Chapitre 22 : Garron
Garron voulait le voir par lui-même. Comment Krimson était-il lorsqu'il était loin de la meute. Risquait-il de voir son fils se comporter comme une proie ? C'était sa plus grosse crainte. Il voulait croire que la sagesse pouvait sauver sa meute, mais celle-ci n'accepterait jamais un alpha dans lequel elle ne croyait pas. C'est la raison pour laquelle l'higwolg blanc scrutait le Garhul. Tous les jeunes higwrens quittaient le lieu. Certains partaient dans la même direction, aucun sous forme d'armak. La fourrure de Garron frissonna, il jurerait qu'il ne voyait que des créatures faibles. Du moins l'animal en lui essayait de le persuader. Mais Krimson avait raison, l'armal devait contre-balancer cet instinct. Ils n'étaient pas ceux qu'ils chassaient, et devant lui il s'agissait de son espèce.
Enfin, son fils apparut, accompagné de son ami higierv et d'une higwolg. Cette dernière étonna Garron, qui était-elle ? Pourquoi son fils ne lui en avait jamais parlé ? Il renifla l'air pour avoir plus d'informations quand elle se retourna vers lui. Son regard l'analysait, les crocs luisaient entre ses lèvres tandis qu'elle se positionnait devant les deux garçons. Ses yeux, déjà fins, s'étrécirent jusqu'à devenir des fentes et des moustaches encadrèrent son nez légèrement pointu. À nouveau l'instinct de son armak le poussait à se rendre menaçant. Voire s'interposer entre elle et le membre de sa meute pour faire bonne mesure. Mais il était un higwren, pas un animal, alors il la salua d'un hochement de tête. Il cuisinerait son fils sur le trajet.
La fille le désigna aux deux garçons en pleine discussion ce qui agaça Garron. Cette higwolg du Garhul avait plus d'instinct que son fils qui vivait en armak. Il n'avait même pas senti la présence de son alpha ! Et pourtant elle maîtrisait aussi sa forme d'armal. Était-ce ce que Garron souhaitait pour sa meute ? Il n'était pas sûr que son aîné et son frère partageaient son avis.
Le sourire de Krimson se crispa quand il reconnut son père. Un soupir lui échappa ce qui écorcha le cœur de l'higwolg blanc. Il tendit ses vêtements à son ami plus petit et esquissa un vague signe de main. En un bond il avait girmalk, le jeune bipède se changeant en un tas de fourrure. Sans un mot pour son père, Krimson s'éloigna entre les arbres. Ses deux amis observaient toujours Garron, à quoi pouvaient-ils penser ? Qu'est-ce que son fils leur disait ?
— Papa, tu viens ? l'interpella Krimson déjà à une dizaine de mètres.
Souhait-il l'éloigner de la civilisation ? L'higwolg s'ébroua et en deux bonds avait rejoint son fils. Du coin de l'œil, il observa les foulées du jeune membre de sa meute. Ses muscles fins se mouvaient sous une fourrure auburn épaisse. Il songea à la musculature bien différente de son frère. Comment faire pour que son plan se réalise ? Surtout : comment éviter que son aîné ne tue le cadet sans la moindre hésitation ?
Il regrettait de ne pas avoir exilé son frère quand il avait pu. Par exemple quand il traînait si souvent avec Bronka, la mère des enfants de Garron. Ça n'avait jamais été de bonne augure, surtout quand ils partageaient les mêmes opinions. Aujourd'hui, la meute refuserait la décision, il avait gagné trop d'influence, surtout sur la portée de son frère. Pourtant, s'il parvenait à l'expulser, peut-être que sa famille aurait une chance de retrouver leur chemin.
Soudain un hurlement retentit : il annonçait une chasse en cours. Et il provenait de Rerkron. Comment avait-il osé prendre l'initiative de lancer la chasse sans attendre l'alpha ? Un grondement échappa à Garron qui songeait qu'il avait dépassé les limites de sa patience. Krimson l'avait aussi entendu d'après le mouvement de ses oreilles. Son père voyait son regard le scruter. Quelle décision serait prise à présent ? Ce nouvel écart méritait une punition, mais aurait-il l'appui de sa meute ? Les foulées des higwolgs s'agrandirent au même rythme que la colère de l'alpha.
Enfin ils tombèrent sur la piste de leur famille. Ils auraient dû la suivre sans perdre de temps, mais le père et le fils avaient marqué l'arrêt. Ils avaient tous les deux senti la proie poursuivit. Un couinement échappa à Krimson, Garron lécha son museau en affirmant :
— On va les retrouver, suis-moi.
Cette fois-ci c'était le désespoir qui donnait des ailes aux higwolgs. L'alpha poussa un hurlement pour rappeler sa meute à l'ordre, mais il n'obtint aucune réponse. La crainte qui l'avait dévoré depuis si longtemps était sur le point de se produire. Malgré toutes les mises en garde de son cadet. Soudain un espoir se fraya un passage dans la conscience de l'higwolg : il apercevait les fourrures. Ses griffes se plantèrent plus profondément dans le sol. Ses appuis l'envoyaient plus loin. Il devait rattraper la tête des poursuivants.
Lorsqu'il rattrapa le premier higwolg, il le bouscula d'un coup d'épaule dans les buissons : il devait les ramener à la raison. Il fallait qu'ils sentent ce qu'ils prenaient pour une proie. Krimson compris en un coup d'œil et se joignit à lui. Au moindre membre de la meute qu'il dépassait, le fils claquait la mâchoire près des pattes pour les faire trébucher. Le père quant à lui les écartait de son passage voire attrapait les queues pour les tirer en arrière.
Si au début il avait cru que des bagarres risquaient d'éclater, il fut soulagé de voir les higwolgs revenir à la raison. Garron n'arrivait pas à croire que son frère était parvenu à plonger la meute dans cette folie. Tous n'étaient plus guidés que par leur instinct animal. La chasse avait excité chacun de leurs muscles, seul l'armak était aux commandes.
La piste était de plus en plus fraîche, ce fut ses enfants qui en était le plus proche. Dès qu'ils le reconnurent et ils s'écartèrent sans faire d'histoire ce qui l'étonna. Enfin il atteignit son frère.
— Arrête-toi Rerkron ! Tu as perdu la raison ? Tu sais très bien ce que tu chasses. Tu amènes la meute à sa perte.
— Moi ? gronda l'higwolg sombre qui ralentit imperceptiblement, de qui est le fils qui sent la proie dans toute sa fourrure ? Qui passe son temps dans une forme faible ? Mais surtout, qui estime que ça le rend capable de diriger ma meute ?
Un rugissement résonna dans le thorax de Garron quand il éclata :
— Tu n'es pas l'alpha !
— Essaie d'éviter ça alpha, railla son frère en le bousculant à son tour dans les buissons.
Pendant un battement de paupière, Garron entraperçut Rermon. Son fils avait profité de la distraction de son oncle pour rattraper ce qu'il considérait comme une proie. Était-ce la fin pour sa famille ? Il repoussa Rerkron d'un coup de patte et rejoignit la meute rugissante. Il craignait déjà qu'ils se soient jetés sur la récompense de leur chasse. À sa surprise, c'était loin d'être le cas.
Certains des higwolgs formaient un barrage face aux autres membres de la meute. Ils étaient dirigés par Krimson, la fourrure hérissée, les crocs en évidence.
— Ça suffit, ordonna l'alpha qui se dressait de toute sa taille.
Les alliés de son cadet attendirent sa confirmation avant de s'éloigner. Garron n'avait jamais été aussi fier de son fils. Les autres se tinrent immobiles, ils cherchaient Rerkron sans nul doute.
Au milieu se tenait un enchevêtrement de bois couché au sol. L'higberg avait fini par girmalk, peut-être à cause de la surprise d'avoir été rattrapé. Tout son corps était secoué de tremblement, il avait l'air jeune. Et terrifié. En dépit de ce qu'en penseraient les supporters de Rerkron, Garron se résolut à girmalk à son tour. Il se demandait à quoi ressemblait son armal, cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas changé de forme. L'higberg tentait toujours de protéger sa tête derrière ses bras, la face au sol. Quand Garron toucha son bras, il ne dut qu'à un réflexe d'éviter les bois de l'higwren. Il tomba au sol alors que l'autre se relevait, il ne devait pas s'attendre à être cerné de toute part.
Pendant un instant il tint en équilibre sur une jambe, sa chute avait tordu la deuxième dans un angle inhabituel. Les higwolgs venaient de le voir s'attaquer à leur alpha, ils n'attendaient qu'un mot de sa part pour reprendre l'attaque. Heureusement Krimson réagit plus vite en retrouvant à son tour sa forme d'armal.
— Mon prince, que faites-vous si loin du Garhul ? s'inquiéta-t-il en apportant son support à l'higberg.
Il s'agissait donc du fils du Garhill ? L'alpha jeta un regard peu amène à son frère, dans quels ennuis les avait-il fourrés...
Celui-ci les rejoint d'un air nonchalant et observa la scène dans un silence de plomb. Garron n'attendait qu'une chose, des excuses, il n'était pas sûr que ça arrangerait la situation, mais c'est bien la seule chose que Rerkron pourrait faire pour ne pas l'empirer. Cependant il ne pouvait pas être plus loin de ce que son frère avait prévu. Celui-ci soupira avant de dévoiler ses crocs en approchant de l'higberg.
— Puisque tu n'en es pas capable Garron, permets-moi de mettre un terme à cette menace pour notre meute. Krimson, lâche cette proie, je ne voudrais pas te blesser.
— Tu es devenu fou Rerkron ? cracha son neveu qui soutenait toujours l'higwren à peine plus vieux que lui.
— Réfléchi, qu'est-ce qu'il va arriver à ton frère, à ta meute, si cet étranger s'enfuit ?
Krimson regarda Rermon. Il était toujours sous sa forme d'armak, son expression animale indéchiffrable. Est-ce qu'il comprenait ce qu'il avait fait ? Regrettait-il ? À cet instant, Garron espérait que son aîné prendrait exemple sur le cadet. Le reste de la meute observait la scène, interdite.
— Vous vous souvenez de Bronka ? C'était ta mère Krimson, souffla Rerkron, le pas mesuré, toujours plus près du prince. Tu souhaites vraiment envoyer ton frère auprès d'elle ?
Une vague hérissa les fourrures, depuis Rermon et jusqu'au moindre higwolg.
— Il est hors de questions que des faibles m'enferment, gronda-t-il, la bave dégoulinante de ses crocs.
— Parce que tu te crois fort ? l'interpella son père en se redressant face à lui.
Sa forme d'armal avait beau être bien plus petite que l'higwolg qui lui faisait face, ses yeux scrutèrent ceux de son fils.
— Un alpha protège sa meute, mais si tu crois que je n'utilise que ma force physique pour cela, tu es encore plus loin de prendre ma place que je ne le pensais, soupira-t-il déçu. Je ne sais pas ce que ton oncle peut te raconter sur notre peuple, mais nous sommes fort grâce à la sagesse des Karelnarks et à la puissance des Higwrens. Armal et armak. Et en tant qu'alpha je vais prendre la responsabilité, je te conseille de réfléchir à pourquoi j'agis ainsi.
Sa déception se refléta dans le regard de son fils qui n'ajouta rien. Seul un grondement lui échappa, avant de faire demi-tour pour disparaître entre les arbres suivit par ses frères et sœurs.
Garron se retourna alors vers son frère qui n'avait pas reculé. Le girmalk vint naturellement à lui lorsqu'il se retrouva ses ses quatre pattes.
— Écarte-toi du prince et de mon fils Rerkron.
De mauvaise grâce l'higwolg gris prit ses distances sans rien ajouter.
— Krimson, aide-le à monter sur mon dos, je l'emmène au Garhul, seul.
Les grondements reprirent de plus belle. Il était hors de question que l'alpha se rabaisse à devenir la monture d'un higberg.
— Écoutez-moi ! hurla-t-il pour se faire entendre par-dessus le brouhaha. C'est ce que je dois faire pour la meute, je reviendrais et tout retournera à la normale.
Il acheva sa phrase le regard appuyé sur son frère. C'était l'erreur de trop, il devait mettre fin à cette menace pour sa meute mais surtout pour sa famille. Rerkron le savait, il pouvait le voir au fond de ses prunelles.
— Je viens avec toi, marmonna Krimson qui aidait le prince à se hisser sur le dos de Garron.
— Non, affirma son père, tu es celui en qui j'ai le plus confiance ici, veille sur la meute et sur notre famille. C'est un ordre.
La bouche de son fils s'ouvrit et se referma. Il obéirait, cela ne faisait aucun doute. Un mouvement dans les arbres attira leur attention mais, quand ils se tournèrent, seules les branches remuaient. Un éclair de compréhension traversa le visage de Krimson qui hocha la tête avant de s'écarter.
Après un dernier coup d'œil vers son frère, Garron s'assura que le prince se tenait et s'élança.
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