Interlude

Nos protagonistes sont en place, tel des pions sur un échiquier, l'histoire peut commencer. Oh ? Vous pensiez que c'était déjà le cas ? Mais mon cher, voyons, vous n'avez encore rien vu. Vous n'avez pas vu les batailles perdues, les amis tombés, les souffrances engendrées. Vous n'avez pas vu toute cette douleur qui rend l'esprit humain si particulier et délicieux à mes yeux.

Je pourrais vous montrer tellement de choses. Tant de mondes brisés et de vies perdues qui pourraient s'étendre sous vos yeux. Mais de toutes les histoires j'ai choisi celle-ci. Pourquoi me demanderez-vous. Elle a une saveur toute particulière je trouve. Un parfum d'inéluctable qui flotte dans les cieux et que le temps ne fait que retarder.

Cette épée de Damoclès qui vole au-dessus de leurs têtes à tous autant qu'ils sont, la sentez-vous ? Comment tout cela va-t-il finir ? Oh, je pense que vous le savez. Vous ne restez là que parce que je vous divertie de vos mortels ennuis. Et pourtant je vous agace. Qu'est ce qui ne vous plait pas dans cette délicieuse narration ? Le fait que vous me sentez derrière chaque mot, chaque phrase vous mets mal à l'aise c'est cela ?

Mais mon cher, rien de tout cela n'est nouveau. J'ai toujours été là, seulement vous voulez oublier ma présence, c'est tellement plus facile de prétendre que je n'existais pas et faire comme si votre monde tournait à la perfection, dans la joie et l'allégresse que vous prétendez posséder. Les joies sont éphémères mon cher, et une fois qu'elles sont parties que vous reste-t-il ? Des peines et des vides à combler.

Comme cette femme que vous voyez là, à pleurer près de l'arbre. Bientôt ses sanglots s'assècheront et ne restera que la douleur et un vide dans son cœur. C'est comme ça qu'elle sait qu'elle est vivante. Les absences font tourner le monde et cette femme en est l'exemple même. Elle a perdu un enfant cette femme. On le lui a arraché il y a quelques heures de cela. Alors même qu'elle donnait naissance dans ce mélange étrange de douleurs et de joies que l'on ressent lors de l'arrivé d'un enfant, on est venu lui le lui prendre. On est venu le chercher, dans ce taudis miséreux des abords de la ville. Mais on l'avait prévenu. Il ne fallait pas s'installer ici, elle n'était pas la bienvenue. On avait surveillé ses agissements, on l'avait menacé puis, finalement, on s'était intéressé sans en avoir l'air à ses élucubrations. En fin de compte, elle détenait peut-être la solution que l'on recherchait.

On avait attendu que vienne l'enfant, patiemment. Et, quand le jour fut venu, on était entré sans s'inviter dans le petit taudis du bout du monde. Il y avait eu d'autres cris. Des cris de peur, des cris de colère. Il y avait eu l'impuissance, la faiblesse face à ces gens. Il y avait eu la douleur, celle de voir son premier né emporté au milieu de ces gens qu'elle ne connaissait que trop bien.

Elle en avait aimé un jadis. Mais c'était il y a longtemps. Il l'avait abandonné, bien sûr. C'est ce qu'ils faisaient tous à la fin. Elle l'avait pleuré un temps. Puis, petit à petit, sa peine avait fait place au vide et le vide à l'oubli. Tout ce qu'il lui restait c'était des souvenirs à demi effacés dans un néant d'indifférence et de manque. Il ne lui restait que les connaissances, les choses apprises et matérielles.

Vous voyez, le monde est cruel, alors pourquoi prétendre être heureux alors qu'il suffit de s'abandonner à ses vrais sentiments ? Se laisser envahir par le vide, savoir que l'on est rien aux yeux du monde, n'est-ce pas plus aisé que de se raccrocher à de vaines illusions ?

La femme qui pleure l'a bien compris, elle. Au pied de son arbre, elle a cessé de pleurer. Doucement, elle sort une arme de sous ses robes. Cette arme dont elle n'avait osé se servir de peur de blesser son enfant, cette arme qui peut-être aurait pu sauver son âme en deuil ne serait-ce qu'un instant. Comme fascinée, elle fixe le canon longiligne de son arme. C'était lui qui le lui avait laissé. Elle ne s'en était jamais débarrassé, comme une tache que l'on peinait à faire disparaitre. Elle caresse le chien du pistolet d'un air absent puis reporte son regard vers le canon.

Nous savons vous et moi ce qu'il va advenir alors pourquoi s'importuner à attendre la suite. Il est inutile de vous dire que les oiseaux du chêne s'envolèrent, dérangé par un bruit soudain. Il est inutile de vous montrer la fleur rubis qui éclot sur le sol sec. Il est inutile de vous décrire comment sa couleur fraiche vint se mêlée à celle déjà plus terne des mains de la femme.

Nous savons vous et moi que rien de tout cela n'est nouveau. C'est une vieille histoire, vieille comme le monde et même plus encore. C'est une histoire de deuil impossible, de pertes inévitables et d'oublis inéluctables. C'est un concours de circonstances qui arrive à chacun d'entre nous.

Vous savez ou je veux en venir.

C'est une histoire vieille comme le monde.

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