Bonus Idriss #1
—— IDRISS ——
Décembre 2018
Ken venait de me répéter pour la troisième fois que j'étais un gros con. Ce qu' il y avait de bien dans ce crew, c'était qu'on avait pas peur de se dire les choses en face. Ce qu' il y avait de moins bien, c'était qu'on passait ensuite notre temps à les rabâcher tant que le mec en face avait pas pété un câble.
J'étais soulé de ouf par la réaction du S quand j'avais annoncé que j'avais quitté Lucie. 2zer avait tiré la tronche, mon frère avait rien dit mais j'avais pu lire sur sa tête qu'il se sentait coupable. Nek avait fait remarquer que c'était débile de me venger sur elle pour quelque chose que m'avait fait mon ex, il avait peut-être raison, mais putain j'étais pas prêt à entendre ça.
Ouais, j'étais hyper mal depuis que j'étais parti de son appart' elle avait chialé et c'était horrible. Parce que putain cette meuf... je l'aimais, y avait aucun doute là dessus. Clairement ça avait été un coup de foudre, le genre de truc qui arrive une fois dans une vie.
On était hyper différents, rien à voir avec Haks et Maya qui malgré des mondes un peu opposés, étaient tellement les mêmes que j'étais souvent à deux doigts de leur demander de faire un test ADN, pour être sûr. Bref Lucie et moi c'était les contraires les plus totales, sauf pour l'humour et la générosité où on était assez semblables, pour le reste, rien à voir. Elle était cent pour cent petite française, avait une culture incroyable, des projets de vie sérieux, une famille équilibrée. Et pourtant ça s'expliquait pas, je l'aimais comme un fou.
Alors pourquoi l'avoir quittée ?
Parce que je pouvais pas vivre au quotidien avec la peur qu'elle me trahisse. Sarah l'avait fait, pourtant j'avais cru un long moment que c'était la femme de ma vie.
On avait été ensemble pendant plusieurs années, c'était ma meilleure amie depuis le collège, j'avais toujours voulu plus, même si je me tapais d'autre meufs. J'avais fait le con plusieurs fois avec elle, au début de la notoriété j'avais vraiment du mal à rester fidèle, elle m'avait quitté une fois puis était revenue et je l'avais plus jamais trompé.
Notre rupture avait été très compliqué, à la fin elle devenait toujours plus distante, je comprenais pas. Ça faisait trois ans que mon frère me disait qu'il la sentait pas et que je ferais bien de la tej, putain maintenant je savais pourquoi. Bref elle avait changé du tout au tout, elle voulait pas venir au Japon, elle parlait à d'autres mecs. J'avais été tolérant quelques mois et puis quand j'avais découvert qu'elle envoyait des nudes d'elle à un vieux mec qui forçait pour se la faire depuis des années, je l'avais quittée pour ne plus jamais lui reparler.
Et putain, depuis une semaine je savais qu'elle avait balancé à ce mec qu'on filait du cash à ma grand-mère. Sah mais quelle sale kahba fait ça ? Cet enculé n'avait pas de race, évidemment qu'il l'avait agressée.
J'avais la haine comme jamais depuis que je savais ça, valait mieux pas que je croise cette grosse tepu parce que j'étais pas sûr de me maîtriser.
Alors ouais, Lucie n'y était pour rien, mais inconsciemment, le fait de la quitter était une façon de faire un gros fuck à toutes les traîtresses de la planète.
— Framal c'est à ton tour.
Ken me fit signe de rejoindre la cabine d'enregistrement. Ce que je fis, rapper allait me faire du bien.
Alors que je terminai mon dernier couplet, le son dans mon casque s'interrompit. Hugz ne répondait plus et je décidai de sortir pour voir ce qu'il se passait hors de la cabine.
Je reconnus la voix cassée de Maya avant de la voir.
—Est-ce que j'ai l'air d'avoir envie de rire ? SÉRIEUSEMENT ? Ton putain de pote a mis ma meilleure amie enceinte et vient de la larguer comme une merde !Alors tu te dépêches de me le trouver avant que ce soit moi qui le fasse.
Sa meilleure amie.
Enceinte.
Larguer.
Tous les regards des mecs se posèrent sur moi.
— Qui est enceinte ? demandai-je d'une voix blanche.
Elle fit volte face et son regard glacial me cloua sur place. Sa main s'abattit sur ma joue avec une violence rare.
— Ça, c'est pour avoir largué Lucie.
Avant que je n'aie eut le temps de l'intercepter, une deuxième gifle me brûla le visage.
— Et ça, c'est pour l'avoir mise enceinte.
Paralysé, je vis mon frère saisir vigoureusement sa meuf par les épaules et l'entraîner dehors sans aucune douceur pendant qu'elle se débattait.
Putain mais ces deux là.
Lucie était enceinte. Bordel de merde je savais très bien à quel moment on avait pris des risques, si c'était vraiment ce que je pensais, ça faisait trois putains de mois qu'elle l'était. Elle m'avait rien dit.
Mais comment j'allais faire avec ça moi ? Un gosse ?
Putain mais moi ma vie c'était de partir en vacances, de faire des vannes de merde, de rapper et d'enregistrer avec le S. Un gosse ! Je savais à peine cuisiner un plat de pâtes...
— Ouais kho, c'est chaud à digérer comme nouvelle, me dit Doums me tapant dans le dos.
C'est vrai qu'il avait un marmot lui, il avait l'air de pas trop mal le vivre. Même s'il était plus avec sa meuf.
— Tu vas faire quoi ? me demanda Ken, tu peux pas la laisser se démerder toute seule, vous l'avez fait à deux hein.
Ouais merci mec, c'était utile comme précision.
— Je sais pas... Putain ! lâchai en donnant un coup de pied dans la corbeille à papier à côté de moi.
Mais quel con, la capote c'était la règle numéro un.
— Tu crois pas qu'elle t'a fait un gosse dans le dos, genre pour te garder et se faire du blé sur ton cul ? Pourquoi elle le dit au bout de trois mois.
Eff me jetait un regard suspicieux, l'air persuadé d'avoir découvert le pot aux roses.
Non mais ça c'était complètement impossible, premièrement Lucie n'avait pas besoin de mon fric, elle avait ce qu'il fallait et n'avait jamais été intéressée par ça, elle insistait toujours pour payer sa part, m'engueulait quand je lui faisait des cadeaux... Et puis même, elle avait sa carrière de danseuse, à quel moment avoir un gosse était une bonne nouvelle pour elle !
— Vous étiez ensemble depuis combien de temps ? demanda Hugz.
Ça me fit mal de l'entendre dire ça au passé.
— Six ou sept mois, je sais plus.
Ils grimacèrent, ouais c'était super récent.
— Tu sais comment ça a pu arriver ?
Je me laissai tomber dans le canapé. Putain c'était vraiment trop pour moi, j'y arrivais plus.
J'avais besoin d'elle.
— Ouais, soufflai-je, en Grèce elle avait oublié sa pilule alors on a dû fonctionner avec des capotes. Comme un con j'ai oublié une ou deux fois parce que j'avais trop l'habitude de faire sans.
Ils levèrent tous les yeux au ciel. J'allais encore me faire insulter quand Hakim réapparut.
Oulah, ça s'était mal passé avec Maya. Il donna un énorme coup de poing dans la porte des chiottes qui ne résista pas et sortit de ses gonds. Il se transformait facilement en Clark Kent quand il était vénère.
— Rappelez moi ce que je fous avec une casse-couille pareille, grogna-t-il.
— On se pose tous la question, répondit Eff, elle est chiante, je sais pas comment tu fais, franchement être bonne ça fait pas tout.
Le regard que lui adressa mon frère le fit se tasser dans le canapé. Il n'attendait clairement pas de réponse à sa question et il fallait pas trop tenir à sa vie pour oser critiquer Maya devant lui. Lui seul avait ce privilège.
— Redis qu'elle est bonne, j't'éclate.
Ah, en fait c'était ça qui l'avait le plus zehef dans la phrase d'Eff.
J'aurais presque pu sourire si j'avais pas cette putain de boule au ventre qui me donnait envie de pleurer et de vomir.
Le regard d'Haks se posa sur moi.
— Toi, dehors, tout de suite.
Il était vraiment vraiment vénère, elle avait dû le pousser à bout comme jamais. Mais j'obéis parce que c'était pas le moment de le contredire.
— Et pour la porte des chiottes ? demanda Hugz.
Hakim l'ignora royalement, il saisit simplement une teille de whisky qui traînait et sortit.
Je le suivis en sachant très bien que j'allais en prendre plein la gueule.
J'avais du mal à tenir tête à mon frère parce que je savais qu'il s'était toujours sacrifié pour moi. C'était débile mais je me sentais toujours redevable, je détestais le décevoir.
— Tu te fous de ma gueule Idriss ? T'avais qu'ça à foutre de mettre cette meuf enceinte ? Comment tu vas annoncer ça à la mif ? Putain mais ça va être tellement le zbeul, j'vois d'ici la tête du daron ! Elle est même pas algérienne en plus !
Je fermai les yeux, conscient que ça allait être la guerre à la maison... Tout ce que je réussis à répondre à Haks fut cette phrase un peu nulle et basse.
— C'est vrai que Maya est un pur produit kabyle.
J'aurais dû éviter, il écarquilla les yeux, et sa colère se décupla.
— Parle même pas de Maya parce que Wallah je t'en colle une dans la minute. De un, elle est pas enceinte, de deux, c'est pas demain la veille que je vais la présenter à la famille. Mais toi ?! Comment tu vas cacher un putain de gosse ! Bordel t'as intérêt à porter tes couilles, tu vas élever ce môme, et bien comme il faut parce que tu sais ce que ça donne quand y a pas de daron, regarde Sneazz ! T'es tellement con, j'ai envie de t'en mettre une dont tu souviendras à chaque fois que tu penseras à baiser une meuf sans capote.
J'en pouvais plus, c'était vraiment trop là, depuis une semaine ça s'enchaînait et j'avais juste envie de me barrer super loin et d'oublier tout le monde.
— Qu'est-ce que tu fous encore là ? aboya mon frère.
C'était pas vraiment une question, je m'empressai de récupérer mon bomber et ma casquette à l'intérieur, puis quittai le studio avec une idée très nette de l'endroit où j'allais.
J'avais besoin d'elle à un point inimaginable. On passait notre temps à repousser les femmes autour de nous, à les trahir et à penser qu'on avait pas besoin d'elles. Mais y avait quand même un moment où aucun pote ne pouvait remplacer leur tendresse et leurs bras.
C'est sur ce constat que je sonnais chez Lucie, priant pour qu'elle m'ouvre. Rien qu'à l'idée de ce que je lui avais fait je sentis une larme m'échapper, c'était vraiment plus que ce que je pouvais encaisser.
Elle m'ouvrit une minute plus tard en essuyant ses yeux.
— J'suis le roi des cons.
J'avais envie de la prendre dans mes bras, de lui demander de me reprendre, de faire le canard comme jamais. Mais je flippais à l'idée qu'elle me repousse, qu'elle m'envoie le faire foutre et qu'elle me dise qu'elle voulait pas d'un connard comme moi dans la vie de son enfant.
— Ça me fait plaisir que tu le remarques, dit-elle avec un sourire à travers ses larmes.
Cette fille minuscule me retournait le cœur. Putain j'étais gravement atteint. J'osai un pas vers elle et fut rassuré par le fait qu'elle ne recule pas.
— Je sais pas comment j'ai pu te quitter...
Elle m'adressa un regard du genre « fallait peut-être y penser mais avant ».
— Tu peux pas partir à chaque fois que t'as un coup de flippe Id', comment je fais moi ? Tu serais revenu si j'étais pas enceinte ?
Reniflant comme un gosse, j'essuyai l'eau qui coulait sur mes joues.
— Depuis que je suis parti je veux revenir. Je t'aime vraiment Lucie, enceinte ou pas. Et même si on reste pas ensemble toute notre vie, je laisserai jamais tomber la mère de mon enfant.
Son regard sévère s'adoucit un peu et lentement elle leva son pouce vers mon visage pour essuyer mes larmes.
— J'espère qu'il sera moins con que toi.
— Moi aussi, soufflai-je, mais c'est toi le cerveau dans le couple, faut espérer que tu lui aies transmis tes gènes.
Elle sourit encore et j'osai poser mes mains sur ses hanches.
— Dans le couple, hein ?
Ça passe ou ça casse, me dis-je.
— Oui, enfin si tu veux bien qu'on en soit un à nouveau.
Lucie ne répondit pas tout de suite et jeta un regard à sa montre.
— Il est 17h, tu m'as quittée à 8h. C'était la rupture la plus courte de toute ma vie.
Terriblement soulagé, je l'attirai contre moi et levai son menton vers mon visage.
— On va s'en sortir hein ? J'ai du mal à réaliser qu'il y a un truc vivant dans ton ventre, c'est un peu flippant.
Elle m'embrassa doucement puis sourit contre mes lèvres avant de murmurer.
— Peut-être qu'il va sortir pour te dévorer comme dans Alien.
Toujours ses références cinématographiques de geek celle-là.
— Tu le sais depuis quand ?
Elle soupira.
— J'ai été débile, j'ai pas trop capté que j'avais pas mes règles, j'ai quasiment pas eu de nausées ni rien. Et y a une semaine et demie je suis allée faire une prise de sang pour totalement autre chose et... « surprise, vous êtes enceinte de deux mois et demi, il faut tout de suite prendre rendez-vous avec votre gynécologue. » J'avais trop peur de te l'annoncer, j'ai fait la première écho avant-hier, c'était assez horrible d'y aller toute seule.
Elle se détacha de moi pour aller chercher une grande enveloppe en kraft qu'elle me tendit. Je m'assis sur le canapé pour sortir la photo.
Putain le choc.
On voyait pas grand chose mais ce truc allait être mon gosse.
Lucie me tendit un mouchoir et je me rendis compte que je chialais encore comme une merde. Mais elle était pas mieux que moi.
Je saisis sa paume pour l'attirer sur mes genoux.
— C'est dingue ça se voit pas du tout.
— Le gynéco dit que c'est une question de morphologie, et comme je suis très musclée, le ventre mets du temps à s'arrondir.
Maladroitement, je passai ma main sur son ventre, putain j'avais fait ça des centaines de fois en trois mois et à aucun moment je me serais douté qu'il y avait un être vivant en devenir à l'intérieur.
Ça me dépassait tellement.
— Arrête de pleurer mon chat, tu perds toute ta street cred'.
Si les gars me voyaient, la hshouma de ouf...
Mais bon, dans six mois, j'allais être daron et ça, ça méritait quelques larmes.
— Promis j'te laisserai plus toute seule pour les prochaines échographies.
— J'espère bien.
Lucie se blottit contre moi et en la serrant dans mes bras, je me jurai que je les protégerais tous les deux jusqu'à la fin de mes jours. Désormais nous étions une famille.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top