Chapitre 9 : La bêtise


Mon garde aux cheveux long posa sa main sur l'épaule de l'ambassadeur. Il le fixait avec un visage impénétrable.

— Fichez le camp!

— Je me dois d'insister, monsieur.

Il retira les doigts qui caressaient ma joue. Sulli arriva alors, un grand sourire aux lèvres, l'air décontracté, mais ses yeux brûlaient de colère.

— Je vais prendre le relais, si vous le permettez.

Il remercia le soldat d'un signe de tête. Mon cavalier hésita, jeta un regard en direction de ma mère, puis céda. Il s'inclina avant de disparaître dans la foule.

— Êtes-vous complètement folle? me rabroua Sulli pendant qu'il me faisait danser. Vous vous laissez manipuler par ce bellâtre?

— Je ne me suis pas laissée manipuler. Je glanais des informations. Surveillez les jardins, il voulait m'y voir à minuit. Je penche pour une tentative d'enlèvement. Cela signifie qu'il a des agents infiltrés et une solution pour quitter le palais. J'ai repéré les gens qu'il fixait un peu trop ou dont il évitait de croiser le regard. Il m'a prise pour une petite sotte, il n'a pas fait attention.

— Voilà qui sera la pire bêtise de sa vie, note Sulli avec un véritable sourire.

— Je suis capable de jouer les appâts.

— Excellente idée. Je vais prévenir Sa Majesté.

Sur ces mots, Sulli partit avec un baise-main en guise d'au revoir.

Comme je m'y attendais, d'autres convives osèrent s'adresser à moi après avoir constaté que, pour la première fois, je participais à la fête. Les vautours. La fille du duc Okoria fut la première. Elle entama la conversation au sujet des hommes qu'elle trouvait à son goût. Comme si elle me connaissait, comme si nous étions des amies de longue date. Suivirent les ambassadeurs du Domaine d'Ivoire et de Sikalon. Je les assurai tous deux de mes bons sentiments à leur égard.

Je fus surprise que Ronan ne vienne pas vers moi quand son frère, comme je le pensais, restait avec Ashra, la fille du comte Vermeir. Pourtant, d'autres fils de familles moins éminentes dansèrent et discutèrent avec moi. Certains sûrs d'eux, d'autres bégayants en ma présence.

Minuit approchait. Je restais sans nouvelle de ma mère ou de Sulli. L'ambassadeur Damian n'était déjà plus en vue. Si j'attendais trop longtemps, nous perdrions cette chance. Que faisait ma mère? J'avais aperçu Yara se joindre à la fête. Le colosse était probablement lui aussi dissimulé au milieu des invités, à me surveiller.

— Veuillez m'excuser, dis-je à mon dernier prétendant, j'ai besoin de prendre l'air.

Je partis dans le jardin sans écouter sa réponse. J'ordonnai à mes gardes de rester discrets. Si l'homme se dissimula, la femme rousse se tint près de moi malgré mes objections, à l'image d'une amie.

Je scrutai les allées sombres, lorsque je l'aperçus. Une petite silhouette fine, avec de longs cheveux d'un noir de jais, ses tresses savamment remontées. Une robe bleue tissée de fils d'or et une peau laiteuse qui ne voyait pas assez le soleil. C'était moi. Ma mère n'avait pas eu assez confiance en moi pour m'attribuer cette mission. Elle m'avait créé une doublure, et n'avait même pas pris la peine de m'en informer.

Mon sang se mit à bouillir. Je devais m'éloigner le plus possible du piège qui allait se refermer sur l'ambassadeur. Piège auquel je n'étais plus autorisée à participer. Echec.

Si j'avais prétexté vouloir prendre l'air auparavant, maintenant j'en avais vraiment besoin. Ces présences à quelques pas de moi m'étouffaient. La proximité de cette femme dont le bras effleurait le mien me donnait la nausée. D'un geste de la main, une pierre fit trébucher ma suivante. Elle tenta de se retenir en vain.

Je détalai. Un virage, puis un autre et j'étais convaincue d'avoir perdu mes deux toutous. Si j'avais pu, je serais allé dans la tour Est. Je devrais me contenter d'une vue dégagée sur le jardin sombre. Je m'arrêtai en haut de grands escaliers qui descendaient vers un bassin où se reflétait l'astre lunaire.

Je n'arrivais pas à reprendre mon souffle.

Noori!

Je suis déjà là.

Je distinguai alors une petite forme ailée non loin de là. Je montai sur le parapet, comme je le faisais en haut de la tour. J'inspirai profondément. L'air frais agitait ma robe et mes cheveux. Il n'y avait que quelques mètres en dessous de moi, mais le sol était jonché de rochers. Il m'aurait suffi d'un pas pour laisser cette existence de représentation permanente derrière moi.

Je me délestai de ces sombres pensées, de mon corps, j'abandonnai tout pour me joindre à Noori qui pirouettait dans le ciel nocturne. Je me fondis en lui pour ralentir les battements frénétiques de mon cœur. Pourtant, dans le noir, même la sensation du vol ne parvint pas à me calmer.

Emmène-moi, mon ami.

Tes désirs sont des ordres, Altesse.

Un sourire étira mes lèvres avant que la pesanteur ne devienne qu'un souvenir. Mes ailes fouettaient l'air pour m'entrainer vers l'horizon.

Plus loin, exigeai-je.

Tu joues avec le feu. Tu vas encore perdre le contrôle de ton corps. Je suis trop loin pour te rattraper si tu perds pied.

Plus loin, j'ai dit!

Comme tu veux, Altesse, mais descends au moins du parapet avant que je ne t'emmène.

Je sentais dans un recoin de mon esprit, l'appel de mon enveloppe charnelle qui menaçait de basculer dans le vide. C'est avec un soupir que j'accédai à la requête de Noori. Il revint vers moi pendant que je me préparais à réintégrer mon corps qui tanguait dangereusement. Je vis une silhouette accourir derrière moi.

— Par le sang des damnés! entendis-je jurer.

Deux bras puissants me saisirent par la taille avant de me tirer brutalement en arrière. Nous tombâmes ensemble sur le sol froid.

— Mais vous êtes complètement inconsciente! beugla une voix dure contre mon oreille. Êtes-vous lassée de vivre dans le luxe et les fêtes ou avez-vous trop bu?

J'étais abasourdie, personne n'osait me parler de cette façon, à l'exception de ma mère. Ses bras me serraient si fort contre son torse que je pouvais à peine respirer. Je levai les yeux vers le visage sombre du colosse. Il soufflait comme un bœuf, sa peau luisait de transpiration. Avait-il couru jusqu'ici?

— Lâchez-moi, ordonnai-je.

Une moue boudeuse se dessina sur ses lèvres.

— Pour que vous puissiez vous éclater le crâne en contrebas? Surement pas! Un autre avenir vous attend.

Il avait raison, j'étais inconsciente de prendre un tel risque. Mon peuple avait besoin de moi. Il avait besoin que j'entretienne de bonnes relations avec les ambassadeurs, les princes et les rois. Peut-être même devrais-je épouser l'un d'eux, pour renforcer mon pouvoir et ma légitimité. Cependant, ce petit instant de liberté volé, si fugitif soit-il, était la seule chose qui me rappelait que j'étais une personne réelle, mortelle, pas juste un rôle à tenir. Je n'existais pas uniquement pour aider à vaincre l'ennemi. La politique, le guerre, la vie, la mort, pour mon peuple.

— Mon avenir ne vous regarde pas. Je vous ordonne de me lâcher.

Une lueur d'amusement traversa ses iris d'émeraude.

— Et comment comptez-vous m'y obliger?

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