Chapitre 19 : Krimson


Krimson observait les jeunes higwrens autour de lui. Il essayait de les voir au travers des yeux de sa famille. La taille des bras des higurs les plaçaient évidemment comme des menaces. Peu importait l'agilité d'un higwolg, sa vitesse, il n'était qu'une brindille face à cette force brute. Encore plus dans son cas.

Il continua son inspection avec les higiervs. Ceux qui avaient choisi la peau d'une proie de toute évidence. Mikreko, son propre meilleur ami, ne pouvait croire qu'en la chance face à lui. Deux longues pattes taillées pour la course, mais qui pourtant ne lui faisait pas dépasser les épaules de Krimson. Lui qui avait encore à son avantage ses crocs et ses griffes.

Il n'y avait pas d'higelg de son âge, seul restait donc les higbergs : les ennemis. Eux aussi s'étaient parés d'atouts non négligeables pour fuir, peut-être même face à une meute. Et, si cela ne suffisait pas, leurs bois, en plus de faire de bien jolies couronnes, devenaient de véritables armes dans le cas d'une charge.

Tous étaient différents de lui, alors comment pouvait-il les voir comme un seul et même peuple ? Là où les siens en étaient incapables ? La frustration quitta ses lèvres sous forme de grondement. Dans une classe aux sens quasi animal, il attira toute l'attention. La fourrure des quelques higurs s'hérissa, ce qui ne fit qu'accentuer leurs épaisseurs. Les higiervs du premier rang baissèrent leurs oreilles pour tenter de se faire plus discret. Certains de la famille de son meilleur ami lancèrent à celui-ci des coups d'œil sombre.

— Krim, tu peux calmer ton armak ? J'essaie vraiment de persuader ma mère qu'être ami avec toi n'est pas signe d'envies suicidaires, chuchota Mikreko avec un geste d'apaisement vers le premier rang.

Rien qu'à la vision de l'enseignant higberg, Krimson sut qu'il jouait avec le feu. Celui-ci tapait du sabot, la tête légèrement inclinée, prêt à défendre la classe si besoin. Avec peine, l'higwolg reprit le contrôle de son rythme cardiaque. Il parvint à rentrer ses crocs derrière ses lèvres au moment où les respirations se détendirent dans la pièce. Après un dernier regard appuyé sur Krimson, l'higberg reprit son cours.

Il remarqua cependant que Preska l'observait toujours. L'higwolg esquissa un imperceptible hochement de tête pour ceux qui ne partageaient pas leurs sens de chasseurs. Il y répondit de la même manière avec un soupir. Il s'agaçait de s'afficher de cette façon devant les siens. Lui qui tentait de prouver à sa famille qu'il était différent, il se découvrait plus proche d'eux sur certains aspects. Il se faisait une fierté d'aussi bien contrôler son armak, il ne craquerait pas aujourd'hui.

Sitôt le cours fut-il achevé que Preska rejoignit les deux amis. Maintenant qu'elle était aussi proche, Krimson discerna la vitesse de ses battements de cœur. D'après le nombre de fois où elle déglutissait avant même de prendre la parole, elle devait avoir la bouche pâteuse. Aurait-elle rougi si la peau des higwrens n'était aussi sombre ? Qu'avait-elle à demander pour se mettre dans cet état ? Mikreko était tout aussi louche. Il ne parvenait pas à dissimuler un rire gêné derrière sa toux simulée. Tout comme il lui était impossible de réprimer son sourire. Qu'est-ce qu'ils lui réservaient ? C'est finalement Preska qui jeta sa question à brûle-pourpoint :

— Tu veux bien me suivre dans ma meute, Krim ?

Celui-ci observa tour à tour ses deux amis. Qu'est-ce que ça signifiait ? Était-ce une demande commune chez les higwrens d'inviter un ami dans sa famille ? Pendant un instant il s'imagina Preska dans sa meute et un frisson lui parcourut l'échine. Il ne l'y voyait pas, jamais. Bien qu'il n'arrivait pas à croire qu'elle sortirait de sa vie un jour.

— Ne panique pas Krim, c'est juste pour la soirée, on ne se mange pas entre nous, rit d'un air gêné la jeune higwolg.

Il chercha du soutien auprès de Mikreko qui, de toute évidence, essayait de lui faire passer un message visuel auquel il restait hermétique. Son ami leva alors les yeux au ciel et l'écarta pour prendre la parole :

— Ce que Krim veut dire par son mutisme c'est qu'il accepte de passer la soirée dans ta meute Preska.

Elle observa les deux higwrens d'un air suspicieux, l'un de ses sourcils fins haussés, et Krimson se força à faire un sourire qui parut la convaincre. À peine fut-elle retournée pour aller chercher ses affaires qu'il fit face à Mikreko. Celui-ci essayait de se cacher derrière ses longues oreilles grise mais cela ne retint pas le jeune higwolg.

— Maintenant dis-moi ce que ça signifie.

Les yeux déjà ronds de son ami s'accentuèrent de surprise.

— Ah mais je ne sais pas ce qu'elle te veut Krim, j'essayais juste de sortir une demoiselle en détresse d'une situation désespérée.

Krimson analysa attentivement Preska, elle était plus âgée que lui, mais ce n'était pas son seul atout pour le mettre à terre. Il voyait qu'elle avait plus de force, plus d'expérience. Il tenta de se ressaisir, il n'était finalement pas si différent de sa famille. Mais elle était loin de la demoiselle en détresse.

Soudain elle porta de nouveau son attention vers lui, et son sourire illumina son visage. C'est alors Krimson qui sentit son cœur manquer un battement. Les deux higwrens la rejoignirent à la sortie de la salle et Krimson tenta d'ignorer le groupe d'higiervs qui accéléra pour ne pas passer trop proche de lui. Ils entamèrent alors la descente du Garhul par l'extérieur de l'arbre. L'accès par l'intérieur était possible, mais c'était généralement mieux gardé, et la vue sur la forêt était toujours à couper le souffle. Les salles de classe n'étaient pas aux étages les plus hauts, l'honneur était réservé à la salle du trône et les appartements de la famille royale. Mais elle disposait tout de même d'un bon point de vue à travers les branches.

Krimson pouvait voir la ville autour du Garhul en contrebas. Les vestiges de ce qui avait été enchanté par les karelnarks. Leurs ancêtres avaient fait tant de prodiges avec leur magie. Pouvoir tailler des pièces et même des maisons à travers les arbres, les lanternes qui éclairaient tous les chemins aux alentours, et qui dureraient bien après sa mort. Krimson se demandait souvent pourquoi ces êtres avaient fait le choix de devenir des bêtes au point de perdre cette magie.

Lorsqu'ils arrivèrent au niveau du sol, la gêne prit Krimson à la gorge. Mikreko allait partir de son côté et il suivrait Preska jusqu'à sa meute. Contrairement à la sienne, il devait vivre en armal, peut-être même habillé. Lui ne portait que le pagne que son ami gardait pour lui. Il était ridicule de n'être affublé que de ce bout de tissu au Garhul. Il serait ridicule accoutré de la sorte dans sa meute. Il voyait ses deux amis l'observer, dans l'attente. Les deux n'ignoraient pas sa situation, il espérait ne pas être un sujet de curiosité ce soir.

Il songea à son père, à sa meute qui ne tarderait pas à lancer la chasse. Il savait que cette fois-ci il ferait mieux de participer, faire partie de la famille. Mais il était tiraillé par la proposition de Preska. Il allait accepter quand elle se tourna d'un bond vers la rangée d'arbres à proximité. Ses yeux cherchèrent quelque chose qu'il n'avait pas senti. Ses oreilles au-dessus de sa tête se tournèrent en tout sens pour capter ce qu'elle cherchait. Quand elle repéra l'intrus un grondement s'éleva de sa poitrine. La honte submergea alors Krimson.

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