Chapitre 31 : Jario
La nuit l'entourait. Il avait ordonné l'extinction des feux dans le tunnel, car lui les connaissait. Lui et ses amis. Pas leurs poursuivants. Avec leurs armures qui brinqueballaient, les échos rebondissaient contre la roche. La poudre blanche qui les maculait ne trompait plus Jario, eux, et celles qui les dirigeaient, étaient loin d'être pur. Depuis des générations, sous couvert de protéger le peuple, ils en jetaient la moitié hors de Kahomi. Ils avaient mis sa sœur dehors. Tout le monde savait que ce jour arriverait, mais personne n'avait rien fait pour l'éviter. Jario songeait à Oalane, à sa piètre stratégie, à son regard désespéré quand elle s'est aperçue que ça ne fonctionnerait pas. Il était plus petit qu'elle, mais il aurait dû la protéger, comme leurs parents n'avaient rien fait. Leur propre sœur l'avait trahie.
Derrière un rocher, il attendait. La garaho passait devant lui sans le voir. Leurs torches les rendaient plus aveugles que l'inverse. Alors que le dernier de la troupe s'engageait dans le trou béant, Jario jeta une pierre contre la roche. Celle-ci claqua trois fois avant de s'immobiliser. Le silence envahit la zone avant qu'un éboulement éclate au-dessus du tunnel.
Au début, Jario voulait que les kaarans l'entendent. Il avait écrit des messages sur les murs, avait hurlé sa rage à la face des passants, mais personne ne l'écoutait. Pire encore, généralement il terminait ses nuits dans la dernière pièce de Kahomi dans laquelle Oalane avait été gardée. Dans ces moments, il devenait comme un animal en cage. Il haïssait cette cité à l'exception de ses frères et de ses sœurs d'armes. Alors ses plans avaient changé. Il voulait apporter la raison, ils n'auraient que sa vengeance.
Déjà, les cris retentissaient derrière les rochers qui obstruaient à présent le passage. Certains tentaient de les déplacer, mais une nouvelle pierre la remplaçait inlassablement. Les amis de Jario poussaient des cris de joie sauvage. Les kaarans ne se rebellaient pas, tout le monde craignait Kahosi à Kahomi, alors il ne fallait pas s'en prendre aux lois. Mais cette époque était révolue pour Jario, il ne craignait plus Kahosi. Mieux : quelle pire insulte se serait que des jeunes, destinés à Kahomi, fuient à Kahosi ?
Un sourire étira les lèvres du kaaran. Il quitta le tunnel, suivi par ceux qui croyaient en lui. Il avait toujours eu des amis, mais il ne s'imaginait pas qu'en disant tout haut ce qu'il pensait, ce cercle s'agrandirait autant. Ils retrouvèrent la ville au fil des torches. La plupart continuèrent de le suivre tandis que la majorité prenait le chemin de leur maison. Mais, comme tous les soirs, Jario avait son objectif quotidien. Ses plus proches alliés le connaissaient, et, déjà, ils se penchaient pour ramasser un caillou sur le chemin. Jario jouait avec depuis qu'ils avaient quitté le tunnel. Enfin, ils arrivèrent devant la bâtisse.
Le bâtiment avait été creusé dans la roche, comme tous ceux de Kahomi. Mais là où la majorité des fenêtres des maisons étaient occultées par des rideaux en olpokir, voire fermées par des volets en bois, celui-ci était le joyau de la ville grâce aux vitres constellées de couleurs. Son peuple s'enorgueillissait de ses gemmes, de ses métaux. Il brillait dans toute la Teldanarie grâce aux richesses de Kahomi.
Les précédents impacts n'avaient pas été réparés, à sa grande satisfaction. Jario observa sa pierre avant d'armer son bras et de la jeter sur l'une des vitres. Tel un signal, les autres suivirent le mouvement. Jario profita du spectacle un instant. Son rituel avait commencé depuis quelques jours déjà. Est-ce qu'un jour il n'y aura plus de vitraux à briser ? Soudain, la porte de l'église s'ouvrit sur une poignée de membres de la garaho. Leurs airs menaçants s'effaçèrent vite quand ils comprirent qu'ils étaient en sous-effectifs par rapport à la petite armée du kaaran.
Un sourire arrogant étira les traits de Jario, s'il le souhaitait, il pouvait donner l'ordre d'attaquer. De réduire ce bâtiment en ruines avec ses occupants enfermés à l'intérieur. Ses amis le suivraient, il n'avait aucun doute à ce sujet. Mais il se détourna, il avait validé ses objectifs pour ce soir. La petite armée se dissolva. Tous rentrèrent chez eux, même si Jario savait qu'il ne rentrait pas vers sa famille. Le dernier souvenir qu'il en avait était qu'elle avait péri le soir où Oalane avait été arrachée. On reconnaissait une famille aux émotions qui s'en dégageaient, sa maison n'était devenue qu'une coquille vide. Des êtres se déplaçaient à l'intérieur, mais personne ne connaissait personne.
Telle une ombre, Jario se glissa dans la cuisine pour attraper des morceaux d'elaepren séchés. Il ne voulait croiser personne, mais il échoua lamentablement quand la voix qu'il détestait le plus persifla :
— Quand je pense qu'on a le même âge... tu n'as pas bientôt fini de jouer les gamins ?
Jario avait pour objectif initial de manger dans sa chambre, il avait changé d'avis : il savait quoi faire pour énerver sa sœur jumelle. Il se tourna dans sa direction, mais fixait un point derrière elle. Il ne la voyait pas, ne l'entendait pas.
— Tu crois que nos parents ne savent pas ce que tu fais avec ta bande ? Tout Kahomi se lasse de vos guérillas. D'ici quelques mois, tous ceux destinés à Kahosi seront mis dehors et il ne restera que toi pour te plaindre de nos lois.
Jario mastiquait consciencieusement sa lanière de viande. Miona pensait réussir à le faire réagir avec ces piques ? Il en aurait presque ri, si sa sœur existait. Il crut voir le rouge lui monter aux joues, allait-elle abandonner ?
— Comme si cette famille n'avait pas assez couvert de honte ma réputation... Si je ne rejoins pas les elkas, ce sera de votre faute ! Comme si ce qu'elle avait fait ne suffisait pas, il faut que toi aussi, tu nous ridiculises...
Le regard de Jario tomba dans celui identique de sa sœur. Elle savait qu'elle n'avait plus le droit de l'évoquer, il avait été très clair le soir-même où Oalane leur avait été retirée. Comment osait-elle ? D'ailleurs, elle-même savait qu'elle avait commis une erreur quand son ton pâle reprit le dessus sur le rouge. Jario n'avait pas vu qu'il avait bougé avant de se retrouver face à Miona. Celle-ci ne tint plus et cria le nom de leurs parents : lui faisait-il peur à ce point ?
Il attrapa le haut de son vêtement et, soudain, il réalisa qu'il ne savait pas ce qu'il allait faire. Il voulait punir sa sœur, mais en réalité il voulait croire qu'elle ne suivait que le système. Il faudrait le détruire pour rendre une âme à sa jumelle. Quand il revint à la réalité, il remarqua que ses parents étaient là, son père tentait de lui faire lâcher Miona pendant que sa mère se terrait dans un coin de la pièce. Elle ressemblait à un animal blessé, ses cheveux en bataille, des larmes maculaient son visage, mais son regard était bien loin du présent. Regrettait-elle d'avoir laissé Kahomi lui prendre son enfant pour le jeter à Kahosi ?
Il laissa tomber sa main et Miona se réfugia dans les bras de leur père. Jario crut le voir esquisser un geste de recul, avait-il lui aussi l'impression d'héberger une traîtresse ? Ou bien il avait mal vu. Tout ce qu'il voyait dans cette pièce était le cadavre d'une famille. Rien n'allait, et il avait beau se débattre, il ne pourrait rien faire pour la ranimer. Pas sans le cœur de cette coquille brisée. Malgré les éclats de voix, il quitta la maison sans se retourner. Il passa devant les habitations éteintes, mais ne s'arrêta pas, ils le rattraperaient.
Il s'agissait d'une nouvelle habitude, se rendre devant la porte de Kahomi, et observer. Il observait ceux qui gardaient la ville, y avait-il un moyen de fuir ? Il fallait qu'il le trouve. Cinq de ses frères et sœurs l'avaient rejoint. Il s'agissait de ses plus proches alliés, même au sein de sa petite armée. Seuls trois d'entre eux étaient destinés à Kahosi, contrairement à ce qu'imaginait Miona. La lutte était bien plus qu'un intérêt égoïste, ils se battaient pour leurs choix, pas pour la survie d'un des leurs.
— J'ai entendu quelque chose qui pourrait t'intéresser Jario, je tenais compagnie à mon grand-père quand il m'a appris un des secrets de Kahomi.
Toute la bande était à l'écoute, tous connaissaient l'objectif. À ce jour, ils n'avaient trouvé aucun moyen de déjouer la grande porte. Trop de gardes, pas assez discrets, ils ne pourraient pas aller assez loin sur un terrain inconnu. Jario tourna un regard plein d'espoir à Ilio, celui qui venait de parler. C'était le plus jeune du groupe, son grand frère avait été envoyé à Kahosi il y a plus de cinq ans à présent. Parfois il le revoyait, mais retrouver un membre de sa famille de temps en temps n'était pas l'objectif de Jario.
— Mon grand-père travaillait dans les tunnels, bien plus loin que là où nous allons. C'est dans les profondeurs de Kahomi qu'ils ramènent ça, désigna-t-il son collier où pendait une émeraude.
Jario avait longtemps hésité à se débarrasser lui-même du rubis à son cou. Mais il s'amusait à penser qu'il s'agissait d'une nouvelle moquerie envers les elkas. Quand leur croyance lui avait conféré ce symbole de courage, elles n'imaginaient pas ce qu'il deviendrait.
— Il m'a raconté qu'une fois il avait vu une lumière au bout de son tunnel, il n'avait jamais rien vu d'aussi clair. Il avait voulu aller voir ce que c'était quand les officiers garaho l'en ont empêché avant de fermer l'issue.
— Est-ce que tu es en train de me dire... commença le kaaran.
— Jario, je suis sûr qu'on peut trouver un passage vers l'extérieur depuis les tunnels.
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