Chapitre 3 : Jario
Les yeux écarquillés par la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux, Jario tenait encore Miona fermement par les épaules. Lorsque la garaho passa près de la famille, Oalane ne put même pas leur adresser un regard. Les bras épais, protégés par des plaques de métal recouvertes de poussière blanche, encadraient fermement sa sœur et repoussaient sans ménagement les curieux. Sans réfléchir, Jario tenta tout de même de forcer le barrage malgré la menace des lames au ceinturon. Il cria le nom de sa sœur et tendit la main vers elle. Il n’eut que le temps de voir ses yeux humides et effrayés avant qu’il ne finisse au sol. Il n’avait pas vu le coup venir, et maintenant il avait l’impression que le manche de l’épée était gravé sur son front. Il observa ensuite le groupe s’éloigner vers la sortie du cratère. Les kaarans s’écartaient sans résistance, certains fixaient sa sœur d’un air peu amène tandis que d’autre la dévisageaient avec pitié. Les deux cas exacerbaient la colère de Jario qui se releva pour rejoindre sa famille.
Il agrippa le bras menu de Miona et la secoua dans tous les sens.
— Comment as-tu pu faire ça à notre sœur ? rugit-il, les larmes aux yeux.
— Tu as vu comme moi, elle allait mentir aux envoyés des esprits ! se défendit Miona, qui récupéra son bras pour les croiser sur sa poitrine.
— Arrête de mentir, pour une raison que j’ignore tu ne cesses d’être jalouse d’Oalane. Pour cela tu as toujours été une peste avec elle, même aujourd’hui, le pire jour.
— Peut-être que comme ça le reste de ma famille découvrira qu’il y a une autre fille dans la famille !
Jario recula alors, soufflé par ce qu’il venait d’entendre. Il ne regardait même plus sa jumelle quand il lâcha :
— Tu es injuste, tu ne peux pas comprendre que nous nous préparions à ce jour ? Celui où Oalane nous serait arrachée. On voulait juste profiter du temps que nous avions avec elle. Et tu gâches ce dernier jour.
Il avait déjà l'impression de la voir avec la tenue des elkas. Tout le monde connaissait son plus grand rêve. Ses boucles brunes seraient comme une couronne pour traverser les foules. Les supposés émissaires des esprits, comment quiconque pouvait croire en ces sottises ? Un simple groupe qui avait pris le pouvoir sur un peuple, Jario en était persuadé. Tous les cycles lunaires, ils brisaient des familles sous couvert d’une loi qui les protégeaient. Aujourd’hui il voyait le revers le plus pervers : les familles qui en tirait partie pour des vengeances ridicules. Sa sœur n’était que leur instrument, et elle était trop naïve pour s’en rendre compte.
Sans attendre de réponse, le kaaran quitta le cratère. Autour de lui, il remarqua que l’attention des gardes était rivée sur lui. C’était mal vu de brusquer une kaarane dans Kahomi, même s’il s’agissait de sa sœur. Il dut lutter pour les ignorer, ne pas déclencher une guerre. Du moins pas pour le moment.
Il traversa Kahomi seul. D’autres familles l’entouraient. Certaines étaient silencieuses, aucune ne pouvait mettre de mot sur la séparation à venir. Au contraire de celles qui riaient. Dans celles-ci, les mots étaient remplacés par des câlins, des clins d’œils complices. Comme une misérable farce, les torches de Kahomi se reflétaient sur les cheveux clairs des enfants envoyés en terre inconnue. Malgré leur âge plus avancé que Jario, il apercevait le doute et la peur dans leurs yeux. Qui n’interrogerait pas le système devant de telles actions ?
Jario se retenait de ne pas craquer. Sa grande sœur partait, lui et les siens s’y étaient préparés, mais la douleur était quand même là. Surtout après cette trahison par Miona. Il savait qu’Oalane préparait quelque chose, c’était une terrible menteuse. Si seulement elle l’avait prévenu, c’était lui le malin de la famille, tout le monde le savait. La douleur s’atténuait à présent. Derrière lui, il sentait qu’on le suivait. Mais il savait qui, alors il continua de marcher. C’était eux qui prenait de sa douleur. À chaque pas, leur soutien le poussait au suivant.
Alors le mouvement changea la douleur en autre chose. Il repensa au regard de Miona durant la soirée. Il repensa à l’air inquisiteur sur les visages des elkas et de la Kamelan. Cet air supérieur qu’elles se donnaient. Le regard effrayé de sa sœur, la violence de la garaho, l’injustice du système. Jario s’arrêta devant la prison où était enfermée Oalane. Comme tous les bâtiments de la ville, elle avait été creusée dans la roche. De toutes petites fenêtres sombres indiquaient qu’aucune torche n’y était allumée. L’image d’Oalane, prostrée dans le noir, envahit Jario. Ce n’était pas sa place, pas plus qu’à Kahosi. Elle avait toujours été seule, après tout, qui voudrait être ami avec une kaarane dont le destin serait de vivre hors de la ville ?
C’était la colère qui l’envahissait, la rage de n’avoir rien pu faire pour sa famille. Les poings serrés, il souffla :
— La loi Kahoran… Quelle belle injustice. Imposer une loi pour séparer des familles.
Derrière lui, le silence lui faisait comprendre qu’ils étaient attentifs.
— Depuis de nombreuses années personne n’a jamais rien dit. Mais c’est fini, mes amis, je me vengerai de ce système.
Une main se posa alors sur son épaule et un murmure d’assentiment résonna dans son dos.
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