Chapitre 34 : Garron

Garron avait oublié l'allure qu'avait son armal. Il se demandait à quoi sa meute pouvait ressembler sous cette forme. Dans son cas, il avait l'air usé. Une barbe blanche lui dévorait la moitié du visage. La fatigue tirait les traits de sa peau sombre. Voilà ce que gagnait un higwolg à diriger sa meute seul. Il soupira en se détournant du miroir. Lorsque Garron était arrivé il y a quelques jours au Garhul, le prince blessé sur son dos, il s'attendait à être immédiatement jeté dans une cellule. Cependant la garde lui avait laissé le bénéfice du doute... jusqu'au procès. Depuis, il était logé dans une des chambres du Garhul, l'arbre-roi. Mais il ne se faisait pas d'illusion. Il n'était jamais vraiment seul hors de cette pièce, raison pour laquelle il avait choisi de ne pas la quitter.

Il faisait partie d'une meute simple, ils vivaient dans les bois, dormaient à même le sol. Le Garhul et les alentours le mettaient mal à l'aise. Ici, les higwrens vivaient souvent avec un toit au-dessus de la tête. Le siège même des higbergs était dans le plus grand arbre de la forêt. Il avait été façonné par les Karelnarks, cela pouvait se sentir dans l'écorce, les restes de leur magie. En son sein, des milliers de pièces étaient réparties dans les étages d'un escalier en colimaçon. Garron percevait la fragrance de tant d'higwrens. La garde higwolgs qui vivait dans les étages inférieurs. La famille royale des higbergs dont les appartements avaient vu sur la cime des arbres, juste sous le ciel. Tous les higwrens à leur service, les higiervs, et higurs domestiques ou cuisiniers. Mais l'odeur, et même le bruit, qu'il redoutait tant se situait entre les racines du Garhul. Il l'avait perçu dès son arrivée : la prison. Là où celle qui aurait dû diriger la meute à ses côtés se trouvait.

Il avait toujours refusé de parler de cette nuit à ses enfants. Surtout à Krimson, il était si fier qu'il ait grandi si différemment de sa fratrie. Et il était le seul à ne pratiquement pas avoir connu leur mère. Garron ne voulait pas en tirer de conclusions, et pourtant. Un grommellement s'échappa des lèvres de son armal comme il l'aurait fait en armak. Ses quatre pattes lui manquaient déjà, il n'était définitivement pas à sa place dans le luxe d'un lieu clos. Des pas dans le couloir le tirèrent de ses pensées. Un higierv d'après sa démarche sautillante. Garron désespéra de ne pouvoir en savoir plus sous sa forme d'armal.

Finalement les petits bonds s'arrêtèrent devant sa porte. Le silence les remplacèrent, puis un soupir. L'higwolg s'approcha de la porte discrètement et colla son oreille au bois. Il entendit alors le battement frénétique du tout petit cœur juste derrière. Que pouvait-il se dire sur son compte pour faire aussi peur ? Il n'avait pas quitté ses quartiers depuis qu'il y était entré. Les rumeurs, quelle réputation lui donnaient-elles ? Dès qu'il n'en put plus d'attendre que la pauvre créature se décide à frapper, Garron ouvrit la porte à l'en décrocher du cadre.

— Que veut-on au grand méchant higwolg ? gronda-t-il manquant de faire s'écrouler de peur l'higierv.

Celui-ci parvint à se remettre lorsqu'il balbutia :

— Le procès, dans la salle du trône, êtes attendu.

Puis il galopa jusqu'à disparaître au bout du couloir.

Le souffle s'était bloqué dans la gorge de Garron. Peut-être qu'il ne quitterait pas l'arbre-roi. Si la famille royale le jugeait coupable, il ne reverrait plus ses enfants. Qu'adviendra-t-il de sa meute si elle passait sous l'emprise de son frère ? Krimson ne laisserait jamais cette situation se produire, mais à quel prix ? Non, il devait convaincre les jurés qu'il s'agissait d'un accident. Pour cela il fallait espérer que le prince qui avait été blessé n'ait pas pu donner sa version des faits... Son flot de pensées et de craintes lui brouillèrent tant la vue qu'il s'étonna de se retrouver devant la salle du trône. Il avait grimpé les étages du Garhul tel un automate suivant son destin.

Deux higwolgs se tenaient devant la grande porte. Sous leur forme d'armal, et pourtant Garron sentait l'aura de l'armak à peine dissimulé. Ils étaient en parfaite maîtrise, loin de la mentalité de sa meute. Son nez l'irritait, il n'aimait pas leur odeur, ça lui rappelait sa famille tout en étant tellement différent. Eux aussi l'analysaient sous toutes les coutures. Le jugeaient-ils déjà pour son mode de vie ? Ils échangèrent un regard puis le plus jeune frappa à la porte avant de l'ouvrir pour Garron. Aucun des deux ne lui fit de signe d'encouragement. L'alpha ne s'était jamais senti aussi seul que lorsqu'il pénétra dans la pièce. Comme il se l'imaginait, de grandes ouvertures laissaient apercevoir la forêt en contrebas. Il n'arrivait pas à se rendre compte d'à quel point il était haut, lui qui avait tant l'habitude de sentir la terre sous ses griffes.

Les chuchotements ne cessèrent pourtant pas, emplissant la salle d'un brouhaha tel le vent dans la forêt. Les nombreux regards le suivirent s'avancer sur le tapis molletonné jusqu'au trône. C'est sur celui-ci que se tenait le Garhill, un higberg dont les bois encadraient la tête. Là où certains les avaient décoré de plantes ou bien les avaient bariolés de couleurs, le roi les avait laissés au naturel, bruts. Une barbe taillée finalisait son portrait. Là où Garron s'était trouvé un air fatigué de diriger sa meute seul, il se surprenait à trouver chez son roi une force qu'il ne connaissait pas. Il devait pourtant avoir le même âge.

— Je vous salue, je me nomme Garron, fils de Kerwon, et alpha de ma meute, s'annonça-t-il quand il comprit que personne ne l'introduirait.

Après un hochement de tête du Garhill, un higberg s'avança pour l'interpeller :

— Vous êtes présent devant nous pour mettre au clair l'accident avec notre prince, higwolg, qu'avez-vous à dire à ce sujet ?

— Comme vous le dîtes il s'agissait d'un accident, l'un des membres de ma meute ne l'avait pas vu durant l'une de nos chasses et l'a bousculé, d'où la blessure du prince.

Une voix claqua alors dans une des alcôves sur le côté de la salle :

— C'est faux !

Il avait beau se douter qu'il serait là, qu'il raconterait à tous la vérité sur ce qu'il s'était produit, Garron avait espéré ne pas entendre la voix du prince. Que des higwrens perdent l'esprit c'était arrivé. Tous le savaient. Mais qu'un alpha perde le contrôle de sa meute, l'évènement le couvrait de honte.

Il se tourna vers le jeune higberg qui se releva maladroitement à l'aide d'une canne droite. Certains lui proposèrent leur aide qu'il déclina d'un vague geste de la main. Il rejoignit Garron au centre de la pièce, la neutralité de son expression le pétrifiait.

— Je comprends que vous souhaitiez protéger votre famille, mais certains sont une menace pour l'avenir de notre peuple, et vous le savez.

Garron n'osait plus croiser le regard de quiconque. Il écouta le prince raconter à tous la vérité, que, par ennui, il était parti se promener dans la forêt sous sa forme d'armak. Qu'il avait compris qu'une meute d'higwolgs l'avait pris en chasse jusqu'à le blesser. Le visage du roi était crispé, les murmures outragés fusaient de toute part, mais le pire était encore à venir.

— Garron et son fils me sont venus en aide, mais la décision ne fut pas approuvée par tous, Deux higwolgs, pour dissimuler la vérité, ont menacé ma vie, sans Garron, son fils et certains membres de la meute, je ne me tiendrai peut-être pas devant vous aujourd'hui, acheva-t-il son récit avant de repartir s'asseoir.

L'alpha resta seul au milieu de la pièce.

Ce n'était pas naturel pour un higwolg d'être seul. Il était assailli de cris, d'insultes, de menaces. Mais le calme du Garhill s'était propagé jusqu'à lui. Il se sentait ailleurs, dans l'attente. Soudain la voix profonde du roi interrompit la foule en colère :

— N'êtes-vous pas déjà l'higwolg dont la femme est enfermée ? Pour avoir agressé nos concitoyens déjà.

Le choc devait transparaître sur le visage de Garron, jamais il n'aurait imaginé que le Garhill se souviendrait de cet évènement. Il voulait démentir, ou du moins atténuer la vérité, mais quand il croisa le regard du prince il sut que ce n'était pas la solution.

— C'est exact Garhill. Cela fait presque quinze ans que je dirige ma meute, seul.

— Pas avec succès d'après ce que nous pouvons voir. Je pense que votre meute a oublié que ce ne sont pas des animaux mais des higwrens. Pour cela, vous et votre fils ayant blessé le prince êtes condamné à vivre sous votre forme d'armal jusqu'à la prochaine lune. J'ose espérer qu'ainsi vous montrerez l'exemple à votre famille.

Le souffle de Garron se relâcha. La sentence était bien moins grave que ce qu'il craignait. Rermon n'aimerait pas ça, mais c'était bien mieux que de finir en prison pour le reste de son existence.

— Quant à votre frère, alpha, reprit le Garhill en se levant de son trône, ses bois n'en semblèrent que plus imposants, il a ordre de se présenter au Garhul dans les plus brefs délais. Aujourd'hui il est considéré comme une menace envers notre peuple, nous jugerons alors de sa sentence.

— Il est peut-être plus prudent que je me charge de la sentence Garhill, tenta Garron qui songeait déjà à la catastrophe que serait son frère aussi proche du Garhul.

— Le procès est clos, si d'ici cinq jours votre frère ne se présente pas, j'envoie une meute du Garhul pour l'amener devant nous.

Tout le monde retourna alors à son occupation sans se soucier de Garron. Il était soufflé sur la suite des évènements. Le Garhill s'entretenait déjà avec l'higberg qui l'avait interrogé, peut-être au sujet du prochain cas. Les bras ballants, l'alpha ne savait pas comment il allait annoncer cette décision à sa meute. Toujours dans son fauteuil, dans l'alcôve, le prince l'observait. Garron voyait dans son regard sa confiance. Il était persuadé, comme tous les higwrens ici, de la justesse de la sentence. L'higwolg était-il le seul à pressentir la catastrophe ?

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