Chapitre 23 : Seynor
— Seynor ? l'appela Heorick depuis le salon.
Les pas se rapprochèrent de sa porte et il plaqua son dos contre elle. Le mouvement s'arrêta de l'autre côté de son bouclier.
— Seynor, tu es prêt ? le jeune dragonnien ne répondit pas, Leorn et moi t'attendons dans le salon.
Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir faire ? Ils allaient forcément s'en rendre compte ! Cependant, il n'eut pas à tergiverser plus longtemps : il ne pourrait pas se cacher éternellement dans sa chambre. Quant à la solution de sauter par la fenêtre, elle était exclue s'il tenait à la vie. Il quitta donc la pièce et rejoignit ses mentors.
À peine fut-il entré dans le salon que son regard tomba droit dans celui du Zargmar. Pendant un instant, le silence règna, avaient-ils su bien avant de le voir ? D'après l'attention de Leorn fixée sur lui, le dragon devait voir qu'il avait changé. Il baissa alors la tête pour se diriger vers la cuisine. Un toussotement retentit de la part d'Heorick. Pendant un instant, le cœur de Seynor s'arrêta, est-ce qu'ils attendaient qu'il commence à parler ? Un coup d'œil sur son mentor lui apprit que ce n'était pas de lui qu'il attendait une réaction.
Leorn finit par soupirer avant de déclarer :
— Écoute Seynor, je suis désolé de mon comportement de la veille, mon rôle est de te protéger et au contraire je t'ai fait du mal et je t'ai même menacé, je suis... Vraiment désolé.
Le regard de Seynor passa du dragon à Heorick, devait-il rajouter quelque chose ? Seynor n'osait pas observer trop longtemps les attitudes de ses mentors. À tout moment, ils risquaient de voir une différence chez lui. Il se dirigea donc vers la porte et assura :
— Ne vous en faites pas, c'est déjà oublié !
— Attends, Seynor ! le rappela Heorick.
Le dragonnien avait la main sur la poignée. Tout ce qu'il avait à faire était d'ouvrir, de se jeter dans l'ascenseur et espérer qu'ils oublient la discussion d'ici ce soir. Malheureusement il y avait fort à parier que Leorn le rattraperait bien avant qu'il atteigne son moyen de fuite.
— J'aimerais que tu viennes avec nous à l'amphithéâtre aujourd'hui.
Tout le corps du dragonnien se crispa, est-ce qu'ils avaient deviné ce qu'il cherchait dans les archives ? Est-ce qu'il retournerait à l'académie ?
— Pourquoi ? J'ai fait quelque chose de mal ?
— Tu as quelque chose à te reprocher ? insinua Leorn, qui fut vite intimé au silence par l'ancien dragonnien.
— Tu considères que c'est une punition de rester avec nous ? rit Heorick d'un ton léger.
Seynor fixait toujours la porte, il sentait qu'il s'agissait d'un piège mais il ne savait ni en quoi ni comment s'en échapper. Finalement, il utilisa sa dernière carte lorsqu'il se lamenta :
— Mais Heorick je vais louper des cours...
Mais son mentor le coupa tout de suite d'un ton railleur :
— Comme si tu en avais vraiment besoin pour avoir ta certification Seynor ! Je suis sûr que même si l'examen était demain, tu le validerais haut la main. En plus, les séances de conseil peuvent aussi t'être bénéfiques.
Le dragonnien lâcha la poignée, vaincu, et attendit son mentor près de la porte.
Une fois tous les deux prêts, le groupe descendit et prit la direction de l'amphithéâtre. Les yeux de Seynor se posaient partout sauf sur ses tuteurs. Pourquoi avait-il fallu qu'ils lui demandent de les accompagner ?
— Au fait mon grand, comment ça se passe à l'académie alors ? Hérénice et Galwyn vont bien ?
Le cœur du dragonnien manqua un battement. Ce qu'il avait fait la veille lui revint en mémoire ainsi qu'un sentiment de dégoût. De ce qu'il avait fait ou de l'état dans lequel il avait été, il ne savait pas. Le jeune dragonnien hocha silencieusement la tête. Il préférait éviter que ses mentors ne s'intéressent de trop près à ses amis, il craignait beaucoup trop qu'ils parviennent à assembler les pièces du puzzle. Heorick n'ajouta rien, mais il fallait se douter que les liés discutaient entre eux. De quoi pouvaient-ils bien débattre ? Comment lui faire avouer ses erreurs ? Ou alors, ils analysaient son récent comportement ?
Dès qu'ils parvinrent à l'amphithéâtre, Seynor s'empressa de monter dans les gradins tandis qu'Heorick rejoignait sa chaise. Il échangea quelques mots avec Armelia, la conseillère de l'eau. Malgré les efforts du jeune dragonnien, il ne réussit pas à lire sur leurs lèvres. Soudain, son regard croisa celui de Delgon, le conseiller du feu. Ce dernier le fixait, les bras croisés. Seynor ne savait pas ce qu'il lui voulait, il aurait aimé se libérer de cette attention mais il en était comme captif. Enfin, les gardes amenèrent quelqu'un devant le conseil. D'après la taille de l'individu et sa couleur de peau, il devait s'agir d'un Elayrien.
— Nous vous amenons Terka, un Elayrien chasseur de prime. Nous l'avons arrêté suite à l'assassinat d'un marchand dragonnien.
Suite à cette annonce, les gardes mirent l'accusé à genoux avant de se poster un peu plus loin.
— Depuis quand les Elayriens osent s'attaquer à notre peuple ? persifla la conseillère Qaltel.
— S'il s'agit d'un chasseur de prime, c'est évident que cet assassinat était mandaté, souleva Heorick qui se pencha plus en avant.
— Bonne déduction cher collègue, et qui plus qu'un heremas ou un Nécromage voudrait la mort d'un de nos citoyens ?
Delgon reculait déjà dans son siège d'un air entendu. Seynor crispa son poing, comment qui que ce soit avait pu voter pour cet imbécile prétentieux ? Au moindre malheur, il accusait les heremas avant même de chercher, voire de réfléchir.
Heorick ferma les yeux et soupira. Seynor crut voir la main d'Armelia se poser sur celle de son tuteur mais avec la distance, il n'en était pas certain. Enfin, le conseiller secoua la tête et reprit la parole :
— Pouvez-vous nous dire, Terka, qui vous a payé pour tuer ce marchand ?
— Pourquoi est-ce que je ferais cela ? J'ai l'impression que vous avez déjà une idée sur la question.
Delgon se leva d'un bond, ce qui projeta sa chaise en arrière, avant de s'exclamer :
— Aha ! Voilà une confession en bonne et due forme, n'est-ce pas Heorick ?
Ce dernier secoua la tête et persista :
— Ce n'est en aucun cas ce que l'accusé vient de dire Delgon. Terka, vous allez finir en prison quoi qu'il arrive, vous pourriez ne pas tomber seul, alors avouez !
Un sourire mauvais se peignit sur le visage de l'Elayrien quand il déclara :
— Vous l'avez dit vous-même, conseiller : je finirai enfermé quoi qu'il arrive, autant éviter de perdre ma réputation.
Le conseiller frappa du poing sur sa chaise avant de proposer la prison. Une fois que tous eurent accepté, les gardes l'escortèrent hors de l'amphithéâtre. Alors c'était tout ? Seynor s'affaissa sur la marche, jamais le véritable coupable ne sera puni. Si seulement il pouvait utiliser son pouvoir, il y aurait deux meurtriers mis sous les verrous. Une espèce de ronronnement résonna sous son crâne, ce qui le réconforta un peu.
À peine cette affaire fut close qu'une nouvelle personne fit face au conseil. Il s'agissait d'une kaarane des plaines d'après son apparence. Ce peuple, dans cette région, avait étonnamment évolué de plus en plus grand et fin. De plus, la blondeur était aussi devenue un trait répandu. Seynor se redressa, cette fois-ci il espérait pouvoir aider.
Il était étonné de voir une femme de ce peuple dans la capitale. D'habitude les kaaranes restaient entre elles pour leur propre protection. Un dragonnien se posta à côté d'elle pour traduire ses paroles, mais Seynor savait ne pas en avoir besoin grâce à son tuteur.
— Je suis venue supplier votre peuple de venir en aide aux miens, je vous en prie.
Un air gêné se dessina sur les visages des conseillers à l'exception de Delgon.
— Et pourquoi ferions-nous cela ? En quoi vos problèmes sont les nôtres ?
Seynor peinait à garder une respiration normale. Comment quelqu'un pouvait avoir un cœur aussi insensible ? Heorick devait dire quelque chose !
— S'il vous plaît, ce sont les elemirans, des monstres plus que des hommes, ils nous chassent et nous ne pouvons rien faire contre eux !
— Nous aimerions vous aider, assura Heorick, mais c'est impossible, nous devons protéger notre peuple. Nous lancer dans une guerre pour d'autres, ce serait risquer la vie des nôtres, vous comprenez ?
Seynor avait la nausée, alors personne n'allait rien faire pour les aider ? Il allait se lever quand il remarqua un nouvel elayrien près de la sortie. Son regard sombre ne quittait pas la kaarane, comme si elle lui appartenait. Quant à elle, Seynor voyait qu'elle faisait tout pour ne pas croiser son regard. Quel était le lien entre les deux ? Le dragonnien ne résista pas plus longtemps et se glissa sous le crâne de l'elayrien. Très vite, il réalisa qu'il aurait mieux fait d'éviter. Il était plongé dans des scènes, horribles. La pauvre kaarane n'avait qu'une chose à proposer pour assurer sa protection. Et cet elayrien n'avait aucun scrupule à la prendre, encore et encore. Seynor prit sa tête à deux mains. Il voudrait effacer ces images. Venger la kaarane. Venger son peuple. Cette fois-ci, c'est un grondement qui s'éleva de la part de Démira. Elle aussi n'acceptait pas ce qu'elle avait vu. Seulement, c'est au moment où Seynor se levait pour la sauver qu'il le vit. Le croc aiguisé dans la main de la kaarane.
— Alors, si vous refusez de m'aider, vous aussi êtes coupables.
Seynor sauta les marches, cria, mais l'arme était déjà enfoncée dans le corps de la kaarane. En un claquement de doigts, Leorn s'interposa, vite rejoint par Heorick.
— C'est tout pour toi aujourd'hui Seynor. Tu ferais mieux de... De retourner à l'académie, rejoins tes amis.
Seynor crut halluciner, comment aller voir ses amis pouvait arranger la situation ? Mais il préféra ne pas polémiquer. Sans un mot, il quitta l'amphithéâtre, sans pouvoir s'empêcher de regarder les gardes prendre le cadavre.
Alors qu'il s'éloignait, il repéra l'elayrien dans la foule. Sa démarche nonchalante agaça le jeune dragonnien, comment être si détaché après avoir vu cette scène ? Sans même réfléchir, il le suivit. Il avait l'impression d'être discret, mais il devait se tromper, car rapidement il fit face au mercenaire qui l'attendait dans une impasse.
— Qu'est-ce que tu me veux, petit ?
Seynor crut qu'il allait se dégonfler et faire demi-tour mais il lutta contre son instinct.
— Je sais ce que vous faisiez à la kaarane.
Pendant un court instant, son opposant afficha un air surpris qu'il camoufla derrière un rictus de provocation.
— Ah oui ? Qu'est-ce que je lui faisais à la kaarane, petit ?
Un frisson de dégoût hérissa le poil de Seynor. Les images lui revenaient en tête, les gémissements de peur et le goût salé des larmes. La chaleur sous la tente et surtout cette odeur qui collait à la moindre surface.
— Vous le savez très bien ! hurla enfin Seynor qui peinait à retrouver pied dans la réalité. Vous avez profité d'elle, vous n'aviez pas le droit !
— Et qui va me punir ? Toi, petit ? Ton vieux conseil ? Tu les as entendus ? Je n'ai pas touché l'un des vôtres, vous n'avez aucun droit sur moi. Maintenant, tire-toi de là avant que je ne m'énerve.
Soudain, la voix de Démira s'éleva :
— Seynor, moi aussi je vois cette injustice, mais après ce que tu as fait hier, tu n'auras pas la force de lui faire face.
— Comment tu peux dire ça ? Je ne peux pas le laisser s'échapper Démira !
— Si, tu le feras, ne m'oblige pas à t'y forcer.
Le mercenaire attendait toujours, d'un air intrigué par la réaction du dragonnien qui lui faisait face. Finalement, Seynor essaya de se calmer lorsqu'il l'interrogea :
— Est-ce qu'au moins, vous regrettez sa mort ?
— Évidemment, petit, soupira l'Elayrien avec ce qui semblait être de la sollicitude dans la voix.
Il s'approcha du dragonnien et posa sa main sur son épaule avant de chuchoter :
— Elle me manquera surtout la nuit.
Il éclata ensuite de rire et Seynor se dégagea de son contact. Son esprit était déjà en train d'envahir celui de l'homme qui lui faisait face. Mille et une idées de vengeance fourmillaient sous sa tête. Il était coupable ! Il devait payer !
Mais soudain, sa toile s'arrêta net. Il en eut un hoquet de surprise tandis que son pouvoir regagnait son corps.
— Démira, ne fait pas ça, il mérite de souffrir, souffla-t-il de vive voix.
— Ah, et c'est toi qui compte me faire souffrir ? se moqua le mercenaire, je ne sais pas qui est cette Démira, mais elle t'a sauvé la vie.
Il sentait la force de la dragonne sur la moindre partie de ce qu'il était. Elle lui interdisait le moindre mouvement, la moindre parole. Il était à nouveau piégé dans son corps.
— Bon, eh bien, ce n'est pas tout ça mais je te laisse, jeune dragonnien, évite de menacer n'importe qui, tous les elayriens ne sont pas aussi patients que moi !
Il quitta ensuite l'impasse, mais Seynor ne retrouva sa mobilité qu'une fois qu'il se fut assez éloigné pour la dragonne.
Seynor hurla mentalement et frappa dans tout ce qui l'entourait avant de parler à travers le lien :
— Pourquoi tu m'as retenu, Démira ? Tu n'en n'avais pas le droit ! Je pensais qu'on ne devait plus se faire ça l'un à l'autre !
La dragonne mit du temps à répondre, au point que le dragonnien commença à s'inquiéter, est-ce qu'il l'avait blessée ? Enfin, la voix essoufflée de Démira lui répondit :
— Je suis désolée d'avoir à en arriver là, Seynor. Mais tu n'es pas prêt à tuer. La femelle méritait d'être vengée, mais pas de cette manière. Un jour, nous la vengerons, comme il se doit.
Seynor ne savait pas pourquoi, mais il croyait la dragonne. Un jour, cette kaarane dont il ignorait le nom serait vengée.
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