Chapitre 11 : Seynor


— Et voici la salle de géopolitique ! annonça Hérénice d'un geste de bras.

Si, au début, Seynor avait espéré mettre à profit la visite pour gagner des points auprès de la jeune fille, il avait vite déchanté. En effet, cette dernière n'accordait son attention qu'à Galwyn, et celui-ci avait bien du mal à la lâcher des yeux. Le peu d'échanges visuels auxquels le dragonnien avait eu le droit, lorsqu'il posait des questions essentiellement, étaient pleins de mépris et parfois même de méfiance.

Ils entrèrent dans la pièce dont les murs étaient couverts de cartes de Teldanarie et des plateaux dragonniens. La plupart des élèves de leur classe étaient déjà installés, au désespoir de Seynor qui reconnut des jeunes de l'altercation. Ses deux nouvelles connaissances s'installèrent ensemble et il hésita quelques secondes à les suivre. Il s'empressa finalement de les rejoindre quand il sentit des regards agressifs se poser sur lui. Sur le moment, il se sentit comme un charvorion entouré de colthion. Lorsqu'il tira la chaise près de Galwyn, il entendit le soupir d'Hérénice mais n'y fit pas attention : il suivrait le blond jusqu'aux toilettes s'il le fallait. Et peu importait la mauvaise humeur de la jeune fille.

Le professeur entra peu de temps après, les bras chargés de livres.

— Bienvenue à toutes et à tous pour cette nouvelle année à l'académie, et peut-être la dernière pour certains. À ces mots, Seynor entendit Galwyn déglutir. Je suis le professeur Helron, et avant toute chose, qui pense passer l'examen cette année ?

Hérénice, Seynor et la moitié de la classe levèrent la main. Galwyn et Hérénice lancèrent un regard surpris au brun.

— Comment tu peux espérer réussir l'examen avec une année d'académie ? persifla la jeune fille comme s'il avait craché sur la tombe des fondateurs de l'académie, moi j'en suis déjà à ma troisième année et j'avais des précepteurs avant même que je ne mette les pieds à l'école !

Un air de panique se peignit sur le visage de Galwyn, mais Seynor ne s'attarda pas dessus. En dépit de son air outré et de son discours, le jeune homme ne pouvait pas s'empêcher de s'extasier devant la beauté sauvage d'Hérénice. Sa réaction sembla perturber cette dernière qui replaça son bandana.

Galwyn sortit soudain de sa léthargie quand il bégaya :

— Mais... Combien d'années je vais devoir perdre ici avant de pouvoir aider mon village ?

Ses voisins le regardèrent, tous les deux ébahis des mots qu'il avait employés. Quand il remarqua leur incompréhension, il s'expliqua :

— Je ne suis pas comme vous, les jeunes de la capitale, mon objectif n'est pas d'accumuler les années d'académie. Je suis venu passer l'examen à Olédrek uniquement pour avoir la certification et qu'un forgeron m'apprenne son métier. Celui de mon village est trop vieux pour continuer.

Seynor vit l'éclat dans les yeux d'Hérénice s'atténuer et, malgré son empathie pour la situation de Galwyn, il ne put s'empêcher d'avoir la réflexion qu'il avait sa chance.

— Tu sais Gal, c'est ma première année ici, comme l'a souligné Hérénice, mais je compte quand même passer la certification. On peut s'entraider si tu veux.

— Et avec quelles connaissances exactement ? l'interrogea la jeune fille dont la voix était aiguisée par le sarcasme, moi à l'inverse, je peux te prêter mes cours.

À ces mots, Seynor réalisa qu'elle avait retrouvé son éclat qu'elle ne réservait qu'à Galwyn. Le jeune homme serra son poing de frustration mais il se reconcentra sur son ami. Il crut un instant qu'elle allait lui tirer la langue mais elle n'en fit rien.

— Le groupe au fond, on ne vous dérange pas trop ? Ou peut-être en savez-vous déjà assez ?

Hérénice rougit violemment et baissa la tête, suivit de Seynor, contrairement à Galwyn qui répliqua :

— Alors c'est ça l'académie d'Olédrek ? Les étudiants n'ont aucun droit de parole ? C'est comme ça que vous voulez nous faire développer notre sens critique ?

Le silence régna dans la pièce, les deux adversaires s'observaient, la pression pulsait dans la salle quant à savoir lequel allait perdre la bagarre.

— Sachez, jeune homme, que pour développer un esprit critique il faut de l'esprit et des connaissances, possédez-vous l'un ou l'autre ? Ce sera à moi d'en juger.

Les lèvres de Galwyn se serrèrent en une ligne fine et Seynor crut pendant un instant que la veine dans son cou allait exploser. Devant l'absence de réponse, le brun espéra que le professeur reprendrait son cours mais apparemment il voulait enfoncer le clou quand il l'interrogea :

— Connaissez-vous les Higwrens, jeune homme ?

Galwyn resta muet mais ne lâcha pas l'enseignant du regard. Seynor aperçut Hérénice lui faire signe de se calmer.

— Vous pouvez peut-être nous parler de leur système socio-politique ? continua la voix mielleuse du professeur, dont le regard évoquait celui d'un cofelion qui avait attrapé un lakpion.

Le visage de Galwyn commençait à se décomposer et Seynor désespérait de ne pas pouvoir aider son ami. Il savait toutes les réponses aux questions. Dans sa tête, il récitait son cours qui serait si utile au blond.

Soudain, ce dernier se mit à réciter d'une traite :

— Les Higwrens sont l'un des plus anciens peuples de Teldanarie avec les dragonniens. Ils descendent des Karelnarks, qui nous ressemblaient. Aujourd'hui, après des siècles de modifications magiques de leurs gènes, ils ressemblent plus à des animaux et ont perdu leur accès à la magie...

— Ça ira jeune homme.

— ... Ils sont dirigés par le Garhill, une sorte de monarque depuis le Mal Gour...

— Nous avons compris, il suffit ! ordonna le professeur qui semblait inquiet.

— Gal, calme-toi ! chuchota Hérénice qui le secoua doucement.

Le visage de Galwyn était crispé, ses yeux partaient de droite à gauche, comme s'il cherchait de l'aide. Mais personne ne savait comment le faire taire.

— ... La garde royale est composée d'higwolgs, des Higwrens quadrupèdes...

Seynor était sous le choc. Au mot près, il était certain d'entendre le cours qu'Heorick lui avait enseigné. Il tentait de comprendre ce qu'il se passait : comment Galwyn pouvait savoir tout ça ? Plus il essayait de comprendre son ami, et plus la panique montait en lui. L'afflux de connaissances, d'abord un murmure, commençait à gagner en intensité. À présent, il devait se retenir de mettre ses mains sur ses oreilles, il voulait que cela cesse. Enfin, la voix se tut et il réalisa que Galwyn avait fait de même.

Un silence s'installa dans la salle. Hérénice soupira et ses traits se décontractèrent tandis que Galwyn peinait à reprendre sa respiration, son regard fixé sur la table. Le professeur ouvrit la bouche, la colère brillait déjà dans ses yeux. Seynor réfléchit à toute vitesse, il voulait vérifier sa théorie. Il braqua alors son regard sur l'enseignant et lui enjoignit mentalement de reprendre son cours. Après quelques instants, la bouche entrouverte, le professeur retrouva le sourire et débuta la leçon du jour.

— C'était quoi ce bordel ? souffla Galwyn qui ne paraissait toujours pas remis.

Seynor hésitait à lui répondre. Il ne savait lui-même pas très bien ce qu'il avait fait. Que lui-même puisse imaginer qu'il avait provoqué ça le choquait... Qu'est-ce que celui qu'il l'avait subi pourrait en penser ? Le regard noir qu'Hérénice lui lança mit fin à sa réflexion. Il détourna d'ailleurs les yeux de ses amis pour remarquer que tout le monde, à l'exception de l'enseignant, le fixait. Il n'osa rendre la pareille à ceux qui lui en voulaient déjà depuis le matin. Il remarqua cependant un dragonnien plus jeune que lui.

Comme instinctivement, celui-ci posa la main sur son torse. D'après la position, Seynor devina qu'il tenait un pendentif. Comme il l'avait fait pour Galwyn, il tenta de pénétrer l'esprit du jeune dragonnien. Plus il se sentait approcher de sa cible et plus il psalmodiait son ordre mental. Il voulait voir le pendentif. Cependant, il finit par se heurter à une barrière invisible. Sous le choc, il eut un hoquet de surprise qui attira l'attention de ses amis. Il crut lire le même étonnement dans les yeux clairs du jeune mais il baissa la tête et lâcha son pendentif.

— Hé Seynor, tu te mets avec nous ? lui proposa Galwyn.

Sa voix fit sursauter Seynor qui entendit Hérénice murmurer qu'ils n'avaient pas besoin de lui. Le jeune dragonnien s'empressa de répondre avant que son récent ami ne change d'avis.

— J'adorerais faire quoi que ce soit avec vous ! s'enthousiasma Seynor le plus discrètement possible.

Puis, devant l'air gêné de Galwyn, il se reprit pour leur demander de quoi il s'agissait.

— Si tu arrêtais de fixer les gens, tu aurais entendu le devoir que le professeur Helron vient de donner, releva Hérénice avec un sourcil haussé dans un angle parfait.

Un sourire plein d'espoir lui échappa, l'observait-elle en cachette ? Il s'extasiait à cette pensée quand un détail attira son attention au milieu du front de la jeune fille. Sous son bandana, il crut discerner une lueur, mais Hérénice replaça le tissu par-dessus. Il allait l'interroger sur ce que cachait ce mystérieux bandana mais il comprit vite qu'elle ne satisferait pas sa curiosité. Ses lèvres pincées et sa mâchoire crispée criaient l'indignation. Mais surtout dans son regard brillait la peur.

— On doit préparer un exposé en groupe sur une affaire du conseil, lui expliqua Galwyn.

— Ça tombe bien, mon mentor est un conseiller et, depuis qu'il m'a appris à écrire, je prends en note des synthèses de conseil ! se réjouit Seynor.

— Ma mère aussi est une conseillère mais ils ont autre chose à faire que nous aider à faire des exposés, railla Hérénice, et je doute que tes synthèses, réalisées par quelqu'un qui n'a jamais mis un pied à l'école donc, puissent nous être d'une quelconque utilité.

— Et moi je t'assure qu'Heorick nous aidera !

Hérénice ne le contredit plus, son expression dubitative parlait pour elle.

Le cours suivant s'intitulait "technique de vol", Seynor pouvait donc rentrer chez lui. Hérénice s'éloigna sans un au revoir. Pire encore, elle attendait uniquement Galwyn avec une impatience non dissimulée. Ses soupirs se faisaient de plus en plus appuyés et Seynor supposa que d'ici peu elle se mettrait à taper du pied. Galwyn cependant eut plus de mal à partir. Ses yeux argentés écarquillés, il avait la bouche légèrement entrouverte. Son regard rebondissait de Seynor à Hérénice mais il n'avait toujours pas esquissé un mouvement. Soudain, son visage se crispa et rougit. Sans plus d'hésitation, il rejoignit la jeune dragonnienne d'un pas déterminé. Celle-ci le suivit avec un sourire fier tandis que Seynor n'avait toujours pas bougé.

Il sortit dans la cour juste à temps pour voir les retardataires s'envoler. Dans le ciel brillaient les écailles des différents dragons. Il passa l'arche, le regard fixé sur les acrobaties auxquelles s'adonnaient les dragonniens. Parfois, Heorick essayait d'expliquer à Seynor le lien qui les unissaient aux dragons. C'étaient plus que de simples partenaires. Quand un dragonnien était avec son dragon, c'était comme s'il se sentait de nouveau entier. La communication avait beau être possible entre les deux mondes, être proche de son dragon était une sensation incomparable.

Seynor revoyait son mentor lui expliquer cette connexion, des étoiles plein les yeux. Mais généralement, il évitait de s'éterniser et adressait au jeune homme un regard désolé et empli de pitié. Seynor soupira. Il avait beau avoir Heorick, il se sentait seul parmi les siens. Il se sentait seul quand il voyait les regards complices entre son mentor et Leorn. Il se sentait seul quand, dans les moments de silence, il devinait des conversations desquelles il était exclu. Il se sentait seul dans ce monde où le fait d'être seul n'était pas normal.

Perdu dans ses pensées, il tarda à se rendre compte qu'il n'avait nulle part où aller. Par automatisme, il prit la direction de l'amphithéâtre pour retrouver Heorick. À présent, il ne voyait plus sa classe dans le ciel, ils devaient s'amuser à zigzaguer dans les canyons qui entouraient Olédrek.

Lorsqu'il parvint au conseil, il n'osa pas monter dans les gradins : une séance était en cours et il ne souhaitait pas perturber Heorick. Au centre se tenait un homme seul. Les épaules basses mais aucun garde ne le tenait, ça devait être un plaignant. C'était tout de même étrange : d'habitude, les plaignants préféraient avoir leurs dragons auprès d'eux. C'est quand il vit Delgon qu'il comprit. Le conseiller du feu avait les narines pincées et les bras croisés, mais par-dessus tout, son regard fuyait celui de l'homme. Le dragonnien avait sûrement perdu son dragon, ce qui faisait de lui un heremas.

— Comment est-ce arrivé ? l'interrogea Armelia.

Son Guarmar essayait d'attirer son attention à l'aide de bulles d'eau, mais la conseillère lui mit la main sur le museau pour lui faire comprendre que ce n'était pas le bon moment. Klaris, la conseillère de l'air, quant à elle, se préoccupait de nettoyer les petites poussières entre les écailles de son Vermar. Pendant un instant Seynor réalisa qu'il devait s'agir de la mère d'Hérénice, mais le conseil captait trop son intérêt pour qu'il s'y arrête.

— On revenait d'une livraison au poste de gardes à la frontière de la Terre Nécromage. Comme on avait de l'avance, on a fait une halte dans un canyon. C'est là qu'ils ont surgi.

Le dragonnien fixait le vide face à lui. À quoi pouvait penser un esprit qui découvrait la solitude ? Est-ce qu'il cherchait quelqu'un pour répondre à la détresse qui le tourmentait ? Était-ce pour cela que les heremas finissaient par perdre la raison ? À force d'attendre une réponse qui ne venait pas ? Seynor aurait voulu lui venir en aide. Lui insuffler un brin de soutien dans ce monde que lui ne connaissait que trop bien. Peut-être n'était-ce qu'une illusion mais les épaules du dragonnien semblèrent se relâcher.

— Qui a surgi, dragonnien ? releva Heorick.

Le plaignant sursauta comme s'il venait de se faire piquer par une aiguille.

— Ceux dont les chevaucheurs devaient nous protéger !

— Des nécromages ? proposa Delgon, le poing serré.

— Non, il faut croire qu'il y a pire que les nécromages, conseiller.

Delgon n'ajouta rien, mais son haussement de sourcil évoquait plus qu'un long discours ce qu'il pensait de cette affirmation. Il se replongea ensuite dans son siège sans accorder plus d'attention au plaignant.

— Ce sont des bandits venus de partout en Teldanarie. Ils viennent sur nos terres, attaquent les dragonniens et pillent la République. Que fait le conseil pour arrêter ça ? accusa le l'homme dont la flamme de la colère brillait plus fort que la souffrance cette fois-ci.

Le conseiller manqua de tomber de son siège quand il se releva, piqué au vif. Il frappa la table et persifla d'un air hautain :

— Comment osez-vous ! Il va falloir vous calmer dragonnien !

— Me calmer ? souffla le plaignant comme si Delgon l'avait giflé, ce sont sous mes yeux qu'ils ont tué mon Brazégar ! Ce sont sous mes yeux qu'ils lui ont arraché les écailles ! C'est la moitié de mon esprit qu'ils ont arraché à ce moment-là ! Et vous m'ordonnez de me calmer ?

— Personne ne peut tuer un dragon, ricana Delgon, méprisant.

— Personne, à part un autre dragonnien et son dragon !

— Il suffit ! s'écria Heorick qui tenta d'apaiser les deux hommes, nous retrouverons ces bandits et ils seront jugés.

Les chevaucheurs commençaient à éloigner l'homme du conseil, mais celui-ci ne semblait pas satisfait. Il se dégagea de l'emprise des gardes et lança :

— Et pour moi, que faites-vous ?

— Vous êtes à présent un heremas, il n'y a rien que nous puissions faire contre ça, répliqua le conseiller du feu d'un ton sarcastique.

Seynor attendit la réaction d'Heorick, lui trouverait sûrement autre chose à répondre. L'homme ne pouvait pas être renvoyé comme ça. Après un croisement de regard entendu entre Armelia et le mentor du dragonnien, celui-ci énonça :

— J'appuie la réponse de mon collègue, nous ne pouvons malheureusement rien faire de plus pour vous, je suis désolé.

Seynor n'en croyait pas ses oreilles. D'un signe de tête, Heorick ordonna aux gardes de raccompagner l'homme. Celui-ci continua de se débattre et de hurler des insultes longtemps après avoir quitté l'amphithéâtre.

Seynor observait toujours son mentor. Son cœur battait à toute vitesse, comment Heorick avait pu conclure de cette façon ? Soudain, ce dernier tourna sa tête vers Seynor mais celui-ci se cacha derrière le mur par réflexe.

— Un heremas de plus à Olédrek, observa Delgon, cette fois-ci il a l'air hargneux, on devrait le faire surveiller, personne ne veut d'un nécromage à la capitale.

— Ils ne finissent pas tous nécromages, souleva Armelia avec une pointe d'agacement.

— Je suis d'accord avec Delgon, Armelia, soupira Heorick d'un air las, je ne veux pas que nos concitoyens subissent cette menace.

Le cœur de Seynor se glaça. Une menace ? Après ce qu'il avait fait aujourd'hui, était-il une menace ? Il savait déjà que ce n'était pas normal, mais ça il ne l'était pas depuis sa naissance. Heorick allait-il le faire surveiller ? Ou pire, l'avait-il pris chez lui pour le surveiller en personne depuis sa naissance ? Il finit par prendre la décision de ne rien lui dire et de ne pas rentrer tout de suite. Il allait avoir besoin de temps pour digérer tout ce à quoi il venait d'assister. Il s'éloigna alors de l'amphithéâtre.

Seynor ne savait pas vraiment où il allait. Il laissait ses pas le guider pour le moment. Il voyait à peine ce qui l'entourait. Il ne remarqua donc pas que le décor changeait progressivement. Les immeubles clairs et lumineux disparaissaient peu à peu pour être remplacés par de petites maisons. Par ici, tout semblait plus sombre et plus sale. Il y avait peu de dragonniens à l'extérieur, et la plupart scrutaient les alentours avec méfiance.

Quand Seynor sortit de ses pensées, il sursauta, il n'avait aucune idée d'où il se trouvait. Il était certain qu'Heorick ne l'avait jamais amené ici. Il hésitait à demander son chemin, ceux qui l'entouraient ne lui inspirait pas confiance. Des marmonnements inintelligibles se faisaient entendre sans que personne n'y réponde. Seynor mit du temps à réaliser ce qui l'angoissait vraiment : rien autour de lui n'indiquait la présence de dragons. Aucun battements d'ailes, pas de fumée ni de rugissement, rien que des silhouettes aux regards hagards qui ressemblaient à des dragonniens.

Seynor prit conscience que cela faisait un moment qu'il était immobile au milieu de la rue. Des regards commençaient à se poser sur lui, ce qui le fit frissonner. Il se remit à marcher tout droit, à un rythme plus soutenu. La rue se dégagea progressivement au grand soulagement du jeune dragonnien. Il s'arrêta soudain, ébahi cette fois-ci : face à lui s'ouvrait la gueule béante d'un dragon. Il venait de tomber sur le seul escalier d'Olédrek. En effet, la majorité de ses concitoyens n'avaient aucun besoin de ce moyen pour monter ou descendre, ce n'était cependant pas le cas des heremas ni, plus important, des représentants des Elayriens.

Seynor pénétra dans la gueule taillée plusieurs siècles avant sa naissance. Il passa la main sur ces crocs qui faisaient la moitié de sa taille. De l'autre côté commençait la descente, divisée en deux par les arêtes sur le dos de la bête. Seynor ne pensait pas se rendre tout en bas, il n'aurait nulle part où aller et ne se voyait pas faire le trajet dans les deux sens. Cependant, il ne voulait pas encore rentrer, alors il décida de descendre quelques mètres pour voir les canyons. Malgré la barrière rocheuse sur les bords qui déconseillait de se pencher, Seynor ne put s'en empêcher. À peine parvenait-il à voir les degrés inférieurs qu'il recula : la nausée lui retourna l'estomac. Il enragea encore à cette constatation, un dragonnien qui avait peur du vide. Quelle déception. Cependant il ne parvint pas à se résigner de rentrer, il se promit de ne plus regarder en bas et continua sa descente.

Le soleil avait déjà progressé dans le ciel quand il réalisa qu'il venait seulement de faire un tour d'Olédrek : la gueule du dragon s'ouvrait juste au-dessus de sa tête. Soudain, deux dragons passèrent à toute allure dans un rugissement. Les deux dragonniens sur leurs dos criaient de joie et leurs rires parvenaient jusqu'à Seynor. Déjà frustré par cette vision, son sang ne fit qu'un tour quand il reconnut les dragonniens : Hérénice et Galwyn. L'une sur son Vermar et l'autre sur son Faeldrmar imposant. Les deux virevoltaient ensemble, ils enchaînaient les cascades aériennes et les piqués.

Malgré la jalousie qui tenaillait son ventre, Seynor ne pouvait s'empêcher d'admirer la grâce d'Hérénice. La jeune dragonnienne paraissait tout autant voler que son dragon. Elle se jetait dans le vide, ses boucles châtains comme une traînée derrière elle. Son dragon la rattrapait finalement et elle s'amusait à se mettre debout sur son dos. De là, elle marchait de la queue du Vermar à son museau qu'elle caressait sans crainte. Tout dans sa démarche démontrait sa fierté.

Seynor fut tiré de sa rêverie par trois nouveaux dragons qui suivaient la courbes de l'escalier.

— Attendez, ce n'était pas l'erreur de la nature ?

C'était la voix de Melinor, lui et ses deux amis firent demi-tour et le jeune dragonnien paniqua : il était seul et ils avaient leurs dragons, personne n'allait le protéger. Il chercha à contacter Galwyn comme à l'académie mais, peut-être à cause de la distance, il n'y parvint pas. Le battement des ailes se rapprochait, il allait se faire massacrer. Comme apparu par magie, Seynor avisa une fissure dans la roche, près de la patte du dragon de pierre. Il s'approcha de nouveau du bord de l'escalier et, le regard loin du vide, il passa par-dessus la barrière avant de trop réfléchir.

Il s'accrocha aux arêtes rocheuses taillées dans la pierre de la patte et se hissa jusqu'à la fissure. Il se glissa à l'intérieur au moment où les trois jeunes repassaient devant la crevasse. Il soupira de soulagement quand il les entendit s'énerver à l'extérieur. Il remarqua ensuite la chaleur ambiante, ce qui attisa sa curiosité. Du bout des doigts, il comprit qu'un tunnel le menait plus à l'intérieur de la roche. La température se fit de plus en plus étouffante jusqu'à ce qu'il voit une lueur à un tournant.

De l'autre côté, il atterrit dans une grande salle éclairée par des puits de lave. Il transpirait déjà à grosses gouttes, mais il était hors de question pour lui de faire demi-tour : il était certain d'être tombé sur la tanière d'un Faeldrmar sauvage, sous la capitale. Après avoir vérifié que le propriétaire n'était pas là, il s'aventura un peu plus à l'intérieur. Les dragons sauvages n'étaient pas comme les liés. Malgré leur intelligence, ils avaient un instinct beaucoup plus animal.

Seynor vit, au centre de la caverne, quelque chose qui attira son attention. Il s'en approcha le plus vite qu'il put tout en veillant à ne pas glisser dans un trou de lave. Posés en équilibre près d'un puit, trois œufs rougeoyants. Le jeune dragonnien faisait face à trois œufs de Faeldrmar. Des larmes aux yeux, il posa sa main sur l'un d'eux. La brûlure était douloureuse mais il ne pouvait pas retirer sa main, ce serait probablement la seule fois où il pourrait assister à ce spectacle. Les dragonniens n'avaient jamais vu leurs dragons éclorent. Au moment de la connexion des esprits, les dragons étaient déjà matures.

À l'intérieur, quelque chose remua sous la main de Seynor. Il aurait juré sentir un grattement. Par instinct, il tenta de pénétrer la coquille mentalement. Il eut chaud au début, ensuite il eut l'impression d'être reniflé. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Il était observé avec curiosité. Il formula alors un vœu. Celui qui le tiraillait depuis toujours. Avoir un compagnon, un ami.

Un craquement résonna dans la caverne, mais c'est une détonation qui retentit dans l'esprit de Seynor : l'œuf avait éclos.

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