Chapitre trois: Doutes


Elle était perdue, elle ne comprenait pas. Les yeux toujours fixés sur sa feuille, elle tentait vainement de trouver un sens à ce qu'elle voyait. C'était une mauvaise blague, ça devait forcément être ça. Mais comment était-ce possible ? Elle n'avait parlé de ce rêve à personne, pas même à son père lorsqu'il était venu s'enquérir de sa santé. Alors quoi ? Etait-elle en train de devenir folle ? Etait-ce juste une énorme coïncidence. Oui, ça devait être ça essayait-elle de se convaincre. Comme Lois l'avait dit, ce n'était surement qu'un vieux dessin d'un enfant qui l'avait abandonné dans un coin, surement arraché de ses élans artistiques par un parent pressé. Après tout, il n'était pas rare que la mairie organise des évènements divers et variés sur la place, allant des récitals de chants, des représentations théâtrales ou encore d'ateliers artistiques pour petits et grands. Ça devait être ça, elle irait se renseigner en rentrant.

Elle finit par sortir de sa torpeur, plus inquiète que rassurée. Ses amis la fixaient d'un air sérieusement concerné. Et comme si tout cela n'était pas suffisant, la question de Marlow continuait de flotter dans son esprit, cette question qu'elle espérait de tout cœur avoir mal comprise, celle qui, si la réponse s'avérait vraie, pouvait remettre ses certitudes déjà bien ébranlées en question.

Doucement, elle baissa les yeux sur le dos de la main, craignant de découvrir des marques qui, si elles ressemblaient trop à certaines serres, allait la faire se sentir encore plus mal qu'elle ne l'était déjà. Prenant son courage à deux mains, et se disant qu'elle devait avoir l'air beaucoup trop étrange et dramatique aux yeux de ses amis, elle finit par regarder le dos de sa main droite pour y apercevoir...absolument rien.

Soulagée, mais sans comprendre, elle questionna Marlow du regard. Celui-ci lui rendit la pareil, semblant ne pas comprendre ce qu'elle voulait.

-Qu'est-ce qu'il y a sur ma main Marlow, t'as vu quoi ?

Le garçon continuait de la fixer sans comprendre et elle s'aperçu que ses deux autres camarades faisaient de même. Ils se moquaient d'elle ou quoi ? Elle avait clairement entendu Marlow l'interrogez sur sa main ! Elle n'avait pas rêvé tout de même ! Mine de rien, elle commençait sérieusement à s'inquiéter pour sa santé. Son étrange rêve de cette nuit l'avait peut-être plus perturbé que qu'elle avait pensé au premier abord. Elle avait essayé de l'oublier, l'enterrer dans un coin de sa tête en essayant de ne pas prêter attention aux sentiments étranges que le rêve avait éveillé en elle mais ce dernier n'avait pas l'air décider à se faire abandonner si facilement.

Elle réitéra sa question envers son ami aux cheveux bouclés mais ce dernier n'avait toujours pas l'air de comprendre de quoi il retournait. Il s'approcha d'elle doucement, et posa une main sur son épaule. La chaleur de celle-ci avait quelque chose de rassurant pour Mathleen, comme un point d'ancrage au milieu de la folie dans laquelle elle avait l'impression de tomber.

-T'es sûr que tout va bien Mathleen ? Tu as l'air terrorisée et totalement perdue depuis qu'on est arrivés. Qu'est ce qui se passe ? C'est ta feuille qui te perturbe tant que ça, finit-il avec un sourire tentant d'avoir l'air amusé mais qui n'arrivait pas à cacher une certaine inquiétude à l'encontre de son amie rousse.

-C'est juste, ce que tu as dit tout à l'heure...Non c'est surement rien, laissez tomber.

Mais Marlow insistait, soucieux de l'état de la jeune fille.

-De quoi, ce que j'ai dit tout à l'heure ? « Bonjour » ? On vient juste d'arriver Mat. On t'a trouvé en train de fixer ta feuille d'arbre là, t'avais pas l'air bien. Et maintenant tu refuses de nous parler. On s'inquiète pour toi, tu sais.

Mathleen se figea un instant. Quelque chose n'allait pas. Qu'est-ce que Marlow venait de dire : arriver à l'instant ? Une feuille d'arbre ?! Elle ne comprenait rien. Mais en baissant le regard, elle put s'apercevoir que ce qu'elle tenait dans sa main n'était non pas une feuille de papier mais bel et bien une feuille jaunie par les couleurs de l'automne, probablement tombée d'un arbre aux alentours. De stupeur, elle lâcha cette dernière qui vint tranquillement se poser à ses pieds dans de gracieux tourbillons.

Mathleen avait peur maintenant. Livide, elle fixait ses amis, tentant en vain de déceler sur leurs visages une quelconque trace de sourire, ne serait-ce que minime, prouvant que tout ceci n'était qu'une vaste plaisanterie passablement de mauvais gout. Mais elle ne se heurta qu'à trois paires d'yeux inquiets qui n'avaient plus du tout l'air d'être d'humeur à rire. C'était comme-ci les dix dernières minutes n'avaient eu lieu que pour elle, ou comme si ses amis avaient décider de les rayer de leur mémoire. Ou alors elle avait tout imaginé, ou alors elle devenait folle. Elle ne savait pas, elle était perdue et ses amis n'avaient pas l'air à même de pouvoir l'aider, loin s'en fallait. Elle ne pouvait pas rester ici, à prétendre que tout allait bien. Elle avait beau essayer de se calmer, ses techniques habituelles ne marchaient pas. Elle nageait toujours dans une sorte de brouillard, mélange étrange et fort peu agréable d'incompréhension et de quelque chose se rapprochant beaucoup trop de la terreur à son gout.

Tentant de faire bonne figure, elle s'excusa auprès de ses amis avec un sourire penaud, prétextant une quelconque fatigue pour pouvoir rentrer chez elle. Il fallait qu'elle se mette les idées au clair et vite. À la vue de son air halluciné, presque maladif, aucun ne protesta face à cette décision soudaine, bien que Mathleen pouvait voir le regard déçu de Chrysalde et celui légèrement suspicieux de Lois. Marlow lui, ne dit rien, lui souhaitant juste un bon anniversaire malgré tout et espérant qu'elle pourrait revenir vite pour qu'ils lui offrent son cadeau.

Elle reparti donc chez elle, un peu honteuse de laisser ses amis ainsi sans la moindre explication d'autant plus qu'elle venait de ruiner toute l'excitation et la joie qu'ils se faisaient à l'idée de lui offrir son cadeau. Elle détestait leur mentir, ils ne méritaient pas ça ! Elle traversa la grande rue qui commençait à s'animer avec midi qui approchait. Les gens se pressaient avec envie dans les bars ou les restaurants d'où d'alléchantes odeurs s'échappaient. Les odeurs des restaurants chatouillaient agréablement son nez mais, contrairement à d'habitude, elles ne parvinrent pas à lui remettre du baume au cœur. Elle avait l'esprit ailleurs et à raison. Elle ne savait que penser de la matinée qui venait de s'écouler. C'était comme si le monde s'était dérobé sous ses pieds au moment de son cauchemar et qu'elle n'avait jamais vraiment cessé de tomber depuis.

Elle arriva enfin devant sa maison, dernière de l'impasse dans laquelle elle habitait. Le quartier était calme, paisible. En face d'elle, leur voisin qui profitait du beau temps pour jardiner la salua d'un grand signe de la main. Elle lui rendit son salut avec un visage crispé. Le calme de la rue semblait en totale contradiction avec ses troubles intérieurs, comme pour se moquer de ce qui lui arrivait.

Le cœur lourd, elle poussa la porte, jamais fermée à clé, et monta directement dans sa chambre. Elle crut entendre de loin sa mère l'appeler d'un ton surpris, se demandant sans doute pourquoi elle était de retour si tôt. Il faudra qu'elle lui explique, qu'elle trouve une excuse ou au moins qu'elle camoufle un peu la vérité. Elle n'avait pas envie le moins du monde de passer pour une folle aux yeux de ses parents. Elle inventerait quelque chose, elle trouverait bien. Elle secoua la tête, dépitée. Non elle ne trouverait pas, elle détestait mentir, ça ne lui ressemblait pas. Mais que pouvait-elle faire à part essayer de retrouver un semblant de rationalité dans sa vie.

Elle était là, affalé sur son lit, retournant dans tous les sens l'étrange matinée qui venait de s'écouler. Rien de tout cela ne faisait sens ! Mathleen enroulait machinalement une mèche de ses cheveux tandis qu'elle réfléchissait. C'était une habitude qu'elle avait et qu'il l'aidait à se concentrer. Mais rien n'y faisait, cette fois son esprit restait vide de toute explication, rationnelle comme improbable. Comment la ville de son rêve avait pu se retrouver là, entre ses mains et pourquoi était-elle la seule à la voir ?

Après un moment, elle redescendit sans entrain l'escalier pour aller retrouver sa mère dans la cuisine. Cela lui changerait peut-être un petit peu les idées. Celle-ci était toujours occupée aux fourneaux, elle n'avait sans doute pas cessé de la matinée. Avec la grâce d'une danseuse de ballet, sa mère virevoltait d'un bout à l'autre de la cuisine, jonglant entre les casseroles, les poêles et autres ustensiles. Sans un mot, Mathleen d'approcha pour venir l'aider. Hélas pour elle, sa mère ne la connaissait que trop bien. Elle avait tout de suite remarqué le manque d'entrain de la jeune fille, elle qui, bien que timide, était toujours souriante et avenante. Et pourtant, voilà qu'elle rentrait sans un mot, sans même un bonjour. Non, décidément ça ne lui ressemblait pas.

-Ta matinée s'est bien passée, ma puce ? Elle posa sa casserole pour venir en face de sa fille qui détournait le regard. Au bout d'un moment, celle-ci finit par marmonner un faible « oui » qui signifiait tout le contraire. La mère n'eut pas besoin d'insister beaucoup avant que Mathleen ne se mette à éclater en larmes, complètement effondrée.

-Je crois que je deviens folle, maman. Je sais pas quoi faire, c'est horrible.

Sans un mot, Elena se rapprocha de sa fille et la prit dans ses bras. Mathleen se laissa aller, dans le réconfort de cette présence rassurante et se mit à sangloter de plus belle. Elle sentait la main de sa mère passer doucement dans ses cheveux et, doucement, ses pleurs finirent par s'apaiser. Mais pas ses inquiétudes.

Elle s'était promis de ne pas en parler, ses parents avaient autre chose à faire que de s'inquiéter pour elle, ils en faisaient déjà beaucoup. Mais, peut-être, sa mère pourrait-elle la rassurer. Après tout, à qui d'autre pouvait-elle en parler ? En temps normal, elle se serait confiée à Marlow et les autres mais il n'y avait rien de normal dans la matinée qu'elle venait de vivre.

Alors, doucement, la voix entrecoupée par des relents de sanglots dans sa gorge, elle commença à raconter à sa mère ce qui lui arrivait. Elle lui raconta le rêve, et la feuille et la marque sur sa main. Elle lui raconta sa peur, son malaise et l'oubli de ses amis. Elle se confia à elle et lorsqu'elle eut terminé elle regarda sa mère dans l'attente d'une réaction qui ne venait pas.

Mathleen observait sa mère afin de déceler une quelconque émotion sur son visage. Mais la seule chose qu'elle y vit fut seulement ce qu'elle redoutait. Elena avait le regard triste. Elle avait beau tenter de sourire devant sa fille, celle-ci n'était pas dupe. Sa mère ne la croyait pas. Elle la pensait surement malade, folle ou d'autres choses auxquelles elle ne voulait pas penser. A ce constat, elle sentit les larmes lui remonter aussitôt aux yeux mais essaya de se contenir. Elle n'était plus une enfant !

Elena regarda sa fille, désemparée. Que pouvait-elle lui dire qui puisse la rassurer ? Elle savait depuis toujours que Mathleen avait une santé fragile et que celle-ci allait de plus en plus l'affecter aux fils des années, les médecins l'avait prévenu. Mais, voir sa fille dans cet état lui brisait le cœur. Elle voyait les larmes monter aux yeux clairs de Mathleen et ne savait que faire pour les empêcher. Impuissante, elle reprit doucement sa fille dans les bras, en lui soufflant des paroles qui, elle l'espérait, pourraient parvenir à la réconforter. Mais le désarroi de Mathleen semblait sans fin.

Soudain, on frappa discrètement à la porte. Elana demanda doucement à sa fille si elle souhaitait aller voir ou si elle souhaitait rester tranquille. Celle-ci la regarda avec un pauvre sourire sur le visage et acquiesça doucement à la première proposition, tentant vainement de sauver les apparences. Elle essuya le reste de ses larmes d'un revers de la manche et se dirigea vers l'entrée. Derrière la porte, se trouvaient, à sa grande surprise, ses trois amis, le regard soucieux.

-On pouvait pas te laisser comme ça Mat'. Tu avais l'air triste alors on s'est dit qu'on allait t'apporter ton cadeau pour te remonter un peu le moral. Un anniversaire sans cadeaux ça n'en est pas vraiment un.

Mathleen sourit faiblement aux paroles de Lois. C'était pour ce genre de petites attentions qu'elle adorait ses amis. Ils étaient toujours là pour elle, quoi qu'il puisse arriver. Elle chassa la petite voix qui lui rappelait douloureusement qu'ils n'avaient pas été là, il y a quelques instants lorsqu'elle aurait eu le plus besoin d'eux face à cette fichue feuille. Ils l'avaient oubliée à ce moment, tant et si n'est que celui-ci ai vraiment eu lieu.

Malgré tout, elle leur sourit plus fortement et c'est avec un joyeux brouhaha que la troupe entra à la maison. La bande se dirigea vers la cuisine ou Elana se trouvait toujours et la saluèrent poliment. La femme leur retourna la politesse. Elle était heureuse que les amis de Mathleen soient revenus malgré ce que sa fille lui avait dit. Ils sauraient peut-être mieux lui faire oublier ses angoisses qu'elle n'en était capable, elle l'espérait.

La bande se rassembla autour de la petite table de la cuisine et Chrysalde se mit à sortir avec entrain le contenu de son sac à dos. Quatre petits paquets se trouvaient maintenant sur la table. Mathleen sourit encore un peu plus à leur vue. En fonction de la qualité de l'emballage de chacun, elle pouvait plus ou moins déduire à qui il appartenait. Celui emballé grossièrement dans du papier journal était sans aucun doute celui de Lois et sa flemme légendaire. Les deux petits dans du papier crépon qui avaient roulé au bord de la table étaient probablement ceux de Chrysalde et le dernier était par élimination celui de Marlow.

Elle remercia chaleureusement ses amis et les prit tour à tour dans ses bras pour les remercier.

-Hey, tu nous remercieras quand tu auras les ouvert. Faut que ça te plaise déjà !

-Je suis sûre que ça va être le cas, Lois. Vous me connaissez par cœur.

Elle prit avec entrain son paquet et découvrit un petit livre. A l'intérieur, ses amis avaient collé des photos de tous leurs moments ensemble, des anniversaires des uns et des autres et tout un tas de papiers allant du billet de concert, au ticket de cinéma. Tous les souvenirs qu'ils avaient passés ensemble. Mathleen regarda Lois, ému. Jamais ces amis ne l'oublieraient et ce carnet en était la preuve.

Emue, elle passa aux paquets suivants, ceux de Chrysalde. Elle trouva à l'intérieure du premier, une édition de son livre préféré qu'elle ne possédait pas encore et dans le second, une dédicace de l'auteur. Mathleen les serra précieusement dans ses bras.

-Comment tu as réussi à avoir ça ?

-Mystère, ma vieille. Cherche pas à savoir, l'essentiel c'est que ça te plaise.

Enfin, elle prit le dernier cadeau, celui de Marlow. Il n'était pas très gros et était très léger. Mathleen déchira délicatement le papier bleu ciel pour se retrouver avec une pile de dessins dans les mains. Des dessins d'elle, de ces amis, des choses qu'elle aimait. Des portraits, des bandes dessinées, un peu de tous les styles en somme. Elle les feuilleta rapidement avant d'aller serrer Marlow dans ces bras.

L'après-midi se passa joyeusement, Mathleen avait enfin la tête ailleurs, loin de ses soucis du matin. Les quatre amis restèrent chez la jeune fille bien que le temps soit splendide. Ils passèrent la journée à discuter de choses et d'autres plus ou moins futiles comme le faisaient les jeunes de leur âge. Enfin, aux alentours de dix-neuf heures, chacun reparti chez lui. Marlow s'attarda encore un instant sur le pas de la porte avant de quitter son amie.

-Tes dessins sont sublimes Marlow. Mais ce n'était pas la peine de te donner tant de mal tu sais. Un seul aurait suffi.

-Tu les mérite Mat', tous ceux-là et tellement plus encore.

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

Marlow sourit, un peu mélancolique.

-J'espère que tu comprendras un jour.

Mathleen fronça les sourcils. Comprendre quoi ? Avant qu'elle n'ait le temps de poser la question, la tignasse frisée de Marlow s'éloignait déjà dans l'allée. La jeune fille referma la porte, troublée. Elle rejoignit sa mère et son père enfin rentré du travail dans le salon. Sur la table, se dressait le plat préféré de la jeune fille : un risotto aux champignons et au poulet. Elle en salivait d'avance. Elle alla joyeusement s'assoir à la table et mangea avec entrain jusqu'au dessert : une forêt noire préparée par sa mère. Enfin, son père posa sur la table un petit paquet.

-Pa', ce n'était pas la peine. Vous faites déjà assez pour moi !

Son père la regarda avec bienveillance.

-Ce n'est pas grand-chose ma grande. Mais je pense que ça devrait te plaire.

Mathleen enleva précautionneusement le petit ruban qui entourait la boite avant de découvrir un petit pendentif à l'intérieur. Il était magnifique. La chaine était toute fine et argenté et à son bout, pendait un petit oiseau sculpté avec soin. Il avait les ailes dépliées et semblait prêt à s'envoler vers l'horizon. Il était en argent lui aussi, sauf ses yeux qui brillaient en bleu de par la petite perle qui était incrustée à l'intérieur.

-Pour que tes rêves continuent à voler bien haut dans les cieux.

Mathleen regarda ses parents, émue. Le pendentif était sublime, et elle savait qu'ils avaient dû mettre de l'argent de côté pour le lui offrir. C'était un présent magnifique. Elle releva ses cheveux pour attacher le présent autour de son cou. Il ressortait magnifiquement sur sa peau pale.

-Merci, il est splendide.

La soirée s'acheva dans le calme et Mathleen finit par monter se coucher, ses cadeaux dans les bras et le pendentif autour du cou. Avant de dormir, elle regarda plus en détail les dessins de Marlow. Soudain, après la lecture d'une mignonne petite bande dessinée, elle se figea. La feuille suivante représentait une ville. Une ville médiévale avec de hauts bâtiments en son centre. Quatre grandes tours qui s'élevaient au milieu de petites chaumières. Aucun doute, c'était la ville de ses rêves. Et soudain, avec une force incroyable, la certitude que quelque chose n'allait pas heurta de nouveau la jeune fille. La joie des quelques heures écoulées s'effondra d'un seul coup et les étrangetés de sa journée revinrent la hanter. Le rêve, la feuille et maintenant ce dessin ? Et même, maintenant qu'elle y pensait, son pendentif qui ressemblait étrangement à un corbeau.

Elle se sentie sombrer de nouveau. La panique la reprit et, avec elle, la même douleur que le matin même. Mathleen tenta de se rassurer comme elle pouvait mais au fur et à mesure que son mal de crâne s'intensifiait, des bruits de machines – les mêmes que le matin- se mirent à résonner autour d'elle. Au milieu du brouha elle crut distinguer des voix alarmées. Elle aussi était paniquée. Elle ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer et, lorsqu'elle tenta de se concentrer sur les bruits environnants son mal de tête ne fit que s'accentuer de plus belle. Ça n'allait pas, ça n'allait pas du tout. Tentant de faire abstraction de la douleur qui lancinant son esprit et le brouhaha qui l'accompagnait, Mathleen se dirigea tant bien que mal vers son bureau face à la fenêtre et finit par réussir à se hisser sur sa chaise. Elle serra les poings et fixa son regard au loin pour essayer de faire le vide dans sa tête. Mais, loin de se retrouver nez à nez avec l'allée familière de son jardin, la jeune fille se heurta à la vision de silhouettes indistinctes autour d'elle. Elle cligna des yeux et celles-ci semblèrent s'effacer. Au loin, elle crut distinguer en filagramme les formes inquiétantes des quatre tours de son rêve. Elle avait l'impression d'errer entre les mondes. Une partie d'elle avait conscience d'être là, chez elle sur sa chaise devant la fenêtre mais une autre semblait être repartie dans la Cité Morte et enfin une dernière encore plus étrange tentait vainement de s'éveiller de ce cauchemar vivant, au bruit des murmures et des machines. Mathleen sentait son esprit se diviser, elle ne savait plus où elle était, qui elle était. Elle s'enfonçait de plus en plus dans la folie. Les sons, les visions, rien de tout cela n'avait un sens. Et plus elle réfléchissait, plus elle s'enfonçait dans ses visions diverses, plus son mal de crane s'accentuait. Il devint encore plus fort jusqu'à dépasser le stade de l'insurmontable. Mathleen ne savait même pas qu'il était possible de ressentir une telle douleur. Pourtant, elle n'hurla pas ni ne s'effondra. Son corps était comme paralysé, elle n'était plus maitresse d'elle-même, totalement dépassée par les évènements qui lui tombaient dessus.

Elle serra les poings de plus belle et continua de fixer sa fenêtre avec acharnement. C'était le point d'ancrage qui la rattachait encore un tant soit peu à la réalité. La douleur ne voulait pas s'en aller. Cessant de tenter vainement de lutter, Mathleen finit par s'abandonner à elle. Le bruit dans ses oreilles n'avait pas cessé. Il se faisait plus fort, plus insistant, comme une alarme voulant la prévenir de quelque chose. Mais quoi ? Les machines venues de nulle part vrillaient sa tête de leurs bips incessants. Retrouvant un tant soit peu la maitrise de son corps, Mathleen tenta de se lever. Elle s'effondra en s'arrachant de sa chaise en même temps que de sa réalité.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, rien n'avait changé. Toujours les bruits incessants des machines qui hurlaient leur alarme. Néanmoins, Mathleen se rendit compte que son mal de crâne avait disparu comme par magie. Ne restait qu'un léger bourdonnement en arrière-plan et une douleur dans la nuque. Elle regarda autour d'elle d'une vision étrangement brouillée. Elle se rendit compte qu'elle était allongée, les yeux tournés vers un plafond qu'elle ne connaissait pas. Elle avait dû s'évanouir de douleur, elle se revoyait chuter. Ses parents avaient dû la retrouver comme ça et, paniqués, l'avaient conduite à l'hôpital le plus proche. Mais quelque chose n'allait pas. Elle distinguait vaguement des silhouettes penchées au-dessus d'elle. Elles parlaient d'un air agité. Tout son corps lui semblait trop lourd et engourdit sans qu'elle ne parvienne à trouver pourquoi. Sa vision finit par s'acclimater à la lumière ambiante bien qu'étrangement elle ne distinguait rien du côté droit. Soudain, elle comprit ce qu'il n'allait pas. Elle n'était pas chez elle, ni à l'hôpital mais pourtant, penchée au-dessus d'elle, une femme ressemblant trait pour trait à sa mère et portant une blouse de laboratoire la fixait avec intérêt. La femme avait beau avoir les traits d'Elena, Mathleen sentait que ce n'était pas sa mère. Son visage était dépourvu de tous les attributs de bonté et de bienveillance qui la caractérisait et Mathleen s'en rendit compte immédiatement. Alors pourquoi lui ressemblait-elle tant ? Sans qu'elle n'ait le temps de s'interroger d'avantage, le sosie lui jeta un regard dégouté et se tourna vers un homme un peu en retrait.

« Rendormez-là »

Sur ses mots, elle tourna les talons sans un regard de plus pour la pauvre fille qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait. L'homme interpellé s'avança vers la jeune rousse, une seringue à la main. Il avait un air tristement désolé, comme pour s'excuser de l'indifférence du Sosie. Mais Mathleen n'en avait que faire. Elle voulut parler, interroger ces gens attroupés autour d'elle qui avaient l'air de maitriser cette situation qui la dépassait complètement mais un faible son rauque sorti de sa gorge. Son corps ne répondait pas. Paniquée à ce constat et voyant l'aiguille se rapprocher de plus en Mathleen se mit à se débattre. Peine perdue. Son corps était gourd, comme si elle ne s'en était pas servie depuis une éternité. Elle tenta de se tourner et se retourner mais rien n'y fit. Elle n'était pas aux commandes. L'homme s'approcha et enfonça doucement l'aiguille dans son épaule gauche. Elle voulut croiser son regard, l'interroger mais l'homme l'évitait soigneusement. Elle sentit un léger pincement lorsque l'aiguille traversa sa peau et, au même instant, les machines se mirent à se calmer. Leur bruit se fit plus régulier, comme apaisé. Avant que Mathleen n'ai le temps de comprendre, elle sentit une intense fatigue s'abattre soudainement sur elle. Avant qu'elle ne sombre dans le sommeil, elle perçut la voix du Sosie, au loin.

« Surveillez là de plus près. Nous ne voulons pas qu'un autre incident comme celui-ci se produise. Nous ne pouvons pas nous permettre cela. Cette enfant est la seule chose qui nous relie encore à Byavask et si nous la perdions, je n'ose penser ce qu'il arriverait à ce monde. »

Sur ses étranges paroles, Mathleen s'enfonça dans un sommeil sans rêve. Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les yeux, elle était de retour dans sa chambre, comme si rien ne s'était passé. Elle regarda l'heure. Une minute seulement s'était écoulée.

Elle ne pouvait pas rester là à prétendre que tout allait bien. D'abords ses amis oubliaient, sa mère qui s'inquiétait et ignorait ses craintes alors qu'elle avait toujours été une oreille attentive, la Cité Morte et maintenant ça. Alors que faire ? Continuer à prétendre que tout allait bien était hors de propos. Elle était perdue et ne pouvait vraisemblablement en parler à personne sans crainte de finir dans un asile. Avec une étrange certitude, la solution s'imposa à elle, comme venu d'un recoin de son esprit dont elle n'avait pas connaissance. La Cité Morte était plus qu'un simple rêve, elle le sentait dans chaque parcelle de son être. La ville l'appelait en quelque sorte. Et ces gens, ces gens venus de nulle part avec leurs machines et leurs Sosies, avaient vraisemblablement quelque chose à faire dans l'histoire. Elle savait ce qu'elle devait faire.

Ilétait temps de partir.

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