BONUS 1 : « Putain d'ville de con »

– Putain Bouhied, ralentis je t'ai dit !

– Ça va, je suis qu'à 150, pète un coup.

– C'est ta gueule de sale arabe que je vais péter. Je compte pas emménager demain parce que Monsieur se sera fait coffrer pour excès de vitesse.

– Putain Clarkson, je suis content que tu bouges de Dijon, t'as pas idée.

Littéralement trente minutes que nous avions quitté l'agglomération dijonnaise dans notre camionnette de location, et nous nous étions déjà engueulé trois fois.

Je n'étais vraiment pas d'humeur à supporter les conneries de mon frère : j'avais quitté un Sohel en larmes le matin même, puis j'avais dû me retenir de pleurer en embrassant mon père ainsi que Fanny et son ventre rond.

Je savais que j'allais progresser avec mon équipe parisienne, mais bordel qu'est-ce que ma famille allait me manquer ! Et puis contrairement à la plupart des gens, je ne rêvais absolument pas de vivre dans la capitale bruyante et polluée, pleine de parisien hautains et pressés. Je préférais de loin ma petite vie en province auprès de mes proches.

Tarek asséna deux grand coups à l'arrière de la cabine, me faisant sursauter en grognant :

– Ça va comme vous voulez derrière ? gueula-t-il.

– Niquel ! lui répondit la voix d'Hugo, quelque peu étouffée par la cloison.

– Tu veux pas récupérer Clarkson et moi je récupère Duprés ? 

– C'est mort, fit la voix de mon frère, je passe pas trois heures enfermé avec toi Bouhied.

– Et moi non plus ! s'empressa de lancer Hugo alors que Tarek était sur le poing d'ouvrir la bouche.

Ce dernier se renfrogna et augmenta le volume de la musique en grognant.

[...]


– Putain de merde, articula doucement Hugo. T'étais obligée de prendre un appart sans ascenseur ?

– C'est tout ce que j'ai trouvé, répondis-je tout aussi difficilement.

Nous étions maintenant au troisième palier de l'immeuble, tentant de porter un encadrement de lit jusqu'à mon étage.

– Bah alors, on galère ? lança gaiement Tarek en grimpant les marches deux par deux, sautillant avec seulement un carton dans les bras.

– Va chier Bouhied, lui fit Hugo.

J'aurais dû me douter que choisir Tarek pour un déménagement était potentiellement une des pires idées que j'aurais pu avoir.

– T'aurais au moins pu prendre un meublé, continua de grogner Hugo.

– Arrête de râler et porte, pestai-je. C'est toi le rugbyman et j'ai l'impression de tout porter.

Après plus de deux heures d'effort, des allers et retours innombrables, des montages de meubles, des jets de carton - on remerciera la délicatesse de Tarek pour ça -, et de très nombreuses chamailleries dignes d'enfants de sept ans, mes trois camarades et moi nous laissâmes tomber à l'unisson sur des chaises ou sur mon lit, une bière à la main.

– Tu vas être bien ici en vrai une fois que t'auras tout décoré, fit Raph.

– Ouais, me reste plus qu'à afficher vos gueules, ranger mes livres et pendre une guirlande, et puis ce sera bon.

Tarek tourna vivement la tête pour me sonder d'un regard menaçant :

– Compte pas sur moi pour t'aider, c'est Moingeon le meilleur ami gay, il est là pour ça.

Le kabyle ne tarda pas à se prendre une énorme patate dans le bras de la part du meilleur ami gay en question.

– Toujours tu réponds par la violence wesh, râla-t-il en se frottant le bras. 

– Y'a que ça qui te calme, fis-je.

– Ta gueule toi, tout le temps tu le défends, je sais bien que c'est ton préféré.

J'éclatai de rire devant sa moue d'adolescent vexé. Il faisait la même gueule lorsqu'il tenait tête aux profs au collège et au lycée. 

– Moooh mais t'es jaloux ? me moquai-je en lui pinçant la joue.

– Vas-y bouge avec tes sales mains.

Sur ce, je continuai de l'embêter, et notre petite querelle ne tarda pas à se transformer en vrai combat de lutte.

Même si je me garderai bien de le dire, mes deux amis allaient profondément me manquer. Je n'allais jamais pouvoir trouver d'être humains aussi formidables qu'eux, et même si j'étais assez sociable, j'avais peur de m'ennuyer dans ma nouvelle vie. En tout cas, je ne trouverai certainement personne avec qui me battre comme j'avais l'habitude de le faire avec Tarek.

Hugo nous sépara finalement, et nous restâmes silencieux comme des enfants punis pendant quelques secondes. Mais ce fut sans compter l'intervention de mon jumeau :

– Les gars... commença-t-il en soupirant.

– Hmm ?

Comme cinquante pour cent du temps, nous avions répondu à l'unisson, nos voix dépourvues de toute envie et énergie.

– Il faut qu'on emménage mon appart' maintenant...

Un « Roh putain !» général retenti dans le studio, et une heure plus tard, nous remettions ça à plusieurs kilomètres de chez moi.


[...]


– Nique toi la vieille putain !

Le rire de mon frère jumeau raisonna dans le téléphone alors que je venais de râler pour la millième fois de cette journée.

– Putain d'ville de con, soufflai-je.

– Qu'est-ce qui t'arrive encore ? me demanda mon frère en ricanant.

– Oh bah rien, j'ai juste faillit me faire écraser par une mamie qui voyait aussi bien que Gilbert Montagné. Je te le dis Raphy, cette année je vais pas la terminer vivante, c'est sûr.

– Toujours plus... Bon, sinon t'arrive quand là ? J'ai l'air d'un con à scruter les alentours en plissant les yeux.

– Si je finis pas sous un bus, je suis là dans deux minutes.

Sur ce, je raccrochai et traversai la dernière rue qui me séparait du parc où je devais retrouver Raphaël.

Heureusement que les parcs existaient, parce qu'après à peine une semaine passée dans la capitale, j'en avais déjà plus que marre des pierres et du béton. 

Je n'aimais vraiment pas Paris.

Lorsqu'on y vivait, c'était loin d'être aussi glamour que ce que les films à l'eau de rose essayaient de nous montrer. La ville était plutôt belle par endroit mais certains quartiers étaient carrément glauques, le bruit incessant des voitures était insupportable, la pollution rendait ma peau dégueulasse et putain, qu'est-ce que les parisiens étaient cons ! Impossible que je m'en fasse des amis.

– Bien le bonjour jumeau ! m'exclamai-je en m'avachissant sur le dos de Raphaël quelques minutes de marche plus tard, le surprenant par derrière alors qu'il était installé en tailleur dans l'herbe.

– Wesh jumelle, fit-il, la voix déformée par l'effort de m'envoyer valser sur le côté. Comment ça s'est passé ton premier entraînement ?

Je m'installai en face de lui en tailleur moi aussi, et parlai tout en sortant Ice Tea et gâteaux de mon sac :

– En vrai niquel. J'ai pas encore trop pu parler à toutes les filles, mais dans l'ensemble elles ont l'air sympa. J'ai vite fait parlé à une norvégienne, elle a l'air cool, ça deviendra pas ma meilleure pote mais elle est pas méchante. Et puis du coup elles organisent une petite soirée chez l'une d'elles demain soir donc on pourra peut-être faire un peu plus connaissance à ce moment-là.

– Et ton entraîneur ça passe ?

– Franchement ouais, fis-je en posant ma tête sur les genoux de mon jumeau. Il est loin d'être incompétent. J'aime bien sa façon de diriger l'entraînement, et puis il est sympa. Pour l'instant j'ai que des bonnes impressions par rapport à ce club.

– Tant mieux, on sera pas venus pour rien ! s'exclama mon frère en commençant à joueur avec mes cheveux.

– Dans tous les cas il fallait qu'on bouge ici pour tes études à toi, donc même si j'avais pas le hand je serais pas venue pour rien.

Les mains de Raphaël s'arrêtèrent de me coiffer et je le vis hausser les sourcils pour me regarder d'un air interrogateur :

– Bah ils t'ont fait quoi pour que tu balances des compliments gratos comme ça ?

Je lui tirai la langue pour seule réponse.

– Du coup tu rentres à la maison demain ? lui demandai-je après quelques secondes de silence.

Mon jumeau acquiesça légèrement tout en buvant une gorgée de thé glacé.

– Ouais, je vais profiter d'Ines et des gars jusqu'à la fin des vacances je pense.

– Vous faites toujours les vendanges ?

Mes frères avaient l'habitude de travailler dans les vignes d'un ami de notre grand-oncle tous les ans. À cause du hand, je ne pouvais malheureusement pas vivre cette incroyable aventure avec eux mais, les courbatures en moins, c'était comme si j'avais assisté à toutes à travers leurs récits.

– Ouais, ça va encore être un zbeul pas possible mais on va rigoler, fit-il.

Je me souvenais encore des vendanges de l'année dernière : mes trois compatriotes m'avaient envoyé des snap bourrés tous les soirs, s'étaient couché à deux heures du matin pour se lever à six heures et travailler dix heures dans les vignes. Et ce, pendant une semaine et demie. Ils revenaient tous les ans avec d'innombrables coupures sur les dix doigts et des cernes plus grandes que l'Afrique.

– Bon et toi ça va ? demandai-je sans plus lui donner d'indications.

Il savait très bien de quoi je voulais parler.

– Ouais niquel, je pensais que le changement de la qualité de l'air ça allait me faire plus de mal que ça, mais en une semaine j'ai dû mettre mon masque que deux fois donc ça passe.

– T'aurais pas pu faire pire choix de ville que Paris. 

– Bah ouais mais c'est pas en restant à Dij' que je serais devenu astrophysicien.

Ça se tenait.

Mon frère et moi restâmes ensemble tout l'après-midi, puis nous nous séparâmes finalement afin que j'aille faire mes courses.

Les mains pleines de sacs, je fermai les yeux d'agacement devant le supermarché en réalisant que j'avais oublié de passer à la bibliothèque de la fac pour emprunter l'un des ouvrages présents sur ma bibliographie : si je pouvais prendre un peu d'avance au niveau de mes cours, ça ne serait pas plus mal.

La bibliothèque se trouvant plus près du supermarché que de chez moi, je décidai de débouler entre les étagères de livres avec mes deux sacs de courses dans les mains. Bordel qu'est-ce qu'ils étaient lourds !

Après de très longues minutes de recherche, je tombai enfin sur l'ouvrage tant convoité et ressortis de la bibliothèque avec mon livre en main. Enfin... Mes sacs de courses en main et le fameux livre dans l'un d'eux. Je pouvais enfin rentrer chez moi maintenant.

Pour savoir si je devais commencer à marcher ou si je pouvais prendre le bus, je dégainai mon téléphone pour regarder quand arriverait le prochain bus. Évidemment, il n'y en avait pas avant vingt minutes pour cause de « problème sur la ligne ». On se serait cru à Dijon.

– Putain d'ville de con !

Je ne comptais même plus le nombre de fois où j'avais dit cette phrase aujourd'hui.

– Ça va ?

Je me retournai pour savoir à qui appartenait la voix, et tombai sur un grand gars métisse. Plutôt pas mal d'ailleurs. Ouais nan, carrément beau. Il semblait sincèrement inquiet quant à ma condition.

– Oui oui, pas de soucis, j'ai juste pas de bus avant un petit moment, j'irai plus vite à pieds.

– Tu veux que je t'aide à porter tes sacs ?

Forceur ou pas forceur ? 

Je tentai d'analyser le garçon pendant plusieurs secondes : une simple veste en jean, un t-shirt blanc, un jean noir et des vans noires. Un style simple. Il avait réellement l'air bienveillant, et je mettais sa proposition d'aide sur le compte d'une certaine serviabilité et d'une bonne éducation que sur une potentielle technique de flirt. Et puis au fond si c'était ça, est-ce que ça me dérangeait réellement ? 

Pas du tout. Il est totalement ton genre Maëlle, laisse ta fierté de côté, et même si tu peux porter tes putains de sacs parce que t'es une warrior, laisse-le t'aider.

– Oui je veux bien ! fis-je finalement en lui adressant un grand sourire.

Un sourire illumina aussitôt son visage, découvrant des dents blanches bien alignées. Ce mec-là devait avoir toutes les filles à ses pieds avec son visage parfait et ses cheveux bouclés.

Il me prit aussitôt un des sacs des mains, puis le deuxième.

– C'est par là, fis-je en commençant à marcher dans la direction de mon appartement.

J'espérais que ce gars-là n'était pas un psychopathe, car mon côté petite meuf fragile venait de me mettre dans de beaux draps sinon. Se fier au beau visage du mec qui en fait est un serial killer, ça pouvait être le début d'un film d'horreur.

– Je m'appelle Alexis au fait, me fit-il, son sourire rayonnant toujours figé sur son visage.

– Maëlle, lui répondis-je en guise de présentation.

Mais ce que la Maëlle de cette journée ne savait pas, c'était qu'elle venait sans le savoir de se mettre dans de beaux draps et venait de signer pour plusieurs mois d'émotions intenses.

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Je suis pas très fière de ce bonus, mais ça faisait trop longtemps que je voulais commencer ce petit recueil et je trouvais que l'arrivée sur Paris ça pouvait être bien pour débuter. Merci d'ailleurs à @Edouch de me l'avoir proposé !

Plein de bisous !

📫

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