Chapitre quatre: Détresse

Tout d'abord il y eu les sons : plus intenses et clairs que tout ce qu'il n'avait jamais entendu jusqu'alors. Ensuite, la vision : plus précise que jamais. Puis, vint la douleur, atroce, insupportable et avec elle vint l'oubli.

La foule chamarrée de Kirinal cessa un instant son va-et-vient incessant sur la place du marché pour fixer dans un silence de mort la grande tour des Mages. Le peuple était usé aux coutumes étranges de la caste des Sorciers mais les hurlements de terreur pure qui retentissaient dans le silence n'avaient rien en commun avec ce à quoi ils avaient été habitués. Ils avaient vu des hommes jetés du haut la tour, des morts revenir à la vie, des prophètes annoncés et tant d'autres choses encore. Les Sorciers étaient maîtres sur la ville, tout aussi crains que respectés. Après tout, c'était en grande partie grâce à eux que le peuple pouvait encore subsister en ces heures sombres. Ils avaient réussi à préserver leur ville par on ne savait quel sortilège oublié par le temps, on ne savait à quel prix non plus. Mais qu'importe, tant qu'ils vivaient, les gens se préoccupaient peu des conséquences. Trop de vies et de citées avaient déjà été perdues par le mal qui rongeait leur terre.

Les Sorciers, tout comme n'importe quels habitants de Kirinal et d'ailleurs, avaient la faculté d'utiliser la magie. Leur caste n'était supérieure aux autres que parce qu'ils avaient poussé cette faculté somme toute banale au sommet de son potentiel et en avaient fait une arme tant redoutable que bénéfique tandis que les gens ordinaires l'utilisaient pour des taches banales, quand ils se donnaient la peine de l'utiliser du tout. Leur ordre avait vraiment commencé à prendre de l'importance il y avait une vingtaine d'années de cela, lorsque le Mal avait commencé à se propager et à ravager peu à peu leurs terres à une vitesse impressionnante. Face à l'urgence de la situation, les grands de leur monde s'étaient regroupés en quête de solutions. Au prix de lourds sacrifices, ils étaient parvenus à mettre au point un sortilège permettant de retarder le mal d'avancer en leurs terres. Au fils des années ses hommes et ses femmes avaient continué leurs recherches dans l'espoir de trouver une solution pour enfin mettre un terme à ce qui rongeait leur monde. En vain. Le mal avançait chaque jour un peu plus, et il n'était pas un mois sans que l'on apprenne la disparition d'un nouveau territoire. Le mal était ralenti mais nullement arrêté.

Le mal s'était déclaré, disait-on, à Byavask il y avait des années de cela et depuis on n'était sans nouvelles de la citée du bout du monde. Non pas que l'on avait beaucoup de nouvelles de la ville en temps normale cependant. Byavask était une cité qui aimait vivre refermée sur elle-même, secrète et protectrice envers ses habitants. D'autres auraient dit mystérieuse et suspects mais, de toute manière, la ville n'était plus désormais. En dehors de cela, nul ne savait exactement d'où venait le mal, ni quand celui-ci était apparu précisément. On était même bien en peine de le définir exactement. Maladie, fléau créé par un peuple quelconque, évolution protectrice d'une nature mise à mal, nul ne le savait. On savait seulement que toute personne ayant tenté de s'aventurer dans les Terres Perdues n'en était jamais revenu. Les rares informations provenaient des villages alentours de celui qui tombaient aux mains du mal. Celui-ci en effet, s'étendait lentement dans les zones désertes et pour cette raison, les villages éloignés les uns des autres étaient relativement épargnés. Mais, si par malheur, il finissait par s'étendre jusqu'à un endroit peuplé alors il n'y avait plus rien à en espérer. Il semblait proliférer dans les zones habitées sans vraiment qu'on sache pourquoi.

Dans la Tour, les hurlements cessèrent enfin, aussi rapides qu'ils avaient été intenses. La foule attendit un instant pour voir s'il y avait lieu de s'inquiéter ou se réjouir en vue d'un quelconque évènement mais rien ne se produisit. Le peuple, déçu de n'avoir eu sa curiosité rassasiée reparti vaquer à ses activités et le rassemblement autour de la tour fut bientôt dissipé. Les gens oubliaient vite, les Sorciers y étaient habitués. Eux aussi avaient fait partie de ces gens, avant, avant de se consacrer à de plus larges desseins. Si la plupart d'entre eux s'étaient consacrés complètement à la magie dans le but de sauver leur terre, ce n'était pas le cas de tous, et notamment pas celui de l'homme qui venait de causer cet énorme rassemblement sans même en être conscient.

Les Sorciers étaient usés aux pratiques étranges de Maokai mais cette fois, même eux étaient un peu inquiets de ce que le trentenaire avait encore pu fabriquer. Ses cris ne laissaient en effet rien présager de bon, loin de là. Maokai était un homme brillant, tout le monde s'accordait à l'avouer. C'était un prodige de la magie et bien qu'il ne soit alors âgé que d'une dizaine d'années, c'était en parti grâce à ses dons que les Sorciers avaient pu mettre au point le sortilège qui ralentissait le mal. Néanmoins, son talent allait de pair avec son arrogance et il n'était guère apprécié parmi ses pairs. C'était un homme froid, à l'allure allant de pair avec son caractère peu avenant. Il aimait être seul, plongé dans des livres, ou occupé à essayer on ne savait quel sortilège mis au point par ses soins. On ne savait jamais vraiment ce qu'il avait derrière la tête, mais il était de notoriété publique qu'il ne portait guère d'intérêt aux recherches que ses pairs s'évertuaient à tenter de faire. Seul comptait sa réussite personnelle et ses ambitions mal connues.

Depuis le matin, l'homme s'était enfermé au sommet de la grande tour d'astronomie et tout le matin on avait pu entendre ses va et viens sur le plancher en chêne ainsi que, de temps en temps, ses vociférations au vocabulaire plutôt fleurit éclater parmi les étages. Les autres sorciers avaient pris l'habitude de ne pas interférer dans les affaires de Maokai et, bien que dérangés dans leurs travaux, pas un ne pris la peine d'aller vérifier ce que l'homme trafiquait. Ce n'est que lorsque les hurlements retentirent, accompagnés d'un bruit de verre brisé qu'ils se dirent qu'il était peut-être temps d'aller jeter un œil à la tour d'astronomie et de s'enquérir de la santé de l'homme.

Courageux mais pas téméraires, les Sorciers envoyèrent Entha, un jeune apprenti ayant Maokai pour mentor, au plus grand désarroi des deux, en exploration dans les étages. Entha était un jeune elfe âgé d'une dizaine d'années. Il avait un visage angélique et innocent et ses yeux clairs tranchaient étonnamment avec sa peau couleur charbon. Ses cheveux étaient tressés en une multitude de nattes qui se finissaient chacune par une perle, toutes de couleurs différentes. Quand il se mouvait on aurait cru un petit arc-en-ciel en mouvement. Ses oreilles en pointe, comme tous ceux de son peuple, pointaient adorablement au travers des quelques mèches rebelles qui avaient échappées au tressage méticuleux de ses cheveux. Il était assez petit pour son âge mais ce n'était pas un problème pour lui. Il n'en avait que faire, la condition physique n'étant pas un argument entrant en compte dans le recrutement de ceux qui constitueraient la relève des Sorciers.

Le gamin, à peine âgé de dix ans, regrettait de plus en plus les choix qui l'avait mené à vouloir devenir Sorcier. Il était de nature loyal, toujours prêt à aider les autres quel que soit la situation et c'était pour cela qu'il avait voulu se consacrer à la magie. Mais lorsqu'il avait appris que Maokai serait son maitre, le jeune elfe avait vite déchanter. Cela allait bientôt faire un an qu'il était là et loin d'apprendre la magie, Entha était plutôt relégué au rang de laquais par le Sorcier. Tout juste bon à aller chercher des livres dans la grande bibliothèque de la ville, servir de bouc-émissaire lorsque Maokai n'arrivait pas à ses fins ou se faire claquer bon nombre de portes au nez par le Sorcier. Fort heureusement, les autres Sorciers l'avaient pris en affection -ou en pitié, il n'arrivait pas très bien à être sur- et, bien qu'elle ne soit pas idéale, sa vie n'était somme toute pas si catastrophique que ça. Bien qu'il apprenne plus lentement que ses autres camarades, au vu du peu d'intérêt que lui portait son Maitre mais il progressait malgré tout. Il était loin d'être très doué mais il ne se déperdait jamais de sa bonne humeur et de son sourire malgré ses échecs.

Entha avançait prudemment dans les étages, s'arrêtant à chaque palier pour scruter les regards des mages aux alentours et s'assurer qu'il était bien obligé de continuer. Face aux têtes des adultes, il ne pouvait que s'incliner et reprit son ascension. Enfin arrivé au dernier palier, devant la lourde porte en bois qui fermait ce que Maokai avait auto-déclaré être son bureau, au grand dam des autres, il se stoppa un instant. La porte n'était pas fermée et on apercevait la faible lueur du soleil de fin d'après-midi filtrer sous le pas de la porte. Le jeune garçon appela prudemment :

-Maokai, vous allez bien ? Vos confrères viennent s'enquérir de votre santé. Ils aimeraient savoir ce qu'étaient les cris que nous avons entendus. Vous n'êtes pas blessé ? Je peux entrer ?

Il savait que parler autant avait le don d'agacer Maokai mais bien qu'il ne l'appréciât guère, il fallait admettre que les cris qui avaient retentis il y a quelques instants avaient quelque chose de glaçant et il s'inquiétait malgré tout. Le garçon aux oreilles en pointes n'obtint pas de réponses à son avalanche de questions. Il poussa prudemment la porte et passa sa tête dans l'embrasure. Voyant l'état de la pièce, il ne put retenir un cri de surprise.

On aurait dit qu'une explosion s'était produite dans la minuscule pièce, encombrée de matériel en tout genre. Et, connaissant Maokai, Entha se dit que c'était probablement le cas. Ce qui surprenait plus le jeune homme s'était le capharnaüm dans lequel régnait la pièce. Maokai ayant en effet l'habitude de tout remettre en ordre après ses expériences. Mais cette fois des flacons brisés gisaient sur le sol noirci par les multiples expériences du mage. Les rideaux étaient déchirés, une des étagères était renversée et des livres étaient éparpillés un peu partout si ce n'est sur la bibliothèque où ils auraient dû se trouver. Sur la grande table encombrant la moitié de la pièce, des parchemins étaient étalés en vrac, un pot d'encre renversé sur la plupart d'entre eux. Mais, aucun signe de Maokai.

-Maitre ? rappela timidement Entha, en essayant tant bien que mal d'avancer dans la pièce sans rien écraser.

Seul le silence lui répondit. Il était toujours à la recherche de la silhouette de Maokai, de ses cheveux blonds, ou même -hypothèse moins plaisante- de sang, quoi que ce soit qui aurait pu attester de la présence du sorcier dans la pièce. Après un temps, Entha cru déceler un bruit provenant d'au-dessus de sa tête. Il leva doucement ses yeux bleus en direction du grand lustre, resté intact par il ne savait quel miracle. Là, perché sur le lustre resté intact par il ne savait quel miracle, un énorme corbeau le fixait de ses yeux sombres.

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