Chapitre 1 : L'envol ou la cage
Tout en haut de la tour Est, j'escaladai discrètement un merlon après avoir esquivé les gardes. S'ils m'avaient aperçue, ils auraient hurlé de terreur et m'auraient saisie par le col pour me renvoyer dans ma chambre, toute princesse que j'étais. Je me levai, laissai le vent caresser mes joues et faire ondoyer ma chevelure sombre au-dessus du vide. J'écartai les bras, accueillant les premiers rayons du soleil qui dardaient à l'horizon. Les yeux fermés, je m'emplissais de cette lumière rougeoyante.
Doucement, j'ouvris les paupières, avide d'observer mes terres, mon royaume qui se réveillait dans la chaude splendeur matinale. Je discernai les fermes, au loin. Les paysans devaient déjà être à l'ouvrage. La rivière coulait paisiblement. Elle éclairait le panorama de ses reflets étincelants.
Je baissai les yeux sur Liugorn, ma ville. Citadelle imprenable, ses remparts s'élançaient vers les cieux. Certains habitants, éveillés dès l'aurore, déambulaient dans les ombres que les rayons du soleil ne tarderaient plus à dissiper.
Un petit oiseau blanc rayé de gris se posa sur mon épaule.
— Tu joues encore avec le feu, me réprimanda la voix grave que j'étais la seule à entendre.
— Pourquoi donc ? répondis-je sans ouvrir la bouche. Si je tombe, tu seras là pour me rattraper.
— Tu me fais trop confiance, altesse. Un jour, tu y laisseras la vie.
Sur ses mots, l'animal piqua dans le vide. Il chuta sur plusieurs mètres avant d'écarter ses ailes pour prendre son envol. Je fermai à nouveau les yeux pour me fondre en lui afin de profiter de la sensation incroyable de liberté qu'il ressentait. Le paysage défilait en dessous de moi sans autre support que le vent. Nous virevoltions ensemble, nous ne faisions qu'un.
— Tu perds pied, Allana, me prévint la voix chaude de mon ami. Retourne dans ton corps, où il va s'effondrer.
Il avait raison.
À contrecœur, j'abandonnai l'oiseau et réintégrai mon enveloppe charnelle qui commençait à vaciller. Le soleil montait inexorablement. Le ciel bleu n'était plus la nappe d'or que j'aimais tant. Je posai le pied sur le créneau puis, descendis de mon perchoir. Avant de passer la porte menant à l'escalier, je m'arrêtai contre le mur.
— À toi de jouer, Noori.
L'oiseau fonça vers le battant. Il vira en direction du sol et, tout à coup, ce fut une souris blanche rayée de gris qui se faufila dans le couloir. Je connectai mon esprit au sien afin d'inspecter le corridor. Personne.
Je quittai Noori, puis rejoignis l'escalier à pas de loup. Une alerte retentit au fond de ma conscience. Je stoppai net, retins ma respiration et attendis que le garde me dépasse. Quand il fut assez loin, je me permis un soupir avant de reprendre ma progression silencieuse.
J'avais fait ce trajet un nombre incalculable de fois, mais je craignais toujours autant d'être découverte. Sans mon compagnon, je n'aurais probablement pas eu le cran de sortir de ma chambre. Si ma mère s'en apercevait, j'en prendrais pour mon grade... Je n'osais pas penser aux douleurs qui accompagneraient mon expiation.
C'est sans un bruit que je pénétrai dans mes appartements, oppressée par les murs de pierres grises, si semblables à ceux d'une prison. La bibliothèque emplie de livres était ma seule échappatoire, en dehors de mes petites excursions matinales. Quand je surplombais le vide, quand la mort pouvait me cueillir à tout instant, je me sentais étrangement vivante.
Je me faufilai sous les draps pour attendre l'arrivée de ma femme de chambre qui ne tarderait plus. En effet, après quelques minutes, la domestique entra pour me réveiller et m'aider à me préparer. Une journée ordinaire commençait. Les heures, longues et ennuyeuses, se succédaient alors que je restais enfermée dans la bibliothèque. Je lisais. Je répondais aux rares questions de mon précepteur. Comme toujours, d'ici quelques semaines, un autre prendrait sa place. Les gardes en poste demeuraient immobiles, debout devant la porte, le regard fixe.
L'ouverture du battant me fit sursauter. J'accueillis avec gratitude la voix rocailleuse du connétable qui rompit le silence pesant qui m'entourait depuis plusieurs heures. Mon précepteur s'inclina immédiatement avec révérence.
— Bonjour, Votre Altesse.
— Bonjour Sullivan.
Je me levais doucement pour le saluer. Je posais mes mains l'une contre l'autre pour m'aider à maintenir mon excitation sous contrôle. Mes lèvres serrées, j'évitais de sourire de toutes mes dents, comme on me l'avait appris. Je devais toujours garder une distance. Seuls les enfants souriaient la bouche ouverte et sautaient au cou des gens qu'ils aimaient. Une reine doit rester digne en toute circonstance. Sa fille aussi. Pourtant, mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Ce bel homme de vingt ans mon ainé était dans ma vie depuis ma naissance. J'enviais son teint buriné par le soleil, moi, plus pâle qu'un fantôme. Il portait un pourpoint en cuir abîmé et ses cheveux poivre et sel coupés courts étaient en bataille. Il revenait probablement d'un entraînement avec ses soldats.
Il s'agenouilla, tête baissée, puis glissa vers moi ses iris gris, capables de passer de la tempête au doux soir de neige. Aujourd'hui, ils étaient emplis de tendresse.
— Relevez-vous. Que venez-vous faire dans mon humble bibliothèque?
Il mit une seconde à se redresser, sa jambe gauche paraissait moins solide que d'ordinaire. Une fossette creusa sa joue. Je détestais les courbettes. Il l'avait probablement compris, mais jamais je ne lui avouerai.
— Votre mère souhaite vous voir afin de parler de votre anniversaire.
— N'y avait-il aucun domestique disponible pour qu'elle envoie notre chef des armées?
Il s'approcha pour saisir ma main avec délicatesse.
— C'est moi qui ai insisté pour vous prévenir moi-même. Je n'avais rien à faire de plus en vous attendant. Autant profiter de votre présence et faire un petit détour par la cour avant de rejoindre la reine.
Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je me mordis la joue pour ne pas rire comme une gamine, exaltée à l'idée de sentir à nouveau le soleil sur ma peau.
Il me sourit, plaça ma main sur son bras solide, puis me guida vers l'extérieur.
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