Chapitre 3 : Décisions politiques

Je respirais avec difficulté, assimilant les informations. Une "union", un mariage. Les troupes du Domaine d'ivoire seraient un atout dans notre guerre qui durait depuis plus de dix ans avec l'empire de Zenagon. Ma mère avait réussi à limiter l'invasion par son habile jeu politique, la force de notre armée et surtout, celle de nos mages, réputés pour leurs barrières infranchissables. Les combats restaient par bonheur peu fréquents grâce à ces puissantes protections, mais au moindre signe de relâchement, les attaques reprenaient. Nous avions ainsi perdu plusieurs territoires frontaliers. À chaque fois, ma mère était montée en première ligne pour les récupérer. Ce n'était pas qu'une reine intelligente, mais aussi une sorcière extraordinaire.

Enfant, j'avais aperçu les marques dans sa chair, stigmates de ses pactes avec les Planaires. Contrairement à la plupart des mages, elle en avait passé plusieurs. C'était dangereux, mais cela la rendait extrêmement puissante. J'espérais être un jour aussi forte et avisée qu'elle.

— Si c'est ce que vous souhaitez.

Je sentis Sulli se crisper à mon côté. Ma mère éclata de rire.

— Je pensais te voir hurler et protester!

— Je vous fais confiance, mère. Si vous désirez me marier pour l'intérêt du royaume, je suppose qu'il s'agit de la meilleure solution.

— Bien sûr que non!

Un soupir de soulagement m'échappa alors que les épaules de Sulli se détendaient.

— Mais ils doivent croire que nous l'envisageons, continua ma mère. Épouse un de tes prétendants si c'est ton choix, mais glane des informations pour moi. L'intervention d'émissaires étrangers va mettre la cour en ébullition, tout comme ton apparition publique. Ce sera l'occasion pour nous de débusquer des traitres et de forger des alliances qui pourront enfin garantir notre prospérité sans avoir recours permanent aux barrières.

Je sentis les griffes invisibles de ma mère se refermer sur moi. Elle palpait mes propres protections. Impassible, elle parlait, sans la moindre invocation. Elle n'en avait plus besoin. Comme elle me l'avait appris, j'effaçai mes pensées pour me glisser à mon tour de l'autre côté du Voile. À la fois ici et ailleurs, j'emplis mon esprit de pouvoir et érigeai une barrière autour de moi. Je sentis gratter, pousser, forcer. Un coup violent m'aurait fait reculer si je n'avais pas verrouillé mes muscles anticipant l'attaque. Elle était satisfaite. Je le sus, car sa présence se retira. Mon dos me brûla, mais je ne cillais pas.

— Si tu te maries, continua ma mère, quel que soit l'homme que tu choisiras, brise-le.

Sulli se raidit imperceptiblement.

— Jamais un homme ne devra décider à ta place ou régner pour toi. Tu es ma fille, tu seras reine, pas une poupée de chiffon comme ce que Zenagon voudrait faire de nous. Si tu parviens à te rapprocher de leur émissaire et qu'il s'avère que l'empereur t'envisage pour belle-fille, accepte et détruis-les de l'intérieur. Tu devras être indomptable et vaincre à tout prix.

Comme elle. Je me tins plus droite.

— Je ne vous décevrai pas.

Un sourire carnassier se dessina sur ses traits. La fierté se répandit dans mes veines. Elle me voyait déjà dévorer le tout puissant empire, ou rallier ses ennemis sous ma coupe. Je priai pour être digne de cette confiance.

— Cependant, continua ma mère, le regard fixé sur Sulli, Allana va se retrouver exposée. Les ambassadeurs vont demeurer au palais au moins jusqu'à son anniversaire. Je veux une garde rapprochée.

Sulli ne parut pas surpris par cette requête. Je me retins de lever les yeux au ciel. Comment comptait-il renforcer ma protection? J'avais déjà deux gardes qui me suivaient comme des toutous où que j'aille. Ils n'allaient quand même pas rester dans mes appartements en prime.

— Je pense avoir les personnes parfaites pour cela. Deux jeunes soldats de confiance qui se font remarquer depuis quelques années. J'y ajouterai Yara si vous l'autorisez ainsi qu'Hector.

Je retins mon sourire. Je me réjouissais d'avoir Yara près de moi. Pourtant, je l'appréhendais également. Cela faisait huit ans qu'elle prenait soin de moi. En cas d'attaque, elle serait en danger. J'ignorais si elle était compétente pour se battre ou seulement pour guérir.

Ma mère se servit une tasse de thé, y glissa un sucre et le touilla en hochant la tête.

— Si vous êtes certains de ces soldats, je vous fais confiance. Je veux qu'ils soient devant la porte de ma fille en permanence. Ils doivent être réactifs et aptes à parer une attaque magique. Terminé, les gardes à cinq pas derrière elle. Ils devront se tenir à ses côtés, quelle que soit la situation. Allez les chercher. Ils prendront leur poste immédiatement.

Sulli se redressa, claqua des talons en portant son poing fermé à son cœur, puis inclina la tête. Il fit demi-tour, m'adressa un clin d'œil complice et sortit.

Restée seule avec ma mère, je savais ce qui m'attendait. Elle me demanda de m'assoir à même le sol, puis d'abaisser mes barrières. J'obéis. Tout en sirotant sa tasse de thé, elle multiplia les attaques brutales. Elle lacéra mon esprit, j'eus la sensation d'être plongée dans l'eau glacée, puis dans les flammes.

Pourquoi te soumets-tu à ce traitement? s'insurgea Noori dans ma tête.

Sa colère se répercutait dans tout mon être. Je m'efforçai de la contrôler pour rester stoïque.

Parce que je dois être capable de te résister, mon ami. Je dois m'endurcir.

La sueur coulait le long de mon dos alors que je supportais les agressions sans réagir. Aucun cri ne passa mes lèvres quand mes nerfs furent tiraillés, comme si des lames invisibles déchiraient ma peau.

Ton esprit et ton corps sont déjà bien assez puissants pour me contenir!

Mes membres tremblaient imperceptiblement sous l'effort.

Lorsque je me retrouverai sur le champ de bataille, je devrai mobiliser bien plus de magie que tout ce que nous avons expérimenté. Je ne peux pas prendre le risque d'être consumée dès le premier combat.

Lorsque mon nez commença à saigner, ma mère cessa ses assauts.

Fais comme bon te semble, tête de mule!

— Bravo, Allana. Tu te renforces chaque jour. Inutile de descendre dans la Salle du rite ce soir. Cet entraînement suffira pour aujourd'hui. Sers-toi une tasse de thé.

Je sortis un mouchoir blanc de ma poche que j'appuyai sur ma narine dégoulinante de sang. Parcourue de frissons, je replaçai mes barrières mentales avant de m'assoir sur la chaise que m'indiquait ma mère, près de son petit guéridon bien propre. Elle me désigna une tasse de porcelaine fleurie que je remplis d'une main. J'hésitai à prendre un sucre, puis me ravisai. Je laissai l'infusion refroidir, la tête penchée afin d'éviter de souiller le sol de mon sang.

Quand il cessa de couler, je m'autorisai à boire une gorgée que j'avalai avec difficulté. Des coups frappés à la porte me firent lever les yeux de ma tasse. D'un geste, ma mère dissimula ses papiers sous une illusion. La pièce ressemblait à présent à un petit boudoir des plus charmant. Sulli entra alors, accompagné de quatre personnes.

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