BONUS 12 : « Tu fais vraiment trop le mec »
Coucou ! Comme promis je reviens avec un bonus !
Je sais qu'il est un peu long, mais je crois clairement que c'est mon bonus préféré ! Faites attention à bien avoir lu le chapitre 38 de Toujours Là avant, sinon vous vous spoilerez et en plus vous comprendrez rien !
Bisous ! ❤️
__________________________________________________
La haine qu'Elyas et moi partageons l'un pour l'autre, ça remonte à très loin. En fait je sais même pas si j'ai ne serait-ce qu'apprécié ce type un jour.
Quand on était petits, c'était clairement une histoire de jalousie : Tarek était le meilleur ami de Maëlle, mon père était le meilleur ami de Mikael, et donc fatalement Elyas et moi devions nous partager notre cousin. Le pire dans tout ça c'est que j'aurais tout aussi bien pu être la meilleure amie d'Oscar. Mais non, il avait fallut que je sois celle de Jude. Et avec Elyas, c'était un concours : lequel de nous deux Jude voyait-il le plus dans la semaine ? Auquel de nous deux avait-il offert le plus beau dessin pour Noël ? Auquel de nous deux avait-il donné son carton d'invitation à son anniversaire en premier ? Avec lequel de nous deux rigolait-il le plus lors de cette fameuse journée d'anniversaire ?
J'étais malade quand Jude partait en vacances avec Elyas ou que ce dernier partait en vacances avec la famille Castelle-Clarkson. J'étais malade qu'au collège les deux cousins passent plus de temps ensemble parce que Jude était dans sa période « traîner avec les filles ? La honte ». J'étais encore plus malade de devoir partager Mikael avec lui. Pire encore quand j'ai compris que ma demi-sœur que j'adorais était totalement sous le charme du fils Bouhied. Et puis vu qu'on habite pas dans le même quartier, j'ai beau avoir seize ans, je suis toujours ultra jalouse que Jude passe plus de temps avec l'autre débile qu'avec moi. Et putain qu'est-ce que ça me fait chier d'entendre mon oncle l'appeler « troisième fils ». Est-ce que moi je suis sa deuxième fille ? Bah je crois pas non.
Et puis même sans ça, je crois que je suis la seule personne à voir à quel point Elyas est une personne détestable. Ce qui est d'autant plus rageant. Monsieur Parfait et ses solutions à tous les problèmes. À être plus mature que tout le monde. Toujours accueillis comme le messie par tout le monde alors qu'il a rien de plus que les autres membres de cette famille. À attirer les filles comme une merde attire toutes les mouches d'une écurie. Alors que clairement, si j'avais pas été sa cousine, j'aurais jeté mon dévolu sur Jude plutôt que sur lui. Elyas est juste banal, je vois pas ce que tout le monde lui trouve.
C'est une nouvelle fois la question que je me pose quand toutes les têtes sont tournées vers lui à la soirée d'anniversaire de Jude. Ce dernier est en train de raccompagner sa meuf chez elle, tout le monde est soit pompette, soit fatigué, et Monsieur Elyas Bouhied est en train de conter comment Ismaël et Juliette ont fini ensemble avec animation, un sourire de benêt sur le visage. Comme si les deux concernés pouvaient pas raconter cette histoire eux-mêmes. Et tout le monde le regarde avec un sourire jusqu'aux oreilles, comme s'il était en train de raconter une magnifique histoire d'amour à la Shakespeare. Bon, mauvais exemple en terme d'auteur, d'accord. Enfin en tout cas, le fait est que ça mérite même pas un long récit ; Ismaël et Juliette ont échangé leurs numéros, ma meilleure pote l'a fait ramer pendant un moment, lui envoyant simplement un message de temps en temps histoire d'entretenir l'intérêt du jeune homme, et puis finalement ils se sont vu plusieurs fois et ils ont ken. Depuis ils sont apparemment ensemble. Aucun romantisme là-dedans. Et je suis ultra méfiante parce que je sais très bien que le métisse va briser le cœur de ma copine.
- Bon il rentre quand Jude ? je lance en plein milieu du récit de l'autre baltringue. Parce que c'est pas que j'apprécie pas tes talents de troubadour mais y'a quand même Fouad qui s'est endormi pendant ton histoire.
C'est même pas un mytho pour le provoquer, le vrai cousin de Jude et d'Oscar est endormi sur l'épaule de sa grande sœur, sa respiration assez forte. À la base, il était pas censé boire. Puis on a tous un peu relâché notre garde, et on l'a même laissé prendre quelques gorgées dans nos verres. Jude va sûrement se faire défoncer si quelqu'un s'en aperçoit, mais je prie pour qu'Elyas prenne plus cher.
- Oh Fouad, debout ! s'exclame aussitôt l'autre connard, ce qui me surprend parce que je pensais qu'il se serait occupé de mon cas avant.
Puis, alors que le plus jeune des Castelle-Duprès-Clarkson-que-sais-je se réveille en sursaut, le débile lui lance un faux regard menaçant :
- T'as bu t'assumes, dit-il simplement.
Ce mec se prend vraiment pour je sais pas qui, ça m'énerve.
Fouad se contente de hausser les épaules, puis il laisse retomber mollement sa tête sur celle de sa sœur. Il est grave chou ce gosse, Raphaël et Inès ont fait du bon boulot. En vérité je me rappelle plus de la gueule ni de l'un ni de l'autre, mais j'imagine que le frère jumeau de la femme sublime qu'est Maëlle pouvait tout être sauf un gueux.
- Tu fais vraiment trop le mec, je lance ensuite en buvant une gorgée du verre d'eau devant moi.
- Toi on t'a pas demandé de l'ouvrir, réplique l'autre con.
Dingue comme Monsieur Parfait peut-être agressif quand on le titille un peu. Je prends toujours un plaisir à le faire sortir de ses gonds.
- J'essaye juste de sauver tout le monde du rabats-joie soporifique que tu es.
Autour de nous et comme d'habitude, les gens arborent des sourires amusés, en mode nous regarder nous foutre sur la gueule c'est le divertissement de l'année. Juliette, les yeux très plissés, me lance des regards encourageants et fiers comme si j'étais en train de disputer un Rap Contender, à deux doigts de balancer des « Mais arrêtez-là ! » stupides alors que j'ai encore trop rien dit. Ça c'est l'influence qu'a Ismaël sur elle. Et l'alcool. Ma meilleure pote a pas l'air si bête d'habitude.
Le débile me toise d'un air plein de jugement, me regardant de haut en bas avec mépris :
- Pourquoi t'es encore là si ça te plaît pas ce que je raconte ?
- Parce que j'aime te rendre la vie infernale, je réponds froidement.
Il serre les dents, et je peux sentir d'où je me trouve la bataille qui fait rage à l'intérieur de sa tête : est-ce qu'il va renchérir ou pas ? S'il renchérit pas, il me laisse gagner, mais s'il renchérit il va passer pour un connard devant les cousins qui l'adulent. Pauvre Elyas, la vie est faite de dilemmes insurmontables.
Finalement, le fils Bouhied ne me répond pas et, même si je suis déçue parce que j'avais tout un tas de pics à lui balancer, je souris fièrement. J'ai l'air d'une garce comme ça, surtout parce que tout le monde doit se demander « pourquoi diable Eda n'aime-t-elle pas cet ange de garçon ? » Mais il faut pas se méprendre, je lui fais juste payer les tortures qu'il m'a infligé quand on était petits.
- Je comprends pas que vous vous entendiez pas.
Sortant de mes pensées, je tourne la tête vers Anaïs, assise à côté de moi. Je l'aime bien cette fille. Depuis que Jude nous a présentées on s'est revues quelques fois ; elle aussi elle s'habille beaucoup en friperie, donc j'ai enfin trouvé ma partenaire de shopping. Au moins j'ai pas les soupirs de Juliette et ses critiques qui m'accompagnent.
- C'est vrai quoi, poursuit Anaïs - ses paroles un peu décousues comme le reste d'entre nous -, vous êtes les mêmes dans deux corps différents.
Je l'assassine aussitôt du regard :
- Compare-moi encore une fois à cet avortement perdu et on sera plus copines toi et moi.
Anaïs explose de rire, et elle met bien cinq minutes avant de se calmer. Elle est jolie cette nana, je me demande si elle aime les filles. Son rire est si contagieux que je me mets à rigoler avec elle alors que son hilarité est en train de passer, puis notre fou rire dure une dizaine de minutes. J'en ai mal au ventre et des larmes coulent sur nos joues respectives. Et puis évidemment, c'est le même rabat-joie que d'habitude qui nous coupe dans notre délire :
- Qu'est-ce qu'elles ont les deux pintades ? ricane-t-il en face de nous.
On peut même pas lui répondre tellement on rit, et j'ai même pas la force de l'insulter. J'en viens même à oublier pourquoi on est dans cet état : c'est elle qui a dit un truc drôle ou moi ?
Au final tout le monde se marre avec nous, et personne sait vraiment pourquoi. Ce qui nous fait encore plus rire Anaïs et moi, et je dois quitter la pièce pour arriver à me calmer.
Putain de merde ! Essuyant mes joues en essayant de reprendre mon souffle, j'essaye de me rappeler la cause de mon hilarité mais rien ne vient. Pétard, j'aurais aimé que Jude soit là pour profiter de ce moment ; il en aurait sûrement rajouté une couche et je serais probablement toujours pas calmée.
D'ailleurs je me demande où il est ; il met un temps fou pour raccompagner sa copine ! Si ça se trouve ils sont en train de faire des cochonneries dans un buisson. Je souris bêtement face à cette pensée, et Oscar s'en aperçoit visiblement puisqu'il me hèle dès que je reviens dans le salon :
- Tu t'es toujours pas calmée ? me demande-t-il en ricanant, son petit sourire grave chou plissant ses yeux derrière ses lunettes.
- J'ai pensé à une connerie c'est tout, j'explique en m'asseyant entre lui et sa « cousine » Lola histoire de les faire chier.
- Bah vas-y balance ! m'encourage-t-il d'un air très intéressé.
Je ferme les yeux en serrant les lèvres dans un petit sourire mutin tout en lui tapotant l'épaule pour lui répondre :
- Tu veux pas savoir mon Ossie, tu veux pas savoir.
À côté de moi Lola se marre, et je vois aussitôt les pupilles de mon cousin se dilater face à ce son et son sourire s'élargir. Je me demande si je suis la seule à capter qu'il est fou amoureux d'elle. J'aime beaucoup Lola mais elle est très naïve si elle pense que son BFF la considère aussi comme sa BFF.
- Peut-être pas lui, mais moi je veux savoir ! me lance Hoài en s'incrustant dans la conversation.
- Olà non mon petit ! je m'exclame. Surtout pas toi Hoài, t'es beaucoup trop mignon et innocent pour être perverti par mes pensées les plus sombres.
Il se marre à son tour, puis tente de me faire parler plusieurs fois sans grand succès avant d'abandonner en lançant une nouvelle conversation avec Oscar et Lola. Je l'aime bien ce petit - enfin je dis ça mais il a mon âge je crois -, il est super gentil et attentionné, avec une auto-dérision de dingue, et il pose pas de problème. Pas comme son abruti de cousin. Je le vois vraiment pas souvent - la dernière fois doit peut-être remonter à l'anniversaire d'Oscar il y a deux ans -, donc je vois clairement les progrès qu'il a fait en Français et l'immense chemin qu'il a parcouru au niveau de sa timidité. Franchement je le respecte.
L'ambiance est clairement redescendue depuis le fou rire général : Fouad est allé se coucher, Elyas est en train de discuter d'un air très sérieux avec Anaïs, Juliette et Ismaël sont en train de se pécho sur le canapé en face, et je sens que la petite Lola est en train de s'endormir à côté de moi. Cette constatation faite, je me rends compte que je suis tout aussi fatiguée qu'elle.
- Bon les enfants ! je lance après avoir analysé tout ce beau monde une dernière fois et décidé que j'avais envie de retrouver mon lit. Tata Eda est sur le départ ! je m'exclame tout en me levant.
- Déjà ? s'étonne Hoài, l'air triste.
Je crois qu'il me kiffe le petit, ça me fait plaisir.
- Et ouais, toutes les bonnes choses ont une fin. Tu sais je vais pas dormir ici, je risque de me faire poignarder pendant la nuit, je répond en lançant un regard méfiant à Elyas.
- Si seulement j'avais les couilles, réplique ce dernier dans un soupir.
Nan mais alors là, soit il est con soit il le fait exprès, mais il me tend une perche énorme.
- Pas besoin de t'avoir vu à poil pour savoir qu'il y a absolument rien entre tes jambes, je lance.
Ma réplique me vaut quelques ricanements, et je vois qu'Elyas baisse les armes, probablement bien trop fatigué par la soirée. Dommage, j'aurais pu continuer encore longtemps.
- Vas-y casse-toi sheitan, balance-t-il simplement.
Un sourire fier sur le visage, j'embrasse toutes les personnes encore vivantes dans la pièce, oubliant volontairement Juliette, Ismaël et Elyas, choppe mon vieux coupe-vent Reebok violet sur le dossier d'une chaise ainsi que mon sac à dos Carhartt, enfile mes Vans, puis c'est alors que je suis sur le point de sortir qu'Hoài me rejoint en trottinant :
- Eda ! s'exclame-t-il dans une espèce de murmure.
Je me retourne immédiatement face à lui avec un sourire bienveillant sur le visage ; de toute façon on peut être que bienveillant avec ce garçon, y'a pas une once de méchanceté en lui. L'air aussi timide que la première fois où il s'est retrouvé dans une réunion de famille à Paname, Hoài n'ose pas me regarder dans les yeux, et il a l'air de galérer pour trouver ses mots.
- Euh, je... commence-t-il.
- Prends ton temps, t'inquiètes, je lui lance d'un ton encourageant.
Le garçon me sourit timidement, puis il semble enfin trouver le courage de me regarder dans les yeux. Il met ensuite quelques secondes à s'exprimer :
- Je reste jusqu'à demain soir à Paris, me dit-il. Et je voulais savoir si t'aimerais qu'on passe l'après-midi ensemble.
Le pauvre a l'air mort de honte, ce qui fait naturellement s'étendre mon sourire d'un air rassurant, et il laisse seulement le silence planer pendant quelques microsecondes :
- Ou avec Oscar et Lola si tu veux ! Je les aurais pas beaucoup vu donc ils peuvent venir ! Ou pas ! Enfin c'est comme tu veux !
Cette fois-ci je peux pas m'empêcher de ricaner. Mais je me moque pas, je trouve juste ça mignon.
- Je suis chaud dans tous les cas, je lui réponds presque immédiatement. Avec Oscar et Lola, sans Oscar et Lola, c'est toi qui vois ! Tu m'envoies un message pour me tenir au courant ?
Le garçon acquiesce avec un sourire ravi, puis il me fait une nouvelle fois la bise en me souhaitant un bon retour et une bonne nuit. Et alors que je pensais pouvoir enfin rentrer chez moi et retrouver mon merveilleux nouveau matelas deux places Emma O2, l'autre connard vient m'emmerder, accélérant le pas pour prendre la place de son cousin tellement plus génial que lui :
- T'as des nouvelles de Jude ? me demande-t-il.
Notre amour pour Jude Castelle-Clarkson, ou la seule chose qui nous rassemble lui et moi.
- Nan, mais je pense qu'il est rentré chez lui. Il oublie tout le temps de prévenir quand il est rentré de toute façon.
Elyas hoche doucement la tête, l'air peu convaincu. Moi aussi je trouve ça bizarre qu'il soit pas revenu après avoir ramené Jasmine. Ce que son meilleur ami ne tarde d'ailleurs pas à relever :
- Ouais mais y'a quand même Hoài, Kaïs et Fouad ici, c'est louche qu'il veuille pas passer plus de temps avec eux.
- Hmm... Mais c'est Jude, il est imprévisible.
- Ouais.
On reste en silence quelques secondes, et la seule raison pour laquelle je bouge pas c'est parce que j'essaye de démêler mes écouteurs avant de sortir.
- Tu rentres comment ? me demande-t-il finalement.
- Vélo, comme d'hab'.
- Ok, bah fais gaffe.
Et sur ces mots il s'en va avant que j'ai eu le temps d'acquiescer. Le regardant partir d'un air méprisant, je choppe mes longs cheveux noirs pour les attacher dans une queue de cheval histoire qu'ils me fouettent pas la gueule pendant que je pédalerai, puis je descends chercher mon vélo au lampadaire auquel je l'ai laissé accroché ; comme d'habitude, je prie pour qu'il soit encore là, même si je sais pertinemment que mes deux antivols découragent plus d'un connard.
C'est alors que je défais le deuxième cadenas que j'entends des pas devant moi et que, malgré moi et le peu de bon sens que je devrais avoir en étant un meuf seule dans les rues d'Aubervilliers la nuit, je relève la tête vers le nouveau venu. Pour tomber sur un Jude en larmes.
Mon cousin a l'air d'être à des milliers de kilomètres de l'instant présent, mais il s'arrête quand même de marcher quand il me voit, et mon cœur se brise aussitôt en mille morceaux quand je vois la brillance de ses joues inondées de larmes.
Pas besoin d'être un génie pour savoir que sa petite balade avec Jasmine s'est mal terminée. Et pourtant, comme une conne, la première chose que je sors c'est :
- Qu'est-ce qu'il y a mon Jude ?
Forcément, mon cousin me répond pas, et il reprend sa marche, probablement en direction de sa maison. Il me répond pas plus quand j'essaye de lui parler après avoir décidé que je le suivrai jusque chez lui et, marchant à côté de mon vélo auprès de lui, on parcourt le peu de chemin entre son appartement et celui des Bouhied en silence.
J'hésite quelques secondes à le suivre lorsqu'il ouvre la porte d'entrée du hall de son bâtiment, puis après avoir lâché un « oh et merde ! » bien sonore mais que dans ma tête, je m'engouffre à mon tour dans l'immeuble. Je mets vingt ans à trouver une bonne planque à mon vélo, puis je grimpe les marches des escaliers quatre à quatre en priant pour que mon cousin n'ait pas refermé à clé derrière lui. C'est quand j'appuie sur la poignée et que la porte s'ouvre que je comprends que Jude pense avoir besoin de moi, même inconsciemment.
Marchant discrètement dans l'appartement des Castelle-Clarkson, je tarde pas à rejoindre la chambre de Jude, et mon ventre se sert incroyablement fort quand j'aperçois le grand dadais qui me sert de cousin en train de pleurer en position fœtale sur son lit. Il a même pas pris le temps de se déshabiller putain.
Fermant la porte derrière moi, je me précipite pour m'allonger à ses côtés, prenant quand même soin d'enlever mes chaussures avant. C'est quand je galère à enlever un de mes lacets que je me rends compte que je suis en train de pleurer.
Voir mon cousin dans cet état-là, ça me fait beaucoup trop de mal. J'ai envie de tuer celle qui est responsable de ses larmes.
Au début, je sais pas trop quoi faire : je suis pas la meuf la plus câline du monde, et je sais que Jude a du mal avec les gestes d'affection. Mais je peux pas le laisser comme ça sans rien faire, alors je colle finalement ma poitrine contre son dos, et je glisse une de mes mains dans la sienne tout en le serrant contre moi. Mon cousin reste d'abord rigide, ses sanglots s'arrêtent sèchement, puis il ressert nos phalanges et ses muscles se détendent en deux secondes et demi. Ses pleurs reprennent, accompagnés des miens, et je tente tant bien que mal de l'apaiser en lui chuchotant des paroles rassurantes :
- Ça va aller mon Juju, je suis là. Je te promets que ça va aller mieux un jour.
J'ai pas vécu énormément de ruptures, j'ai même aucune expérience amoureuse, mais pour l'instant je suis tout ce qu'il a en terme de réconfort donc il va falloir qu'il fasse avec.
- Arrête de pleurer, s'te plaît... je le supplie au milieu de mes reniflements et de mes larmes.
Je pleure vraiment pas souvent, et je pensais pas que mon cousin arriverait à me faire pleurer un jour. Il m'a prise au dépourvu ce con.
Me rendant rapidement compte que parler ne servira à rien et qu'à sa place j'aurais envie de me baffer, je me contente de caresser sa main avec mon pouce tout en essayant de contrôler mes propres pleurs. Peut-être que s'il sent que je suis dans le même état que lui il va finir par s'apaiser un peu... Je sais pas, j'ai jamais consolé Jude moi, il est peut-être super sombre parfois mais il va toujours bien ! Enfin je crois...
Les sanglots de mon cousin s'apaisent aux alentours de quatre heures du matin, puis la fatigue me revenant de plein fouet dans la tronche, je m'endors en très peu de temps, le front contre son dos.
Lorsque je me réveille, je me redresse discrètement pour ne pas réveiller Jude. Mais je constate rapidement qu'il est déjà réveillé, et vu sa gueule je devine qu'il a pas dormi de la nuit.
- Tu veux en parler ? je demande sans trop d'assurance.
Jude me répond par un signe négatif de la tête et un petit sourire qu'il veut rassurant, et je dois me faire violence pour le quitter et descendre déjeuner. J'ai vraiment pas envie de le laisser, mais je pense qu'il a besoin d'être un peu seul.
En bas, je souris quand je tombe sur Mikael et Maëlle mangeant comme deux ados devant la télé : les pieds posés sur la table basses, ils ont chacun une assiette remplie de légumes et de viande sur les genoux, et sont en train de se mater une vieille série qu'ils ont déjà vu mille fois. C'est Mme Castelle-Clarkson qui s'aperçoit de ma présence en premier puisqu'elle tourne sa tête surmontée d'un chignon vers moi et que ses yeux s'écarquillent de surprise :
- Oh Eda ! s'exclame-t-elle la bouche pleine en sautant sur ses pieds, faisant sursauter son mari. Comment tu vas ma puce ?
J'aime ma mère de tout mon cœur, mais cette femme-là c'est quand même quelque chose. Dès que je la vois je peux pas m'empêcher de sourire.
- Très bien et toi ? je demande en accueillant une brève étreinte de l'ancienne handballeuse.
- Super ! Je suis contente de te voir, ça faisait longtemps ! Tu veux déjeuner quoi ? Je vous ai préparé des crêpes si tu veux, mais tu sais ce qu'il y a dans les placards, tu fais comme chez toi ! Je vais juste aller chercher de la confiture dans la réserve, je crois qu'il y en a plus.
Et sur ces mots, la mère de Jude disparaît dans le couloir qui mène à leur chambre et au cellier. « Ça faisait longtemps ». Faut pas déconner, je suis chez eux au moins une fois par semaine.
Pendant ce temps, le meilleur ami de mon père se lève lentement du canapé et vient me claquer la bise :
- Pas trop la gueule de bois gamine ?
- On a eu pire.
Face à mon oncle, je me retrouve toujours comme une ado timide, je sais pas pourquoi. Je déteste qu'il ait autant d'influence sur moi, je suis une jeune femme forte et indépendante merde !
- Tu manges avec nous ou tu remontes vers Juju ?
- Je veux pas vous déranger.
Mikael lève les yeux au ciel dans un rire jaune avant de se réinstaller de nouveau dans le canapé :
- Tu passes les trois quarts de ta vie ici, ça fait longtemps que tu déranges plus.
Un sourire incontrôlable se dessine sur mon visage, et je me dirige vers la cuisine pour aller me chercher à manger. Quand je reviens avec une petite assiette avec deux crêpes garnies et un verre de jus de fruit, Maëlle et Mikael sont de nouveau en train de manger et ils critiquent un des personnages de leur série. Ils mettent aussitôt sur pause lorsque j'arrive :
- Alors cette soirée ? demande Maëlle. Combien de vomi ?
Je rigole avant de lui répondre :
- Et bah aucun figure toi ! Tout s'est parfaitement bien déroulé.
Enfin... Pas pour tout le monde. Je me demande si je dois leur parler de l'état dans lequel j'ai retrouvé Jude. Mais cette idée n'a pas trop le temps de germer dans ma tête que je me ravise immédiatement : mon cousin m'en voudrait à mort, je leur en parlerai si nécessaire et seulement si je vois que Jude s'en sort plus.
- Ishane va bien ? me demande ensuite mon oncle.
Je hausse un sourcil, à la fois blasée et amusée : vu que mon père travaille avec lui en temps qu'ingé-son et manager de certains artistes, il le voit plus que moi.
- Je sais pas, c'est à moi de te demander ça, je réplique. Tu le vois plus que ta propre femme.
Ma réplique me vaut des éclats de rire de la part du couple, puis le sujet de conversation enchaîne sur ma demi-sœur, Zora, qui est aussi la filleule de Mikael, et je leur donne des nouvelles de son stage dans une maison d'édition à Toulon. Ma sœur est qu'en L3 mais comme elle veut mettre toutes les chances de son côté pour pouvoir être prise dans le Master qui fera d'elle une éditrice, elle a pris les devants pendant les dernières vacances.
Je passe une bonne heure avec eux, ils m'apprennent qu'ils seront tranquilles presque toute la journée puisqu'ils se sont débarrassé de Louise et que Jude et Oscar seront trop fatigués pour vouloir passer du temps avec eux, puis je rejoins finalement mon cousin dans sa chambre, lui amenant un plateau avec des crêpes et des trucs à mettre dessus.
Jude me remercie avec un sourire, puis je propose qu'on regarde un film et on se cale tous les deux devant son ordinateur. Je profite du moment où mon cousin se lève pour aller poser le plateau sur son bureau pour écrire un mot d'excuse à Hoài, lui disant que j'ai un empêchement et que je pourrai pas passer l'après-midi avec lui. C'est dommage, j'aurais bien aimé, mais mon meilleur ami va pas bien donc je suis censée être nulle part ailleurs qu'à ses côtés.
Pas de câlin comme cette nuit, je suis pas sûre qu'il aurait apprécié de toute façon. Mais j'espère que ça lui fait quand même du bien que je sois là. Je peux pas faire grand chose de plus, il a pas l'air de vouloir parler. Je crois que je préférais quand il pleurait... Là il a juste l'air mort à l'intérieur. Il rigole pas pour les scènes drôles, il réagit à peine quand on est censés sursauter, j'ai même l'impression qu'il regarde le film sans le voir. Et ça me brise le cœur.
C'est pour ça que sur mon vélo, sur le chemin du retour, ma gorge est nouée au maximum. C'est tellement dur de voir les gens qu'on aime souffrir. J'ai qu'une hâte c'est d'être chez moi et de pleurer dans les bras de ma mère. Alors je pédale vite, et c'est ce que je fais à peine la porte de chez moi dépassée.
Quand je rentre, il n'y a personne dans le salon, mais je me dirige vers la cuisine où j'entends du bruit. Ma mère me tourne le dos, visiblement en train de cuisiner :
- Ah bah t'es enfin rentrée ! s'exclame cette dernière d'un ton amusé. J'étais à deux doigts de débarquer chez les Bouhied pour savoir si vous vous étiez pas entret...
Ma mère s'est retournée, et elle se tait brusquement lorsqu'elle voit mon visage. Je crois que j'attendais juste de la voir pour craquer.
- Bah mon bébé...
Lâchant mon sac sur le sol, je me précipite vers elle, et ma mère sert ses bras autour de moi avec force :
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ma chérie ? me demande-t-elle d'un ton très doux.
Je peux même pas lui répondre tellement je sanglote. Ça fait du bien de sentir ses bras autour de moi et l'odeur caractéristique de son parfum. C'est super apaisant, et même si ça me fait du bien de pleurer, je sais que ça va pas durer longtemps grâce à elle.
- Putain qu'est-ce qu'il a fait ?
Ah. Ça c'était mon père. Et j'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'il est déjà en colère.
- Je vais me le faire, souffle-t-il finalement entre ses dents.
Mon père, c'est pas du tout le même style que celui de l'autre connard de cousin de Jude. Tarek s'en branle de la relation que son débile de fils et moi entretenons, ça le fait même rire. Même si c'est un ancien gosse de cité aussi, c'est le rebeu joyeux, sans prise de tête. Même s'il est parfois un peu lourd sur les bords, il est très rare qu'on rigole pas en sa présence. Après je le côtoie vraiment très peu, à raison de cinq à six fois par ans pendant des réunions de famille ou de rappeur, ou quand mon père et lui travaillent ensemble, mais je me souviens pas d'une seule fois où je me suis pas tapée une grosse barre en sa présence. C'est à se demander s'il est bien le père de son fils tellement il est génial. Mon père, c'est tout le contraire. Même si Tarek et lui ont tous les deux grandi dans un contexte particulier et qu'ils ont longtemps dealé (mon père ne s'en est jamais caché auprès de ma sœur et moi), le mien reste un mec de tess, et il a vraiment l'air du rebeu qu'on n'a pas envie de démarrer. Évidemment, c'est mille fois pire quand on vient à parler de ses deux petites filles. Preuve en est, ça fait à peine dix secondes que je pleure dans les bras de ma mère et il est prêt à défoncer la porte des Bouhied pour éclater la tronche du fils de Tarek.
- Papa... je tente entre mes sanglots.
- Ça fait trop longtemps qu'il joue au con, je vais l'éclater, grogne mon père.
- Papa, j'essaye une nouvelle fois en reniflant.
- J'adore Tarek, mais putain il faut que son fils arrête de te manquer de respect.
- Papa arrête ! je m'exclame finalement en me retournant.
Les mâchoires serrées, le visage de mon père se tend brièvement sous ce que je devine être de la peine, puis ses yeux redeviennent noirs presque instantanément.
- C'est pas Elyas, je continue en essuyant une larme sur ma joue.
- Qu'est-ce qu'il y a alors ? me demande-t-il.
- Laisse-moi le temps de respirer nan ?
Les yeux de mon père s'écarquillent, et dans un autre contexte je crois qu'il m'en aurait foutu une. Dans un autre contexte je me serais jamais permise de lui parler comme ça non plus. Mais je suis beaucoup trop fatiguée.
- Pardon, je me corrige aussitôt.
La main de ma mère caresse mes cheveux, et le visage de mon père se fait moins agressif.
- C'est juste Jude qui s'est fait largué et... Il allait vraiment pas bien, je continue alors que ma gorge se serre de nouveau. Il a pas arrêté de pleurer et j'aime pas le voir comme ça et je suis restée avec lui toute l'après-midi pour le réconforter et c'était trop dur et je crois que j'ai même pas réussi à l'aider.
Comme si j'avais six ans, ma voix se brise sur mes derniers mots et je fonds de nouveau en larmes. Et ben putain je pisserai pas du tout ce soir !
Ma mère m'attire brusquement dans une nouvelle accolade, et elle m'intime de me calmer à plusieurs reprises, me disant que je suis certainement très fatiguée. Et elle a totalement raison, c'est pas mon genre de pleurer comme ça.
- Il faut qu'on en parle à Mikael ? demande mon père d'un ton plus calme.
Je secoue négativement la tête en me redressant, essuyant les dernières larmes qui ont coulé sur mes joues :
- J'y ai pensé, mais je préfère qu'il en parle tout seul. Je m'occuperai de lui.
Mon père acquiesce simplement en affichant une moue désolée, puis un silence s'installe dans la cuisine, ma mère continuant de caresser mes cheveux.
- Amel t'as fini de faire à manger ? lui demande ensuite mon père.
- Je viens à peine de commencer.
- Niquel. Arrête tout, ce soir on commande sushis, lance-t-il finalement dans un sourire.
Puis sur ces mots, il embrasse ma mère sur la tête, et s'approche de moi pour prendre mon visage entre ses mains :
- Même si tu peux pas réparer un cœur brisé, je suis sûr que ça lui a fait du bien que tu restes avec lui. Je suis fier de toi ma fille.
J'esquisse un faible sourire puis il embrasse mon front, longtemps, avant de sortir son portable de sa poche et de disparaître dans le salon. Quelques minutes plus tard il a commandé mes plats préférés, et on termine la soirée à manger devant la télé, mes parents essayant de me faire rigoler et obtenant souvent des succès.
Puis, une fois dans mon lit et ayant cogité toute la soirée, je me décide à ouvrir une conversation que je pensais jamais avoir à créer un jour :
À : Elyas Bouhied
Faut qu'on parle de Jude
Une fois mon message envoyé, je ferme les yeux en me maudissant une bonne dizaine de fois.
C'est pour la bonne cause Eda, c'est pour la bonne cause.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top