Chapitre 18 : Seynor


Quand il quitta les archives, Seynor était maussade. Il était pourtant sûr d'obtenir ses réponses ici. À présent, seul Heorick pouvait lui révéler le secret sur sa vie. Mais si déjà son mentor craignait de le voir chercher, il y avait peu de chance qu'il crache le morceau par lui-même.

Après que Galwyn et Hérénice se furent envolés, il hésita sur sa destination. Il n'avait pas très envie de voir son tuteur pour le moment. Il prit donc la direction du quartier pauvre. Il n'avait pas entendu la dragonne de la journée et ça commençait à l'inquiéter. Et s'il lui avait causé des dommages bien plus grave que ce qu'il ne pensait ? Son pas accéléra sous le regard surpris du peu de dragonniens encore présent dans les rues. Le soleil amorçait sa descente et la luminosité baissait à vue d'œil. Il s'assura que personne ne l'observait avant d'entrer dans le refuge où il cachait son plus gros secret.

À l'intérieur, il y régnait un silence surnaturel. Au moindre caillou qui roulait sous sa chaussure, Seynor sursautait. Il se retourna vers la sortie, la lumière continuait de diminuer. Il devait se dépêcher avant qu'Heorick ne s'inquiète. Après avoir fermé les yeux quelques secondes pour se calmer, il reprit son chemin. Il se tortilla dans la fente et, à nouveau, s'écrasa dans un tas d'écailles. Il y en avait beaucoup plus cette fois-ci. Cependant, il eut beau regarder partout autour de lui, il ne vit pas la dragonne. Avait-elle réussi à s'enfuir ? Soudain, deux yeux s'illuminèrent dans le coin sombre de la pièce. L'un d'eux se rapprochait plus du violet que du rouge à présent.

— Ah tu es là, lâcha Seynor soulagé.

— Oui... répondit la dragonne qui se leva, je savais que tu finirais par revenir.

Elle faisait à présent la taille du dragonnien qui avait perçu son ton menaçant. Il recula d'un pas mais déjà elle s'élança et le plaqua au sol.

— Je me souviens, tu as voulu que j'oublie, mais je me souviens ! gronda-t-elle, sa gueule pleine de crocs à quelques centimètres de la gorge de Seynor.

— Quoi ? Mais c'est impossible ! répliqua-t-il alors qu'il sentait les griffes de la dragonne s'enfoncer dans son torse, d'accord, je suis désolé !

Les ailes grandes ouvertes, elle dépassait Seynor en poids comme en taille. Était-ce normal qu'elle ait grandi si vite ? Le dragonnien aurait ri de sa question bête en d'autres circonstances : rien n'était normal dans sa vie.

— Ramène-moi !

— Non, on ne doit pas y retourner, c'est trop...

Le dragonnien fut coupé dans sa phrase car il sentait une conscience s'approcher de la sienne.

— N'essaye même pas, souffla-t-il, affolé, alors qu'il essayait de se dégager avec l'énergie du désespoir.

Mais cela n'accentua que plus la prise de la dragonne sur son esprit.

— J'ai dit : ramène-moi.

Malgré tous ses efforts, Seynor hocha la tête. La dragonne le relâcha et il se faufila dans la crevasse. Pendant un instant, il ordonna à ses jambes de courir mais au contraire, il attendit patiemment que la créature ne le suive. Elle agrandit un peu plus le trou mais réussit à passer, à la surprise du dragonnien. Il reprit alors sa marche tranquille vers la sortie sous l'œil attentif de sa ravisseuse. Après avoir vérifié qu'il n'y avait personne dehors, les deux quittèrent les murs protecteurs de leur cachette. La dragonne déplia ses ailes et, sous le regard étonné du dragonnien, s'envola en quelques battements d'ailes. Il en profita pour tenter à nouveau de s'enfuir mais rien n'y fit et il se dirigea vers l'escalier. Il rageait d'être enfermé dans son corps. Au-dessus de sa tête il pouvait voir la dragonne. Comment avait-il pu la laisser faire ? Et d'ailleurs comment avait-elle pu ? Cela voulait dire qu'elle partageait son pouvoir ? En attendant, il avançait comme un automate et traversait la gueule du dragon en pierre.

Avec la nuit qui commençait à tomber, la dragonne avait le camouflage parfait. Ses écailles rouges étaient presque toutes tombées et avaient été remplacées par l'indigo. Il faut dire qu'en vol elle paraissait majestueuse.

Enfin, Seynor atteignit la caverne et la dragonne atterrit près de lui.

— Maintenant tu ne bouges pas d'ici. Tu ne me suis pas. Tu restes ici, ordonna la créature en appuyant ses mots de pouvoir.

— Pourquoi... Tu voulais que je... vienne, peina à articuler Seynor, droit comme un piquet.

La dragonne évita la question et se faufila dans la crevasse d'où elle venait. Le dragonnien n'arrivait même pas à bouger le petit doigt. Toute la frustration de la journée l'envahissait. Il voulait crier sa rage mais ne pouvait même pas murmurer un appel au secours. Conscient qu'il n'obtiendrait rien dans cet état, il se renferma sur lui-même. Il rejoignit l'endroit du lien pour savoir ce que faisait la dragonne à présent. Il voyait la mère de la dragonne à travers ses yeux : elle dormait juste à côté de ses autres œufs. Les coquilles d'où était sortie la dragonne avaient disparu.

Le cœur du dragonnien se serra, allait-il la perdre d'une manière ou d'une autre ? Des ronronnements lui parvinrent à travers le lien. La dragonne se rapprocha encore de sa mère et frotta son museau contre le sien. Soudain, des yeux flamboyants s'ouvrirent. Leurs pupilles s'affinèrent quand ils visualisèrent la jeune dragonne.

— Maman c'est moi, on m'a enlevé mais je suis revenue ! cria la dragonne à travers le lien.

Sa mère se releva de toute sa hauteur. Seynor sut que ça ne sentait pas bon. Il devait se libérer de l'ordre pour sauver sa jeune dragonne. Un premier rugissement de colère retentit, ainsi que des cris de désespoir sous le crâne du dragonnien. Enfin, son corps fut libéré et il se jeta jusqu'à la crevasse sans réfléchir.

Il s'égratigna le bout des doigts et manqua de faire une chute mortelle mais se glissa dans la fissure. Il se déplaça si vite dans les conduits de pierre qu'il était sûr d'avoir des hématomes le lendemain. Enfin, il entra dans la salle où il faisait une chaleur étouffante. La jeune dragonne était terrée derrière un rocher sur lequel sa mère crachait toutes les flammes de son corps. Seynor tenta de s'approcher discrètement mais le regard de braise se tourna immédiatement vers lui.

— Je la distrais, fuis ! hurla-t-il à la jeune dragonne.

— Non ! C'est ma mère, s'obstina-t-elle en faisant de nouveau face à la dragonne qui faisait vingt fois sa taille.

— Non ! cria le dragonnien lorsqu'il vit cette dernière ouvrir sa gueule.

Il voyait déjà les flammes dans le fond de sa gorge quand il dégagea la jeune dragonne. Les flammes atterrirent quelques mètres derrière eux. Seynor attrapa à bras le corps la créature et rejoignit la sortie. Il sentit ses cheveux roussirent à plusieurs reprises mais il était enfin dans le couloir où la mère ne pouvait plus les atteindre.

Quand enfin Seynor eut rejoint l'escalier, la dragonne s'envola sans un mot. Il faisait nuit à présent, Heorick allait demander des explications. Est-ce que maintenant la dragonne allait pouvoir tourner la page ? Plus important, est-ce qu'elle allait vouloir rester avec Seynor ? Il avait l'impression qu'elle était la meilleure chose qui lui soit arrivé tout en étant la pire. Elle volait toujours au-dessus de lui. Il ne pouvait pas la voir mais il la sentait, tout comme il savait où était son nez sans avoir à le chercher. Ce passage dans la grotte avait changé quelque chose pour lui, était-ce son cas à elle aussi ?

Il percevait l'envie de la dragonne de prendre le large. Mais comme le fait de vouloir qu'il reste ce soir, il ne comprenait pas les raisons qui la retenaient. Encore une interrogation.

Seynor atteignit enfin Olédrek, il tenait à peine debout après toutes ces marches. Il s'appuya quelque temps contre l'un des crocs de la gueule du dragon de pierre. Il espérait que ce soit la dernière fois qu'il ait besoin d'utiliser ce maudit escalier. Son regard se porta par réflexe sur la dragonne qui planait loin au-dessus d'Olédrek. Est-ce que lui aussi aurait un jour la chance de voir à quoi la ville ressemblait d'aussi haut ? Ou tout simplement la chance de voir autre chose que cette ville ? Est-ce qu'il serait traité ainsi partout dans la République ?

Il reprit finalement sa marche jusqu'à la cachette. Dans les rues, il n'y avait plus âme qui vive. Ce qui, en un sens, le rassurait, vu où il traînait. Au moment où il se glissa sous le mur écroulé, la dragonne atterrit à pleine vitesse avant de se poser avec légèreté. Elle le suivit à l'intérieur, ses griffes raclaient le sol et elle avait la tête basse.

— Tu es vraiment douée pour le vol, la complimenta Seynor pour sa prouesse.

Il espérait aussi lui remonter le moral et ça devait avoir un effet d'après le balancement de sa queue. Ils rejoignirent la pièce où la dragonne se laissa tomber au sol.

— Il faudrait peut-être te trouver un nom, tu ne crois pas ?

Seul un soupir lui répondit alors qu'il glissa contre le mur jusqu'au sol. De toute façon, il aurait le droit au sermon d'Heorick quoi qu'il arrive. Il pouvait bien s'attarder un peu plus.

— Pourquoi pas... Flamma ? proposa-t-il. Ou bien Brazane ?

— Tu es idiot ou aveugle ? gronda-t-elle d'un mouvement de tête vers le dragonnien. Je ne suis pas un dragon qui crache le feu ! Alors appelle-moi Monstruosa si ça te chante ou Démonia, tu m'as tout pris de toute façon.

— C'est faux, nous nous avons l'un et l'autre.

Un raclement sortit de la gorge de la dragonne. Il pensa tout d'abord qu'elle s'étouffait avant de comprendre qu'elle riait.

— Tu t'es bien arrangé pour que ce soit le cas au moins.

— Je n'ai pas fait exprès ! se défendit le dragonnien, essaie de comprendre, avant toi j'étais toujours seul dans ce monde de duo ! J'étais un dragon sans ailes, une abomination. Oui, je t'ai obligé à devenir une abomination comme moi, mais au moins on est ensemble. Malgré ça, je suis désolé de t'avoir volé ta vie.

Il posa sa main dans le cou de la dragonne qui murmura :

— Je ne sais pas si je pourrais te le pardonner un jour. Mais je comprends.

Seynor se leva pour quitter la pièce. Avant de passer à travers le trou, il lâcha :

— Ta mère te voyait peut-être comme un démon, pour moi tu es un miracle... Qu'est-ce que tu penses de Démira ?

La dragonne ne répondit pas mais sa queue se remit à se balancer.

Dans l'ascenseur, Seynor se remit à penser à la réaction de la mère de Démira. Était-ce pour ça que sa propre mère l'avait abandonné ? Mais le tatouage n'apparaissait que vers cinq ans, et Heorick veillait sur lui presque depuis sa naissance. Sa mère n'avait aucun moyen de savoir qu'il n'aurait pas de dragon. Alors pourquoi l'abandonner ? Est-ce qu'elle pouvait être morte ?

Quand les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, il vit à nouveau Heorick faire les cent pas comme quelques jours auparavant.

— Enfin Seynor ! Mais qu'est-ce qui t'es arrivé cette fois-ci ? Ce sont des brûlures que je vois sur tes vêtements ?

Cependant, ses questions n'atteignirent pas son protégé qui posa sa question :

— Est-ce que ma mère est morte Heorick ?

Son mentor donna l'impression de s'être pris un coup. Il recula jusqu'au fauteuil sur lequel il s'adossa.

— Pourquoi cette interrogation Seynor ? Il s'est passé quelque chose aujourd'hui ?

Immédiatement le jeune dragonnien sentit l'esprit de son tuteur divaguer. Sans réfléchir, il se jeta dans la brèche et aperçut un carnet. Autour, il reconnut le bureau d'Heorick. Il savait qu'il ne pouvait s'attarder plus longtemps et remarqua seulement que le tiroir était ouvert.

Quand il revint à la situation autour de lui, il manqua de perdre l'équilibre. Il s'accrocha au mur et Heorick vint le soutenir.

— Tu es sûr que tu vas bien mon grand ?

Seynor hocha la tête quand une douleur lancinante faillit le faire s'écrouler.

— Tu dois être fatigué, mets ton poids sur moi, je vais t'aider à arriver dans ta chambre.

Tant bien que mal, le vieux dragonnien soutint son protégé avant de le glisser dans son lit.

— Je te préviens, tu as évité mes questions ce soir mais Leorn ne se fera pas avoir !

Un sourire espiègle se dessina sur les lèvres d'Heorick mais il disparut vite quand il pensa Seynor endormi. Il se passa ensuite la main dans la barbe et marmonna :

— Où est ce dragon quand j'ai le plus besoin de lui ? Je sens qu'on va finir par te perdre... 

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