Chapitre 7 : Garron
La piste était de plus en plus fraîche, l'instinct ne pouvait se tromper. Le chasseur savait qu'il se rapprochait de sa proie. À chaque foulée, ses griffes pénétraient le sol, les proies se sauvaient. Il n'avait pas pour habitude de chasser seul, sa famille le suivait. Mais ce soir, il avait une mission que seul lui pouvait accomplir. L'higwolg d'un blanc immaculé s'arrêta net : il faisait face à la clairière où la piste s'achevait. Ses oreilles dressées au sommet de sa tête, il perçut les bruits de voix qui s’y élevaient. Leurs rires étaient tonitruants pour l’alpha, mais leur simple souffle, même le battement de leurs cœurs, étaient audibles par les deux pointes au-dessus de son museau. Ils ne feraient donc aucun effort pour être discrets ? Pour que leurs semblables oublient à quel point ils leur étaient différents ? Au fond de lui, le cœur de Garron se gonflait de fierté. Mais il devait rappeler le sien à l'ordre.
Dans la clairière, deux proies. Il allait se concentrer sur la plus grande en priorité. Ils se déplaçaient tous deux sur deux pattes, contrairement au chasseur, ce serait leur perte. L'un des deux dépassait l'autre d’une tête, ses cheveux se terminaient par une crinière de poils bruns. Cette même fourrure recouvrait ses membres qui se terminaient par de longues griffes courbes, loin d'être assez affûtées selon le chasseur. Mais, il devait reconnaître que les crocs aiguisés qui dépassaient des mâchoires de cette proie, forçaient le respect.
La seconde proie ne pouvait en dire autant. Le prédateur avait beau chercher, il ne voyait pas la moindre défense dans ce corps fluet. Malgré ses hautes oreilles, ce bipède ne paraissait même pas avoir entendu la mort approcher. Avec ses longues pattes, c'était bien le seul élément sauvage que le prédateur pouvait lui trouver. Mais avec ces dernières il avait, peut-être, une chance de se sauver.
D'après ces deux descriptions, le schéma d'attaque parvint vite à l'alpha. Tout d'abord, la première cible, la plus dangereuse, la mettre à terre, l'empêcher de se relever. Puis la seconde, elle n'aurait pas la moindre chance de fuite dans cette configuration d'attaque surprise. Le résultat ? Deux proies pour le chasseur, plusieurs repas pour sa meute. Une facilité déconcertante. Sauf si l'un des deux n'était son fils.
L'higwolg bondit en avant, un grondement sourd roulait déjà dans sa gorge. Ses quatre pattes touchaient le sol au moment où le plus grand des deux higwrens exécuta le girmalk. Un instant sur deux pattes, l'instant d'après sur quatre. Un grondement semblable quitta la gorge de celui qui était la proie il y a peu de temps encore, un prédateur à présent. Presque aussi grand que son père, sa fourrure auburn hérissée, ses crocs dénudés, Krimson, son fils, comblait de fierté son père. Et pourtant, c'est avec une voix réprobatrice qu'il ordonna :
— Tu t'es assez amusé, nous rentrons.
Garron avait à peine remarqué que l'higierv, l'ami de son fils, avait lui aussi changé de forme. De la forme bipède d’armal, il était à présent en armak, soit encore plus petit, plus insignifiant. À peine de quoi servir de dessert pour un higwolg. La fourrure avait recouvert son corps tout tremblant qu'il essayait de cacher derrière les pattes de Krimson. Le grondement roula à nouveau dans la gorge du chef de meute. Son fils était le meilleur prétendant au titre de chef de meute de sa fratrie. Pourtant Garron ne pouvait s'empêcher de voir cette amitié comme une faiblesse. Il pouvait entendre les petits battements de cœur du plus petit higwren à l'autre bout de la clairière. Le bout de son nez tremblotant, le regard alerte. Était-ce possible de tuer avec un grondement ?
— Papa ! jappa son fils avec un claquement de mâchoire.
Il n'eut pas besoin d'en rajouter plus, sa posture était parfaite : le buste gonflé, les crocs découverts, ses pattes contractées, prêtes à la détente. Garron se redressa et son attention relâcha l'higierv. Il n'ajouta rien de plus et attendit patiemment.
— Mikreko je pense que tu devrais rentrer chez toi, souviens-toi de rester en armak jusqu'aux abords du Garhul.
Son ami hocha vivement la tête avant de disparaître entre les herbes d'un bond. Garron attendit de ne plus entendre les bruissements de petites pattes, d'être sûr qu'il maîtrisait son instinct et qu'il ne prendrait pas en chasse le meilleur ami de son fils, avant de reprendre la parole.
— Tu as raté la chasse.
La forme de Krimson trembla et le bipède était de retour. Il prit le temps de se relever puis soupira :
— Bah ça leur donnera de quoi me tourner autour.
— Pourquoi être redevenu un armal ? s'agaça son père, nous rentrons et comme tu l'as dit tu n'as pas besoin de cette forme pour attirer l'attention.
Son fils répondit sans le regarder :
— De cette manière, c'est moi qui pense et réfléchit, pas l'animal qui ne ne sent, voit et entend que ce qu'il veut manger.
Le grondement roula à nouveau dans la gorge de Garron qui répliqua :
— Est-ce tout le bien que tu retiens de ton héritage ? Que l'armak est inférieur à l'armal ?
— Dans certains domaines ? Évidemment papa, ne se démonta pas Krimson, est-ce que si l'un de mes frères ou sœurs passent par là en armak il serait capable de ne faire qu'une bouchée de mon mollet ? Bien sûr, mais l'armal est supérieure à l'armak parce qu'il sait ce qu'est un mollet et comment se soigner. Voire même, il connaît les mots justes par cœur et pourra éviter le combat dans lequel un armak se jetterait. Même de sa propre famille.
Les mots manquèrent à Garron, surtout lorsque son fils sous-entendait que ses frères et sœurs pourraient le blesser. Surtout lorsque leur père a conscience qu’ils en seraient parfaitement capables. Il décida de passer outre ce sentiment pour préciser :
— Un bon alpha doit maîtriser les deux formes, avoir le contrôle de son armak, mais savoir quand son armal est utile. Je sais qu'il l'est, même si notre meute a tendance à l'oublier.
— Tu sais bien que je deviendrai pas l'alpha, mon cher grand frère ne ferait qu'une bouchée de moi sinon, souleva Krimson d'un air sombre.
L'image de son aîné envahit l'esprit de Garron. Son armak avait la fourrure de leur mère, un brun épais. Contrairement à Krimson, il était tout en muscle et dépasserait bientôt son père. La fierté de leur oncle Rerkron, le frère de l'alpha. Il ne tenait pas le même discours, loin de là. Ils prirent le chemin inverse qu'avait couru Garron. Ils étaient cependant bien plus lents du fait de la forme de Krimson, était-ce intentionnel ? Son père pouvait comprendre son manque d'impatience de retrouver leur famille. Il voyait quand son fils disparaissait au Garhul, qu'il donnait rendez-vous à l'higierv, il ne se pensait pas à sa place auprès de leur meute. Mais, pour les projets de Garron, il fallait que cela change.
Soudain des bruissements signalèrent l'arrivée d'un autre groupe. Garron percevait leurs odeurs depuis un moment mais il ne s'attendait pas à ce qu'ils les rejoignent aussi vite. Le premier higwolg qui se posta sur leur route avait la fourrure grise, bien que haut sur pattes, il ne transparaissait pas la puissance. Du sang gouttait encore de ses babines. Il s’installa sur son postérieur et gratta derrière son oreille encore intacte à l’aide de l’une de ses pattes arrière.
— Tu as retrouvé ton louveteau Garron ? grimaça Rerkron qui était rejoint par d'autres higwolgs.
La fratrie de Krimson suivait leur oncle partout. Garron avait conscience que c'était loin d'être de bonne augure, mais il manquait de pattes pour veiller sur toute sa portée.
— J'imagine qu'il devait encore traîner avec le bout de viande qui lui sert d'ami, ricana Rermon, il a encore son odeur de proie coller à sa peau lisse.
Sa forme d'armak était bien plus imposante que celle de son oncle. Mais ça n'empêcha pas Krimson de répliquer :
— Je te rappelle que ce bout de viande que tu traites de proie est plus proche de toi et moi que ce que vous avez dévoré ce matin.
Les rires cessèrent immédiatement. À nouveau les yeux de Garron trouvèrent ceux de son frère. Il savait qu'il ne ferait rien pour l'aider si ses enfants se jetaient les uns sur les autres. Peut-être même était-ce ce qu'il attendait.
— Insulte-nous encore une fois petit frère et… commença Rermon qui fut coupé par Krimson.
— Vous insultez ? Vous le sauriez si vous mettiez les pattes au Garhul pour apprendre notre histoire.
L'higwolg brun se jeta tout crocs dehors sur son frère quand Garron s'interposa pour le propulser au sol. Derrière lui, il sentait la chaleur dégagée par la forme d'armak de son plus jeune fils.
— Ça suffit, gronda l'alpha qui claqua la mâchoire pour faire bonne mesure.
— Allez les enfants arrêtons de tourner autour du chouchou de votre père ça le rend nerveux, sa moqua une dernière fois Rerkron qui s'éloigna avec les autres higwolgs à sa suite.
Rermon fut le dernier à les rejoindre. Après s'être relevé, son regard alterna entre son frère et son père. Mais Garron ne perçut aucune émotion. Il voulut frotter son museau pour rétablir le lien de meute, mais le grand higwolg dévoila ses crocs avant de disparaître dans la forêt.
L'alpha soupira et s'assit à côté de son fils.
— Je pensais que ton armal savait contrôler sa langue.
— Désolé papa.
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