Chapitre 8 : Kaelah
La jeune kaarane observait le soleil se lever. Le camp avait été installé la veille, alors que les derniers rayons de chaleur se retiraient déjà à l'horizon. Comme à son habitude, Kaelah ne pouvait dormir le lendemain du déplacement. Encore moins aujourd'hui, le jour où sa nouvelle vie allait commencer. Pendant des années, Jamil avait essayé de résister au monde des rêves auprès de la kaarane. Mais il avait fini par se résigner : ce rituel n'appartenait qu'à elle.
Quand Kaelah décréta qu'il faisait à présent assez clair, elle se leva et rejoignit le camp. Comme à chaque fois, elle avait l'impression de redécouvrir ces tentes qu'elle connaissait pourtant depuis sa plus tendre enfance. Pour rejoindre l'aire dédiée aux elrans, Kaelah devait traverser de bout en bout le campement. Autour d'elle certains kaarans rejoignaient leurs lits douillets après une nuit de veille. À l'inverse, d'autres quittaient l'abri de la tente, souvent la bouche béante après un bâillement. Déjà, des fumets s'élevaient par-ci par-là et les premiers levés faisaient danser les assiettes pleines.
Kaelah continuait sa marche, le regard zigzaguant entre les tentes pour observer au-delà. L'étendue verte n'avait jamais cessé de l'appeler. Même lorsqu'elle n'était pas assez grande pour voir au-dessus des brins d'herbe, même lorsque son père lui courait après, elle s'enfonçait toujours plus profondément. Là, lorsqu'elle n'entendait plus aucune voix, elle se sentait entière. Ballotée par la respiration des plaines, attentive au moindre bruit de la nature. Et elle savait qu'un jour, elle pourrait observer les vagues vertes au-dessus de leur surface.
Enfin elle atteignit la limite du camp, l'aire où se situait la zone d'entraînement des elrans. Mais aussi leurs montures. L'enclos des keerons était toujours proche du point de ralliement de leurs maîtres. Kaelah s'approcha lentement des barrières. Derrière celles-ci, les créatures les plus puissantes des plaines dormaient. Depuis qu'elle était petite, ses parents tentaient de la mettre en garde, mais rien n'y faisait.
Était-ce grâce à son tout nouveau totem qu'elle parvenait à autant s'approcher de l'un d'eux cette fois-ci ? Son audace dû franchir un niveau lorsqu'elle passa sa main de l'autre côté de la barrière. Elle voulait simplement toucher la fourrure de l'animal, sentir la force de ses muscles.
— Kaelah ! Recule ! la conjura Jamil, quelques pas derrière elle.
— Attends Jamil, je peux sentir son souffle, je n'ai jamais été aussi près ! chuchota-t-elle, son cœur battant à tout rompre entre ses côtes.
— Aussi près de perdre ta main tu veux dire ? Allez recule ! supplia-t-il en se rapprochant, d'après les bruits de pas dans le dos de la kaarane.
— Chut, tu vas le réveiller ! intima-t-elle son ami au silence.
— Tu ferais mieux d'écouter ton camarade, releva la voix plus forte d'une femme.
À ce moment, l'œil du keeron s'ouvrit. Pendant une fraction de seconde, Kaelah vit son regard surpris se refléter dans ce miroir au ton ambré. L'instant d'après, elle était tirée en arrière alors que la mâchoire claquait là où se tenait sa main. Jamil l'éloigna encore plus de l'enclos alors que l'animal rugissait toujours de rage. Kaelah craignit presque que le keeron saute par-dessus la barrière. Après tout, elles étaient plus là pour empêcher les kaarans trop curieux de s'approcher que pour retenir les bêtes. Finalement, une femme s'interposa entre la créature et les deux goelrans, ce qui apaisa la furie de l'animal.
— Là ma jolie, calme-toi, lui chuchota-t-elle en posant sa main sur la joue du keeron.
— Ça va Kaelah ? Tu n'es pas blessée ? s'inquiéta son ami qui l'aidait à se relever.
La kaarane repoussa son aide, agacée, mais Jamil ne s'en formalisa pas. Il surenchérit ensuite avec un sourire soulagé :
— Une chance que cette elrane était là, sinon j'aurais dû me chercher une nouvelle amie !
— Oh non, je dirais même que tu peux remercier les esprits, répliqua la sauveuse. De tous les keerons de l'enclos, tu as eu la chance d'avoir choisi Weome, la seule qui m'autorise à la toucher.
Jamil déglutit bruyamment, mais pas une émotion ne paraissait sur le visage de Kaelah. Elle entendait derrière elle les murmures. C'était la première journée et déjà la honte lui brûlait les entrailles. Elle avait manqué de mourir de la manière la plus stupide pour une goelrane. Pire : elle avait été sauvée par un homme.
Le pire était le regard de la elrane qui lui faisait face. Il s'agissait sûrement de leur formatrice et déjà elle la regardait avec un mélange de pitié et de mépris. Cette constatation l'enragea d'autant plus. Son ami lui effleura alors la main pour attirer son attention, et cette fois-ci c'est avec violence que la kaarane le repoussa.
— C'est bon Jamil, tu m'as sauvé, mais je ne vais pas t'épouser pour te remercier non plus ! hurla-t-elle sous les ricanements dans son dos.
Elle s'éloigna ensuite sans le regarder en direction du camp d'entraînement. Toujours renfrognée, elle croisa les bras sur sa poitrine et observa ce qui l'entourait. Deux elrans étaient déjà en train de se battre plus loin, un homme et une femme. C'était une scène assez rare pour que Kaelah le remarque. De plus, l'homme rendait coups pour coups, sans se soucier qu'il puisse se faire juger pour avoir frappé une kaarane. Soudain, celle-ci mit fin au combat, comme si depuis le début elle se retenait. Elle attrapa le poing de son adversaire qu'elle fit passer au-dessus de son épaule et, sans qu'il n'ait le temps de réagir, le kaaran était à plat ventre au sol, l'épaule prête à être démise s'il se débattait. Cependant il abandonna tout de suite sa lutte sous les éclats de rire de son adversaire.
Elle l'aida à se relever sans effort apparent, ce qui tira un sourire gêné de la part du kaaran. Elle se dirigea ensuite vers l'attroupement qui s'était déjà formé autour de Kaelah.
— Bienvenue à vous goelrans, salua-t-elle, je m'appelle Meidra, fille de Tisla, c'est moi qui vous apprendrai à envoyer chez les esprits n'importe quel ennemi qui vous fera face. Vous avez déjà rencontré ma sœur, Meowan, c'est elle qui vous enseignera comment respirer l'air de nos Plaines. Mais seulement une fois que je vous estimerai prêt.
Sa sœur était restée près de l'enclos jusqu'à ce qu'elle entende son nom, elle avait ensuite sauté d'un bond souple sur son keeron. L'animal bondit hors de l'enclos sans effort et ils rejoignirent un autre groupe d'elrans qui quittaient le camp.
— Sachez que je me pose moi-même la question de qui est la plus sauvage entre ma sœur et Weome, ne le prenez pas personnellement, ajouta-t-elle avec un regard appuyé sur Kaelah.
La kaarane hocha la tête sans oser maintenir cet échange. Elle annonça ensuite qu'elle souhaitait dans un premier temps voir de quoi était fait chaque goelran avant qu'elle ne les guide. Elle les invita alors à se choisir un adversaire et faire tout leur possible pour le mettre à terre.
Sans avoir à le regarder, Kaelah avait conscience que Jamil n'attendait qu'un signe de sa part pour être son adversaire. Mais elle était toujours agacée de sa réaction. Ainsi que celle de son père. Pour être acceptée en tant que guerrière, elle devait montrer à son peuple qu'elle ne dépendait pas des hommes. Elle se dirigea alors vers une goelrane pour lui proposer de lui faire face. Cette dernière semblait avoir été modelée à l'image des meorines, mais après tout ce n'était qu'une lutte amicale. La goelrane la détailla des pieds à la tête avant d'esquisser un sourire. Kaelah ne savait pas quoi en penser, mais elle suivit son adversaire quand elle s'éloigna pour qu'elles aient de la place.
Elle plaça ses mains comme elle avait cru voir Meidra faire. La goelrane balança son poing dès qu'elle fut en position et elle ne dut son intégrité physique qu'à un réflexe qui la fit tomber en arrière. Kaelah jeta un regard mauvais à son adversaire qui lui tendit la main avec le même sourire. La kaarane comprit alors ce qu'il signifiait : la meorine voulait l'écraser comme un parasite ! Elle écarta sa main pour se relever seule. Elle levait ses mains pour se mettre en garde, mais cette fois-ci le coup vint sans qu'elle ne soit prête. Elle se baissa juste à temps et roula derrière son adversaire. Quand elle se rendit compte de ce qu'elle venait de faire, un rire sortit de sa gorge. Sa joie fut de courte durée quand la goelrane se tourna vers elle, apparemment furieuse. Kaelah balaya l'air de sa jambe, et ce fut comme frapper dans un rocher. Son adversaire l'attrapa pour l'envoyer au sol. Pendant un instant, elle peina à reprendre son souffle, mais très vite elle se sentit soulevée à nouveau.
— Ça suffit ! hurla une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.
— Viens-tu vraiment de donner un ordre à une femme ? s'étonna la goelrane qui lâcha Kaelah.
Elle s'écroula au sol pour voir Jamil s'interposer entre les deux adversaires.
— Meidra, fille de Tisla, n'a demandé qu'à voir ce dont nous sommes capables, je pense que tu en as bien assez montré.
— Au contraire je viens de m'échauffer, maintenant laisse-nous régler nos histoires entre femmes.
Voyant qu'il ne bougeait pas, elle balança son poing vers lui, mais il le para sans difficulté. Elle tira sa main en arrière, mais il ne relâcha pas sa prise. Kaelah remarqua alors l'attroupement autour d'eux, ainsi que le regard outragé qu'avait la majorité.
— Jamil, lâche-la, je pense qu'elle a compris.
Les yeux du garçon croisèrent les siens et un sourire éclaira ses traits avant qu'il ne laisse tomber sa main. Meidra écarta alors les goelrans et analysa la scène qui lui faisait face. Elle ouvrait la bouche, les sourcils froncés en direction du seul kaaran impliqué. Au même moment, Kaelah se posta entre elle et Jamil, les bras croisés sur sa poitrine. Aucun mot ne fut échangé, mais la kaarane crispa la mâchoire, peut-être déçue de cette réaction. Elle ordonna alors aux combats de reprendre.
Kaelah resta avec son ami cette fois-ci.
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