Chapitre 14 : Krimson


— C'est ainsi que débuta le Mak Telor, introduisit l'higberg face à la classe.

L'higwolg sentit le regard de Mikreko se poser sur lui. Leur enseignant tourna sa tête boisée pour écrire les dates importantes au tableau. Autour de lui tous les higwrens prédateurs gardaient leur face obstinément vers leur copie. À l'inverse, ceux qui avaient un héritage de proie, se permettaient de les dévisager. Exactement comme ce que son meilleur ami était en train de faire.

Il avait redouté cette partie de l'histoire de son peuple dont il avait déjà entendu parler. Il préféra regarder partout ailleurs que son ami. La salle de classe faisait partie du Garhul, l'arbre roi. La magie de leurs ancêtres avait taillé dans le bois du plus grand et ancien être vivant de la forêt. Son tronc aurait pu en contenir des centaines tant il était large. mais toutes informations qu'il avait apprises entre ses murs ne lui faisait pas oublier le regard de son meilleur ami.

— Mikreko ça suffit je ne suis pas comme eux, souffla Krimson agacé dont les crocs luisaient dans sa mâchoire.

L'higberg se retourna vers ses élèves, le bruit de ses sabots résonna dans la pièce. Quand il vit le comportement de ses jeunes higwrens il fronça les sourcils et réclama leur attention. Il désigna les dates lorsqu'il lança :

— C'était il y a presque 700 ans mes chers petits, le procès de cette période est passé depuis bien longtemps maintenant. Aujourd'hui, je veux seulement vous enseigner les évènements, pour que la génération après la vôtre s'en souvienne.

Une fois que la classe eut retrouvée le calme, l'higberg reprit :

— Donc le Mak Telor. Comme vous le savez nos ancêtres avaient pris les formes que nous avons de nos jours. Quelqu'un me rappelle les évènements ?

— Ce fut progressif, Monsieur, nos ancêtres ont utilisé leur magie pendant deux cents ans avant d'en arriver à nous, répondit un higierv, ses longues oreilles attentives au moindre bruit alentour.

— Exactement, nos ancêtres, les Karelnarks, maîtrisaient la magie. Ils étaient loin de nous être semblables, bien qu'on ne sache plus exactement à quoi ils ressemblaient. À force de vivre dans la forêt, ils s'y sentirent étrangers. Toutes les autres espèces étaient dotées de poils, de griffes, de crocs. Alors un peu de magie par-ci, un peu de magie par-là, même sur leurs enfants. Progressivement la magie ne fut plus nécessaire, pire encore, elle finit par disparaître de notre peuple.

— Savez-vous à partir de quand nous sommes devenus des Higwrens Monsieur ? interrogea un higurs, ses bras massifs lui imposant d'être seul à son bureau.

— On le place à peu près à l'époque du Mal Gour, ce sont les higelgs qui l'avaient conseillé au premier Garhill. Tout le monde reconnaissait que nous n'étions plus les Karelnarks. À présent, le Mak Telor, cela s'est déroulé des centaines d'années après. Vos parents vous en ont-ils déjà parlé ?

La majorité de la classe hocha sombrement la tête et l'higierv ajouta :

— Les prédateurs avaient de nouveau oublié de qui ils descendaient, ils devenaient des animaux assoiffés de sang.

Des grondements s'élevèrent dans la pièce au moment où l'élève plongeait sous la table en armak. Bipède juste avant, une grosse boule de poils se tenait à présent sous le meuble. Les oreilles en alerte, l'higwren cherchait déjà une échappatoire.

L'enseignant reprit vite le contrôle de sa classe en tapant du sabot au sol.

— Tout le monde se calme, on garde le contrôle de son armak !

Une fois certain que ses élèves ne changeaient plus de forme, ce qui aurait réduit la pièce en morceaux pour quelques-uns, l'higberg pencha sa tête boisée vers l'higierv.

— Tamak, tout va bien, nous sommes ton peuple, il ne t'arrivera rien de mal ici.

Il dut patienter le temps que l'armak se calme avant de quitter sa cachette et de reprendre sa forme d'armal.

— Excusez-moi, parfois mon instinct animal reprend le dessus.

Krimson leva les yeux au ciel et réprima un rire en voyant l'air agacé de Mikreko. Son meilleur ami avait bien changé depuis qu'il connaissait l'higwolg, mais à une époque il avait été très similaire à Tamak. Comment leur en vouloir ? Leur forme animale, l'armak, était faite pour la fuite, contrairement à tous les autres higwrens. L'enseignant enjoignit à l'higierv de reprendre sa place avec un sourire rassurant avant de retourner au tableau.

— En réalité, c'était bien plus grave que cette définition. Ce n'est pas que les familles de prédateurs oubliaient ou ne pensaient qu'à se repaître des autres familles. En réalité, ils s'estimaient plus importants, parce que plus dangereux, et ils voulaient diriger à la place des higberns. Heureusement tous ne pensaient pas comme cela, quelqu'un sait quelle famille à jouer un rôle important pour ramener la paix ?

Krimson se rappela le regard bleu sur une branche, loin au-dessus de son museau. Ce regard qui semblait suivre chacun des pas de sa meute. Veillant à ce que les évènements ne se reproduisent pas.

— Les higelgs, marmonna-t-il assez fort pour que l'enseignant entende sa réponse.

Le malaise lui picotait la peau, est-ce que ses camarades s'en rendaient compte ? Mikreko savait-il que la famille de son meilleur ami était sous la surveillance de ceux qui veillent sur l'histoire de leur peuple ?

— Exact Krimson.

Les oreilles de chaque côté des bois de l'higberg se relevèrent quand il annonça la fin du cours.

— Tu en as déjà vu un ? Un higelg ? le questionna Mikreko pendant qu'ils rangeaient leurs affaires.

Le sourire de son ami se crispa et il espéra que l'ouïe des higiervs n'étaient pas aussi développée que la sienne.

— Non, mon père m'en a parlé, révéla-t-il, priant pour que sa voix ne mente mieux que son cœur.

Un mouvement dans son champ de vision lui fit comprendre qu'ils étaient écoutés. Une higwolg les rejoignit quand elle remarqua que Krimson l'avait repérée. Il n'arrivait pas à voir où s'arrêtaient ses cheveux et où commençait la crinière de poils. L'effet était d'autant plus saisissant que ceux-ci paraissaient aussi sombres que sa peau n'était mordorée. Elle eut la décence de prendre une expression désolée quand elle prit la parole :

— C'est étonnant qu'aucun d'entre nous n'ait jamais vu un higelg, non ? Après tout, ce sont ceux qui en savent le plus sur notre peuple.

À sa manière de le dévisager, Krimson sut qu'elle ne dirait rien, mais elle savait qu'il avait menti.

— C'est exactement ce que je me disais ! s'exclama Mikreko, surtout quand on connaît ta famille Krim, je veux dire, c'est étonnant qu'il n'ait pas reçu de rappel à l'ordre.

Malgré le mouvement de tête de Krimson, l'higierv termina sa phrase sans comprendre.

— De rappel à l'ordre ? De quelle meute tu viens ?

L'higwolg sentit son poil se hérisser, il avait trop honte pour parler de sa meute. Pas alors qu'il était au Garhul, entouré par des higwrens civilisés. Pas quand il était le seul représentant de sa meute à y avoir mis les pattes. Son expression se referma quand il répliqua :

— Tu m'excuseras mais je n'ai pas l'habitude de parler de mes histoires de famille à quelqu'un dont je ne connais pas le nom.

Mikreko écarquilla les yeux devant le ton de son ami. Ce n'était pas dans son caractère de repousser les autres. Krimson espéra qu'il n'allait pas lui poser plus de questions.

— Oh pardon, mon instinct a dû prendre le dessus, persifla-t-elle en jetant un regard mauvais à Tamak, de toute évidence, elle non plus n'avait pas apprécié la remarque. Je m'appelle Preska, je fais partie d'une des meutes autour du Garhul.

Krimson se crispa, c'était encore pire, toute sa famille avait dû suivre un enseignement. Pour quel prédateur il allait passer s'il racontait de quel genre de meute il venait ? Il vit que Mikreko s'apprêtait à les présenter mais il préféra le couper :

— Je m'appelle Krimson, et mon ami Mikreko, tu sais déjà ce que tu feras plus tard ?

Preska haussa un sourcil, il se doutait qu'elle se rendrait compte de la supercherie. Son regard noisette passa d'un ami à l'autre. Ça devait la titiller de l'interroger plus avant. Mais après un dernier éclat de croc, peut-être une mise en garde, elle révéla :

— Ma famille est soit engagée pour la protection du Garhill soit enquête sur des vols... ou bien des agressions. Et toi Krimson, quel rôle prendras-tu dans notre forêt ?

Une lueur de compréhension sembla fuser dans les yeux de Mikreko qui reprit le rangement de ses affaires. Son ami l'imita en grommelant d'un air occupé :

— Mon père songe à me donner le rôle d'alpha.

Lui-même n'y croyait pas, il s'agissait plus d'une blague personnelle. Mais, d'après les expressions des deux autres higwrens, ils n'avaient pas saisi le ton.

Preska ouvrait déjà la bouche pour continuer son interrogatoire et Krimson sut ce qu'il devait faire. Il n'en avait aucune envie mais il ne voulait pas l'affronter pour le moment. Il retira alors sa tunique en olpokir qu'il remit avec ses affaires à Mikreko. Celui-ci les prit par habitude et Krimson ajouta :

— Je dois filer, c'est presque l'heure de la chasse, encore merci à tes parents pour la tunique.

Il dut faire face aux observations embarrassées de ses camarades quand il quitta la classe. Autour du Garhul il était peu fréquent de se promener sans habits. Seuls les plus bestiaux d'entre eux le faisaient. Et c'était encore plus mal vu de girmalk, songea Krimson en prenant sa forme d'armak entre deux arbres. Il crut entendre des exclamations outragées mais il courait aussi vite que ses pattes le permettaient. Il voulait fuir cette matinée.

Il n'avait jamais eu aussi honte de faire partie de sa meute qu'en cet instant.

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