Interlude


Encore vous. Ai-je vraiment besoin de faire un commentaire supplémentaire ? Reprenons où je vous avais laissé voulez-vous. Auprès de cette femme, allongée près de son arbre. Reprenons ici et remontons ensemble toute la série de causes et de conséquences qui l'ont mené à accomplir cet acte trivial mais ô combien commun pour les vôtres.

Il faut remonter loin, avant la douleur, avant la perte, avant le mal tout simplement. Il nous faut nous en allez aussi. Quitter les terres du continent d'Asmodia, que vous commencez petit à petit à connaitre pour aller plus loin. Au-delà des forêts, au-delà des mers, sur des terres qui ne sont plus là depuis bien longtemps.

Vous les voyez à votre arrivée, elles dégagent quelque chose de différent de ce que vous connaissez. Elles exhalent d'une atmosphère plus effervescente, plus fumeuse et agitée. Plus...mécanique peut être ?

Approchons-nous encore un peu, si vous le voulez. Vers...cette ville là-bas, tiens. Qu'en dites-vous ? Non pas que vous ayez le choix mais vous admettrez que j'aurai eu au moins la politesse de m'enquérir de votre avis.

Elle est bien différente, cette ville, n'est-ce pas ? De grandes tours de métal semblant vouloir défier les cieux, de la fumée noire s'échappant de cheminées crasseuses, une odeur étouffante et un bruit incessant. Le cliquetis des horloges se répercute sur les parois métalliques des trop nombreuses devantures. C'est à vous donner mal à la tête !

Quoi qu'il en soi, au-delà de cet aspect singulier, quelque chose est différent. La cité s'agite. Quelque chose a eu lieu. Une dispute ? Une mésentente ? Qu'importe, le mal est fait. Quelque chose de grand est en train de se produire. Le destin est en marche.

Vous voyez un petit groupe se presser vers les navires. Vous voyez la foule rassemblée autour d'eux. Que disent leurs regards ? Difficile à évaluer. Certains semblent inquiets, d'autres soulagés. D'une certaine manière, ils ne sont pas bien différents des miséreux de Kirinal, se réunissant au pied de la Tour au moindre bruit étrange. A cela près, qu'ici, il n'y a que des humains. Des gens comme vous, avec leurs vices et leurs vertus. Plutôt leurs vices d'ailleurs, si vous me demandez mon avis.

Ici, nulle trace d'elfe, de magicien ou d'autres êtres fantasques. Seulement des hommes et des femmes plus ou moins abimés par la vie. Les plus riches, on les remarque aisément, je pense que même vous en êtes capable. Les membres qui manquent à certains d'entre eux sont remplacé par d'ingénieux mécanismes faits d'engrenages soigneusement huilés et de métal rutilant. Les pauvres, eux -du moins ceux qui ont eu la chance de s'octroyer un mécanicien- ont de vieux modèles, couverts de crasse et de rouille. En si piteux état que ne rien avoir serait peut-être un bien.

Enfin, qu'est-ce que cela peut bien faire ? La plupart seront morts dans les années à venir.

Au milieu de cette foule disparate, un homme, une valise à la main, foule les pavés abimés de la ville de fumée qu'est Kasmerio. Le fleuron du continent. Là où les dirigeables ont volé avant tous les autres. Là où la science est à son apogée. Là où l'engrenage est maitre et où l'erreur n'a pas sa place. Là où les lois sont les plus strictes.

Le Laboratoire avait été clair sur la question pourtant : une liberté totale de recherche tant que l'on n'attentait pas à la vie. Mais, comme vous, ces êtres sont humains. Si faibles et prévisibles. Alors il y avait eu des disputes, des mésententes, et le Schisme était arrivé.

Ne me regardez pas comme ça, enfin ! Ce n'est tout de même pas à moi de vous donner des leçons d'histoire sur ce monde ! Je savais les hommes ignorants par nature, mais à ce point-là, cela en devient agaçant ! Non, vraiment ? Cela ne vous dit vraiment rien ? Passons, cette fois encore, sur vos risibles lacunes et laissez-moi succinctement vous narrer l'occurrence du Schisme, puisqu'il s'avère que je me suis fait humble narrateur de ce triste conte.

C'est arrivé il y a si longtemps et pourtant je m'en souviens comme si c'était hier ! Ce simulacre de procès forçant les belligérants à s'exiler en Asmodia. Nul ne savait vraiment ce qui les attendait de l'autre côté de la mer d'ébène. Quelques explorateurs du bout du monde étaient revenus de leurs pérégrinations à l'est avec des récits des peuplades de l'Autre Terre. Des peuples primitifs et arriérés, usant de magie et non de science. Des terres sans intérêt dont les cultures n'étaient pas meilleures que les leurs et où il n'y aurait nul intérêt d'aller si ce n'est pour les cartographier.

Mais, là-bas au moins, ils seraient libres. Libres d'agir à leur guise, d'expérimenter comme bon leur semblait.

De surpasser les Dieux.

Nerwïn l'a bien compris, lui.

C'est avec un sourire heureux qu'il fait ses derniers pas sur le port de Kasmerio.

C'est avec un regard moqueur qu'il salut ironiquement la foule, amassée aux bords des flots, en grimpant à bord du bateau à vapeur qui l'emmène vers son destin.

C'est avec un rire ravi qu'il quitte les brumes vaporeuses du continent d'Elmir.

C'est avec un rictus de stupeur qu'il mourra des mains de sa femme.

Mais pour l'instant, laissons-le vivre, voulez-vous, cet homme à la chevelure rousse et à l'air trop sûr de lui. Son arrogance n'a d'égal que son génie. Il me rappellerait presque un certain sorcier. Ou bien est-ce sorcier qui me renvoi au souvenir du Scientifique ?

Enfin, que sont les souvenirs au fond ? Des images à la dérive qui n'ont de sens que si l'on sait les remettre dans l'ordre. Des images à la dérive comme ces dix bateaux qui crachent leur fumée noire sur la mer impassible, leurs voiles désuètes poussées au gré de mes envies.

Ils voyageront longtemps, les bannis de la cité. A travers les flots jusqu'à atterrir enfin sur une terre déserte. Les cartographes n'avaient pas menti. Il n'y avait rien à espérer de ces lieux. Deux, trois maisons aux toits de chaume aux abords d'une grande forêt. Des pêcheurs et des fermiers principalement.

Mais, lorsque l'on s'approche pour demander à ces pauvres gens où l'on a atterri, ont leur répondit « Byavask ».

Et c'est là, mon ami, tout l'intérêt de la chose.

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