Chapitre 5 : Les arrivées
Les jours se succédèrent. Ma nouvelle garde se relayait toutes les six heures pour assurer ma sécurité. La femme, dont je savais que les jupons dissimulaient tout un arsenal, restait constamment à mon côté, même dans ma chambre, pendant que l'homme se tenait juste derrière nous, ou derrière la porte.
Le seul endroit où j'avais encore un peu d'intimité, c'était la salle de bain. Aussi, mes ablutions furent-elles de plus en plus longues. J'en profitais pour laisser Noori m'emmener vagabonder dans le château. Je me délassais dans l'eau chaude et me fondais dans le corps de mon familier qui prenait l'apparence d'une souris afin de se déplacer discrètement dans les couloirs.
Selon mon souhait, aucun des gardes ne me parlait particulièrement, à l'exception de Yara. Je ne connaissais toujours pas leur nom, mais malgré moi, je commençais à m'habituer à eux.
Au bout de quelques semaines, les grandes familles du royaume arrivèrent à la cour, les unes après les autres, dans l'attente de mon anniversaire. Comme chaque année, il serait fêté en grande pompe. C'était l'occasion pour les nobles les plus influents de se faire bien voir de ma mère. Chacun tenterait de se rapprocher de moi lors de ma seule apparition publique de l'année. Pour la première fois, ils auraient plusieurs semaines pour atteindre ce but.
Je les observais déambuler dans les jardins de la Haute Cour depuis ma fenêtre. Le premier arrivé fut le duc Sanirie avec ses enfants et ses petits enfants. Malgré son âge vénérable, cet homme était encore aussi solide qu'un chêne. Par l'intermédiaire de Noori, je les suivis pendant qu'ils descendaient du carrosse.
— Faites-nous honneur, disait le vieux duc à ses trois petits enfants, deux solides gaillards et une jeune femme.
— Je ne comprends toujours pas pourquoi nous venons, gronda Kaylan, l'ainé. Chaque année, personne n'est autorisé à parler à la princesse et la reine se montre hautaine avec tous ceux qui osent s'adresser à elle.
— Tais-toi, malheureux! le réprimanda sa mère. Tu pourrais être accusé de trahison avec de tels propos! Nous venons pour la même raison qui pousse la reine à organiser ces fêtes, pour montrer notre pouvoir, nouer des relations et peut-être, vous trouver de bons partis.
— Ce n'est pas pour rien que nous avons été invités plusieurs semaines avant l'anniversaire de la princesse. L'un de vous pourrait devenir roi, mes enfants. Imaginez tout ce que vous pourriez réaliser, conclut le duc avant de guider sa famille à l'intérieur du château.
Juste derrière, dépité d'arriver deuxième, le duc Okoria descendit de son carrosse avec ses filles, sans dire un mot. Le menton levé, déjà paré de ses plus beaux atours malgré son ventre bedonnant, il avança vers la porte d'un pas sûr. Il accorda d'aimables signes de tête aux membres de l'aristocratie qu'il croisa.
Plus tard, ce fut le compte Vermeir, un homme dans la force de l'âge, qui apparut avec sa fille Ashra. Je m'étonnais chaque année de voir ce veuf convoité se présenter seul avec son enfant.
— Encore une décoration splendide et des lanternes partout, ronchonnait-il lorsqu'il prit la main d'Ashra. L'argent du royaume ne peut-il être mieux employé que pour organiser des fêtes inutiles?
— Père, le prévint sa fille, vous devriez vous montrer plus prudents dans vos propos. Vous parlez de l'anniversaire de la princesse...
— Votre Altesse, me gronda Yara, me ramenant à la réalité. Vous êtes à cette fenêtre depuis des heures. Il serait temps de faire autre chose, vous ne pensez pas?
— Comme quoi? soupirai-je. Le château est en effervescence pour accueillir la noblesse de tout le pays et au-delà. Il y a tellement de passage que je ne suis plus autorisée à quitter ma chambre. Je ne peux même plus aller à la bibliothèque. Que suis-je censée faire d'autre à part regarder par ma fenêtre?
— Vous êtes supposée choisir vos toilettes pour les prochaines semaines.
Yara me désigna les vêtements qui s'entassaient sur le lit. En effet, je devais faire forte impression aux membres de la cour ainsi qu'aux ambassadeurs, qui se faisaient attendre. Je jetai un dernier coup d'œil à la Haute Cour. J'allais me détourner quand j'aperçus le carrosse en lambeau qui passa la Grande Porte. Je remarquai immédiatement les traces de sang.
Je saisis Yara par le bras et la trainai vers la sortie.
— Votre Altesse! protesta-t-elle.
J'ouvris la porte à la volée pour me retrouver nez à nez avec le grand costaud à la peau sombre.
— Votre Altesse, vous n'avez pas le droit... commença-t-il de sa voix chaude avant que je ne le coupe.
— Le droit, je le prends!
Je tentai de le bousculer, mais il resta de marbre. Il obstruait l'embrasure de la porte, impossible de le contourner.
— Écartez-vous, ordonnai-je.
Il ne bougea pas. Des gens étaient en danger, chez moi! La meilleure soigneuse du château se retrouvait enfermée dans ma chambre et ce balourd croyait pouvoir m'empêcher de sortir? Je passai le Voile et me gorgeai de magie à la Source. La rafale qui le percuta le prit de court. Si fort qu'il fût, il perdit l'équilibre, les yeux exorbités. Je détalai, avec Yara dans mon sillage.
— Il y a surement des blessés!
— Comment? s'étonna Yara. Où?
— Dans la cour!
Elle ne posa pas plus de questions, mais héla le grade que j'entendis se relever et sprinter pour nous rejoindre.
— Votre Altesse, souffla-t-il...
— Ce n'est même pas la peine d'ouvrir la bouche! le prévins-je. Vous me suivez ou vous me laissez. Faites votre choix, soldat.
Il grogna, mais cessa de protester.
Lorsque nous arrivâmes dans la Haute cour, des cris retentissaient de toute part dans une totale anarchie.
— C'est quoi cette pagaille? gronda mon garde en écartant la foule pour nous permettre d'avancer jusqu'au carrosse.
Des traces de sang maculaient les portes ouvertes. Le cocher, tremblant, était entouré de serviteurs. Une large estafilade lui barrait la joue, une autre le bras et j'en distinguais une troisième sur son flan. Je fis un signe à Yara.
— Occupe-t'en immédiatement, lui ordonnai-je.
Je n'attendis pas qu'elle obéisse et me dirigeai vers la voiture.
— Votre Altesse! maugréa le garde.
— Dispersez ces gens. Les curieux n'ont rien à faire là.
Les yeux s'agrandissaient sur mon passage. Le duc Okoria me barra la route. Il s'inclina profondément devant moi.
— Votre Altesse. C'est un honneur, mais...
— Mais ce n'est pas le moment pour les courbettes, monsieur le duc. Écartez-vous.
— Je pense, compléta le comte Veirmer, que le duc souhaite vous faire remarquer que vous ne devriez pas approcher.
— En effet, ce n'est pas un spectacle pour les dames.
Je me redressai, ivre de colère. Avaient-ils le culot de me dire comment je devais agir? Sans les écouter, je les contournai. Le duc Okoria ouvrit la bouche, comme pour protester, mais il s'en abstint. Le comte Vermeir, lui, garda les lèvres closes et s'écarta en m'observant avec un air indéchiffrable.
Je laissai les gardes sortir une personne, puis passai la tête dans l'encadrement de la porte abîmée.
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