Sulli s'inclina très bas, puis fit de la place aux quatre personnes qui le suivaient. Je dissimulai prestement mon mouchoir taché de sang dans ma poche, tant pis pour le délicat tissu vert de ma robe. Deux femmes et deux hommes posèrent un genou à terre, la tête baissée. Je reconnus immédiatement les cheveux blonds de Yara. En moi, la joie le disputait à la colère. Mon amie était déjà bien assez exposée sans faire partie de ma garde rapprochée.
Ma colère, renforcée par celle de Noori qui, suite à ma mise à l'épreuve, irradiait toujours dans ma conscience, prit le pas sur mes autres émotions. J'observai ces gens agenouillés, voués à risquer leur vie pour moi. Yara se tenait entre deux hommes. Du premier, je ne distinguais que les épaules carrées engoncées dans un plastron métallique, sa peau et ses cheveux sombres. Le second paraissait plus grand mais moins massif. Ses longs cheveux châtains tombaient en un rideau épais devant son visage. Une seconde femme aux cheveux roux nattés complétait le groupe. Comme Yara, elle portait une robe beige de bonne facture, tissée de fils d'or. Deux gardes et deux dames de compagnie. Officiellement.
La stratégie était claire, ne jamais me laisser seule, même dans ma chambre. J'avais envie de hurler. Pourtant, je restai impassible.
— Noori, appelai-je en pensée.
— Oui?
— Tu m'aideras?
— Pourquoi poses-tu une question dont tu connais la réponse?
Je me mordis la langue afin de retenir mon sourire.
— Votre Altesse, commença Sulli, je vous présente...
Je me levais d'un bond, le coupant dans sa présentation. Je ne voulais pas savoir leurs noms. S'ils mouraient, je refusais de m'attacher à eux. Comment expliquer mes craintes sans être impolie? Comment avouer ma faiblesse? Je ne voyais pas. Tant pis. Je serais donc impolie.
— Connétable, je souhaiterais retourner dans ma chambre immédiate...
Je ravalai un cri de douleur. Zut! Elle m'avait prise par surprise, mais Noori veillait sur moi. Il se fondit en moi afin d'ériger mes barrières plus vite que je ne l'aurais fait, choquée par la décharge que je subissais. Tous les poils de mon corps hérissés, je dus maitriser mes tremblements avant de continuer. Le message était clair. Pourtant, je ne cèderais pas.
— Je m'excuse, je ne me sens pas très bien. Peut-on remettre tout ceci à plus tard?
Je distinguai l'expression de colère une seconde sur les traits de ma mère. Mon comportement lui déplaisait, je le savais. Mais sur ce point, je serais intransigeante. Hors de question que je m'attache à l'un d'eux. Je tenais déjà bien trop à Yara. Le souvenir des cauchemars et l'intense sentiment de détresse que j'avais ressenti par le passé m'obstruèrent la gorge. Je ne supporterais pas de revivre ça.
Les soldats levèrent la tête, interloqués. À la surprise générale, je fis une révérence, présentai une nouvelle fois mes excuses, et me dirigeai vers la sortie.
— Allana, gronda la voix de ma mère.
Je me figeai sur place. L'illusion transperça mes barrières. J'eus l'impression qu'une lame s'amusait à tracer des sillons de sang dans ma chair. Je déglutis avec difficulté et me retournai, raide comme un piquet.
— Votre Majesté, se permit Yara, puis-je demander votre autorisation pour accompagner la princesse dans sa chambre? Nous voyons tous qu'elle n'est pas en état pour les présentations. Nous aurons tout le temps de faire connaissance.
À aucun moment Yara n'avait osé lever la tête. Ma mère l'observa pendant que mes nerfs hurlaient de douleur sous ses assauts. Mes ongles entaillaient mes paumes tant je serrais les poings dans le but de rester stoïque.
Une minuscule souris se glissa tout à coup dans ma manche. Son aura m'enveloppa, réduisant la douleur à un niveau supportable.
— Merci mon ami.
— Un jour, elle va te tuer.
— Ne t'inquiète pas. Elle fait ça pour mon bien.
— Depuis quand fait-on souffrir volontairement ceux que l'on aime pour leur bien?
— D'accord, disons pour ma survie et pour le bien du royaume.
Il ne répondit rien. Nous savions tous les deux que cet entraînement, si dur soit-il, m'avait évité de perdre le contrôle de mes pouvoirs et d'être dévorée. Le tiraillement permanent de mon dos était là pour me le rappeler. Ma chair meurtrie ne guérirait jamais, malgré les jours entiers que Yara avait passé à tout tenter pour forcer la cicatrisation. Même la magie n'y pouvait rien.
— Très bien, céda ma mère alors que la pression sur mon corps se relâchait. Retourne dans ta chambre avec tes nouveaux gardes. J'en veux toujours au moins un dans la même pièce que ma fille et l'autre en faction devant la porte.
— Oui, Votre Majesté, répondirent cinq voix à l'unisson.
Sulli se pencha sur ses hommes qui se relevaient. Je poussai le battant pour sortir avant de l'entendre prononcer leurs noms. Les deux soldats qui m'avaient accompagnée me suivirent pendant que je m'éloignais. Des pas précipités résonnèrent derrière moi.
— Votre Altesse! gronda Sulli, je ne fis pas mine de ralentir. Allana!
Il me saisit par le bras, le souvenir des lacérations s'éveilla et je dus retenir une grimace.
— Pourquoi vous comportez-vous comme une enfant?
Les quatre gardes apparurent dans son sillage. Celui à la peau sombre était encore plus impressionnant que je ne l'avais cru, c'était un colosse.
— Je vais être très claire, connétable, premièrement, lâchez-moi immédiatement.
L'autorité dans mon ton le fit obéir dans l'instant. Je désignai notre public d'une main.
— Deuxièmement, ces personnes sont certainement l'élite de nos soldats. Je n'ai aucun doute sur leurs compétences. Cependant, je refuse de créer le moindre lien avec eux. Leur rôle est de me protéger, je n'ai pas besoin de connaître quoi que ce soit sur eux pour cela. Pas même leur nom. Et je souhaiterais que vous remplaciez Yara. Ce poste est trop dangereux.
— Sauf votre respect, je refuse, Votre Altesse, répondit Yara, droite comme un "I". Je ne me contente pas de soigner, je suis un bon soldat. Je veillerai à votre sécurité.
Je soupirai avant de me tourner vers mon amie.
— J'en suis sure, mais je ne veux pas risquer de vous perdre.
Je survolai les autres du regard sans m'attarder sur le moindre visage.
— Si vous tenez à la vie, repris-je sombrement, n'acceptez pas cette mission. Je porte déjà le deuil de plusieurs gardes. Certains d'entre vous ne survivront pas à mon service.
— Nous le savons, Votre Altesse, répondit le grand aux cheveux longs. Nous sommes des militaires, nous risquons notre vie chaque jour. Nous sommes fiers de la risquer pour vous.
Ses yeux noisette se plantèrent dans les miens. Je rougis. Avec cette aura de détermination, il me parut plutôt beau. Les autres hochèrent la tête, puis s'agenouillèrent devant moi.
— Vous n'avez pas besoin de connaître nos noms pour accepter notre dévotion, conclut le colosse.
Je n'avais plus rien à répondre. J'avais une garde personnelle.
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