Le temps qui les sépare d'la fin file entre les doigts d'Yoongi, comme le sable qui s'écoule dans l'sablier du destin. 

A chaque levé d'soleil, Yoongi se lève plein d'espoir et d'volonté, et à chaque couché, il réalise que rien n'a changé. 

Et que certaines choses ne changeront définitivement   j a m a i s.

Ca lui donne envie d'hurler, hurler à plein poumons, hurler à s'en détruire les cordes vocales.

Hurler sans but, juste pour libérer toute la frustration qui fait trembler son corps et paralyse sa pensée.

Hurler pour toutes ces choses injustes qui régissent la société, hurler pour la connerie des hommes, hurler dans l'espoir stérile d'être entendu.

Mais il ne peut pas.

Le monde a été trop bien pensé pour qu'une simple personne comme lui, un paria qui plus est, puisse un jour espérer l'voir tomber par ses actions vaines.

L'opération ne fait pas que retirer les sentiments de chaque individu ; elle anéantit le libre arbitre et la possibilité de penser par soi-même, tuant dans l'oeuf la moindre idée d'rébellion pouvant mettre à mal ce système profondément dégueulasse.

Tout a été si bien mené, les rares personnes chez qui subsistent ces choses, ceux sur qui le traitement – comme ils disent – n'a pas été efficace, sont traqués et enfermés dans des hôpitaux, jusqu'à ce qu'on parvienne à anéantir consciencieusement leur individualité, avant d'les achever sur la place publique, en guise d'exemple.

Ils sont traités comme des misérables, des moins que rien, on leur a retiré toute chance de s'faire entendre, afin d'taire les pensées hors-la-loi d'l'esprit des gens sains. 

Afin d'les garder   s o u s   c o n t r ô l e.

Mais évidemment, il ne faut rien laisser paraître ; les autres ne doivent pas s'apercevoir d'la façon dont ils sont méprisés, ils pourraient avoir envie d'leur venir en aide.

Alors, les gens comme lui, on leur tend une main faussement bienveillante, leur promettant des soins et une vie meilleure.

Mais il n'en est   r i e n.

Aujourd'hui était le dernier jour de Taehyung.

Dans l'esprit de Min Yoongi, c'est l'bordel.

Il sait que l'issue d'ce combat est inévitable.

Taehyung a déposé les armes il y a bien longtemps, Yoongi ne peut se battre seul.

Triste défaut de l'humanité qu'est la lâcheté, qu'il pense.

Les gens crient à l'injustice, mais lorsque quelqu'un décide d'agir, tous retournent leur veste pour ne pas avoir à subir de représailles.

Il faut savoir choisir ses batailles, qu'lui disait Taehyung, mais Yoongi en est sûr et certain ; le garçon en vaut la peine.

Mais peut-il vraiment sauver quelqu'un qui n'en ressent pas l'besoin ?

Il lui a promis que tout irait bien.

Qu'il était heureux qu'les choses prennent fin.

Qu'il a bien vécu, qu'il a fait plus que ce qu'il aurait osé rêver, et que cela lui va.

Qu'il gardera d'très bons souvenirs parmi les mauvais, qu'la lumière est venu l'éclairer au milieu de ténèbres infinies pour l'guider, et qu'à présent, son heure est venue.

Il ne faut pas être trop gourmand, et se contenter de c'que l'on a.

Mais Yoongi n'est pas   p r ê t   à le laisser partir.

Avant que l'infirmière ne vienne le chercher pour lui signaler l'heure, Taehyung l'a embrassé. 

Une dernière fois.

Ses lèvres ; c'est la dernière chose dont il se souhaite   s e   s o u v e n i r.

La dernière chose qui mérite qu'il   s ' a t t a r d e   encore un peu.

La dernière chose qu'il emportera dans la   t o m b e.

A présent, Yoongi est seul sur le toit d'l'hôpital, en train d'regarder le soleil se coucher.

Probablement qu'Taehyung le r'garde aussi – il a toujours aimé voir les couleurs chaudes du ciel orangé lorsque l'astre mythique apparaît à l'horizon au petit matin, puis disparaît au loin pour laisser place à la nuit le soir venu.

C'est son dernier coucher d'soleil.

C'est la dernière fois qu'Yoongi verra la nuit tomber en même temps qu'Taehyung.

A cette pensée, les larmes qui s'accumulaient sous ses paupières commencent à glisser sur ses joues, s'accrochant à sa peau d'albâtre pour ralentir la chute, tout aussi inéluctable que le sort de son ami.

Taehyung avait   r a i s o n, au final.

Il ne peut pas conserver ce masque d'impassibilité en   p e r m a n e n c e.

Yoongi n'est pas comme tous les autres.

Il sent quelqu'un s'installer à côté de lui, et tous ses muscles se crispent.

Jusqu'à c'qu'il réalise qu'il ne s'agit que d'Jungkook.

Il n'lui adresse pas un seul regard, et s'contente simplement d'lui tendre une feuille soigneusement pliée.

Une feuille sur laquelle se dessine une écriture qu'il aurait reconnu entre mille.

« Vas-tu continuer à fuir éternellement,

ou bien es-tu prêt à embrasser ton destin et assumer qui tu es réellement ? »