Chapitre 6 : Kaelah
Kaelah ouvrit les yeux alors que de la lumière entrait dans la tente. Le soleil était en train de se lever, mais ce n’était pas lui qui l’avait réveillée. Des chuchotements lui parvenaient derrière le pan de tente qui sert de séparation entre sa chambre et celle de ses parents. Très vite, les bruits de coups se firent entendre, mais Kaelah fit comme tous les jours, elle ignora la situation. Soudain une ombre passa devant la lumière et quitta la tente.
La jeune kaarane observa les griffes de la serre juste à côté d’elle. Elle en caressa les pointes puis soupira avant de se lever. Elle glissa la serre entre sa taille et son pantalon en cuir de meorine. Kaelah replia ses affaires puis s’apprêta à quitter la tente, mais jeta un regard à sa mère. Celle-ci dormait déjà profondément, un sourire aux lèvres. Les doigts de Kaelah suivirent la ligne de sa cicatrice machinalement. De son arcade gauche au milieu de la joue du même côté, la balafre traçait un arc de cercle sur son visage. Elle ne la voyait pas par elle-même, mais elle pouvait la sentir, et le regard des autres reflétait bien plus que la vérité.
À l'extérieur, certains kaarans posaient leurs affaires dans des convois, d’autres à même le dos des meorines. Son père se tenait près d’une de ses bêtes. Sa joue était encore rouge vive alors qu’il abreuvait l’animal deux fois plus grand que lui. Kaelah s’approcha et passa sa main dans la fourrure du meorine. Celui-ci meugla doucement, son œil de la taille de la tête de Kaelah tourné vers elle. Elle lui frotta les naseaux sous le regard attentif de son père.
— Méfie-toi de ses arêtes, la prévint son père qui pointa du doigt les arêtes en os sur les joues du meorine.
— Et toi, méfie-toi de la mauvaise humeur d’une kaarane, souffla Kaelah qui continuait de frotter le meorine.
Le père de Kaelah fit comme s’il n’avait pas entendu et tourna autour de l’animal pour s’assurer qu’il n’était pas blessé. Suite à ses vérifications, il sangla le meorine et demanda à Kaelah :
— Alors, tu te sens prête à protéger le clan ?
Les yeux brillants, Kaelah hocha la tête, ce qui fit sourire son père.
— Je ne sais même plus quel âge tu avais quand tu as décidé que tu deviendrais elrane. Je te revois juste courir et grimper sur le dos d’un meorine pour prouver que tu n’avais peur de rien.
— Et ensuite je suis tombée et le troupeau a failli m’aplatir, je sais papa.
Son père eut un éclat de rire avant de grimacer de douleur en frottant ses côtes. Kaelah s’inquiéta, mais son père reprit une expression normale.
— Tu sais pour qui je crains le pire ? Ton ami Jamil, je ne l’imagine pas du tout devenir elran, avoua le kaaran d’un air amusé.
— Je sais bien, j’ai essayé de le dissuader, si seulement il pouvait m’écouter… grommela Kaelah renfrogné, il n’y a pas de doute, c’est moi qui vais devoir veiller à ce qu’il ne se fasse pas éventrer par un keeron.
— Oui, ce serait dommage qu’il ne tienne pas jusqu’à vos vingt-cinq ans, ricana son père.
Le visage de Kaelah perdit, lui, toute trace de gaieté. Son père haussa les épaules et ajouta :
— Tu connais la loi ma fille, à vingt-cinq ans tu deviendras adulte, à ce moment-là tu pourras te réjouir d’être complice avec Jamil.
— Je pense que tu as du travail avec tes meorines papa, on se voit ce soir, maugréa Kaelah.
Quand elle s’éloigna, elle vit les elkas monter dans leur convoi. Kaelah courut pour apercevoir Leastri et un sourire s’épanouit sur son visage quand elle reconnut ses grands yeux verts. Cependant celle-ci parut ne pas la voir. Elle monta dans le convoi déjà harnaché à un meorine. Encore abasourdie par la réaction de son amie, Kaelah ne se rendit pas tout de suite compte de la présence de Jamil à ses côtés.
— À quoi tu t’attendais ? C’est une goelka maintenant, elle voyage avec les elkas, souligna-t-il avec logique.
La kaarane lui lança un regard noir, mais son ami ne le remarqua pas. Pendant un moment, aucun des deux kaarans ne souffla un mot. Autour d’eux les tentes étaient repliées. Les meorines étaient attachés, plus pour les guider que pour les empêcher de fuir : avec leurs masses, personne ne pourrait les retenir. Certains elpokarans montaient sur des charrettes avec les enfants, d’autres se préparaient pour faire le trajet à pied.
Jamil secoua Kaelah par l’épaule et lui proposa :
— On voyage ensemble ? tandis qu’il désignait la périphérie du convoi.
Un sourire railleur se dessina sur les lèvres de la kaarane qui défia son ami :
— Toi, t’éloigner du convoi ? Ce serait surprenant !
Il plissa les yeux, ne laissant qu’une fine ligne verte comme la mousse apparaître entre ses paupières. Tout semblait indiquer qu’il analysait la situation. Enfin, Kaelah soupira avant de secouer la tête, les yeux levés au ciel. Son ami ne changera jamais. Il pouvait prendre des risques, mais pas sans la certitude que Kaelah le suivrait.
Elle s’élança alors hors du convoi, ses pas frappaient le sol aussi vite qu’elle le pouvait et, tout de suite après, un autre rythme s’emboîta au sien. La foulée était plus lente que la sienne, alors elle ralentit imperceptiblement. Soudain, un meorine surgit de nulle part, trop rapide pour ralentir, elle roula sous l’animal et se releva dans le même mouvement. Elle rit d’une joie sauvage avant de reprendre sa course. Derrière elle, elle n’entendait plus la voix de Jamil qui lui demandait de l’attendre, de ralentir avant de se blesser. À nouveau, la cadence de ses pas accéléra et elle devait souvent esquiver les kaarans sur son chemin. Certains la mettaient en garde d’une voix dure, mais eux aussi elle ne les entendait plus.
Finalement elle arrêta de croiser quiconque. Une étendue d’herbe lui fit alors face. Elle ne voulait pas s’arrêter, c’est une gueule pleine de crocs dont sortait un rugissement qui la stoppa net. Dans une glissade incontrôlée, elle acheva sa course sur son postérieur, juste sous la gueule de l’animal.
— Où crois-tu aller comme ça ? l’interrogea une voix féminine au-dessus du keeron.
Kaelah se releva aussi vite que possible, rouge de honte, mais surtout agacée d’avoir été interrompue. Elle s’apprêtait d’ailleurs à répliquer à l’elrane de se mêler de ce qui la regardait, si Jamil n’était pas apparu à ce moment. Il tenta de reprendre son souffle et s’excusa face à la guerrière :
— Pardonnez mon… Amie, elrane. Nous n’avions pas l’intention de quitter le clan.
— J’espère bien pour vous deux, vous n’auriez pas le temps de crier à l’aide que les Plaines Vivantes vous auraient déjà dévorés.
L’elrane s’éloigna ensuite, suivi du regard par Kaelah qui se retenait de lui tirer la langue.
— Comme si on avait besoin d’elle… Un jour on pourra parcourir toutes les Plaines, rien que nous deux, n’est-ce pas Jam ?
Le kaaran retrouva immédiatement son souffle et, le regard brillant, il hocha la tête à se la décrocher du cou. Cependant il revint vite à la raison, et, avec un sourire crispé, interrogea son amie :
— Sauf que pour le moment nous ne sommes que deux goelrans, donc on va rester près du convoi, d’accord Kael ?
Celle-ci jeta un dernier regard à l’étendue de liberté qui s’ouvrait face à elle. Finalement, après avoir frôlé sa cicatrice du bout des doigts, elle marcha en périphérie du convoi, Jamil à ses côtés.
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