l'entrouvrit doucement. Elle ne grinça pas et elle se faufila à l'intérieur en faisant signe à Eva de la suivre. Une fois dans la pièce, Amy alluma une petite lampes de poche et les deux filles se mirent à l'action.

Dans les lits, les formes endormies de deux garçons et leur légers ronflements les rassurèrent : leur arrivée était passée inaperçue. Eva attrapa le ciseau de son amie et comme celle-ci lu avait indiqué, elle se saisit du pantalon posé sur la chaise. Son maniaque d'ex-petit ami préparait toujours ses vêtements à l'avance. Avec le maestria d'une couturière, Eva coupa une couture sur deux à l'arrière du pantalon de manière à ce que le sabotage ne soit pas visible mais qu'en s'asseyant, le pantalon se déchire complètement.

Pendant ce temps, Amy s'acharna à coller les pages de ses cahiers entre elles mais également tous ses stylos avec de la super glu. Les deux jeunes filles échangèrent des sourires complices à la lueur de la lampe et passèrent à la phase finale.

Amy sortit un tube de chantilly. Lorsque Eva avait soulevé le problème du bruit, sa colocataire avait affirmé que l'explosion d'une bombe n'aurait pas réveillé les deux garçons. L'instant de vérité avait sonné.

Eva garda la porte ouverte pour qu'elles puissent détaler au plus vite et Amy se lança. Un pschitt retentit et Eva crut que tout le dortoir allait se réveiller tant le bruit semblait résonner à ses oreilles. Ce ne fut pas le cas et, rassérénée, Amy s'appliqua à enduire le corps de son ex de chantilly. Une fois le tube vidé, elle éteignit la lumière et les deux filles s'enfuirent précipitamment.

Ce ne fut qu'en sécurité dans leur chambre qu'elles se permirent un éclat de rire. Le cœur d'Eva battait la chamade et elle se laissa tomber sur son lit. Elle se sentait épuisée et pourtant étrangement vivante. Elle n'était là que depuis deux jours et elle se sentait plus heureuse qu'elle ne l'avait été depuis huit mois.

_ C'était génial, s'esclaffa Amy. J'aimerai être une petite souris pour voir sa tête au réveil !

_ Et moi, renchérit Eva hilare, j'aimerai être une petite souris pour voir sa tête lorsque son pantalon craquera alors que l'internat sera complètement fermé pour la journée !

Amy regarda Eva avant de repartir de plus belle dans un fou rire.

_ Tu m'as bien aidé ce soir ! Je suis contente que t'aies été là.

Eva planta ses yeux dans les siens.

_ Moi aussi, j'étais contente d'être là.

Pour la première fois depuis huit mois, elle ne pleura pas en silence avant de s'endormir. Elle guérissait. Et le lycée Verlaine semblait être son remède miracle.

Alors ? Que pensez-vous de ce chapitre ?

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