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Je suis de retour ! Ici en tout cas... Je sais, je suis longue, je galère à écrire dans l'ordre

J'espère quand même que vous allez bien ; c'est pas parce que je publie pas que je pense pas à vous et à tout ce que je veux vous écrire !

Je vous laisse, il est bientôt 22h22. Je suis une mauvaise élève, j'ai pas précommandé l'album... Mais j'espère que toutes celles et ceux ici qui l'auront fait seront heureux·ses dans quelques minutes !

Des bisous, bonne lecture ❤️

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Mai 2015


Un mois que j'avais sorti une des plus grosses conneries de ma vie. Un mois que je me comportais comme un pote avec Alice, alors que je mourrais d'envie de l'embrasser à chaque fois que je la voyais. Un mois aussi qu'à chaque fois que je pensais à elle et que je m'imaginais poser mes lèvres sur les siennes je culpabilisais vis-à-vis d'Agathe. Alors que cette dernière repoussait toujours plus le moment de quitter son mec pour moi.

« De toute façon, je crois qu'on était en train de faire une connerie. » Putain si j'avais réfléchis avant de parler aussi. 

J'étais parfaitement conscient que commencer un truc avec Alice me permettrait peut-être d'oublier Agathe. Mais à chaque fois que je faisais ne serait-ce que songer à dire à la petite Auvergnate ce que je lui avais pas dit un mois en arrière, je revenais rapidement à la raison en me convainquant qu'elle méritait mieux qu'un mec qui se servirait d'elle pour oublier une go. Son ex l'avait assez fait douiller comme ça, je voulais pas en rajouter une couche.

Du coup je continuais à être son pote, et elle continuait à être la mienne. Je continuais d'accourir dès qu'Agathe m'envoyait un message, et elle continuait de me promettre qu'elle larguerait bientôt son mec pour se mettre avec moi. 

Ouf à quel point ma vie était bordélique aussi peu de temps avant la sortie de mon premier album. À la fois j'étais méga heureux d'avoir tout bouclé et de sortir un truc en solo, mais mes pensées tournaient constamment autour de ces deux meufs. Putain j'étais pas comme ça avant, ça me cassait les couilles qu'elles aient autant d'influence sur moi alors que j'aurais dû me contenter de profiter avec mes frères de la tournée qui allait probablement suivre la sortie de Feu.

C'était encore ce que je me disais quand, regardant les champs de céréales défiler par la vitre d'une vieille 306, j'écoutais Alice discuter avec son grand frère avec animation, un sourire radieux figé sur le visage depuis ce matin huit heures alors que j'avais émergé du sommeil seulement aux alentours de dix.

Trop con et sûrement un peu inconscient aussi, j'avais accepté de suivre l'Auvergnate dans son village natal à la fin de son année universitaire. Enfin, « accepté »... J'avais d'abord sorti ça comme une vanne quand, l'air désespéré, Alice m'avait sorti qu'elle avait la flemme de retourner en Auvergne pour travailler dans la ferme de ses darons durant l'été. Je lui avais proposé de venir l'aider, on avait déconné là-dessus quand elle m'avait taillé sur le fait que j'allais pas tenir une journée, puis au final ça avait fini sur une sorte de pari et je me retrouvais maintenant en direction d'un trou paumé au fin fond de l'Auvergne où j'allais sûrement soulever de la fiente de vache.

En vrai, je me plaignais archi pas, parce qu'au fond mais j'étais plutôt heureux de me retrouver avec Lissa loin de Paname. Même si ça rendait son attraction sur moi encore plus intense. Je me l'expliquais pas en plus, parce qu'elle faisait absolument rien pour que je bug sur elle comme ça. Juste... Bah elle était elle-même, un p'tit bout de meuf simple, discret, et attachant de malade, pensant qu'elle valait pas vraiment le coup qu'on apprenne à la connaître alors qu'elle était une perle de personne.

C'était son reuf qui était venu nous chercher à la gare de Clermont-Ferrand pour nous ramener dans le trou paumé dans lequel habitait leur famille, quelques minutes plus tôt. Après une bonne demi-heure de route, ça faisait déjà quelques minutes que j'avais vu un panneau « Espinasse » barré, et depuis la fin de ce village j'avais plus aperçu aucune habitation. Apparemment, on en avait encore pour quelques minutes, minutes durant lesquelles les paroles d'Alice depuis le début du trajet continueraient d'être incessantes : je souriais d'ailleurs bêtement depuis que j'étais monté dans la gov en constatant qu'Alice avait absolument aucune retenue avec son reuf, à qui elle racontait sa vie. Je l'avais jamais entendue parler d'une voix aussi assurée. Pourtant ça faisait un moment qu'elle était plus timide avec moi.

Samuel était un grand mec baraque a l'air dur. Des cheveux noirs à la coupe négligée parsemaient son crâne, et une barbe épaisse montrait qu'il prenait archi pas le temps de prendre soin de lui. Il était grave froid, et assez peu souriant au premier abord. Enfin il était pas souriant avec moi en tout cas, parce que quand on avait débarqué, il m'avait regardé avec méfiance mais il s'était direct adoucis quand Alice s'était jetée dans ses bras. Il l'avait serrée longtemps contre lui en fermant les yeux, sa petite sœur ayant les pieds dans le vide tellement il était grand et Alice minuscule, puis il avait embrassé longuement sa joue avant de la reposer sur le sol. Il m'avait pas fallut longtemps pour capter qu'il était du genre grand frère ultra protecteur. Et quand je voyais à quel point Alice paraissait inoffensive, je pouvais que le comprendre.

Ça faisait trente minutes qu'on roulait et il m'avait toujours pas adressé la parole, ignorant totalement ma présence sur la banquette arrière pendant qu'il discutait et rigolait avec sa sœur à côté de lui. Je me marrai intérieurement face à son comportement : ce mec avait l'air d'être un cas, je sentais que j'allais l'apprécier.

Quand il m'adressa pour la première fois la parole, ce fut pour me faire visiter la propriété comme si j'étais le nouvel employé de la ferme, parlant avec professionnalisme et détachement. Il m'expliqua qu'ils avaient quatre-vingt-deux vaches laitières, me les fit rencontrer, puis il me montra les étables et tout le reste de la ferme. Il me refila un bleu de travail et des bottes, puis me laissa avec Alice sans un seul mot avant de se barrer je ne savais où.

Un petit sourire contrit sur le visage, la petite Auvergnate enfila sa tenue à son tour, puis elle m'expliqua le travail qu'on devrait faire. Je montrai rien de ma stupéfaction, voyant bien qu'Alice était déjà gênée pour moi ; de toute façon je lui avais dit que j'étais venu pour l'aider. Le seul truc qui me dérangeait, c'était le total manque de considération de la part de son frère : le mec m'avait à peine adressé la parole, et quand il l'avait fait ça avait juste été pour me dire ce que j'avais à faire. J'avais toujours eu un problème avec l'autorité, et visiblement même si j'avais pris en maturité depuis que j'avais quitté les bancs de l'école, j'acceptais toujours pas d'être dirigé. Pourtant je dis rien, trop conscient qu'Alice devait pas être bien plus heureuse que moi de travailler à la ferme après le stress de ses partiels. Je tentais donc de détendre l'atmosphère en lui balançant de la paille dessus avec ma fourche, ce à quoi elle répondit en me menaçant de me balancer de la merde de vache si je continuais.

– Tu vas être payée pour faire ça ? lui demandai-je après une bataille de paille à laquelle elle répondit heureusement pas par un jet de fiente.

Un secouement de tête me répondit :

– Mes parents ont pas les moyens, j'ai jamais été payée pour travailler ici.

– Bah et Benoît ? demandai-je en me rappelant l'employé agricole qu'on avait croisé pendant la petite visite guidée de Samuel.

Alice eut soudainement l'air honteuse, et un léger froncement de sourcils curieux m'échappa avant qu'elle me réponde :

– Quand je suis partie de la ferme ils ont été obligés d'embaucher Benoît, me confia-t-elle. Parce que sans moi ils avaient plus assez de main d'œuvre... Je crois que Papa m'en veut toujours d'être partie d'ailleurs. Il pensait que Samuel et moi on allait prendre la relève.

– Et vos sœurs ? demandai-je d'un ton à la fois surpris et outré. Elles peuvent pas la prendre la relève elles ?

La petite Auvergnate haussa les épaules en soulevant une fourche de foin.

– Elles sont parties plus tôt de la maison donc... Il restait plus que Sam et moi...

– Dis pas ça d'un air honteux, la réprimandai-je. Lissou tu vas devenir psy c'est trop bien ! C'est ce que tu veux faire nan ?

Elle hocha la tête.

– À moins que tu veuilles devenir une super agricultrice et je le sais pas.

Un petit rire lui échappa :

– Nan nan, je veux pas. 

Alors qu'elle continuait de travailler, soulevant fourche après fourche avec une dextérité impressionnante, je la fixai sans rien dire en souriant d'abord joyeusement après avoir entendu son rire, puis plus tristement : je me demandais ce qu'elle ressentait vis-à-vis de la différence que faisait son père entre ses sœurs et elle. C'était carrément injuste qu'il lui reproche de mener sa propre vie alors que c'était exactement ce qu'avaient fait ses sœurs avant elle. 

On discuta de tout et de rien pendant à peu près une heure, et je compris qu'on avait eu de la chance d'arriver aussi tard : en fait c'était des journées entières de travail qui nous attendaient les prochains jours. J'étais archi pas prêt putain, mes épaules me faisaient déjà mal alors que j'avais franchement pas trop forcé. Après nous être changés, on parcourut la courte distance qui nous séparait de la vieille maison familiale en silence, alors que le soleil commençait à se coucher derrière la grange.

Je rencontrai le père d'Alice en premier : un homme à peine plus grand que moi, un peu voûté, avec un bon bide et des épaules carrées. Il avait les traits tirés, les cheveux grisonnants et une barbe de trois jours camouflant à peine les marques de l'âge. Je savais qu'il devait pas être bien vieux pourtant, mais il avait l'air fatigué. Je remarquai que sa mère aussi d'ailleurs, lorsqu'elle nous rejoignit en plein milieu du repas deux heures plus tard, après avoir dû gérer une urgence dans une ferme à vingt kilomètres de chez elle. Je compris vite que ses parents comptaient pas leurs heures, se levaient avant le soleil pour aller travailler, et rentraient chez eux juste histoire de manger et de dormir. Je me sentis vraiment faignant à côté d'eux.

On parla pas beaucoup ; je partageai vite fait des infos sur ma carrière quand ils me posèrent la question de ce que je faisais dans la vie, mais ils m'interrogèrent pas énormément et j'eus l'impression qu'ils s'en branlaient. Ils discutèrent pas énormément avec Alice non plus ; pourtant ça faisait des mois qu'ils l'avaient pas vue. Sa mère prit simplement quelques nouvelles et son père fit une vieille remarque concernant le fait que travailler à la ferme allait la changer de Paname, sous-entendant bien qu'elle foutait rien à la fac. Ce à quoi Alice répondit par l'affirmative en souriant.

Après avoir mangé et débarrassé, ses darons partirent s'installer dans leur salon pour regarder la télé, et Alice me fit visiter l'étage avant de me montrer ma chambre : on grimpa des marches en bois serrées entre deux murs, puis on parcourut un couloir tout aussi étroit qui serpentait à l'étage pour desservir plusieurs chambres ; la baraque était vraiment bizarrement foutue, les gens s'en battaient les couilles à l'époque tant que leur truc tenait debout. Juste en arrivant sur le palier, on pouvait trouver une porte à droite qui donnait sur une grande pièce que je devinais comme étant à la fois un débarras et un bureau dont personne se servait. Alice m'expliqua aussi que c'était la pièce dans laquelle ses frères et elles jouaient quand ils étaient petits. Après cette pièce, le couloir tournait légèrement à gauche, et on trouvait deux portes l'une en face de l'autre : la chambre de ses parents, et la chambre de ses sœurs. Enfin, le couloir tournait légèrement à droite pour se remettre dans le même axe que le morceau qui partait de l'escalier, et on trouvait trois portes : une à gauche menant à une salle de bain-toilettes, une à droite donnant sur la chambre de Samuel, et celle du bout du couloir donnant sur la chambre d'Alice. La petite Auvergnate m'expliqua ensuite que je dormirai dans le débarras, ajoutant au passage à ma liste de fonction de cette pièce la fonction « chambre d'amis ».

Elle m'y accompagna, avant de me demander si tout me convenait, ce à quoi je répondis positivement ; tant que j'avais un toit sur la tête et un truc sur lequel dormir, ça m'allait. Je tentai d'ignorer la petite voix dans ma tête qui me disait que ça m'allait d'autant plus que j'étais avec Alice, et le repoussait le plus loin possible. On se regarda dans le blanc des yeux pendant de longues secondes sans rien dire, un silence pesant nous enveloppant. Je savais pas elle, mais moi j'avais une envie folle de l'embrasser. Mais je savais qu'il fallait pas, et puis de toute façon son frère passa une tête dans la chambre en nous demandant si tout allait bien, on lui répondit tous les deux d'un air super gêné, Alice me lança un rapide « bonne nuit » puis elle partit en direction de sa chambre. 

Putain qu'est-ce que je foutais là ?

****

– Ça te dérange vraiment pas de pas être payée pour faire ça ?

Alors qu'on était en train de s'activer encore et toujours sur la ferme le lendemain matin, Alice me répondit par un mouvement négatif de la tête. Pourtant j'arrivais pas à la croire. Peut-être parce que je me mettais trop à sa place et qu'un taff pareil non-rémunéré par ma propre mif me fouterait les nerfs. Surtout que pour s'octroyer ces « vacances », Alice mettait son taff au Domac en stand-by, se mettait financièrement dans la merde pour l'été, et savait pas si elle retrouverait un logement au Crous pour sa dernière année d'études.

– Ça leur coûterait trop cher de me payer, argumenta-t-elle. Déjà que je leur ai fait perdre de l'argent en partant...

– Ouais 'fin t'as peut-être aussi le droit de faire ce que tu veux de ta vie nan ? répondis-je du tac-au-tac, ayant déjà très bien cerné les liens qui l'unissaient à ses parents. Genre... Comme tes sœurs ? continuai-je dans une question rhétorique.

Alice, accroupie pour installer un truc dont j'avais toujours pas retenu le nom sur le pis d'une énième vache pour qu'elle se fasse traire, tourna la tête brusquement dans ma direction pour me lancer un regard à la fois interrogateur et menaçant. Pour la première fois depuis que je la connaissais, j'avais l'impression de l'avoir énervée.

– Je sais ce que tu penses, me dit-elle pourtant de la voix douce qui lui était si caractéristique. Que mes parents sont des bourreaux racistes qui exploitent leurs deux enfants adoptés qui ne sont pas blancs en les faisant travailler dans leur ferme.

Je la contredis pas puisque c'était exactement ce que je pensais : de mon point de vue, leurs deux enfants blancs avaient eu le droit de se choisir l'avenir qu'ils voulaient, alors que Samuel et Alice étaient obligés de travailler pour eux ; si Samuel avait suivi le chemin tracé par leurs darons sans opposition, Alice s'était prise des vieilles remarques dès le soir de son retour chez elle alors même qu'elle allait décrocher un diplôme pour lequel elle s'était saignée et qu'elle avait pas vu ses parents depuis des mois. Du coup j'attendais qu'elle me fasse croire le contraire.

– Mes parents ont jamais eu la même relation avec mes sœurs qu'avec Sam et moi, fit-elle en se relevant pour se dégourdir les jambes.

Visiblement.

Me rendant compte que je faisais pas grand chose depuis qu'on avait commencé à parler, je m'accroupis en même temps qu'elle devant une autre vache pour répéter les gestes qu'on faisait depuis une dizaine de minutes. 

– Mélodie et Diane, elles leur en ont fait voir de toutes les couleurs. Du genre, cliché de l'enfant adopté tu vois ? Elles ont toujours eu un peu honte d'où on vivait, honte de nos parents, honte de leur métier, elles ont fait des maxis crises d'ado, et maintenant nos parents les voient plus trop... Sam et moi non plus d'ailleurs. 

On se décala d'un box chacun pour s'occuper d'une autre vache. 

– Alors qu'avec Sam, on a toujours été super proches de nos parents, et pendant longtemps en grandissant je criais sur tous les toits que je voulais travailler avec eux. Du coup ils sont un peu tombés de haut quand je leur ai dit que je voulais faire des études.

Comme souvent quand elle parlait autant et d'une voix assurée, je me sentais privilégié. Et je pouvais pas m'empêcher d'admirer chacun des traits de son visage pendant qu'elle était concentrée sur une tâche qu'elle avait dû faire des centaines de fois sans sa vie.

– En fait tu vois, mes parents il faut pas faire attention à ce qu'ils disent mais plutôt à ce qu'ils disent pas. Mon père il me dira pas « je t'aime » mais il me lancera des piques sur le fait que je sois pas restée avec eux. Il me dira pas qu'il est fier de moi par rapport à ma licence ou mon master mais il lâchera des sous-entendu par rapport au fait que lui il a même pas le bac. Et puis...

J'arrivai à percevoir un petit sourire timide sur son visage alors qu'on se décalait d'un ou deux pas sur le côté.

– Il me fera pas de câlin mais il sera super froid et distant avec toi parce que je reste sa petite dernière.

Au bout de quelques secondes de silence, elle tourna la tête vers moi pour me sonder du regard ; j'acquiesçai en esquissant un petit sourire pour lui montrer qu'elle avait réussi à me faire changer d'avis : ok, compris.

Le soir, après une journée de travail encore éreintante et un repas silencieux avec le frère d'Alice et leurs darons, on alla se poser dehors avec des bières. Le soleil venait à peine de se coucher, et quelques nuages solitaires passaient de temps à autres devant la lune presque pleine qui éclairait nos deux visages. Il faisait encore assez chaud, et Alice avait enfilé une robe rouge fleurie aux manches courtes et à l'arrière dénudé recouvert par ses longues tresses rassemblées par un chouchou blanc. Ça lui allait tellement bien le rouge. Elle aurait pas pu avoir plus belle couleur préférée. Alors qu'elle fixait les champs s'étendant à perte de vue devant nous, j'avais une envie folle de l'embrasser. Ce fut surement pour ça que je décidai de me distraire en engageant la discussion :

– T'auras des potes à aller voir pendant la semaine ? lui demandai-je avant de porter le goulot de ma bière à mes lèvres.

Elle tourna doucement la tête de droite à gauche :

– Non, j'ai pas d'amis ici. J'en ai jamais trop eu.

Ça m'étonnait assez peu vu comment Maëlle nous l'avait présentée. Il avait quand même fallut qu'elle se fasse agresser en plein Paname pour qu'elle soit enfin entourée d'un cercle d'amis. Je voulus lui poser des questions sur l'entourage qu'elle avait en grandissant, mais me retins au dernier moment en me disant qu'elle souffrait peut-être du fait de jamais avoir eu de potes. La connaissant, c'était sûrement un truc dont elle avait honte et qui la mettrait mal à l'aise. J'allais essayer de bifurquer vers un autre sujet quand elle reprit la parole : 

– C'est bête à dire et je m'en veux de le penser parce que je sais tout ce que ça a engendré chez elle mais... Je suis contente d'être tombée sur Maëlle cette nuit-là.

Je hochai doucement la tête en silence. Avant de la connaître personnellement, j'en avais vraiment voulu à la fameuse tipeu qui avait poussé ma petite sœur de cœur à se battre et qui avait fait ressortir ses traumas. Avant de comprendre que la seule personne à laquelle je devais en vouloir était son putain de violeur, et que je devais être heureux que Maëlle ait été là pour défendre une p'tite meuf qui avait dû vivre un autre genre de trauma ce soir-là.

– Elle est vraiment incroyable, je pense que si je devais garder une seule personne avec moi jusqu'à la fin de mes jours ça serait elle.

Je soufflai du nez en guise de rire ; c'est vrai que la handballeuse faisait cet effet-là : une fois entrée dans la vie des gens, elle paraissait vite indispensable. Et pourtant qu'est-ce qu'on pouvait s'embrouiller avec nos deux caractères explosifs.

– Et puis grâce à elle, je vous ai rencontré toi et les gars, fit-elle en se tournant finalement vers moi avec un sourire adorable.

J'avais envie de l'embrasser. J'avais tellement envie de l'embrasser. J'aurais pu l'embrasser. Je croyais même qu'Alice avait envie que je l'embrasse. Mais après de longues secondes d'inaction à se regarder dans le blanc des yeux sans rien faire ni l'un ni l'autre, Alice fixa de nouveau les champs en portant le goulot de sa bière à ses lèvres pleines. Ma seule réaction fut de passer un bras autour de ses épaules et de l'attirer contre moi. Comme d'habitude, Alice ne tarda pas à se blottir dans mes bras. J'avais jamais été aussi câlin avec une autre personne qu'elle, c'était assez ouf, à chaque fois que je la voyais j'avais envie de l'avoir contre moi et de jamais la lâcher. C'était peut-être parce que je lui faisais pleinement confiance et que je m'en remettais à une douceur que je connaissais nul part ailleurs : avec Maëlle, c'était impossible d'être tendre sauf s'il se passait un truc dramatique ; avec Agathe, c'était plutôt un concours de celui qui blesserait le plus l'autre et il fallait surtout pas montrer qu'on s'aimait et que l'autre nous rendait vulnérable ; avec Ilhem, ça avait toujours été ultra pudique ; et puis avec mes khos, on se donnait des accolades à tout-va donc ça avait plus vraiment de sens. Mais avec Alice... Putain c'était apaisant. 

Au bout de longues secondes de silence, une vibration dans ma poche m'indiqua que je venais de recevoir un message, et même si je voulais chopper mon tel tout en gardant Alice contre moi, cette dernière se déroba à mon étreinte par politesse pour se redresser.

En général, je répondais pas vite aux appels ou aux messages. Mais depuis de longs mois, j'attendais à chaque fois qu'un seul nom s'affiche sur l'écran de mon téléphone, comme un ado. Les battements de mon cœur s'emballèrent alors que je fouillais dans ma poche, puis une chaleur familière me prit au creux du bide lorsque je lis son nom.

Tant que je serais fou d'Agathe, je pourrais rien tenter avec Alice ; c'était juste ni pour elle ni pour moi.

****

Pourtant, tous les soirs, alors qu'on allait se séparer pour aller se coucher dans nos chambres respectives, la tension entre Alice et moi était à son maximum. Je sentais qu'on avait tous les deux envie de partager le même lit, voire même de partager plus qu'un lit. On se regardait en silence pendant des secondes qui paraissaient être des minutes, puis un de nous deux mettait maladroitement fin à notre échange silencieux, on se faisait un câlin qui nous donnait encore moins envie de se séparer, et on allait enfin se coucher chacun de notre côté, tous les soirs un peu plus frustrés. Plus ça allait, moins je comprenais comment je pouvais ressentir des trucs aussi intenses pour Alice alors que je savais qu'Agathe était cachée dans un coin de ma tête et qu'elle pouvait ressurgir à tout moment.

La distance aidait probablement : au beau milieu de la campagne Auvergnate, à une dizaine de kilomètres de distance de toute habitation et encore plus éloigné d'une quelconque ville, je me sentais coupé du monde, et c'était comme s'il existait plus qu'Alice et sa mif sur Terre. J'avais laissé toute mon anxiété liée à la sortie prochaine de mon album à Paname, je pensais pas aux collabs qu'on me demandait, aucune de mes pensées n'était tournée vers Agathe (jusqu'à ce qu'elle m'envoie un message) et j'avais l'impression de me sentir revivre. Et putain, hormis le cadre dans lequel je vivais cette semaine, qu'est-ce que c'était apaisant de côtoyer Alice.

Ce fut à trois jours de la fin de mon séjour que les choses se concrétisèrent vraiment : à force de discussions sur tout et rien pendant nos journées de travail, de ses confessions sur son adoption et le fait qu'elle en voulait à ses parents de l'avoir coupée de sa culture de naissance, jusqu'à mes confessions sur ma relation avec mes parents et la présentation de ma deuxième mère, notre relation avait vraiment évolué, et je commençais à réellement tomber pour la personne que j'apprenais à connaître de plus en plus.

Ce soir-là, pour la première fois de la semaine, Alice resta dans ma chambre après notre étreinte. Au lieu de me laisser dans ma chambre pour rejoindre la sienne, elle colla ses lèvres aux miennes à peine mes bras desserrés d'elle. La surprise me fit avoir un mouvement de recul, mais je compris vite que son baiser était censé être furtif, puisqu'elle avait déjà amorcé un pas en arrière. 

Une demi-seconde de réflexion suffit pour que je la retienne par le poignet de peur qu'elle file dans sa chambre. Puis je copiai son geste en posant à mon tour mes lèvres sur les siennes, mes doigts délicatement posés sur sa joue brûlante de gène. Je sentis mon souffle se couper et mon ventre se nouer ; ça avait strictement rien à voir avec ce que je ressentais quand j'embrassais Agathe.

Nos lèvres jouèrent de plus en plus ensemble à mesure que nos gestes se faisaient plus fébriles et maladroits : je savais pas quoi foutre de mes mains pour l'avoir encore plus près de moi, j'avais envie que chaque parcelle de son corps touche le mien, et j'avais pas envie de la lâcher. Paradoxalement, j'avais envie de mettre fin à notre baiser pour plus facilement la prendre dans mes bras et enfouir mon visage dans son cou, la serrant du plus fort que je pouvais quitte à lui faire mal ou à l'empêcher de respirer. Pourtant mes gestes écrivirent un tout autre scénario : l'une de mes mains finit par glisser sous son t-shirt pour caresser l'une de ses hanches, mes lèvres parcoururent la peau douce de son cou, mon autre main restait délicatement posée sur sa joue que mon pouce caressait par intermittence. Des doigts discrets étaient posés sur mon torse, alors que d'autre caressaient timidement mes cheveux. La posture d'Alice me fit immédiatement revenir à la réalité, et je paniquai à l'idée que je lui imposai mes baisers et mes caresses.

Le souffle court, elle avait les yeux fermés, mais ses paupières se rouvrirent dès que j'arrêtai tout mouvement et que je retirai mes mains de son corps :

– Ça va ? me demanda-t-elle dans un murmure, l'air apeurée.

– Ouais, répondis-je dans un petit rire. De ouf. Mais toi ?

Un sourire illumina son visage et je dus me faire violence pour pas la réembrasser brusquement. Même si elle avait l'air bizarrement rassurée, je vis que quelque chose la tracassait quand même, alors je la laissai reprendre un peu ses esprits pour me dire de continuer ou pour tout arrêter. Alors que plusieurs semaines en arrière elle se serait sûrement refermée comme une huitre en essayant de faire semblant que tout allait bien, elle mit pas longtemps à s'exprimer de nouveau :

– C'est juste que... commença-t-elle en cherchant un truc invisible du regard derrière moi, ses yeux bougeant à toute vitesse. 

– Eh..., fis-je doucement en déposant de nouveau ma main sur sa joue. On n'est pas obligés de parler si tu veux pas. Et on n'est pas obligés de faire quoi que ce soit.

« De toute façon, je crois qu'on était en train de faire une connerie. » Les mots que j'avais prononcé plusieurs semaines en arrière me revinrent comme si je les avais prononcés hier, et je priai pour qu'Alice ait changé d'avis comme moi par rapport à ce qu'on était en train de faire : c'était tellement pas une connerie putain.

– Nan nan nan ! s'exclama-t-elle brusquement. C'est pas ça ! C'est juste... Putain.

Mes yeux s'écarquillèrent brièvement en l'entendant jurer ; ça arrivait tellement jamais. Je retirai le contact de mes doigts sur sa joue.

– Je suis pas mannequin ou actrice ou chanteuse, lâcha-t-elle avec assurance. Je suis pas ultra jolie, je suis pas grande, j'ai pas de formes... Je suis pas une parisienne classe, je suis juste une petite campagnarde qui sait pas grand chose et qui tape des crises d'angoisses pour chaque interaction sociale. Je suis tellement pas ton genre de fille. Je suis pas Maëlle ; je suis pas super badass, j'ai pas un bête de répondant, je suis pas ultra à l'aise avec tout le monde et dans toutes les situations, je suis pas méga intelligente, je suis pas championne d-

– Attends attends attends. Eh Lissa, calme-toi, vraiment. 

Je me doutais qu'elle paniquait et qu'elle arrivait pas à pondre une plaidoirie cohérente, je voyais à ses expressions que je connaissais par cœur qu'elle était super intimidée par sa prise de parole ; et je détestais qu'elle se mette dans de tels états avec moi.

– Juste, une petite question Lissa : c'est Maëlle que j'ai voulu embrasser ou c'est toi là ?

L'Auvergnate sembla déglutir difficilement ; elle osait toujours pas me regarder dans les yeux et j'avais l'impression qu'elle allait se mettre à chialer.

– Hein ? lui demandai-je dans un chuchotement en caressant l'une de ses joues de mes phalanges. 

– C'est moi.

– Ouais c'est toi ouais. Pas un mannequin, pas une actrice, pas une chanteuse, pas une parisienne, pas Maëlle. Toi.

Y'avait tellement de choses que j'avais envie de lui dire. Mais j'avais trop peur de pas pouvoir les retirer après. Alors je me contentai de cette phrase et de ce qu'elle arriverait peut-être à y comprendre.

Par contre, y'avait un doute que je pouvais dissiper pour essayer de lui faire comprendre qu'elle était une perle :

– Maëlle elle est badass, t'as raison. Mais elle a aussi un casier et autant de traumas que nous tous réunis. Elle est intelligente, ouais, 'fin elle est tellement intelligente qu'au lieu de parler quand ça va pas elle préfère tout emmagasiner avant de taper des crises d'angoisses comme la débile qu'elle est. Elle a du répondant et en vrai c'est cool la plupart du temps, jusqu'à ce que ça la foute dans la merde ou que ça lui crée des embrouilles avec ses propres potes et sa mif. Ah et ouais elle est à l'aise avec tout le monde mais bon, personne se sent privilégié du coup puisqu'elle est comme ça avec tout le monde. 'Pis pour ce qui est d'être championne de j'sais pas ce que t'allais dire bah... Toi t'as bientôt un master en poche et j'suis méga fier de toi. J'te jure que t'as rien à envier à personne Lissa. 

Ma réponse eut l'air de la toucher puisque je décelai un peu plus de brillance dans ses yeux noirs. J'aurais tellement aimé qu'elle se voie comme je la voyais.

– Ah ouais et du coup, si c'est ton physique qui te dérange parce que t'as pas de formes ou quoi bah... J'suis pas grand comme Doums ; je dis que t'es minuscule mais si on y réfléchit bien t'es pas beaucoup plus p'tite que oim. J'suis pas stock comme Deen, tu verras même que je suis vachement flasque parce que j'aime bien bouffer et faut vraaaiment que je me remette au sport. J'ai pas la même beubar que Mekra, l'huile de ricin c'est des conneries. Et je vais pas te dire comme qui je suis pas bien membré parce que je vais avoir des problèmes sinon.

Lorsqu'Alice éclata de rire, je sus que j'avais gagné, et je sentis un sourire étirer mes lèvres ; putain j'adorais la voir comme ça.

– Je peux te rembrasser maintenant ? lui demandai-je.

Un acquiescement vif me répondit, et on repartit chacun à l'attaque des lèvres de l'autre.

Quelques secondes plus tard, sur le lit dans lequel je dormais depuis quelques jours, Alice prit l'initiative presque immédiate de s'occuper de moi. Je sentais qu'elle hésitait et qu'au fond elle en avait pas envie. Quelques brefs mots avec elle me firent comprendre que les seules expériences sexuelles qu'elle avait eu dans sa vie avec le même gars se passaient toujours de la même façon. Je lui fis comprendre que je voulais qu'on partage vraiment un truc à deux du début à la fin, et que je la forcerai pas à faire quoi que ce soit. Le moment intense qu'on vécut ensemble me fit oublier pendant un instant que j'aurais bien aimé refaire le portrait de son ex pour ce qu'il avait dû lui faire subir durant l'année où ils étaient en couple.

Les jours suivants, on était comme des gosses ; on se taquinait tout le temps, on se câlinait à chaque fois qu'on pouvait, on déposait furtivement des baisers sur les joues de l'autre à tout moment de la journée, on s'embrassait au milieu de la fiente de vache ou dans les champs. Puis vint le moment pour moi de partir et on se quitta à la gare de Clermont en se souriant comme des cons. 

J'étais à peine rentré dans le train que je sus que ce séjour hors du temps allait terriblement me manquer.

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