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Février 2014


– Yes, y'a Elma !

Alors que j'étais en train de couper des citrons pour les Tek paf dans la cuisine d'Antoine, la grande gueule de Sneazz' me fit savoir que notre amie la handballeuse venait enfin de débarquer dans l'appart' de Flav'. Du coup, la petite angoisse qui me tordait le bide depuis que je savais qu'elle venait disparut aussitôt : j'avais jamais trop flippé pour la teigne qu'était Maëlle auparavant, mais depuis qu'elle s'était faite agresser quelques semaines en arrière et que je l'avais retrouvée en PLS dans son petit studio avec son reuf et Bigo, j'avais toujours la boule au ventre quand je savais qu'elle faisait le trajet seule jusqu'à chez l'un de nous. Mais ça, je le lui dirai jamais, parce que ça allait toucher son égo surdimensionné de gamine de cité et elle allait se vénère.

– Je vous ai ramené quelqu'un, annonça la handballeuse – ce qui me fit froncer les sourcils de curiosité. Elle s'appelle Alice, et elle est super gentille mais un peu timide, donc vous la mettez pas mal à l'aise.

Puis, après que Flav' ait accueilli la petite nouvelle et que Maxime ait râlé parce que la handballeuse commençait déjà à lui casser les couilles, je me fis agresser sans aucune raison :

– Oh au fait Ken ! gueula-t-elle. Tu la maltraites pas ! Parce qu'on se souvient de l'accueil que tu m'as fait la première fois et je te jure que si t'es aussi méchant avec elle je te démonte la gueule.

Elma, un mètre douze et trente kilos toute mouillée, la teigne de l'équipe.

C'est vrai que je lui avais pas réservé le meilleur accueil qui soit à l'époque – enfin, « à l'époque », on parlait seulement de trois-quatre mois en arrière –, j'avais été ultra méfiant. Et je l'étais tout autant de sa nouvelle pote : même si j'étais quasiment sûr que c'était pas une michto parce qu'elle avait été validée par Maëlle en personne, je restais toujours méfiant des meufs qui s'approchaient de notre crew. On avait pris assez cher récemment à cause d'elles, et il était hors de question que l'une d'elle vienne encore foutre le bordel entre nous.

Je répondis à la handballeuse avec un sourire amusé, me dirigeant vers le salon en la défiant du regard :

– Ah ouais ? lui lançai-je avec un air de défi. Bah vas-y, je t'attends, viens me montrer ce que tu vaux.

Et forcément, puisqu'elle disait jamais non à une baston, la handballeuse s'exécuta, se relevant du canapé pour bondir sur ses pieds, et elle se rua sur moi comme un rugbyman dans une mêlée. Fallait toujours qu'elle me cherche putain, elle me laissait pas une seconde de répit cette gamine.

Ses chaussures dérapèrent presque tout de suite sur le sol, et j'eus pas beaucoup de difficulté à la foutre sur mon épaule comme un sac à patate après m'être baissé pour avoir une meilleure prise autour de sa taille.

– Et voilà, en dix secondes c'est plié ! me vantai-je en la montrant aux autres comme un trophée tandis que ma pote tapait mon dos avec ses poings.

Je tardai pas à la reposer en me tapant une barre – j'étais pas le plus costaud de l'équipe, cette connasse  frappait quand même vachement fort et j'allais pas arriver à faire semblant qu'elle me faisait pas mal longtemps devant mes khos –, puis elle me tapa une dernière fois. Rigolant toujours alors qu'elle me fusillait du regard, je replaçai une mèche de ses cheveux châtains derrière son oreille, puis j'entourai ses épaules avec mon bras pour nous diriger vers un canap'.

Ça faisait vraiment pas longtemps qu'on se connaissait, et je considérais pourtant déjà ce p'tit bout de meuf comme une vraie pote. Je devais avouer que ça me faisait un peu flipper : en quatre mois elle nous avait complétement ensorcelé mes gars et moi. J'avais trop peur qu'elle nous la mette à l'envers un jour pour je ne savais quelle raison, alors que je savais pertinemment qu'elle en était incapable. Mais y'avait d'autres gars que je croyais incapables de nous mettre des coups de couteau dans le dos, et pourtant c'était arrivé...

Comme d'habitude, et parce que même si Raphaël m'avait confié que sa reus avait radicalement changé en terme de gestes d'affection depuis qu'elle nous connaissait, Maëlle tarda pas à jarter mon bras de ses épaules, faisant semblant de devoir se pencher vers la table basse pour chopper un verre. 

C'était fou ce qu'elle s'était bien remise de son agression. Et de ce qu'elle nous avait révélé après. Moi j'étais encore fou de rage quand j'y repensais, et j'avais envie de démarrer ma pote à l'idée qu'elle voulait tout oublier au lieu de retrouver le fils de pute qui avait gâché son enfance pour l'envoyer au trou. Mais même si je la connaissais depuis assez peu de temps, j'avais déjà compris qu'il était impossible de faire faire à la handballeuse quelque chose qu'elle refusait de faire. Une putain de tête de mule cette meuf. 

Tout ça pour une gamine en détresse en plus...

Cette pensée me fit alors m'intéresser de plus près à la nouvelle venue et petite protégée de Maëlle, que j'avais totalement ignoré jusqu'alors : sur le canapé opposé au mien, elle discutait avec Clem en souriant, et je connaissais assez ce dernier pour savoir que la meuf le laissait pas totalement indifférent.

En même temps... 

La petite protégée de Maëlle avait une peau de couleur ébène dépourvue de toute imperfection, dont le sourire timide faisait se creuser une fossette sur la joue droite. De longs cils à peine maquillés et des paupières à la couleur légèrement dorée faisaient ressortir des yeux noirs surmontés par des sourcils épais parfaitement dessinés sans pour autant paraître artificiels. Ses longues tresses ornées de bagues dorées tombaient dans son dos pour laisser apercevoir deux créoles de la même couleur qui pendaient de chaque oreille.

– Ma famille vit en Auvergne, répondit timidement la pote d'Elma à une question de Bigo quant à l'endroit où elle vivait.

Puis, une vanne d'Idriss sur l'avarice des Auvergnats passée, elle continua de raconter son histoire. Son ton était très bas, et pourtant c'était clairement pas nécessaire de baisser autant le volume puisque sa voix était naturellement douce et on devait tendre l'oreille pour capter ce qu'elle racontait, mais cette meuf transpirait la timidité et la discrétion ; il y avait qu'à voir à quel point elle essayait de résumer ses explications avec le moins de mots possibles, et ce, sans oser regarder une seule personne en dehors de Maëlle :

– Mon père est agriculteur et ma mère vétérinaire, j'ai deux grandes sœurs et un grand frère, je suis venue à Paris pour suivre mon copain... (sa voix perdit brièvement en tonalité sur cette phrase et elle mit quelques secondes à poursuivre) Et je fais des études de psycho. Je crois que vous savez tout, conclu-t-elle dans un faible rire nerveux avant de croiser mon regard pendant une microseconde, juste le temps de reposer ses yeux noirs sur Maëlle.

Je crois qu'on comprit tous que la petite avait épuisé toutes ses cartes « confiance en soi » pour la soirée avec ses présentations dignes d'un exposé, et qu'elle voulait absolument plus être le centre de l'attention. Donc quelques « chan-més » polis et autres « Et bah enchanté Alice » fusèrent, Clément lui proposa un verre, puis chacun discuta avec qui il voulait sans trop l'embêter.

J'eus énormément de mal à détourner les yeux d'Alice pendant cette soirée. Je la fixai pas non plus, je voulais pas la rendre mal à l'aise, mais même si je rigolais avec mes reufs de mon côté du salon, je pouvais pas m'empêcher de lui jeter des coups d'œil distraits alors qu'elle parlait avec Clem' en souhaitant être à la place de mon pote pour être celui qui la mettrait à l'aise dans le groupe.

Parce que passé le premier sentiment d'aigreur envers la meuf responsable de l'agression de Maëlle, il me fut impossible de pas apprécier la nouvelle venue. Je trouvais fou qu'elle soit aussi belle et classe mais que sa personnalité dénote autant avec son physique : au premier regard on pouvait la prendre pour un modèle photo sûre d'elle et sans complexe, mais quand elle commençait à s'exprimer on n'arrivait plus à la trouver autre chose que mignonne. J'étais quasi certain qu'elle savait même pas à quel point elle était jolie.

En quelques mots : elle m'intriguait de ouf. Connaissant Maëlle et son caractère, je me demandais pourquoi elle s'entendait aussi bien avec une go du tempérament d'Alice, elle qui avait l'habitude de s'entourer de mecs chambreurs, grandes gueules, et pour certains aussi bagarreurs qu'elle. Elle avait forcément un truc pour avoir capté l'attention de la handballeuse, et je me disais que si elle avait pu s'attacher à Alice sans être saoulée par ses murmures quasi constants et la manière qu'elle avait de se mettre en retrait pour quasiment disparaître, c'était qu'il y avait un truc à creuser. 

Et putain, même si elle était pas aussi éblouissante qu'Agathe, Alice était rayonnante. Je pouvais grave me permettre de penser ça puisque ma meuf (je savais toujours pas si je pouvais la considérer comme ma meuf vu qu'elle était en couple mais bref) m'ignorait depuis trois jours histoire d'entretenir un peu le manque pour que je revienne le premier vers elle après une dispute. Enfin j'avais rien à dire, il m'arrivait souvent de faire pareil.

Je sus que j'étais complètement grillé quand Maëlle et sa subtilité sans égale vinrent se vautrer à côté de moi alors que je rigolais avec Antoine tout en jetant de temps à autres des coups d'œil vraiment pas très discrets à la petite Auvergnate :

– Alors ? me fit-elle brusquement, me faisant quasiment sursauter vu que je pensais plus à Alice qu'à ce que me disait Flav'. Elle est pas chouette ma petite sœur ? me demanda-t-elle d'un ton plein de sous-entendus, avant de faire danser ses sourcils en souriant bêtement.

Je lui donnai une petite tape sur le front pour faire disparaître cet air malicieux de son visage, mais je parvins juste à la faire ricaner, et j'eus du mal à pas sourire moi-même face à son rire. Sa carte d'identité avait beau dire qu'elle avait vingt-deux piges, elle avait la mentalité et la tronche d'une gamine de quinze.

– Tu sais elle a vingt ans, poursuivit-elle telle la forceuse qu'elle était. C'est seulement trois ans de moins que toi.

– Va te faire foutre ! lui répondis-je d'un ton plein d'honnêteté.

Pourtant, quand Elma fit de nouveau danser ses sourcils comme un gros beauf alors que j'essayais de rester sérieux pour essayer de lui faire effacer toutes les idées qu'elle était en train d'élaborer, un ricanement m'échappa ; c'était impossible de résister à cette meuf putain, elle me rendait ouf, je me demandais comment Bigo arrivait à la supporter.

La handballeuse lâcha l'affaire assez vite au final, me donnant simplement un petit coup d'épaule en m'adressant un sourire bienveillant bien plus mature que deux secondes en arrière, puis elle disparut en direction de la cuisine.

Sauf que même si son moment de forcing avait pas duré si longtemps, notre échange me fit cogiter pendant la nuit entière : alors que je rentrai chez moi à pieds, faisant le plus long détour possible pour décuver au frais, mes pensées tournèrent uniquement autour d'Alice. Infernal. Je lui avais à peine adressé la parole de la soirée (je lui avais peut-être juste demandé de me passer un tonc' ou un feu qui traînait sur la table) et pourtant j'arrivais pas à m'empêcher de revoir son sourire timide dans ma tête, d'avoir un écho de sa voix super douce, et de me demander si j'allais la revoir bientôt.

« Putain d'handballeuse de mes couilles » comme disait Sneazz'. Cette meuf nous avait apporté que des emmerdes depuis qu'on la connaissait, et je commençais à me dire que cette rencontre avec Alice en faisait déjà partie.

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