Chapitre 36 : Krimson

Krimson était inlassable. Dans l'attente du retour de son père, et pour être certain qu'il pourrait le prévenir du duel avant son oncle, il parcourait les abords du territoire de la meute en direction du Garhul. Il revenait ensuite jusqu'à la meute pour s'assurer que Rerkron ne manigançait rien de louche. Il espérait bientôt apercevoir son père, ses pattes se faisaient lourdes, et à plusieurs reprises il avait esquivé un arbre au dernier moment. Alors qu'il était aux frontières de leur territoire, il perçut une odeur. Le jeune higwolg se stoppa net, quelque chose n'allait pas. Il n'entendait pas le galop habituel de son père, au contraire il avait l'impression d'entendre la forêt craquer au moindre de ses pas. Tout comme il semblait peiner à le rejoindre. Un couinement lui échappa, il avait un si mauvais pressentiment...

— Krimson, c'est toi ? J'ai l'impression d'être sourd et aveugle sous cette forme !

Un nouveau bruissement suivit d'insulte retenti lorsque Garron éclata :

— Et estropié en plus !

Pourquoi son père avait fait tout le chemin sous sa forme d'armal ? C'était à cause de ce choix qu'il avait mis autant de temps ? Un frisson lui secoua l'échine quand il songea au duel, Rerkron allait le massacrer. Il devait cacher son père. Mais à peine songea-t-il à cette solution qu'il perçut une présence derrière lui. Le temps de se retourner, il ne vit qu'un morceau de fourrure disparaître entre les branches. Un borborygme grossier lui échappa, son oncle avait donc des espions qui devaient patrouiller le territoire. Ou pire : il était suivi depuis le début et la fatigue l'avait abruti.

— Ah c'était bien toi Krimson ! Pourquoi tu ne réponds pas ? Et depuis quand restes-tu en armak ?

La panique gagnait le jeune higwolg. Son père n'avait aucune chance sous cette forme.

— Papa il faut que tu girmalk, si Rerkron te voit sous cette forme... commença-t-il avant qu'un long couinement ne termine sa phrase.

L'expression de Garron se figea. Son corps trembla mais il resta sur ses deux jambes, comme en lutte envers lui-même.

— Pourquoi mon fils, que se passe-t-il ?

Mais déjà Krimson pouvait entendre le raffût derrière lui : la meute arriverait d'ici peu. D'un bond il se positionna devant son père, le poil hérissé, prêt à vendre chèrement sa peau. Il ferait gagner autant de temps que possible à son alpha.

— Retourne au Garhul papa, court aussi vite que tu peux, je vais essayer de les retenir autant de temps que possible.

Son père lui attrapa l'oreille et, avec une force insoupçonnée sous cette forme, il l'amena à sa hauteur.

— Maintenant tu vas me raconter ce qui te met dans cet état mon fils.

À nouveau les membres de Garron frissonnaient. Tout son corps luttait contre le girmalk. Son regard était à l'affût, si il avait été sous sa forme d'armak ses oreilles auraient probablement scanné les alentours. Mais il restait statique, sur ses deux jambes.

— Rerkron voulait prendre le contrôle de la meute en ton absence. La seule chose que j'ai pu faire pour l'en empêcher était de blesser son égo. Je lui ai donc dit qu'il agissait dans l'ombre pour ne pas perdre un combat d'alpha contre toi. Mais tu n'as aucune chance sous cette forme papa, il faut que tu puisses girmalk ou bien que tu fuis !

Garron relâcha l'oreille de son fils. Krimson pouvait voir les rouages derrière ses yeux chercher une solution. Enfin, son regard se tourna vers la direction d'où provenait le galop des siens. Des aboiements surexcités et des grognements pouvaient être perçus, même avec ses oreilles d'armal. Un soupir lui échappa lorsqu'un air résolu se peignit sur ses traits. Krimson glissa sa truffe contre la joue recouverte de poil blanc de son père. Comment en étaient-ils arrivés là ?

— C'est à toi de fuir mon fils, aucune de tes solutions ne pourra convenir.

— Non ! couina Krimson dont le cœur s'était contracté douloureusement.

Mais ils n'eurent plus le loisir d'en débattre, les premiers higwolgs de la meute les avaient rejoint.

Ils les entourèrent ce qui coupa aux deux toute échappatoire. Krimson s'agaça de voir le comportement de certains des siens. Il savait la meute divisée, mais pas au point de voir les crocs se dénuder à la vue de leur alpha sous cette forme. Pour les autres, ils n'osaient pas l'approcher, ils le reniflaient à distance. Pressentaient-ils déjà que le vent tournait ? La plupart évitait même de croiser le regard de Krimson, c'était fini, il n'aurait plus leur soutien. Un grondement lui échappa alors. Il aurait donné corps et âme pour les siens, pour les mener à la raison. Mais il ne se battrait pas pour une bande de lâches. Son poil se hérissait, la tension montait, quand son père lui tira à nouveau l'oreille.

— Calme-toi Krimson, ne laisse pas l'armak brouiller ton jugement.

— L'armak de Krimson ? Ça fait bien longtemps que vous l'avez assassiné père, se moqua ouvertement Rermon qui avait lui aussi rejoint la clairière. Et regardez-vous à présent, vous êtes parti en alpha et vous revenez en proie.

— L'armal des higwrens n'est pas une proie mon fils, au Garhul j'ai vu des higwolgs sous cette forme que tu juges faible alors qu'ils ne feraient qu'une bouchée de toi.

— Comment oses-tu ? enragea son fils qui s'apprêtait à lui sauter à la gorge.

Krimson, qui avait vu l'évènement arriver, se préparait à l'intercepter mais son oncle rejoignit la meute sur ces entrefaits.

— Il suffit Rermon, je t'interdis de me voler mon combat, si on peut appeler ça ainsi, ricana Rerkron qui scrutait déjà sa cible, il ne cachait même plus la haine dans ses pupilles. Tu sais que cette forme n'empêchera pas le combat que ton chouchou m'a promis mon frère.

Le sang de Krimson ne fit qu'un tour à cette annonce. Il avait naïvement imaginé que son oncle ne relèverait pas un combat si peu honorable. Mais la réalité s'était chargée de lui remémorer ce fait : son oncle était perfide. Il s'interrogeait même de savoir depuis combien de temps rêvait-il de mettre à mort son frère. Il voulut s'interposer mais, à nouveau, son père lui barra la route.

— Loin de là Rerkron. Krimson, écarte-toi, ordonna Garron d'un mouvement de tête.

Son fils comprit. Le plan restait inchangé. L'ultime consigne de son père serait qu'il rejoigne le Garhul. La bile lui monta à la gorge, mais il recula. il se dissimula au sein de la meute.

Dans celle-ci, les fourrures étaient hérissées. Les grondements et hurlements amorçaient le rythme lent des chants rituels. Car c'est ce que c'était, le combat des alphas, ainsi la meute participait, comme un seul corps. Les higwolgs encadraient la scène dans une ronde hypnotique pour ceux se tenant au centre. Krimson suivait le mouvement, prêt à profiter du moindre moment d'action pour détaler. Mais il sentait le regard brûlant de Rermon le suivre de près.

— Dis-moi mon frère, maintenant que tu as ce que tu as toujours voulu, pourquoi ?

À la seule idée de mettre en pièce son propre sang, Rerkron se léchait les babines quand il répliqua :

— Tu l'ignores ? Après toutes ces années ? Tu as été un lâche, tu l'as abandonné comme tu comptes abandonner chacun des tiens pour vivre à genoux. Je n'ai pas oublié, et je préfère mourir avec le goût des proies sur mes crocs que de suivre un alpha trop lâche un instant de plus.

— Merci pour ton honnêteté mon frère, à la fin.

Garron se tenait toujours immobile. Calme et déterminé. Krimson était désespéré de fuir avant de voir la scène. Il était à la fois fier et déçu. Lorsqu'il avait provoqué son oncle, jamais il n'aurait imaginé cette issue.

Enfin, ce dernier se jeta en avant dans un mouvement qui paraissait presque flou tant il avait été rapide. Mais Garron parvint à l'esquiver miraculeusement et se permit même d'envoyer son coude dans le museau de l'higwolg gris. La meute était en effervescence maintenant que le combat avait commencé. Rerkron semblait sonné, il ne devait pas s'attendre à avoir une résistance, aussi futile soit elle. Cette fois-ci il se cabra de toute sa hauteur. Son ombre recouvrait Garron dont le visage marqua la surprise puis la crainte. Les pattes de l'higwolg s'écrasèrent alors sur ses épaules où elles le clouèrent au sol. Dans un dernier espoir, l'alpha essaya de retenir l'être bestial par la commissure de la gueule, ses doigts frôlant ses crocs à chaque poussée de celui-ci.

— Mes frères et sœurs, c'est notre père, n'allez-vous rien faire ? hurla Krimson qui avait quitté la ronde de fourrure.

Personne ne l'écouta... À l'exception de Rermon qui fixait la scène sans ciller. D'une voix froide, les intonations atténuées par son intérêt, il affirma :

— Ce n'est plus le mien depuis longtemps petit frère.

Le regard perdu du jeune higwolg chercha celui de son père. Il n'arrivait pas à se résoudre à ce qu'il lui demandait. Garron lui aussi était tourné vers lui. La distance diminuait drastiquement entre les crocs tranchants et sa gorge. Alors son fils comprit qu'il ne restait plus rien auquel se raccrocher. Il écarta sans ménagement les higwolgs sur son chemin et détala droit en direction du Garhul.

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