Chapitre 27 : Krimson
— Tu as déjà vu comment Preska te regarde ?
Krimson pouvait voir les tentatives de Mikreko pour attirer son attention. Mais l'higwolg ne songeait qu'à son père, cela faisait deux jours qu'il avait disparu avec le prince higberg sur son dos. Il avait même surveillé son oncle de très près de crainte qu'il ne les ait pris en chasse. Mais, bien qu'il soit rassuré à ce sujet, il n'avait plus de signe de vie.
— Krim, va au Garhul si tu t'inquiètes tant pour ton père ! implora son ami qui semblait ennuyé.
— Et le laisser mettre en danger ma famille ? s'ébroua Krimson qui observait son oncle entre les branches, hors de question.
Les deux amis ne quittaient plus leur forme d'armak. Malheureusement, cette décision amplifiait l'odeur de peur dans la fourrure de Mikreko. Mais il était l'unique véritable soutien de l'higwolg. Il avait songé à demander de l'aide à Preska, son amie higwolg. Elle serait certainement plus utile pour lui venir en aide dans sa mission. Mais il avait bien trop peur de son jugement. Et lorsqu'il ressongeait à ce que son oncle avait dit sur sa mère... Il refusait d'être la cause de la destruction de sa famille, de sa meute. Krimson n'avait pas assez confiance en elle pour ne pas tout révéler à sa meute, ils étaient bien plus proches du Garhul, de la loi.
Depuis deux jours, le quotidien de Rerkron ne semblait pas avoir changé. Il restait en majorité avec la fratrie de Krimson. Malgré les efforts des deux amis pour entendre ses discussions, ils préféraient garder leurs distances pour rester discrets. Ce qui l'attristait le plus était l'absence d'inquiétude que la meute affichait pour leur alpha. C'était comme s'il avait déjà disparu. Un grondement s'échappa de ses crocs à cette pensée. Comment ne pouvaient-ils pas voir le précipice vers lequel les menait son oncle.
— Il fait quoi là ? l'interrompit Mikreko dans ses pensées.
Krimson se reconcentra sur ce qui l'entourait avec un sursaut. Il devait être vigilant à chaque instant, il l'avait promis à son père. Il se focalisa donc de nouveau sur Rerkron. L'higwolg gris était simplement couché dans la clairière, seul. À quoi jouait-il ? Krimson renifla l'air et crût que son odorat se trompait. Il tendit alors l'oreille mais n'eût pas le temps d'avertir son ami. Ses frères et sœurs leurs tombèrent dessus, ne leur laissant aucune chance.
Malgré les ruades des deux higwrens, les quatre higwolgs étaient bien plus massifs qu'eux et avaient la supériorité du nombre. Ils les traînèrent par la peau du cou jusqu'aux pattes de leur oncle. Krimson vit l'air victorieux de son oncle mélangé à de la déception. Mais ça ne dura pas car celui qui le tenait, probablement Rermon, plaqua son museau au sol. Ce sentiment de soumission meurtrissait bien plus chacun de ses muscles que la position. Le fait de sentir les crocs de son semblable dans sa peau, la bave dégouliner dans son poil, il n'était pas à sa place.
L'higwolg à l'oreille abîmée se releva et renifla les deux higwrens, comme s'il voulait confirmer ses doutes. Il prit ensuite une voix mielleuse quand il minauda :
— Doucement les enfants, après tout c'est votre frère et son... ami.
À ce mot, les grondements reprirent de plus belle et Krimson paniqua lorsqu'il perçut le couinement provenir de son ami.
— Laisse-nous Rerkron ! Tu n'as pas le droit de nous traiter comme ça ! Tu n'es pas l'alpha et même si c'était le cas Mikreko ne fait pas partie de la meute ! enchaîna d'argumenter Krimson tout en se débattant de toutes ses forces.
Il dut d'ailleurs s'égratigner entre les crocs de Rermon qui ne réagit pas en sentant le goût du sang de son frère.
Autour, des grondements d'assentiment résonnèrent. Il n'avait même pas entendu la meute les entourer. Pendant un instant il eut une lueur d'espoir, devant un public, son oncle serait obligé de faire marche arrière. Peut-être même que ses frères et sœurs réaliseraient leurs actions. Mais le silence reprit en même temps que la voix suave de Rerkron :
— Merci de vous être joint à nous mes amis.
Alors Krimson comprit qu'en réalité son oncle n'attendait que cela : une audience. Ça agaçait le jeune higwolg d'être maintenu dans cette position, et il craignait pour son ami, mais une fois que la meute aurait rejeté les idées de Rerkron, tout devrait revenir en ordre.
— Vous savez tous où est notre alpha... aux pieds des higbergs, les grondements reprirent mais il éleva la voix, vous pouvez m'en vouloir de le dire, mais ce sont les faits ! Et pourquoi ? Pour les empêcher de nous retirer Rermon, son fils aîné, notre jeune prodige, notre futur alpha.
Krimson n'arrivait pas à ressentir comment se passait ce discours. Son frère était à l'écoute, la pression de sa gueule sur sa nuque s'était légèrement relâchée. Mais autour d'eux, le silence était sans défaut, il n'était pas le seul à écouter.
Après une inspiration, Rerkron repris, mais son ton était différent, moins sûr, sa voix proche de la fêlure :
— Vous savez où est la femme de notre alpha, déjà enfermée, si vous doutez encore qu'ils en sont capables, cela s'est déjà produit.
Krimson n'aimait pas la manière dont son oncle parlait de sa mère. Il avait entendu l'histoire. Jamais de la part de son père. Mais peu dans la meute la plaçait autant en victime que Rerkron. Il parvenait même à tirer des couinements dans la meute, la direction de la scène ne plaisait pas au jeune higwolg, loin de là.
— Et maintenant voyez son dernier fils, nous sommes obligés de le maintenir comme un ennemi, pourquoi ? Parce que les higwrens proies l'ont retourné contre nous ! Il a oublié qui est sa famille, il est devenu inséparable de cet higierv, un inférieur !
Il ne le voyait pas, mais Krimson savait que Mikreko devait se replier sur lui-même. C'était bien le dernier endroit où il souhaitait avoir de l'attention. Un grondement lui échappa, incontrôlable. Son armak qu'il bridait férocement avait pris le dessus. En un claquement de doigt, sa mâchoire claquait sur la patte de Rermon. Celui-ci, tout à son écoute du discours de son oncle, n'avait plus la moindre emprise sur la nuque de son jeune frère. Un glapissement lui échappa, tant de surprise que de douleur. Il n'eut pas le temps de se reprendre que Krimson tira sur son membre pour l'amener au sol. La situation se retrouva inversée : le cadet avait à présent les griffes pressées dans le cou de son aîné. La surprise avait fait taire tout le monde. Krimson lui-même ignorait ce qu'il devait faire à présent. L'armal avait repris les rênes. Cependant même cette partie de lui avait conscience d'être en position de force. Pour le moment.
— Vous allez relâcher Mikreko, et vous mon oncle, si vous tenez tant à devenir alpha, vous connaissez tout autant que moi la tradition. Vous vous cachez derrière vos paroles, higwrens proies, higwrens pédateurs. Si c'est la fin du Mak Telor que vous souhaitez, il vous faudra du courage, mais vous n'en avez même pas assez pour défier mon père aux pieds des higbergs comme vous le dîtes.
Le sourire méprisant de Rerkron se changea en moue piquée au vif. Les rugissements reprirent, et Krimson remercia le ciel de tenir son frère sous son emprise d'après l'expression de sa fratrie qui menaçait toujours son meilleur ami. Comment pouvait-il être le seul à voir l'issu du plan de son oncle ? Ce dernier le fixait sans ciller. Il avait été pris au dépourvu, Krimson s'en félicitait. Il ne devait pas s'attendre à ce qu'il entre dans son jeu, ni qu'il exprime son objectif. Malheureusement la suite ne dépenderait pas de lui, il espérait ne pas décevoir son père, voire pire, le mettre en danger.
Rerkron imposa le silence dans un bref claquement de mâchoire. Un sourire finit même par étirer ses babines quand il déclara :
— Je reconnais que tu me bluffes à bien des égards Krimson. Je ne t'imaginais pas au fait de nos traditions, encore moins que tu envisages celle-ci. Mais j'accepte, dès que mon frère sera de retour, je lui ferai part de cette proposition de duel. Le vainqueur prendra la tête de la meute. Comme le veut la tradition.
Le jeune higwolg hocha la tête d'un air entendu. Il s'agissait de la dernière solution qu'il envisageait. La vision de son oncle et celle de son père ne pourrait jamais s'accorder. Et séparer la meute était comme séparer deux membres d'un même corps : trop atroce ne serait-ce que pour l'envisager. Alors pourquoi sentait-il chaque battement de son cœur pulser douloureusement entre ses côtes ?
— Peux-tu relâcher mon neveu à présent ? s'enquit d'une voix mielleuse Rerkron en désignant Rermon toujours sous la patte de son frère.
Il allait y consentir quand un couinement le fit revenir sur sa décision. Krimson repris alors son rôle d'armak quand il ordonna :
— Qu'ils relâchent d'abord Mikreko.
Sa fratrie esquissa un coup d'œil à leur oncle. C'est seulement après qu'il y ait consenti qu'ils capitulèrent. L'higierv détala derrière les pattes arrières de son ami. Celui-ci libéra alors son frère qui ne resta pas plus longtemps couché. Son oncle s'éloigna ensuite avec sa bande et la meute partit vaquer à ses occupations. Rermon s'attarda cependant. Il pointa son museau vers Mikreko avant de persifler :
— Tu me paieras cette humiliation le chouchou, à commencer par cette chose que tu appelles ami. Si je revois ce semblant de proie sur notre territoire, c'est pâté d'higierv pour la meute.
Il s'éloigna ensuite en deux bonds, laissant Mikreko tremblant de tous ses membres. Krimson quant à lui devait contenir ses émotions. Lui-même ignorait celle qui prendrait le dessus : l'horreur, la peur, ou bien une rage bestiale telle qu'il n'en avait jamais connue.
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