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Le groupe d'adolescents s'est réveillé en milieu de matinée, à cause des rayons du soleil traversant les rideaux épais. Tout le monde avait incroyablement bien dormi, personne ne s'était brusquement réveillé en sursaut à trois heures du matin, et personne n'avait fait d'insomnies. La maison était calme. Une odeur sucrée flottait dans l'air et titillait les narines des jeunes. Les plus gourmands étaient trahis par le grincement du parquet, quant aux autres, l'odeur appétissante parvenait à faire gargouiller leur ventre. A dix heures et demi, tout le monde était attablé autour de la grande table en bois de la salle à manger.

Adélaïde, les cheveux attachés, buvait tranquillement son jus de pomme et regardait Juliette se faire du mal mentalement. Bien que tout le monde semblait l'ignorer, la rousse n'était pas insensible à ce spectacle, cela lui retournait l'estomac. Juliette se torturait, on voyait dans ses yeux qu'elle se forçait à croire que la nourriture la dégoûtait. Elle évaluait le nombre de calories avant de piocher le moindre aliment. Ce comportement rendait la jeune rousse mal à l'aise, elle qui avait toujours eu l'habitude de ne pas se prendre la tête en ce qui concernait l'alimentation. Adélaïde se disait toujours que la meilleure façon de faire un régime était de ne pas en faire un.

Les bras squelettiques de Juliette ont détaché sa queue de cheval. Chaque action semblait lui coûter un effort, même si elle ne le montrait pas. L'anorexie l'épuisait. Elle était fébrile. La veille, sa façon de marcher avait surpris Adélaïde, au moindre pas qu'elle faisait, on avait peur qu'elle s'écroule par terre.

- Qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui ? s'est renseigné Quentin auprès d'Alice qui se servait du café.

- Cette après-midi, on va apprendre à faire des pizzas, d'ailleurs cela serait bien que vous fassiez des binômes. Ce matin, vous pouvez faire ce que vous voulez.

Quentin a hoché de la tête et s'est levé pour remonter dans sa chambre. Les adolescents l'ont tous suivi. Après s'être rapidement préparés, ils étaient tous déjà installer sur la terrasse juste devant la maison, qui donnait, en contre plongée, sur la mer. Quentin mélangeait d'une façon assez incroyable les cartes du uno. Victoire, une paire de lunette hors de prix sur le nez, essayait de bronzer en refusant d'admettre qu'en moins de dix minutes elle aurait déjà un coup de soleil. Émile jouait avec ses pouces. Juliette mettait une musique très cool à l'aide de son enceinte. Thibault, lui, observait le groupe.

- Adélaïde, viens jouer avec nous, s'est exclamé Thibault.

La rousse, étonnée d'être appelée par le garçon à la peau extrêmement pâle, a relevé la tête de son livre.

- Allez ! La joue pas perso, c'est super le uno !

Adélaïde, encore plus surprise de le voir insister, n'a pas pris le temps de réfléchir et s'est assise à côté de lui. Thibault affichait un sourire satisfait en voyant qu'il avait réussi à la convaincre, quant aux autres ils n'en revenaient pas, surtout Émile qui lui ne parvenait jamais ou presque jamais à la faire céder.

- Préparez-vous à perdre les losers. Je suis imbattable, a lâché la rousse en attrapant le jeu qui lui avait été distribué.

La partie a commencé, plutôt en douceur, jusqu'au moment où Thibault a accidentellement attaqué Adélaïde avec un +4. Cette dernière a renchéri avec la même carte et la pauvre Victoire s'est retrouvée à piocher huit cartes qui l'empêchaient de trier son jeu comme il le fallait. La brune a même fini par laisser tomber la moitié de son jeu, révélant aucune carte qui ferait chier les autres.

- Avec le jeu nul que t'as en main, tu ne vas jamais gagner.

Adélaïde a sifflé cette phrase avec un sourire méchant aux lèvres. Personne n'y a prêté attention. Victoire n'a même pas compris qu'on lui adressait une phrase qui était faite pour l'énerver.

La partie était vivante, les « interdits de jouer » et les « +4 » ont fusé dans tous les sens. Émile et Adélaïde étaient alors en compétition puisque ce sont eux qui ont le moins de cartes à jouer, soit seulement deux.

- Je dis rouge, s'est exclamé Quentin quand il a changé de couleur.

- Yes !

Émile a alors posé une carte rouge, et tout content, il a souri à Adélaïde pour lui montrer qu'il allait gagner. Cette dernière, tout en souriant, lui a rapidement fait remarquer :

- Contre-Uno pauvre imbécile. Tu ne gagneras pas.

Ce dernier, dégoûté d'avoir oublier la règle de base, s'est décomposé. Il a regardé Adélaïde piocher deux cartes et les lui tendre avec un affreux sourire diabolique. Une sensation de colère et de rage montait doucement en lui. Émile n'aimait pas perdre, et encore moins se faire humilier par cette rousse qui l'excitait vachement. Les autres se sont esclaffés face à la vue de la scène comique. Émile a baissé la tête, les sourcils froncés, quant à Adélaïde, elle a posé ses deux dernières cartes en prenant soin d'articuler :

- Uno, et j'ai gagné.

Émile a alors roulé des yeux.

- T'es mauvais perdant ? a lâché la rousse.

Le blond lui a répondu par un regard noir, ce qui a fait rire tout le monde, même Adélaïde.

Ils ont fini de manger quelques minutes avant de partir. Ceux qui le souhaitaient ont alors eu le temps de se changer pour le cours de cuisine qui les attendait cette après-midi. Adélaïde, elle, est restée en bas, se contentant de son jean large et de son débardeur violet pastel. Émile aussi est resté en bas, mais a fait attention à s'éloigner un peu d'elle, n'ayant toujours pas accepter sa défaite de la matinée. Puis les autres ont fini par les rejoindre. Victoire portait une combinaison noire qui faisait sa peau rouge écarlate, Quentin un polo, et Thibault un t-shirt vans basique. Quant à Juliette, elle portait une robe qui se voulait moulante. Pourtant on n'appercevait aucune courbe de son corps, tant elle était maigre. Elle faisait tout pour se cacher afin qu'on ne remarque pas qu'il y avait un problème avec sa tenue. Adélaïde a croisé son regard, vide d'émotion. Elle ne lui a pas souri, elle s'est contentée de la fixer jusqu'à ce que la blonde détourne le regard.

- Vous avez réfléchi aux binômes ? a demandé Alice en s'approchant d'eux.

Victoire a vivement hoché la tête et s'est exclamée :

- Je me mets avec Juliette.

- Moi avec Thibault, a informé Quentin.

Quand Adélaïde a compris qu'elle allait devoir supporter Émile, elle s'est tournée vers lui et a sifflé :

- Un perdant et une gagnante ce n'est pas très compatible.

Émile a froncé les sourcils, et a poussé un gros soupire.

- Émile et Adélaïde vous serez ensemble alors, a tranché Alice.

Arrivée devant la petite boutique, Adélaïde l'a observée attentivement. Elle était colorée d'une peinture verte qui s'était écaillée avec le temps. Une grande vitrine laissait apercevoir l'intérieur du lieu. De grands plans de travail étaient alignés les uns après les autres. Un ventilateur de plafond était allumé, et rafraîchissait la pièce où la lumière de la rue peinait à rentrer.

Le groupe est entré et un homme brun avec une jolie moustache est venue les accueillir. Il ne parlait pas français. Heureusement que Renata était là pour traduire parce que l'italien ne se débrouillait pas très bien en anglais.
Le groupe a alors reconstitué les binômes, et lorsque Émile s'est approché d'Adélaïde, cette dernière a soupiré. Ils se sont tous installés et le cour a commencé. Ils allaient réaliser la pizza qu'ils voulaient.

- On met quoi dans notre pizza ? Si tu me sors de l'ananas je me tire, lui a dit Émile.

Adélaïde a souri avant de répliquer :

- C'est parti pour une hawaïenne alors.

Émile a soupiré, lassé qu'elle lui fasse constamment comprendre qu'elle n'appréciait pas sa présence.

- Tu boudes ? lui a demandé la rousse en souriant.

- Non.

La jeune fille a roulé des yeux face au ton froid qu'Emile venait d'employer.

- On peut mettre de la viande hachée.

- Dans une pizza ? Putain mais tu viens d'où ? s'est exclamé le blond, sidéré.

- Je t'assure que c'est hyper bon, lui a promis la rousse.

- Ça suffit pas pour me convaincre.

- Tu peux choisir le fromage qu'on met.

- Non, je m'en fou de ça. Je veux que tu m'embrasses !

Adélaïde a écarquillé les yeux, ne s'attendant pas du tout à la tournure que venait de prendre la conversation. Le rire lourd d'Émile a cassé le silence.

- Putain tu verrais ta tête !

Adélaïde a roulé des yeux, pas du tout amusée par sa blague.

- Oh c'est bon, recommence pas à faire la gueule, je voulais juste t'embêter un peu. Et puis dès que je te fais des blagues de ce genre, tu tombes tout de suite dans le panneau. Tu sais pourquoi ? Parce que t'es comme tous les élèves dans notre lycée, tu penses que je suis pervers et complètement obsédé. Alors que tu ne connais pas l'histoire, seulement les rumeurs.

Au fil de son explication, Émile perdait son sourire et semblait presque ému. Et Adélaïde l'a bien perçu, et elle pourrait presque avouer qu'elle culpabilisait un peu d'être tombée dans sa blague et par conséquent de laisser les rumeurs gagner.

- Tu n'es pas plus obsédé que n'importe quelle personne de cette pièce, l'a-t-elle rassuré pour faire partir ce sentiment de culpabilité qui grandissait en elle.

Les protestations de Victoire les ont tous les deux coupé dans leur discussion et fait tendre l'oreille :

- Mais Juliette, si tu ne veux ni mettre de jambon, ni la quantité de beurre demandée, ni d'œufs, ni même de sauce, autant ne pas faire de pizza.

La grande blonde a dégluti, mal à l'aise. Elle était pâle, et regardait d'un air horrifié tous les aliments devant elle. L'activité avait l'air difficile pour elle.

- On peut en faire une toute simple, si tu veux, lui a gentiment proposé Victoire.

Juliette a difficilement acquiescé, et s'est retenu de vomir en pensant à toutes les calories qu'elle allait devoir s'infliger rien qu'en avalant une bouchée.

- La pauvre, a soufflé Émile.

Adélaïde n'a rien répondu. Elle s'est contentée de fixer la maigre blonde. La rousse trouvait ce spectacle horrible. Elle en avait vu des choses moches au cour de sa courte existence. Mais vivre les angoisses d'une personne anorexique était certainement une, voire même, la chose la plus horrible qu'elle ait vu de sa vie.

La blonde a relevé la tête vers Émile et Adélaïde qui n'avaient pas arrêté de l'observer depuis déjà cinq bonnes minutes. Ils lui ont tous les deux offert un sourire compatissant, comme pour lui envoyer de la force.

Les pizzas sortaient tous juste du feu. L'italien les a soigneusement rangé dans de jolies boites en carton et chacun et reparti avec la sienne. Ce cours les a occupés pendant quatre heures. Ils avaient d'abord fait la pâte qui a dû reposer, pendant ce temps là ils ont appris quelques mots en italien. Ils ont ensuite mis les différents ingrédients choisi. La plus jolie pizza était celle d'Adélaïde et Émile. Ils l'avaient tous les deux préparés avec soin sans se chamailler une seule fois tant ils étaient concentrés. Chacun semblait heureux de repartir avec sa pizza, même Juliette. Elle était fière d'elle. Elle n'aurait jamais cru être de nouveau capable de cuisiner, sans écouter l'horrible voix qui lui sifflait constamment des mots méchants. Certes elle n'arriverait peut-être pas à manger plus de deux bouchées de cette énorme pizza, mais elle avait déjà fait de beaux pas vers la voie de la guérison. Elle le sentait.

Adélaïde et Émile, eux, se disputaient pour savoir qui allait tenir la boîte de la pizza. Ils y ont mis de la viande hachée, du fromage, de la sauce tomate et des herbes de provence.

- Laisse-moi la tenir ! T'as choisi tous les ingrédients ! a soufflé Émile en arrachant la boîte des mains de la rousse.

- Tu déconnes ! J'ai juste choisi la viande hachée ! T'as deux mains gauches, tu vas la faire tomber par terre ! Rends-moi ça.

- Seulement si je prends une part maintenant.

- Non, redonne-moi la boîte !

Émile a couru avec le carton dans les mains, l'a ouvert, a réussir à prendre une part. En se tournant pour voir où son binôme se trouvait, la boîte contenant la pizza lui a glissé des mains et a embrassé le sol. Émile a regardé la pizza au sol, et a juré.

- Émile ! Putain ! Mais qu'est ce qui ne va pas chez toi !

Adélaïde est arrivée à un allure beaucoup trop élevée et s'est jetée sur Émile.

- Mais t'es vraiment trop con !

Émile n'a rien répondu trop occupé a regardé les yeux de la rousse lui lancer des éclairs.

- Je suis vraiment désolée Adéla...

- Ta gueule ! Ferme ta gueule !

Émile a froncé les sourcils. L'entendre lui parler de la sorte ne lui plaisait pas. Certes il venait de faire une grosse connerie, mais elle n'était pas obligée d'être si violente verbalement.

- T'es qu'une grosse merde Émile !

Ce dernier a relevé la tête vers elle, s'est approché de telle façon à ce que son torse touche sa poitrine.

- Va te faire foutre Adélaïde, a-t-il parfaitement articuler.

Il a ouvert la bouche, s'apprêtait à manger la part de pizza qu'il avait réussi à sauver devant les yeux noirs de colère de la rousse. Cette dernière, plus rapide, lui a arraché la part des mains, a croqué un bout dedans et a étalé le reste sur le visage surpris du blond.

- Ne me parle plus jamais comme ça, lui a-t-elle chuchoté à son oreille. D'ailleurs, délicieuse cette pizza !

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