BONUS 14 : « Il en faudra plus pour me fumer »

Petit préambule pour que vous compreniez où on en est : ce bonus vient après le CHAPITRE 45 de Toujours Là. Si vous ne l'avez pas lu bah... Gros spoil du coup. Et pour les autres, vous comprendrez vite de qui et de quand il s'agit je pense.

Plein de bisous et bonne lecture ! ❤️

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Le dernier truc dont je me souvenais, c'était la vision de mon public flou. J'en étais au deuxième couplet du son que je préférais sur mon nouvel album, Les Daltons, et plus je rappais, plus je me sentais partir. Les lumières des flashs m'aveuglaient, je sentais mes jambes me lâcher, les paroles que chantait mon public me parvenaient en un brouhaha étouffé. Puis je m'étais vu m'effondrer, et j'avais juste eu le temps de penser « merde, faut pas je tombe sur ma tête » avant que ce soit le flou total.

Ensuite, je me souvenais simplement m'être réveillé dans la salle de réveil de l'hôpital de Chartres, complètement paniqué de voir personne que je connaissais autour de moi.

Je l'avouerai certainement à personne parce que je savais que j'allais m'en prendre plein la gueule, mais j'avais senti que quelque chose clochait avant de monter sur scène. 

Je m'étais pas trop senti dans mon assiette, je m'étais senti fatigué, et j'avais eu une putain de gêne dans la mâchoire. Le fait que ce soit dû à mon cœur m'avait vite fait effleuré l'esprit, mais j'avais tellement été pris dans l'excitation du concert que j'y avais pas pensé plus de cinq secondes. J'avais échangé un check d'avant-concert avec mon petit frère, avec Lo' et avec tous mes gars, puis comme d'habitude j'avais donné une longue accolade à Elyas, et j'étais parti me déglinguer sur scène pour faire partager mon nouvel album à mon public Chartrain. 

Ce fut qu'au bout de quarante minutes de concert que j'avais commencé à me sentir vraiment très mal : la gêne que j'avais ressenti dans la mâchoire avait commencé à irradier, puis elle s'était propagée dans mon bras et dans mon dos. Sauf que j'avais voulu tenir pour terminer le concert et pas laisser tomber mon public : c'était ce que j'avais toujours fait, à moins d'avoir une extinction de voix, rien ne pouvait m'empêcher de rapper pour mes gens. Et puis ce qui devait arriver était arrivé... J'avais été pris de vertiges, j'avais plus été en capacité de chanter, puis je m'étais évanoui.

Lorsque j'ouvris les yeux pour la première fois après tout ça, je mis un certain temps pour remettre de l'ordre dans mes idées et capter que j'étais dans la salle de réveil d'un hôpital. Puis une fois que je compris, la première chose qui me vint en tête fut : Elyas. Mon fils avait assisté au concert, il m'avait vu tomber, pour autant que j'en savais il me croyait peut-être mort et il pensait que je l'avais abandonné comme sa génitrice. Il devait être paniqué. Alors je fis tout pour chopper un médecin qui puisse me sortir de là ou au moins faire parvenir la nouvelle à mon gamin que j'étais en vie. Quitte à passer pour un putain d'hystérique. 

Ce fut après que j'eus poussé un juron monumental qu'une infirmière vint me voir, et je tentai de me radoucir pour être sûr d'obtenir ce que je voulais :

– Est-ce que je peux sortir d'ici j'vous en supplie ? demandai-je les mâchoires peut-être un peu trop serrées, l'électrocardiogramme s'emballant à côté de mon lit alors que j'étais de plus en plus nerveux. Mon fils est tout seul, faut que je le vois.

– Calmez-vous, m'intima l'infirmière sans faire attention à ce que je venais de lui dire alors qu'il s'agissait de mon putain de gamin. Je vous promets qu'on fait de notre mieux et que j'irai chercher un médecin quand vous serez plus calme. Pour l'instant vous devez rester ici.

Mes mâchoires se serrant de plus en plus et les « bips » stridents de la machine à côté de mon lit commençant réellement à m'agacer, je pris sur moi du mieux que je pus pour pas arracher tous les câbles me reliant à je ne savais quoi tout en essayant de pas rafale les autres patients en salle de réveil qui me dévisageaient. 

Il fallait que je retrouve mon fils. Il fallait que je me calme. Mais l'idée de le savoir tout seul en panique me calmait pas du tout. Cercle vicieux de merde.

L'infirmière mit quelques secondes à partir, et je sentis une pointe d'énervement me gagner en comprenant qu'elle attendait juste que j'ai l'air plus calme. Comme si j'étais un putain de gamin. 

Mais putain j'allais bien, tout ce que je voulais c'était qu'Elyas le sache et vérifier que lui aussi allait bien.

Le pire c'était que je savais que ça allait mettre mille ans pour qu'un médecin vienne me voir, j'étais aux urgences putain, ça se saurait si les choses allaient vite là-bas. J'étais franchement à deux doigts de me débrancher tout seul et de cavaler pour rejoindre mon môme.

Pourtant j'attendis. Ça me demandait des efforts incommensurables mais j'attendis. Pendant au moins trois quart d'heures, plus proche de péter les plombs à chaque minute qui passait.

Quand vint un médecin pour m'expliquer ce qui m'était arrivé et ce qu'on m'avait fait pour me sauver la vie, j'écoutai qu'à moitié. J'avais rien à branler de ce qu'on me racontait, tout ce que je savais c'est que j'étais là et que mon fils était sûrement terrifié. Je voulais juste le voir putain, c'était si difficile à comprendre ?

Lorsque le pélo en blouse blanche me demanda si j'avais des questions, la première chose qui fusa fut :

– J'peux voir mon fils ?

Question à laquelle on me répondit :

– Vous le verrez quand vous serez en chambre. Nous n'allons pas tarder à vous y emmener.

Ah ok donc on partait sur un bail de vraie hospitalisation, je pouvais pas rentrer chez moi en fait ? Sérieusement, je me sentais vraiment bien, je comprenais même pas qu'on me laisse pas remonter en chambre tout seul pour aller me rhabiller et repartir à Paname avec mon crew et mon gamin.

Heureusement pour moi je dus attendre moins longtemps pour quitter la salle de réveil que pour attendre le médecin quelques minutes plus tôt. À peine dix minutes après les explications de ce dernier, des brancardiers vinrent me chercher, et m'emmenèrent dans une chambre simple après plusieurs ascenseurs et un dédale de couloirs.

Putain de merde j'avais tellement hâte de voir Elyas pour savoir s'il allait bien.

Je dus attendre qu'on me fasse encore toute une série d'examens et que des infirmières viennent se présenter et me « mettre à l'aise » avant de pouvoir voir la tête de mon p'tit. J'étais bien conscient d'être le pire patient tellement j'étais froid et grincheux – on aurait vraiment dit mon père, paix à son âme – mais bon, je mettais au défi n'importe quel parent de rester joyeux et souriant alors qu'il savait son gosse tout seul dans un putain d'hôpital.

La dernière infirmière avait à peine quitté ma chambre que la porte se rouvrait à la volée, laissant passer mon ado comme un courant d'air. Je sentis mon cœur se briser en mille morceaux quand j'eus le temps d'apercevoir ses yeux tristes et ses joues déjà baignées de larmes avant qu'il se précipite sur moi, et il m'acheva en venant sangloter dans mes bras. Ce fut à peine si je remarquai la présence du plus jeune de mes frères dans la chambre.

– Eh eh eh je vais bien Elyas, tentai-je de la rassurer aussitôt alors qu'il s'agrippait aux vieilles fringues d'hôpital qu'on m'avait refilé.

Un de mes bras enserrant sa tête contre mon torse et l'autre entourant fermement son dos, je le berçai lentement tout en lui montrant que j'étais là en posant mon menton sur le haut de son crâne, essayant de trouver les mots pour le calmer. Problème : j'avais jamais eu à faire à un Elyas dans un tel état, donc j'allais une fois de plus devoir user de mes skills d'improvisation monoparentale pour m'occuper au mieux de mon p'tit.

– Putain Ely, calme-toi, lui intimai-je alors qu'il sanglotait toujours. Je sais que t'as eu peur mais tu sais ce que je t'ai toujours promis : W'Allah je t'abandonnerai jamais mon fils.

J'hésitai à lui dire que même si j'aimais Ali et Raphaël de toute mon âme et qu'ils me manquaient horriblement je choisirais toujours de rester avec lui au lieu de les rejoindre, mais je décidai finalement de fermer ma gueule, me doutant que c'étaient pas de tels propos qui allaient calmer mon gamin.

Au fond de la chambre, les bras croisés sur sa poitrine, gêné, mon frère Bilal m'adressa une moue peinée, à laquelle je répondis par une esquisse de sourire gratifiant pour s'être occupé de mon gamin.

Cinq ans en arrière, c'était à peine si je connaissais Bilal. En même temps j'avais dix ans de plus que lui, donc on n'avait pas vraiment grandis ensemble : j'étais constamment collé à Younès avec qui j'avais juste un an de différence, Bilal était constamment avec cet enculé de Sofiane qui était né deux ans avant lui, donc on avait toujours étés un peu coloc' quoi. Et puis il avait quinze piges quand je m'étais barré de chez nos parents, je retournais pas à Dijon super souvent pendant mes premières années à Paname, donc pour moi il était longtemps resté le p'tit dernier de la famille, l'ado chiant qui passait sa vie devant les jeux vidéos pendant que la daronne gueulait. Aujourd'hui c'était différent : depuis que je lui avais ouvert les yeux sur l'enfoiré qu'était Sofiane et le mal qu'il lui faisait, et après l'avoir récupéré à la petite cuillère, on s'était pas mal rapprochés et je l'embarquai sur chacune de mes tournées histoire de passer du temps avec lui. Et ce soir, j'étais bien content qu'il ait été là pour s'occuper d'Ely pendant que je pouvais pas.

Comprenant qu'aucun mot arriverait vraiment à calmer Elyas, je me contentai de le tenir dans mes bras en lui répétant seulement que j'étais là, attendant qu'il se calme par lui-même.

Je tentai de réprimer le sentiment de haine que j'avais pour sa génitrice depuis dix-sept piges quand, le bide serré, je constatai (et pas pour la première fois) à quel point son abandon l'avait traumatisé. J'avais beau lui faire comprendre tous les jours de sa vie à quel point il était exceptionnel tout en lui montrant qu'il comptait plus que tout à mes yeux, je savais qu'il avait une peur affreuse de l'abandon, et que pendant les heures que j'avais passé loin de lui il s'était mis dans la tête que j'avais décidé de le laisser tout seul. Je connaissais ce môme par cœur. 

À force d'étreinte et de bercement, mon fils finit par se calmer, et il s'écarta tout seul de moi au bout de longues minutes de craquage, essuyant doucement ses joues tout en reniflant. Je gardai une main le long de sa nuque tout en fixant ses yeux noirs similaires aux miens, lui demandant silencieusement si ça allait. Il me répondit par un faible hochement de tête avant d'être pris d'une brusque inspiration dans un sursaut, manifestation de son état quelques secondes juste avant.

– J'ai eu trop peur, me dit-il d'une voix éraillée alors que ses yeux se remplissaient de nouveau de larmes.

– Je sais Gnocchi, mais il en faudra plus pour me fumer, t'inquiètes.

Elyas réagit ni à la provocation du surnom qu'il détestait en râlant, ni à ma tentative d'humour en riant, se contentant d'essayer de virer les larmes de ses yeux en les frottant. Putain j'allais mettre une éternité avant de lui faire comprendre qu'on craignait plus rien.

– Je suis désolé que t'aies eu à voir ça, lui dis-je ensuite.

J'imaginais même pas l'image qu'il devait avoir en tête : son père qui se déglingue sur scène, puis qui s'arrête, qui commence à plus sortir aucun son, puis ses yeux qui se révulsent avant qu'il se fracasse la tête sur le sol, et enfin des types qui viennent lui détruire la poitrine pour faire redémarrer son cœur. Putain j'espérais que quelqu'un l'avait emmené à l'écart et qu'il avait pas vu l'intégralité du truc.

– T'es débile ou quoi ? répliqua-t-il. J'aurais encore plus pété un plomb si j'avais pas été là et que j'avais juste vu la vidéo.

À ses derniers mots, mes sourcils se haussèrent tous seuls, et Elyas ferma les yeux de lassitude avant de se frotter le visage d'un air fatigué :

– Ouais y'a des chiens qui ont tout filmé et ça a finit sur les réseaux, m'expliqua-t-il.

Je fis aucun effort pour retenir le « putain ! » qui franchit mes lèvres en quelques millisecondes, et ce fut à ce moment-là que mon petit frère s'adressa à moi pour la première fois de la soirée :

– T'inquiètes, on a des gars qui sont sur le dossier pour la faire sauter, tenta-t-il de me rassurer sans grande conviction.

On savait tous les trois très bien qu'une fois sur internet, tout était éternel. Et puis je me doutais qu'elle devait déjà avoir bien tourné pendant la nuit. La seule chose que je pouvais faire à mon échelle, c'était de tourner ma propre vidéo quand j'aurais le temps pour rassurer mon public et faire comprendre aux gens qui partageaient les images de mon accident que c'était complètement con de faire tourner un truc pareil sur les réseaux à coups de passif-agressif. Ou d'agressif tout court, j'avais pas encore décidé.

Un silence pesant suivit la réplique de Bilal, et on se regarda comme deux cons gênés pendant de longues secondes ; j'avais envie de le remercier de ouf, mais je savais pas comment faire. J'avais appris à montrer mon affection avec Ely, mais il avait quand même fallu attendre vingt-six piges pour ça. Parce que même si je doutais pas de l'amour de mes parents et de mes deux frères, personne nous avait jamais appris à le montrer. Tout avait toujours été super pudique chez nous, et on se disait pas les choses. Donc je savais très bien qu'aujourd'hui ça allait être pareil, c'était pas parce que j'avais faillis claquer que quoi que ce soit aller changer entre mon frère et moi. 

– Merci de t'être occupé de lui Bilal, me contentai-je donc de lui dire de manière polie. 

– De rien, me répondit-il tout aussi sobrement.

Puis après quelques secondes de silence à s'éviter mutuellement du regard, il reprit la parole :

– En vrai j'ai pas fait un taff de ouf, m'avoua-t-il. C'est Maëlle qui a tout géré.

Mes sourcils se haussèrent tout seuls de surprises :

– Elle est là cette chieuse ?

J'écoutai même pas la réponse de mon frère et de mon fils, entendant juste vaguement que Jude, Maëlle et Louis étaient présents aussi : bien sûr qu'elle était là, ma sœur était une putain de sangsue, elle me lâcherait jamais la grappe.

– Tu veux qu'on aille les chercher ? me demanda Ely.

Je fis semblant de répondre avec détachement et peu d'intérêt, alors qu'au fond je crevais d'envie de voir Maëlle : parce que comme d'habitude elle avait sûrement agit comme une mère pour Ely, et parce que j'avais besoin des vannes de merde et des tacles avec lesquels elle allait débarquer pour faire genre qu'elle avait rien à foutre de ma gueule. Et puis je me disais vaguement que si elle avait dû tout gérer et qu'elle avait flippé comme j'avais flippé vingt piges en arrière parce qu'elle savait pas courir, elle devait être au bord du craquage.

Bilal fit signe à Ely de rester dans la chambre, et ce fut tout seul qu'il s'éclipsa pour aller chercher ma sœur et son fils. 

Je profitai de ce moment pour attirer de nouveau mon p'tit contre moi, embrassant ses boucles noires au passage.

Je t'aime mon fils, lui glissai-je rapidement avec le peu d'Arabe qu'il arrivait à comprendre.

Je t'aime aussi Papa, me répondit-il en se redressant pour me donner une étreinte puissante, signe qu'il s'était pas encore remis des événements.

Mon frère débarqua quelques secondes plus tard avec Louis, Maëlle et son grand fils. Et comme je l'avais prévu, ma sœur me salua à sa manière :

– T'es qu'un gros con Bouhied !

Je ricanai quand même, parce que la mauvaise foi de cette meuf me ferait toujours marrer, mais je pus quand même pas m'empêcher de sentir une boule se former dans ma gorge quand je vis ses traits tirés ; je la connaissais depuis quasiment toute ma vie, et je connaissais les expressions de son visage par cœur : là, je savais qu'elle avait clairement flippé, et qu'elle était pas redescendue du tout. Et en plus ce con de Castelle était en Italie donc il allait pas pouvoir la faire redescendre en pression.

Je fus à peine surpris quand Maëlle vint me prendre dans ses bras, et cette conne me fit culpabiliser encore plus avec son câlin de merde. Pourtant ça me fit un bien fou.

– Fais-moi encore peur comme ça et je te bute, me chuchota-t-elle pour que personne n'entende. 

Ce qui en langage Clarkson voulait dire : « je t'aime, t'as pas le droit de tester mes sentiments comme ça ».

Notre étreinte dura pas cinquante ans non plus et on se détacha après quelques secondes, puis je mis pas longtemps à essayer de détendre l'atmosphère après avoir senti les muscles tendus de ma sœur et les battements trop rapides de son cœur contre moi :

– Ah Jude ! m'exclamai-je en regardant le grand garçon aux cheveux châtains et aux yeux bleus qui faisait office de fusion entre Maëlle et Mikael. Je suis content de voir que t'as été là pour gérer la situation vu les boulets qu'ils m'ont envoyé, plaisantai-je en faisant voyager mes yeux d'un air joueur entre mon frère, Louis, et Maëlle. Ça a pas été trop dur de devoir consoler ta daronne complètement détruite d'avoir peut-être perdu l'homme de sa vie ?

Vu qu'elle répondait que par la violence, j'avais attendu la patate de ma sœur dans mon bras dès que j'avais commencé ma phrase, mais ça rendit pas son coup moins désagréable.

– Aïe ! m'exclamai-je en me frottant le bras. Putain Clarkson j'suis mourant, tu devrais prendre soin de moi merde !

Ma sœur eut pas le temps de répliquer puisqu'Elyas s'emporta aussitôt, me réprimandant comme si j'étais son gosse :

– Ta gueule, rigole pas avec ça.

– Trop tôt ? lui demandai-je avec un peu moins d'enthousiasme dans la voix sans prêter attention à sa vulgarité, toujours inquiet pour mon fils.

– Un peu trop ouais.

Sauf qu'Ely fit l'erreur de me répondre avec un petit sourire, et je savais que j'avais encore de la marge avant de me faire insulter par l'entièreté de la pièce. Ce fut pourquoi j'acquiesçai d'abord sérieusement, serrant l'épaule de mon p'tit pour lui montrer que je comprenais comment il se sentait, puis je souris ensuite incontrôlablement en pensant à ma future connerie, ce qui lui fit fermer ses paupières d'un air las en prévision de ce que j'allais dire.

– Et demain j'peux ? demandai-je d'un air bête.

Je tressaillis sous un autre coup de poing, alors qu'Elyas me lançai un « ta gueule » supplémentaire, que Bilal m'insultait en Arabe, et que Louis me traitait de « gros trou du cul immature ».

Épuisé par mon opération et ma journée, je tournai quand même ma vidéo destinée à mon public à la fin de mes visites : maintenant j'étais bien plus rassuré parce que je savais qu'avec Maëlle, Elyas était entre de bonnes mains, et j'avais espoir de sortir d'ici le lendemain.

– Salut l'équipe, commençai-je en souriant du mieux que je pus malgré mes grosses cernes. Bon comme vous l'avez vu j'ai eu un petit souci sur scène hier soir, mais tout va bien, je suis bien soigné, et je suis déjà sur pieds. Euh... On a pas encore parlé de la suite de la tournée mais c'est grave probable qu'on doive décaler des dates. Fin' en tout cas y'a rien qui m'empêche de continuer de faire de la scène, ça c'est la bonne nouvelle... Mais ouais, je vais pas pouvoir assurer la suite de ma tournée tout de suite tout de suite, mais vous inquiétez pas, on vous tiendra au courant dans les jours qui viennent pour les remboursements et tout ça. Euh... Merci pour tous les messages de soutien, ça fait ultra plaisir, vous êtes les meilleurs l'équipe, vraiment. 

J'arrêtai le début de ma story ici, me demandant si je devais la publier après avoir constaté que mon ton était déjà bien amer en sachant ce que j'allais dire ensuite, et décidai de la poster : pas de faux-semblants, j'avais les boules qu'une vidéo de moi dans le mal tourne sur internet, j'allais pas faire le mec heureux aux yeux de mon public alors que j'avais les nerfs.

– Et ensuite je voulais vous dire un autre truc, continuai-je sans plus aucun sourire forcé. Arrêtez de faire tourner la vidéo, s'il vous plaît. Je sais pas si vous vous rendez compte de l'impact que ça a eu les gars, c'est complètement débile de faire ça. Déjà : qui filme une crise cardiaque ? Sérieux ? Putain, pour que vous vous rendiez compte, ma sœur et mon neveu ont appris qu'il m'était arrivé un truc en tombant dessus. La majorité de mes potes aussi. Vous imaginez la violence ? En vrai je voulais pas avoir l'air si virulent en vous en parlant, mais j'ai la haine l'équipe. En gros là ça veut dire que mon fils doit plus aller sur les réseaux pour pas me voir et me revoir quasiment crever sur scène. Sachant qu'il m'a déjà vu en direct. Juste, s'il vous plaît, essayez de vous mettre à la place de mes proches : ils ont flippé leurs grosses races pour moi, autour d'eux tout le monde en parle déjà, et Twitter est rempli de vidéos qui montrent le pire jour de ma vie. Concentrez-vous, s'il vous plaît. Pensez aux autres avant de penser au spectacle ou à la vanne. Ceux qui ont filmé... Bah gg les gars, vous avez une vidéo d'un type qui fait une crise cardiaque en direct, peut-être que ça vous fait bander, j'sais pas, moi je comprends pas. Et les autres, bah arrêtez de faire tourner, ça sert à rien. Arrêtez même d'en parler, je vais bien. Et s'il vous plaît, rendez-vous compte de la merde que sont les réseaux une bonne fois pour toute.

Me rendant compte de l'agressivité de laquelle j'avais fait preuve dans cette story, je me dépêchai d'en tourner une autre aussitôt la précédente postée :

– Je mets pas tout le monde dans le même sac évidemment l'équipe. J'vous kiffe pour vos messages de soutiens, les pensées pour ma famille sur les réseaux, et je vous remercie de vous être inquiétés pour moi. Juste, comprenez que j'ai la haine qu'un truc pareil tourne sur internet. 

Puis, faisant une pause, je conclus :

– Merci encore à tous, vous inquiétez plus pour moi, tout va bien, je suis très bien entouré. Je vous tiens au courant dès que je peux sur l'avancée des choses, et je vous ferai un p'tit bilan de ma première nuit d'hosto demain matin. Bonne soirée tout le monde.

J'éteignis les notifications pour mes réseaux, me promettant quand même de faire des storys golris et un peu vulgaires sur mon quotidien à l'hôpital dès le lendemain pour me rattraper, puis tentai de me reposer. De toute façon, vu comme j'étais complètement vidé, ça allait pas être compliqué.


****


J'appelai ma mère le lendemain matin pour lui expliquer tout ce qui s'était passé, remerciant Dieu au passage de lui avoir épargné le visionnage de la vidéo qui tournait sur les réseaux sociaux depuis la veille. Je me fis pourrir parce que selon elle, c'était de ma faute si j'avais fait une crise cardiaque, et Bilal prit encore plus cher pour pas l'avoir tenue au courant. Elle me demanda quand même comment j'allais d'un ton agressif vers la fin de notre appel, puis me reprocha de jamais venir la voir à Dijon, et elle termina par prendre des nouvelles d'Elyas ; fin' ma mère quoi : mes frères et moi on savait qu'elle nous aimait plus que tout et qu'elle serait prête à crever pour nous, mais il fallait surtout pas qu'on le sache donc on avait appris à lire entre les lignes de ses insultes et de ses reproches. Par exemple, ce qu'il fallait comprendre avec son appel, c'était que maintenant elle s'inquiéterait pour ma santé sans me le dire, que Bilal aurait dû la prévenir parce qu'elle aurait remué Ciel et Terre pour débarquer à Chartres pour savoir comment j'allais en direct et être là à mon réveil, et que j'avais intérêt à ramener mon cul à Dijon pour qu'elle voit de ses propres yeux que son fils aîné tenait encore debout. 

J'avais à peine raccroché que le nom de ma copine s'affichait sur l'écran de mon téléphone, et comme d'habitude depuis le jour où j'étais tombé raide dingue de cette femme, mon cœur commença à battra la chamade ; fallait pas qu'elle me fasse refaire un infarctus, ç'aurait été contreproductif.

– Allô ? 

– Tarek ! s'exclama-t-elle avec l'accent Kosovar dont j'étais dingue. Comment tu vas ?

J'aurais pas cru que sa réaction me ferait autant de mal que celle d'Elyas, et pourtant quand je l'entendis renifler dans le combiné, j'eus envie de taper ma tête contre un mur.

– Je vais bien Kam', je te promets. Pleure-pas s'te plaît.

Je jurai tout de suite silencieusement lorsque ma copine s'exécuta quasiment instantanément à cause des sales réflexes qui lui restaient de son tyran d'ex-mari.

– Fin' si, tu peux pleurer, tentai-je de me rattraper. Mais pas quand je suis pas là pour te prendre dans mes bras.

J'eus aussitôt envie de m'en foutre une pour avoir dit ça : ça sonnait tout aussi pervers narcissique obsédé par le contrôle que ma demande précédente. Ou alors ça avait juste l'air super guimauve et c'était tout aussi horrible.

Lorsqu'elle me demanda ce qui s'était passé, je lui expliquai tout en détail, n'omettant même pas que je m'étais senti mal bien avant de monter sur scène, puis lui fis comprendre tant bien que mal avec un vocabulaire qu'elle avait pas forcément comment les médecins m'avaient soignés. Je lui annonçai ensuite que je devais sortir d'ici deux jours, et qu'elle avait pas besoin de prendre de repos pour venir me voir, Maëlle vint me faire chier et eut l'air bien conne en découvrant que j'étais au téléphone, je passai le bonjour à ma copine de sa part, puis il fallut conclure l'appel puisque sa pause du matin était terminée.

– Vas-y, bon courage, lui dis-je doucement, souhaitant au fond de moi qu'elle arrête son taff de caissière où on la traitait comme une merde pour prendre soin d'elle comme elle le méritait.

– Merci, me répondit-elle doucement. Je t'aime Tarek.

Comme d'habitude, sa prononciation de mon prénom me fit sourire alors que mon bide se serrait, et je me sentis comme un putain d'ado.

– Je t'aime aussi. À plus.

Puis je raccrochai avec un sourire de débile, ayant super hâte de la retrouver. 

Ça faisait déjà un moment que je me disais que c'était la bonne et que j'allais la présenter à mon fils, mais il me fallut cet appel et ses sanglots inquiets pour me le confirmer : même si ça me faisait flipper, Kamila était la première femme que j'aimais autant, et j'avais envie de faire ma vie avec elle.

Et putain. Même si j'étais déjà comblé avec Elyas, il était plus que temps que je refasse ma vie.






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