Chapitre 9 : Seynor
Ce matin-là, Seynor se réveilla d'un bond. Il allait enfin parler à des jeunes de son âge sans qu'Heorick ou Leorn ne soient là pour le surveiller. La veille déjà, il ne tenait pas en place et ne savait pas comment choisir sa tenue. Allait-il faire bonne impression ? Est-ce que les jeunes de la capitale avaient une manière particulière de s'habiller ? Il avait finalement opter pour des tons sombres qu'il pensait passe-partout. Il s'habilla en vitesse et évita le miroir des yeux, il ne voulait pas que la vision de la veille ne perturbe son moral cette fois-ci. Après une hésitation, il choisit de porter une cape avec des broderies fines en or sur un fond noir. Il allait quitter sa chambre mais pensa à attraper son cahier et un crayon avant de fermer la porte.
Dans la cuisine, il se servit un verre de jus de fruits sous le regard anxieux de son mentor. Leorn était assis sur un tabouret, seul siège où il pouvait s'installer du fait de ses ailes et de sa queue. Seynor se demandait comment les dragons dormaient dans leur monde, une fois qu'ils quittaient leurs liés. Rouler en boule à même le sol ? Il imaginait mal Leorn dans cette position. Il lui avait souvent posé la question mais il était resté assez vague. De temps en temps, le dragon grondait et le jeune homme comprit vite que les deux avaient une conversation mentale.
Enfin, après un dernier regard agacé de la part d'Heorick, Leorn se leva, posa sa main griffue sur l'épaule de Seynor, et déclara :
— Malgré l'inquiétude irrationnelle d'Heorick, j'ai confiance en toi Seynor. J'ai la conviction que tu t'en sortiras, peu importe la situation !
Le mentor de Seynor se racla la gorge pour attirer son attention :
— Mais n'oublie pas que même jeunes, les dragonniens de l'académie ont un avis assez tranché sur leur rang, si l'un d'eux ou son dragon te pose problème, n'hésite pas à nous en parler.
Le jeune homme hocha la tête pour le rassurer mais il doutait d'en arriver là. Il serait déjà une curiosité, il ne voulait pas en plus qu'on le voit comme un faible qui pouvait dénoncer ses camarades au conseiller. Avant qu'Heorick n'ait le temps de lui faire promettre, Seynor entra dans l'ascenseur en leur souhaitant une bonne journée.
Une fois sorti de l'immeuble, le jeune homme inspira une goulée d'air frais. Une impression de liberté l'envahissait et une envie folle de se mettre à courir pulsait en lui mais il se retint. Les fois où il s'était promené en ville sans Heorick ni Leorn pour le surveiller étaient si rares qu'il pouvait les compter sur les doigts d'une main. Et même lors de ses rares occasions, son mentor lui enjoignait d'éviter de parler à qui que ce soit ou même de trop traîner.
Il se dirigea vers le centre de la capitale d'un bon pas pour éviter d'être en retard lors de sa première journée. Comme la veille avec Heorick, il traversa les anneaux. Ils n'étaient pas rares d'y voir encore les dragons de ceux qui y travaillaient à cette heure-ci. D'ici peu, les dragons retourneraient dans leur monde, faute de place en ville. Du moins, à l'exception des duos qui avaient la chance et la place de travailler ensemble à l'image des forgerons et les Faeldrmars.
Enfin, Seynor arriva dans la rue de l'académie. L'école pour les plus jeunes était aussi dans cette rue et Seynor dut se faufiler entre les parents et leurs enfants. Les plus âgés étaient accompagnés par leurs dragons qui disparaissaient dans leurs portails dès que leurs jeunes liés avaient franchis les grilles de l'école. Il était aisé de reconnaître ceux qui venaient tout juste de se lier à leurs dragons : les larmes aux yeux, ils serraient l'être qui partageait leurs esprits contre leurs cœurs.
Au bout de la rue, le mur d'enceinte de l'académie se dressait. Un double arc en fer forgé noir joignait les deux colonnes en pierre de l'entrée. Entre ces arcs de fines lettres indiquaient : «Académie dragonnienne d'Olédrek». Chaque pas qui rapprochait Seynor de la grille sonnait comme un écho du battement de son cœur. Il sentait les pulsations de celui-ci accélérer et les questions affluaient à la même cadence sous son crâne. Et s'il n'avait pas le niveau ? Et si le fait qu'il habite chez un conseiller lui attirait la jalousie de ses camarades ? Les interrogations cessèrent quand il passa sous l'arche. Autour de lui, des jeunes d'à peu près son âge étaient rassemblés dans la cour, devant les bâtiments. Parfois, une ombre géante assombrissait tout le monde, mais personne ne réagissait, contrairement à Seynor qui s'ébahissait de voir un nouvel étudiant se faire déposer par son dragon avant que celui-ci ne disparaisse dans son portail.
— Hé le nouveau ! l'interpella un dragonnien qui le rejoignit suivit par sa bande, d'où tu viens ?
— J'habite à Olédrek et vous ? questionna Seynor, un peu surpris par ce premier contact.
Le groupe sembla se concerter alors que certains analysaient le jeune homme. Enfin, celui qui avait pris la parole marmonna :
— J'ai l'impression de t'avoir vu quelque part mais je suis sûr que ce n'était pas à l'école...
— En effet, je ne suis jamais allé à l'école mais tu as dû me voir à un conseil, c'est bien l'un des seuls endroits d'Olédrek que je connais comme ma poche.
— Mais oui ! Tu es l'heremas qui vit chez le conseiller végétal ! s'exclama l'un des étudiants.
Seynor eut l'impression de s'être reçu une gifle. Il se souvint de la proposition du conseiller du feu, de la discussion qu'il avait eu ensuite avec Heorick. Jamais il n'aurait pensé que ce terme, proche de l'insulte, était utilisé si aisément par ceux de son âge. Du moins, c'est ce que son mentor lui avait appris du haut de sa tour d'ivoire.
— Non, tu dois te tromper Merinor, souffla celui qui lui avait adressé la parole en premier, aucun heremas n'est autorisé à pénétrer dans l'académie. Cette racaille mérite tout juste de vivre en bordure de la capitale.
Seynor était sous le choc. Comment des jeunes de son âge pouvaient penser comme cela ? Mais, très vite, les mots ne furent plus le problème. Le groupe qui faisait face au jeune homme avait changé d'expression. Des regards peu amènes étaient braqués de tout côté sur lui. Seynor voulu battre en retraite mais son dos était d'ores et déjà collé au mur d'enceinte.
Celui qui avait été appelé Merinor l'apostropha :
— Prouve moi que j'ai tort : appelle ton dragon.
Le jeune dragonnien resta sans voix. C'était son premier jour et déjà il regrettait la protection qu'Heorick lui apportait sans qu'il ne le sache. Il n'aurait aucune chance de victoire physique : ils étaient plus nombreux. De toute façon, il ne se voilait pas la face, même en combat régulier contre l'un de ces garçons, il n'aurait eu aucune chance, il n'avait pas les bras pour. Un goût de métal envahissait déjà sa bouche, à force de se mordre les lèvres, ça devait bien arriver.
Soudain, son regard fut attiré par quelqu'un. Un blond de son âge franchit le mur sur son Faeldrmar. Il descendit de son dragon et se réceptionna sans difficultés sur ses jambes, dont les cuisses devaient faire deux fois celles de Seynor. Son regard argenté capta celui d'obsidienne du jeune homme et, pendant un instant, le jeune dragonnien eut l'espoir qu'il viendrait à son aide. Mais, d'un haussement d'épaules musculeux, le blond se détourna de l'appel au secours muet. Un éclat de colère brut traversa Seynor, comment ce type avec sa tête de héro pouvait se permettre de le laisser tomber ?
Le blond se retourna comme si Seynor avait hurlé sa question mentale. Le regard du nouveau venu se planta dans le sien et c'est avec détermination, et aussi désespoir, que celui-ci réclama son aide. Le blond se mit alors à courir vers le groupe autour de Seynor qu'il écarta sans ménagement. Son dragon le suivit, un peu en retrait.
Celui qui apparaissait comme le sauveur du jour attrapa Merinor par le haut de sa tunique et gronda :
— Qu'est-ce que vous lui voulez, bande de colthion ? Vous avez vraiment besoin de venir en meute pour vous en prendre à un gars de son gabarit ?
L'estime de soi de Seynor en prit un coup mais il devait reconnaître la véracité du propos. Celui qui avait adressé la parole au jeune homme en premier posa sa main sur l'épaule du blond comme s'il calmait un ami :
— Autant qu'il comprenne dès le premier jour que les heremas dans son genre ne sont pas les bienvenus ici.
Le blond jeta un coup d'œil à Seynor. Il semblait partagé entre la surprise et l'animosité. À cette vue, le sang de Seynor se glaça. Il tenta à nouveau de se connecter à son sauveur et l'animosité finit par disparaître. Le blond repoussa la main de celui qui semblait diriger le groupe et jeta Merinor en arrière.
— Je pense qu'il a compris le message, allez vous trouver une autre proie !
La bande releva Merinor qui tempêta :
— Tu n'as pas dû bien comprendre, au contraire.
Il leva le poing pour frapper le seul rempart entre eux et Seynor quand deux rugissements retentirent. Le premier venait du Faeldrmar dont les écailles rougissaient, signe que ses flammes étaient prêtes. Le deuxième venait des cieux où un Vermar piquait droit vers eux. Alors que certains membres du groupe s'écartaient ou bien s'accroupissaient pour se protéger de leurs bras, le dragon s'arrêta à quelques mètres du sol. Celle qui le chevauchait sauta de son dos et atterit avec souplesse après un salto aérien entre les deux groupes.
— Bonjour messieurs, je suis en retard et Zephyr, elle désigna son dragon, n'aime pas que je sois en retard. Pouvez-vous vous écarter ?
Merinor pouffa et osa même s'approcher d'un pas pour faire face à la jeune fille :
— Et qu'est-ce que ton dragon lié pourrait nous faire Hérénice ? Tout le monde sait qu'il est interdit pour eux de nous attaquer. Tu nous prends pour des imbéciles ?
— Tu sais quel trait de caractère domine les dragons d'air Merinor ? interrogea la jeune fille sans montrer signe de crainte.
— La sauvagerie, répondit Seynor par réflexe.
La fille se tourna vers lui et le jeune homme crut perdre son estomac. Des boucles châtains étaient retenues par un bandana rouge, des yeux d'un bleu parfait, Seynor était sous le charme. Cependant Hérénice se détourna vite et reprit :
— La sauvagerie en effet, alors disparaissez avant que le vent ne se lève.
Son dragon poussa un nouveau rugissement et le groupe finit par s'éloigner de mauvaise grâce.
Sous le coup de l'émotion, Seynor eut un éclat de rire et ses deux sauveurs le dévisagèrent. Le jeune dragonnien haussa les épaules et finalement le blond s'ébroua avant de tendre la main à Seynor. Ce dernier, dont les yeux n'avaient toujours pas lâchés Hérénice, surpris l'air outré sur son visage à la vue de ce geste.
Dérouté, l'autre jeune homme dut se présenter une seconde fois pour avoir l'attention du brun :
— Salut, moi c'est Galwyn Perbron, mais appelez-moi Gal.
Seynor lui serra la main, son esprit cherchait toujours à comprendre la réaction de la jeune fille.
— Et toi tu es ? continua Galwyn, qui semblait gêné par la situation.
— Seynor, un sans-dragon qui vit chez l'un des conseillers d'Olédrek, lâcha Hérénice comme une malédiction.
Le jeune homme eut l'impression qu'on lui avait scié les jambes. Comment cette fille pouvait le connaître, et apparemment le détester, sans que lui ne la connaisse ? Alors que Galwyn retirait sa main de celle de Seynor, celui-ci replongea dans son regard avec rage. Peu importe qui était cette fille, elle n'allait pas l'éloigner d'un potentiel premier ami. Alors qu'il passait toutes ses émotions dans le regard de Galwyn, l'argent des yeux de celui-ci se changea en acier quand il fit face à Hérénice comme pour protéger Seynor.
— Mais qu'est-ce que vous avez tous ici contre les sans-dragons ? Ça ne vous suffit pas qu'ils vivent dans la misère au sein même de la capitale de la République ? Ils font tout autant partie de notre peuple ! s'écria le blond devenu écarlate dont la veine sur sa tempe pulsait.
Seynor n'en revenait pas. C'était la première fois qu'il entendait quelqu'un le défendre avec tant d'ardeur. Hérénice, quant à elle, prit une expression de fillette qui venait de se faire gronder. Pour se donner une contenance, elle replaça son bandana au centre de son front. Son dragon, Zephyr, frôla son dos du bout du museau avant de s'envoler vers son portail.
Malgré lui, Seynor ne put résister au visage boudeur de la jeune fille alors il marmonna :
— Tu sais Gal, je suis sûr qu'elle ne pensait pas à mal, n'est-ce pas ?
Hérénice lui jeta un regard méprisant mais il s'atténua quand elle vit Galwyn lui adresser un sourire gêné.
— Non tu as raison Seynor, je ne sais pas ce qui m'a pris. J'aurais tort de mordre dès le premier jour, surtout une si jolie fille, ajouta-t-il avec un clin d'œil qui hérissa le poil du brun.
À quoi son ami jouait ? Avec sa tête, il pouvait avoir n'importe quelle fille, il devait comprendre que Seynor voulait avoir ses chances aussi. Malheureusement pour ce dernier, cela ne sembla pas déplaire à Hérénice qui esquissa un sourire timide.
— Allez viens, Gal, j'imagine que je vais devoir te faire visiter, proposa la jeune femme.
— Je n'ai jamais dit que je venais d'arriver, releva Galwyn après réflexion.
La jeune fille n'ajouta rien et le blond n'insista pas non plus alors qu'il la suivait.
Seynor ne bougea pas. Il n'osait plus se frotter à l'étudiante et il ne se faisait plus d'idée quant à la relation qui se tissait entre les deux. Son regard glissa vers le portail. Peut-être qu'Heorick avait raison finalement ? Si le jeune homme rentrait à l'appartement, est-ce qu'il décevrait son mentor ? Est-ce que celui-ci aurait une autre solution à lui proposer ou bien il l'obligerait à y retourner ?
— Hé Seynor ! lui fit signe Galwyn, tu viens ?
Malgré la lassitude affichée par Hérénice, Seynor les rejoignit avec espoir.
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