Chapitre 16 : Garron


Les deux korroks faisaient face à Garron. L'odeur déjà forte de ses animaux était amplifiée par les chaleurs de la femelle. Il se félicitait d'avoir trouvé son odeur : c'était grâce aux phéromones dégagées par celle-ci que la meute aurait deux proies pour le repas. Les prédateurs les entouraient déjà, discrètement. Bien que ce ne soit pas très utile, tout à leur affaire, ils avaient perdu toute prudence. La femelle écarta sa queue pour ne pas blesser le mâle avec la pointe qui en dépassait au bout. Il attendit que les sabots du korrok quittent la terre ferme. De cette manière, les bêtes éprouveraient des difficulté à se démêler dans la panique tout en évitant de s'embrocher avec leurs défenses. Quand ce fut le cas, Garron gronda ce qui resserra le piège.

Les higwolgs quittèrent l'abri des arbres tout autour de la clairière. La pénombre tranquille fut alors envahie des cris des korroks mais aussi des grognements de sa meute. Le mugissement du mâle s'étouffa dans un gargouilli quand les mâchoires de l'alpha se refermèrent sur sa nuque qu'il secoua jusqu'à entendre un craquement. La femelle avait tenté de charger, ses trois cornes centrales en avant. Les plus jeunes higwrens s'écartèrent prudemment tandis que les mâchoires des enfants de Garron claquaient dans le vide. Rerkron manqua de s'empaler le museau sur l'épine osseuse au bout de la queue et Garron vit l'excès de rage envahir ses iris d'un marron sombre. Il bouscula la korrok avant de s'attaquer à sa gorge offerte. Ce n'était plus une mise à mort. Le frère de Garron arracha les lambeaux de chair dans un geyser de sang. L'agonie de la korrok résonna dans la clairière avant de s'éteindre dans un gargouillis.

Le silence était total devant cette scène. Seulement interrompu par le bruissement de la terre qui s'abreuvait et des grognements satisfaits de Rerkron. La meute observait interdite Garron. Lui-même n'avait jamais vu autant de sauvagerie pendant une chasse. Il pensait faire les choses de manière civilisée, abattre la proie proprement, pas de souffrance inutile. Exactement l'inverse de ce que son frère avait montré.

Malgré lui, il se revit des années auparavant. Une nuit de pleine lune. Encore aujourd'hui il craignait celles-ci : ce fut lors de l'une d'elles qu'il perdit sa partenaire. Bronka. Elle n'avait jamais eu son inclination à la civilisation. Mais, lorsque l'astre échauffait leur sang, la lutte avec l'armak devenait confuse. Elle avait commis l'erreur de trop, ça n'était pas passé auprès du Garhul. Il savait que son frère lui en voulait depuis ce jour, lui qui était si proche de Bronka. Il la voyait dans le pelage presque semblable de Krimson. Mais sa voix résonnait bien plus dans le discours de Rermon.

L'alpha reprit conscience de ce qui l'entourait quand Rerkron commença à choisir des morceaux sur la carcasse. Un jappement de Garron tenta de le rappeler à l'ordre, mais il fut ignoré. Pire, le loup sombre dévoila ses crocs luisants de sang. D'un bond, l'higwren blanc se dressa de toute sa hauteur face à son frère.

— Écarte-toi, ordonna Garron dans un grondement sans équivoque.

L'higwren gis se releva lentement, les gouttes du nectar rouge gouttaient au sol. Un roulement dans sa gorge évoqua un rire quand il lâcha :

— Je ne me battrais pas avec toi aujourd'hui mon frère.

— Alors respecte la hiérarchie, montre l'exemple, affirma l'higwren blanc en désignant le reste de la meute.

Rerkron imita sa soumission en se couchant le plus lentement possible, sa gorge juste sous le nez de son alpha. Garron soupira avant d'arracher une patte au korrok.

La meute se répartit les carcasses, pendant un instant le silence de la clairière disparut. Le bruit des crocs qui déchire le cuir, les museaux qui fouillaient jusqu'à arracher une côte dans un craquement d'os. Parfois des grondements s'élevaient pour obtenir une partie du cadavre. Soudain, un bruit de pattes frappant le sol attira l'attention de Garron. Une cadence régulière, l'objectif était de rejoindre sa meute au plus vite, mais il n'en avait pas envie. Krimson surgit d'un buisson sous les aboiements surpris de certains des siens. Il ne chercha pas à dominer pour manger, assis à l'orée de la scène il attendit que chacun se soit servi. Encore une leçon que Garron allait devoir lui donner pour devenir alpha. Son regard glissa vers Rermon, celui-ci s'était jeté sur le korrok au même moment que son oncle. Ils avaient manqué de mordre toute la meute et de se battre avant de manger. Est-ce vraiment ce qu'il souhaitait inculquer à Krimson ?

Enfin son cadet s'approcha des restes sous le désintérêt repus des higwolgs. Du moins c'est ce que songea Garron, avant que Rermon bondisse sur ses pattes pour se mettre en travers de son chemin.

— Le chouchou ne chasse pas avec nous mais il peut quand même profiter des proies ? gronda l'higwolg.

Krimson observa son frère, la tête baissée, à l'affût du moindre signe d'agression. Il attendait peut-être que l'alpha intervienne, mais Garron voulait voir de quoi ils étaient tous les deux capables.

— J'ai essayé d'arriver à temps pour la chasse mais j'ai été retenu, se défendit le plus jeune.

— Ah c'est vrai que notre petit prince suit l'école auprès des proies. Dis-moi petit frère, es-tu une proie ou un prédateur ?

Un roulement grave remonta le long de la gorge de Krimson. Le reste de la meute s'agita, la tension hérissait déjà les fourrures. Est-ce que Garron allait devoir intervenir finalement ? Il ne tenait pas à ce que ses enfants s'entre-tuent pour apprendre une leçon.

— Et toi, mon frère, es-tu un higwren ou un animal comme ceux que tu chasses ? désigna le cadet les restes des korroks.

Les deux higwrens avaient à présent les crocs dénudés. Ils étaient dressés de toute leur taille, bien que la musculature de Rermon lui donne clairement l'avantage. Au moment où ils s'apprêtaient à bondir, leur père s'interposa.

— Il suffit tous les deux. Krimson, va manger.

Le cadet avait déjà retrouvé son calme, la tête baissée, signe de soumission cette fois-ci.

— Attention à la fessée Rermon ! se moqua Rerkron ce qui déclencha les rires dans la meute.

La réaction ne se fit pas attendre. Tel un ressort, l'higwolg massif se jeta sur le petit, la gueule grande ouverte. Par réflexe, Garron l'attrapa par la peau du cou et le repoussa. En un clignement de paupière son fils tenta de se relever alors il appuya de tout son poids sur son corps.

— J'ai dit ça suffit ! tonna l'alpha, dans le calme absolu de la clairière.

Son fils observa Rerkron avec attention. L'alpha eut le temps de voir son frère baisser le museau, le message était passé. Rermon cessa de lutter, mais Garron ne se faisait pas d'illusion sur la raison.

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