Chapitre 6 : L'attaque

Trois corps s'amassaient sur le sol en bois du carrosse, à présent maculé d'hémoglobine. Je réprimai un haut-le-cœur. Deux soldats tentaient de démêler bras et jambes des victimes. Un homme avait perdu connaissance et son sang se déversait sur une femme dont la robe avait été verte. Ma gorge serrée peinait à laisser passer l'air. Je me forçai à ne pas détourner les yeux du carnage. Du coin de l'œil, j'aperçus mes deux autres gardes qui arrivaient en courant. Je me permis de regarder ce qu'ils faisaient avant de reporter mon attention sur le charnier.

L'homme aux cheveux longs se pencha sur le corps qui venait d'être posé au sol. Il aboya des ordres pour qu'on lui amène de quoi soigner la victime qui, visiblement, respirait toujours. La femme se plaça si près de moi que son épaule touchait la mienne.

Après une grande inspiration, je montai d'un bond dans le carrosse pour aider à dégager le bras d'un des blessés. Je fis la sourde oreille aux exclamations et aux objections de ma garde. J'étais petite, contrairement aux soldats massifs, je pouvais me faufiler sans difficulté entre les banquettes et les corps. Je savais que j'aurais dû laisser d'autres personnes s'en charger. Mais j'en étais tout simplement incapable.

Lorsque je parvins à démêler les membres, on emporta l'homme jusqu'aux soigneurs. Il restait la femme et un deuxième homme sous ses jupons. Ma garde m'exhortait toujours à sortir. Mes mains, rouges de sang, me donnaient la nausée. L'odeur métallique me cernait, mais je ne cèderai pas. J'entrepris d'aider les nouveaux soldats qui avaient remplacé les anciens à évacuer la femme.

Quand j'eus soulevé sa jambe, la dernière victime bondit comme un diable hors de sa boite. Je perçus à peine le reflet de son arme, deux bras s'emparèrent de moi et me tirèrent violemment en arrière. J'entendis le fracas de l'acier alors que je basculais sous quelque chose de lourd qui me recouvrir sans m'écraser. L'odeur du sang fut remplacée par une senteur mêlant du bois de cèdre à de la sueur. Les pas précipités semblaient faire trembler le sol autour de moi. Le cri d'un homme domina le tumulte, puis tout s'arrêta.

Enfin, le colosse qui me servait de protection me libéra. La femme de ma garde personnelle tenait en respect un homme couvert de sang. Tous deux faisaient face à ma mère accompagnée de Sulli. Je me redressai, sale et rouge de honte. Personne ne m'accorda la moindre attention. J'en fus reconnaissante. Ma mère emplissait tout l'espace de sa présence. L'homme eut à peine le temps de cracher "Mort à la reine sanglante!" qu'il se contorsionnait au sol en hurlant. Il se tortillait, comme un ver au bout d'un hameçon sous les regards écœurés. Ses membres se tordaient dans des angles improbables. Il se déchirait lui-même la peau avec ses ongles.

Je me réfugiai dans le calme que je sentais au fond de mon être pour maitriser mes haut-le-cœur, le calme de Noori. Soudain, je réalisai que plus personne ne se préoccupait de la dernière victime du carrosse. Je fis demi-tour, mais une main ferme me retint par le bras.

— Arrêtez vos enfantillages, Votre Altesse.

— Qui s'occupe de la femme que j'ai aidé à faire sortir avant l'attaque?

Mon garde m'observa comme s'il se demandait si j'avais perdu l'esprit.

— Vous êtes blessée.

— Non, c'est le sang des passagers.

Tu es blessée, Allana, confirma la voix grave de Noori.

Je m'examinai et remarquai une estafilade qui partait de mon épaule vers ma gorge. Une autre entaillait l'épaule et le bras de mon protecteur.

— Vous êtes blessé aussi. Comptez-vous vous rendre à l'infirmerie immédiatement ou faire votre devoir?

— Quelle question!

— Eh bien, il en va de même pour moi.

Je me hâtai pendant que les cris résonnaient encore, parce qu'à la seconde où ils s'arrêteraient, je savais ce qui m'attendait. La femme était entre les mains inertes de deux soldats.

— Cessez donc de bayer aux corneilles et portez-la aux des guérisseurs.

Les deux hommes me détaillèrent, puis échangèrent un regard. Ils ne protestèrent cependant pas. Je voyais la poitrine de la femme se soulever de façon irrégulière. Elle n'en avait peut-être plus pour longtemps.

— Amenez-là à Yara, ordonnai-je.

Je n'eus pas le loisir d'apprendre ce qu'il adviendrait de cette femme, car ma mère se dressa soudain devant moi. La tête basse, j'attendis son verdict.

— Tu es blessée... Yara, appela-t-elle.

Je me redressai aussitôt.

— C'est inutile. Ce n'est qu'une égratignure. Les passagers ont plus besoin d'aide que moi.

Elle fronça les sourcils, mais accepta de ne pas mobiliser nos soigneurs.

Nous entrâmes dans la première salle disponible dont Sulli fit sortir les domestiques. Ce n'était qu'une petite réserve, mais nous y étions seuls. Mon garde fut prié d'attendre à l'extérieur.

Sitôt la porte fermée, ma mère darda ses yeux de faucon sur le sang qui s'écoulait de ma plaie.

— Ce n'est rien, la devançai-je, mon garde a dévié le plus gros du coup.

— Il n'aurait pas dû avoir à le faire!

La douleur fut fulgurante. Je cillai avant de me reprendre.

— Que faisais-tu dans la cour? Dans ce carrosse? Petite idiote!

Des dizaines de rasoirs semblaient peler ma peau. Des frissons secouaient chacun de mes nerfs.

— Combien de fois cette stupide rébellion devra-t-elle essayer de te tuer pour que tu comprennes?

Je me mordis l'intérieur de la joue. Je ne devais rien laisser paraître. Quand j'étais sorti, je savais quelle serait la punition. Je l'endurerais avec courage.

— Tu t'es toi-même jetée dans la gueule du loup! Nous allons interroger cet homme et lui faire dire jusqu'au nom de sa pauvre mère, mais cette tentative était minable! Si tu ne t'étais pas précipitée sous son arme, il n'aurait blessé personne.

— Sauf les passagers du carrosse, corrigeai-je le souffle court, mais la voix ferme. Sans oublier que son objectif était probablement de s'infiltrer dans le château, ce qu'il aurait réussi et...

— Et il s'en serait pris à toi, à moi, ou à Sullivan dès qu'il en aurait eu l'occasion. Crois-tu réellement que cela aurait été si facile pour lui? Nous lui avons déjà retiré une fiole qui contenait sans aucun doute un poison. Nous savions que nos ennemis passeraient à l'attaque pendant les festivités de ton anniversaire. Je m'attendais à une tentative de plus grande envergure. Avec un peu de chance, leur mouvement s'essouffle.

Ma mère me libéra enfin de son étreinte. J'essuyai la sueur qui perlait sur mon front d'un revers de manche.

— Yara s'occupera de toi dans ta chambre. Je t'interdis d'en sortir avant ce soir. Sois prête lorsque l'on viendra te chercher.

Sur ces mots, elle partit sans un regard en arrière.

Dehors, mon garde m'attendait.

— J'espère que vous m'écouterez la prochaine fois, me murmura-t-il à l'oreille. Si vous n'étiez pas une princesse, vos parents vous auraient donné une correction magistrale.

Sulli coula vers moi un regard empli de compassion. Lorsqu'il passa devant moi, il effleura mon bras pour me réconforter. Lui, il savait.

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