Chapitre 32 : Seynor
Seynor s'éveilla d'une nuit agitée. La veille, les éclats de voix d'Heorick et Leorn l'avaient maintenu éveillé pendant longtemps. Il était même étonné que le dragon ne soit pas venu fracasser sa porte dans la seconde où il avait fui. Le reste de son sommeil, il ne s'en souvenait que comme un marathon, un marathon dans un lieu envahi d'une brume violette. Un marathon contre des adversaires infatigables qui le pourchassaient sans relâche.
Il se leva en silence et quitta sa chambre sans un regard vers le miroir. Il pensait ne pas pouvoir sortir de l'appartement sans une confrontation avec ses mentors mais, quand il entra dans le salon, il n'y avait personne. Le dragonnien ne chercha pas plus longtemps et fila jusqu'à l'ascenseur.
Dans les rues, son esprit était obnubilé par le carnet. Il le savait en sureté avec la dragonne, mais il mourait d'envie d'en apprendre plus. Surtout après la réaction d'Heorick la veille. Il espérait plus que tout que les dernières pages pourraient lui en révéler plus sur son passé mais aussi sur ses pouvoirs.
Quand il parvint à l'académie, il repéra Galwyn en pleine discussion avec le jeune au collier. Il était étonné que les deux se connaissent, c'était pourtant Seynor que ce dragonnien observait souvent. Près d'eux, Cendrar jouait avec un Guarmar, Seynor supposa qu'il s'agissait du dragon lié au plus jeune. Il se reprit lorsqu'il songea qu'il était temps de connaître le nom du jeune au collier.
Avec un nouvel entrain, il rejoignit les deux dragonniens. Soudain, Galwyn l'aperçut et son expression changea. Le sourire joyeux disparut et un drôle de tic nerveux faisait tressauter son sourcil.
— On se voit plus tard Adrik ? proposa le grand dragonnien avec une claque sur son épaule.
Mais Seynor comprit à travers le geste et le tic. Il percevait que cette proposition n'en était pas une, il s'agissait d'un ordre, comme si Galwyn s'inquiétait. Comme s'il enjoignait à Adrik de fuir Seynor.
Le regard cristallin du jeune dragonnien se tourna vers ce dernier. D'un sourire jovial, il composa un air neutre. Sa main tremblait légèrement et, quand Seynor le remarqua, Adrik s'empressa d'attraper son collier. Le Guarmar l'observait avec attention. Il ne semblait pas agressif, plutôt curieux. Il se tourna soudain vers son lié avant de disparaître dans son portail. Quant à Adrik, il s'éloigna finalement sans demander son reste.
La colère envahit immédiatement Seynor : de quel droit Galwyn se permettait d'éloigner les autres ? Surtout avec ce halo si vertueux.
— Pourquoi tu as fait ça ? l'interrogea-t-il sans même le saluer.
Un grondement s'éleva du poitrail imposant de Cendrar mais son dragonnien lui fit un signe de tête qui l'apaisa. Galwyn croisa ses bras massifs sur son torse et répliqua d'un ton grave :
— De quoi tu parles, Seynor ?
— Cet Adrik, pourquoi tu lui as dit de partir quand j'arrivais ? l'attaqua-t-il sans passer par quatre chemins.
La colère faillit déchirer le masque du dragonnien mais il prit une inspiration quand il répondit :
— Qu'est-ce qui te fait croire que je lui ai demandé de partir parce que tu venais ?
— Ne joue pas à ça avec moi ! Je te connais, tu l'as éloigné dès que tu m'as vu ! hurla presque Seynor à présent.
Galwyn prit soudain conscience que tout le monde les observait. Le plus jeune s'approchait de plus en plus, un doigt accusateur planté dans le torse de son ami. Le Faeldrmar grogna à nouveau et cette fois-ci, son lié ne le calma pas. Il repoussa Seynor sans ménagement et explosa :
— Tu crois peut-être me connaître mais maintenant que j'y réfléchis, je ne pense pas que je te connaisse vraiment ! Après tout, comment aurais-je pu devenir ami avec un type comme toi ? Tu n'es qu'un...
Galwyn s'arrêta avant de dire le mot, mais il n'en résonna que plus fort dans le silence de la cour. Cendrar disparut dans son portail pendant qu'il se détournait, comme dégoûté de la vision de Seynor. Celui-ci tenta de pénétrer son esprit mais il s'était déjà trop éloigné.
Le dragonnien se retrouva seul, un sentiment qu'il se remettait à détester. Il avait l'impression de les entendre d'ici, les moqueries chuchotées, de voir les sourires en coin et les clins d'œil mesquins.
— Seynor ? Qu'est-ce que tu fais ici tout seul ? lui demanda une voix qui venait comme le sauver.
— Hérénice ! Je t'attendais évidemment, déclara-t-il avec un sourire qu'il espérait charmeur.
Un rire gêné lui répondit alors qu'il se mettait en route vers la salle de cours. Le dragonnien réfléchissait à toute allure, qu'est-ce qu'il allait pouvoir faire pour Galwyn ? Est-ce qu'Hérénice le suivrait s'il s'éloignait de leur ami ? Il supposa que c'était le moment ou jamais de le savoir.
Lorsqu'ils entrèrent dans la salle, Galwyn était déjà installé à une table. Seynor n'en revint pas de voir qui était assis avec lui. Merinor et Belgar se tournèrent comme une personne vers les nouveaux venus. Un rictus carnassier se peignit sur les traits du premier. Galwyn fit signe à Hérénice en lui désignant la dernière chaise de la table. Indécise, la dragonnienne se tourna vers Seynor qui crut défaillir rien qu'à cette attention. Il appuya un peu plus sur son expression déçue lorsqu'il marmonna :
— Tu peux le rejoindre si tu veux Hérénice. J'ai l'habitude d'être seul, et je sais que vous tenez beaucoup l'un à l'autre.
Malgré ces bonnes paroles, Seynor était déjà infiltré dans les pensées de la dragonnienne : il était hors de question qu'elle prenne la mauvaise décision. Cependant, sans qu'il n'ait rien à faire, elle lui prit la main et les dirigea vers une table. Quelqu'un y était déjà installé, et son regard cristallin pétilla lorsqu'il vit Seynor s'installer face à lui.
— Ça ne te dérange pas que l'on se mette ici, Adrik ? l'interrogea Hérénice.
Le jeune dragonnien secoua la tête sans les regarder. Seynor se permit un coup d'œil vers Galwyn qui semblait fulminer de rage. Le jeune dragonnien se retourna vers sa tablée en essayant de contenir un sourire satisfait.
Le cours de civilisation débuta et, à plusieurs reprises, Seynor surprit ses camarades par ses connaissances qu'il leur soufflait. La majorité du temps, Adrik resta silencieux mais pas une fois il ne porta sa main à son collier. À la fin du cours, Seynor prit son courage à deux mains et lui posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'il l'avait vu :
— Adrik, j'ai l'impression que tu as un collier sous ton gilet, je me trompe ?
Le jeune dragonnien se figea sans répondre. Il hocha simplement la tête et Seynor reprit :
— Je peux... Le voir ?
Curieusement, le regard d'Adrik se tourna vers Hérénice. Pas comme s'il cherchait du soutien, non, Seynor eut l'impression qu'il ne voulait pas qu'elle le voit. Il allait lui demander de s'éloigner quand le jeune dragonnien lui assura en retrouvant le sourire :
— Je te le montrerai une prochaine fois, Seynor.
Il s'éloigna ensuite mais le dragonnien frissonna sur ses derniers mots. Plus exactement sur sa manière de prononcer son nom. Sa voix était posée, comme s'il était fier de prononcer ce prénom. Hérénice le tira finalement de ses pensées quand ils quittèrent le bâtiment.
Elle appela Zephyr pour le cours de vol mais se tourna vers son ami avant de monter sur le dos de son dragon.
— Au fait Seynor, appelle-moi Néri si tu veux.
Son dragon sembla grommeler ce qui la fit rire. Elle monta ensuite sur son dos et, en un battement d'ailes, elle avait déjà disparu de la vision de Seynor.
Le dragonnien ne perdit pas plus de temps et prit la route vers la cachette de Démira. Il n'oubliait pas la menace qu'Heorick pouvait représenter depuis la veille : à chaque coin de mur, il vérifiait s'il n'était pas suivi. Au fond de lui, il pressentait que sa fin à Olédrek approchait. Il découvrirait tous les mystères qui entouraient sa vie, et il sentait que cela mettrait un terme à tout ce qu'il avait connu.
Lorsqu'il se faufila dans la pièce, il repéra immédiatement les fissures au plafond. Le dos de Démira poussait les pierres et bientôt la maison s'écroulerait, c'était une certitude. La seconde chose qui l'inquiéta était la corpulence de la dragonne, malgré sa taille impressionnante, sa perte de poids se voyait déjà. Ses pattes paraissaient incapables de la soulever et sa peau semblait tendue entre chaque côte.
— Arrête de me regarder comme un dragonneau perdu et viens lire ton carnet, soupira Démira sans bouger.
— Je te rappelle que tu es un dragonneau mon amie, tu n'as que quelques semaines après tout.
Elle ne prit pas la peine de répondre et Seynor décida de ne pas insister. Il attrapa le cahier et s'installa entre ses pattes. Lorsqu'il attrapa les dernières pages entre ses doigts, elles semblèrent peser plus lourd que ses dagues. Dès la première page, ses yeux commencèrent à picoter : « Procès de Lysia Kolgrun ». Un mauvais pressentiment retourna l'estomac de Seynor qui continua sa lecture.
« Pour pactisation avec les Nécromages et leur dieu Promethion ainsi que pour avoir ramené un être contre nature, le conseil condamne à l'unanimité Lysia Kolgrun à mort. En tant que crime qui va à l'encontre des lois de Zadregon, la jugée sera exécutée à travers les éléments. Que le maudit dieu dragon du royaume des morts ait pitié de sa servante.»
Seynor peinait à respirer. Il savait qu'Heorick faisait partie de ce conseil, il avait donc voté pour la mise à mort. Toutes ces années, Seynor avait vécu avec celui qui avait tué sa mère. Pire, il avait osé lui faire croire qu'il tenait à lui. Ses poings se serraient sur les pages, tout son corps était crispé. Dans son champ de vision, il apercevait la queue de Démira battre l'air. Il la rejoignit à travers le lien, aucun mot ne lui échappa. Il n'avait aucun mot pour partager sa peine, sa souffrance, sa rage, meurtrière. Un grondement d'assentiment lui vint de la dragonne et, pendant un instant, il eut l'impression de partager avec elle le goût du sang.
— Je vais le tuer, Démira. Je te le jure, il va payer pour ce qu'il a fait. Ce ne sera que le premier de cette ville. Tous autant qu'ils sont, ils connaîtront le jugement qu'ils méritent.
— Je n'en doute pas Seynor. Tu l'as dit, je n'ai que quelques semaines, mais je ressens ce que tu as vécu. Je comprends pourquoi tu as eu besoin de moi. Et je sais que si tu tues Heorick sans avoir d'explications, tu le regretteras. Essaie de te calmer, parle à tes amis.
Une part de Seynor voulait refuser cette proposition. Il voulait le sang d'Heorick, maintenant. Pendant qu'il était certain que la colère le protégerait de sa douleur. Mais, après toutes ces années d'études, il gardait une part rationnelle. Il se rangea à l'avis de la dragonne et quitta la maison en lui promettant de lui apporter à manger.
Il se dirigea vers l'académie, les idées toujours embrouillées. Alors il ne saura jamais à quoi ressemblait sa mère. Pendant toute sa vie, il avait pensé qu'elle l'avait abandonné. Voire qu'elle était en prison. Une part de lui avait toujours espéré la rencontrer un jour.
D'autres questions tournoyaient à la lisière de son esprit : si sa mère avait été condamnée, où était son père ? Savait-il qu'il avait un fils ? Mais surtout, qu'est-ce que sa mère avait fait pour mériter la mort ?
Quand l'académie lui fit face, il fut étonné de la scène devant lui. Galwyn maintenait Hérénice contre le mur par les épaules. Vu le visage d'Hérénice, cela ne semblait pas une conversation agréable. Juste à côté, leurs deux dragons observaient eux aussi la dispute sans réagir, ce qui était étonnant de la part de Zephyr. Seynor courut pour les rejoindre et essayer de les séparer.
— Galwyn qu'est-ce qui te prend ! hurla-t-il.
— Il me prend que je veux retrouver la vraie Néri, pas celle qui a l'air de t'appartenir !
Le dragonnien marqua un temps d'arrêt. Il analysa l'expression d'Hérénice qui semblait partagée entre la joie de le voir et sa colère envers Galwyn. Cette constatation le rassura lorsqu'il se moqua :
— Mais qu'est-ce que tu racontes encore ? Tu es si jaloux que ça de ne plus être le centre d'attention de Néri ?
Le regard à moitié fou de son ancien ami se tourna vers lui lorsqu'il le menaça :
— Fais attention Seynor, là d'où je viens, on se fiche de qui est le père de qui.
Un souffle glacial traversa le dragonnien à ses mots. Qu'il compare Heorick à son père, là, maintenant, n'était pas ce dont il avait besoin. Sans réfléchir, il se jeta sur Galwyn qu'il plaqua contre le mur. Cependant, il ne faisait pas le poids face à la montagne de muscles, en un claquement de doigts, les rôles furent inversés.
Seynor apercevait vaguement Hérénice qui tentait d'éloigner son ami mais étrangement, son dragon lui barrait la route. Une idée germa alors dans sa tête. Il visualisa l'esprit du Vermar et s'étonna de ne rencontrer aucune résistance. Cependant, ce fut de courte durée lorsqu'il vit l'attention du dragon se tourner vers lui. En un instant, il perdit pied avec la réalité. Le froid semblait l'envahir de l'intérieur de son crâne et les vents balayaient la moindre de ses défenses. Dans la tourmente, il craignait de devenir fou lorsqu'il entendait la voix de Zephyr mugir des menaces. Il tombait. Il ne savait pas s'il atteindrait le sol.
Soudain il réalisa qu'il ne chutait plus. Une nouvelle force s'était jointe à Seynor. Une force chaude le propulsait en avant et elle fendait les vents comme s'il s'agissait de murs de papier. La voix hurlait de rage mais c'était trop tard, Seynor avait atteint sa conscience.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il était couché par terre, exténué. Mais le combat qui lui faisait face lui remit les idées en place. Galwyn se trouvait à quelques mètres de lui, recroquevillé sur lui-même tandis que Zephyr le menaçait de ses longs crocs acérés. Le seul rempart entre eux était Cendrar qui imposait sa présence, ses ailes déployées pour protéger son dragonnien. Hérénice n'en revenait pas du changement de situation. Elle se tenait entre ses deux amis, tiraillée entre les deux garçons. Seynor n'hésita pas plus longtemps et se glissa dans son esprit avec facilité après la lutte avec le Vermar.
En un instant, elle le rejoignit avant de conseiller à Galwyn :
— Vous feriez mieux de partir, toi et Cendrar, je n'ai jamais vu Zephyr aussi énervé.
Le dragonnien n'attendit pas plus longtemps et grimpa sur son Faeldrmar. Il tourna vers Seynor un regard menaçant et celui-ci n'eut pas même la force de sourire face à sa victoire.
Lorsqu'il se fut envolé, Seynor essaya de se relever mais il dut prendre appui sur Hérénice. Celle-ci observait toujours la direction dans laquelle était parti Galwyn.
— Pourquoi vous vous disputiez ? l'interrogea le dragonnien qui tenait à peine debout.
— Il avait l'air de croire que tu pouvais manipuler les gens, c'est fou non ? marmonna-t-elle d'une voix éteinte.
Seynor hocha la tête avec la gorge soudainement sèche. Tout son crâne pulsait de douleur mais il ne devait en aucun cas semer plus de doutes en Hérénice. Ainsi il mit de côté l'idée de parler des pages du conseil.
— Tu ferais mieux de rentrer Seynor, avisa la dragonnienne, tu veux que je te raccompagne au cas où ?
Il lui assura que non et ils se séparèrent.
Ce ne fut que lorsqu'il fit face à l'immeuble que Seynor réalisa qu'il ne pouvait pas rester à l'appartement ce soir. La discussion avec ses amis ne l'avait absolument pas calmé, et dans son état il n'avait aucune chance face à Heorick et Leorn. Il monta, la crainte qu'ils soient déjà à l'intérieur le taraudait. Mais il avait promis à Démira de lui apporter à manger et il n'aurait pas les moyens de payer quoi que ce soit.
Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, il jeta un coup d'œil et soupira, soulagé : personne. Il courut jusqu'à sa chambre pour prendre un sac avant de revenir dans la cuisine. Alors qu'il le remplissait d'autant de viande qu'il le pouvait, il songea que lui aussi devrait prendre de quoi manger. Quelques jours loin de ses mentors ne lui feraient pas de mal.
Une fois descendu de l'appartement, il se cacha derrière un mur pour reprendre son souffle. Il avait eu si peur d'être pris la main dans le sac qu'il en avait oublié sa fatigue et la douleur qui irradiait dans tout son corps. Il finit par se forcer à se relever, il ne pouvait pas se permettre de traîner.
Il tituba jusqu'au quartier pauvre où il eut l'étrange impression de se sentir chez lui. Les passants ici ne faisaient même pas attention à sa démarche. Il semblait presque que les habitants s'étaient habitués à ses allées et venues. Quand il fut enfin à l'abri auprès de Démira, il dut presque ramper jusqu'à ses pattes. Elle-même ne pouvait pas l'aider tant elle était bloquée entre le sol et le plafond.
— Merci Démira pour Zephyr, chuchota-t-il, la main posée sur son poitrail, je craignais de perdre la raison sans toi.
La dragonne ne répondit pas. Il était sûr qu'elle l'avait entendu mais il la laissa dans ses pensées le temps qu'il sorte un morceau de viande de son sac.
— Je me demande Seynor... Est-ce que tu as senti cette puissance en Zephyr ?
— Bien sûr, mais tu as été plus puissante ! affirma-t-il avec fierté.
— Parce qu'on était ensemble, et c'est notre monde de visiter les consciences, analysa-t-elle.
Seynor finit par comprendre où elle voulait en venir.
— Tu trouves qu'il était trop bien préparé à une attaque mentale ?
— Oui... Et je me demande s'il n'était pas seul. Mais ce n'était pas Hérénice, asséna la dragonne qui dévorait son morceau de viande.
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