Chapitre 2 Partie 2 : Trois âmes Liées à Jamais

Une fois posées sur les graviers, Naru et moi mangeons notre déjeuner. La jeune chienne dévore précipitamment sa pâtée et part se coucher dans l'eau, non loin de moi. J'en profite donc pour reprendre mon récit.

Faire le chemin jusqu'à la bibliothèque avec Jon ne fut pas de tout repos. Bien qu'il restât muet durant le trajet, sa mine des grands jours suscita beaucoup de réactions. Il avait l'air en colère et ses yeux bleus glacés transpercèrent de peur chaque élève que nous croisâmes. Toutefois, cette situation m'arrangeant plus qu'autre chose, je décidai de m'en moquer.

Arrivés dans la bibliothèque, j'admirai les sculptures boisées elfiques des étagères. Jon dut m'appeler plusieurs fois afin que je le suive.

Enfin, nous arrivâmes devant la réserve.

Jon ne parlant toujours pas, je finis par briser le silence.

- Hormis Anor, je n'ai pas l'impression que tu affectionnes grand monde ici.

Il me regarda de ses yeux impénétrables puis souffla profondément. Après une bonne minute de silence, il se déclara d'une traite.

- Oui. C'est le problème quand ton père est un connard sanguinaire qui fait peur à tout le monde. Personne ne t'approche ni ne te parle. Anor a le même souci et comme nos pères sont amis, on se connaît depuis toujours. Mais Anor étant plus terrifiant que moi à bien des égards, c'est lui qui a été nommé délégué. C'est d'ailleurs surprenant que tu nous parles...

- Autant te le dire tout de suite alors. Je n'ai pas peur de vous et bien que vos pères soient monstrueux envers mon peuple, un vieil ami m'a dit un jour de ne pas condamner un fils pour les méfaits de son père.

- Un homme sage. Bizarrement, ce qui me surprend le plus c'est que toi, tu écoutes quelqu'un.

- C'était un vieil elfe. Pourquoi dis-tu ça ? Je ne suis pas si stupide !

Jon se tourna alors vers moi et croisa les bras en me regardant d'un air faussement sérieux.

- Comprends moi bien. Tu t'es forgée une sacrée réputation auprès des miens à force de châtier leurs âneries. Un jour, une affaire est même arrivée aux oreilles de mon père. Selon lui, son commandant avait été changé en pierre. Il m'avait donc naturellement chargé d'enquêter. La réponse avait fini par être évidente quant à ton implication mais je n'ai jamais compris ta raison.

- Alors ton père ne t'a pas tout dit.

Cette affaire remontait à un an déjà et Jon me fixa intensément de ses beaux yeux glacés en attendant ma réponse. Me remémorer cette affaire était pour moi très douloureux et je décidai d'omettre certains détails d'ordre privé.

- Le Roi Ezra IV m'avait confié une mission au sujet de disparitions énigmatiques à la frontière de nos deux royaumes. Assez vite, avec mon binôme Lei, nous avons trouvé les causes de ces enlèvements. Ce fameux commandant dont tu parles, les ordonnait. Une nuit Lei et moi l'avons pris par surprise et, alors que je libérais les humains enchaînés, le commandant tua Lei sous mes yeux. Comme une andouille, j'ai foncé sur lui pour le tuer. Il m'a stoppé net en m'attrapant par la gorge. Or, lorsque je me retrouve face à la mort, ma magie déraille. Là, tandis que je lui tenais le bras, elle l'a changé en pierre.

Ce que je n'avais pas dit c'était que Lei et moi étions ensemble depuis deux ans et que sa perte avait provoqué chez moi, une rage immense. Lei était devenu au fil des années, un véritable soutien et un confident.

À mes vingt-deux ans, il m'avait avoué ses sentiments. Pour la première fois dans ce genre de situation, qui arrivait souvent, j'avais pu y répondre de façon positive car je l'aimais. Il était l'archétype même du chevalier et était toujours adorable envers moi. Durant deux ans, nous avions formé un couple de puissants chevaliers, le Roi nous confiait ses enquêtes les plus complexes.

Sa mort avait été très dure à accepter mais Enora m'avait apporté un soutien sans faille, me disant que la solidarité féminine devait être plus forte que tout. Ayant encore du mal à retenir mes émotions, mon visage devait sembler bien triste car Jon me regarda pour la première fois de façon bienveillante.

- Alors si tu dis vrai, mon père m'a menti, pour changer ! Son trafic d'humains ne cessera donc jamais. Si tu savais à quel point je le hais.

Je finis par le regarder avec compassion. À l'évidence, sa vie devait être au moins aussi compliquée que la mienne...

- Et Elias alors, pourquoi tu ne l'aimes pas ?

- Tsss... Tu verras par toi-même. Anor arrive avec ce prétentieux.

En effet, l'imposant dragon était accompagné d'un elfe magnifique.

Elias faisait la même taille et la même stature que Jon. Il avait de longs cheveux lisses et blancs qui étaient tressés sur les côtés. Ses yeux étaient violets et laissaient ainsi deviner qu'il descendait d'une vieille lignée de nobles.

Les trois garçons avaient le même uniforme composé d'un pantalon noir avec des chaussures en cuir et un haut bordeaux à col rond sans manches aussi moulant que le mien. Jon et Elias avaient un buste pareillement musclé, ce qui voulait dire qu'il était mieux dessiné que celui d'un humain mais beaucoup moins imposant que celui d'un dragon.

Perdue dans mes pensées, je fus interrompue par la vision d'Enora à l'autre bout de la salle. Ne voulant pas qu'elle me voit avec eux car elle m'aurait posé beaucoup trop de questions, je les regardai tous les trois et engageai notre entrée.

- Bien, allons-y.

- Anor, j'espère que ton ami douteux et la petite humaine ne me feront pas perdre mon temps.

- Je te l'ai dit, nous avons besoin de toi. Tes lumières nous aideront.

Ainsi, l'elfe pédant se faisait doucement manipuler par le dragon. Jon l'avait dit plus tôt, son ami était autrement plus terrifiant et je ne savais pas encore quoi penser de lui.

Tandis que nous nous dirigions vers la réserve, les garçons sortirent une carte de leur poche. Me mettant en arrière, je les regardai faire. Chacun d'entre eux passa le portique de la réserve avec cette carte.

N'en n'ayant pas, je décidai de passer par-dessus en volant. L'elfe qui se retourna vers moi à cet instant, en resta scotché.

- C'est quoi ce bordel ?! T'es chevalier, pas prêtresse !

- Je t'expliquerai quand je te penserai fiable.

Côte à côte, Jon et Anor me regardèrent, imperturbables. En face, Elias grimaça de mécontentement. Moi, j'avançai dans la réserve afin de trouver l'estampe.

N'étant pas dissimulée, je la trouvai facilement et l'étalai au sol. Il y avait six ombres avec le nom de leur espèce indiqué en dessous. Cependant, j'avais du mal à comprendre le sens de la sixième ombre.

Alors que j'y réfléchissais, les trois autres se mirent d'accord sur le fait qu'ils avaient vu, il y a trois ans de ça, la sixième ombre dans un rêve qui avait été le même. En revanche, aucun d'entre eux ne comprenait la langue écrite, ce qui ne fut pas mon cas.

- C'est normal que vous ne compreniez pas. Il s'agit d'une langue morte humaine. Je l'ai apprise en devenant chevalier... Tout en haut, il y a l'ombre du canis lupus, faisant référence aux loups-garous, représentant Aydan. En seconde il y a celle du Draco, le dragon, représentant Anor. La troisième est celle du vespertilio, la chauve-souris, d'où ton nom de famille Jon... Elle te représente. Ensuite nous avons celle des dryadalis, représentant les elfes et donc Elias. Puis il y a celle de l'humanus, me représentant.

Tous les trois attendaient impatiemment que je révèle l'identité de la sixième. Mais j'avais toujours du mal et mon interprétation me laissait perplexe. Elias, dans son impatience, continua de m'énerver.

- Bon tu craches le morceau pour la sixième ?

Anor lui lança alors un regard noir et terrifiant, ce qui le calma tout de suite. Je passai donc à l'action, tout en craignant leur réaction.

- Vinculum, tel est le mot écrit sous l'ombre que nous avons tous vu et entendu. Cela signifie « le lien ». Pour moi, si nous combinons nos visions, cela tombe sous le sens. Cette ombre nous a connectés et m'a dit que nous devions travailler ensemble afin de bâtir un monde meilleur.

Elias éclata d'un rire moqueur, vulgaire et terriblement révélateur.

- Donc, selon vous trois, nous serions liés par une sorte de prophétie et cette humaine en serait la clef ?! Je passe mon chemin dans ce cas. Je ne travaille pas avec les pseudos mages humains, ces tarés de loups-garous et encore moins vous deux, les cruels !

Il avait fini son discours en montrant Jon et Anor du doigt, son regard plein de haine. Il me parut clair qu'il ne les aimait pas du tout.

Énervé à s'en faire sortir les veines, Elias partit en trombe. Je voulus le rattraper en criant son nom, mais Anor me stoppa en m'attrapant délicatement par l'épaule.

- Laisse tomber. Je l'ai forcé à venir de toute façon. Il ne coopère pas facilement. Ceci dit, ton raisonnement a du sens.

Soufflant d'exaspération, je me tournai vers les deux autres qui avaient l'air bien songeur et leur proposai d'aller réfléchir dehors à tout cela.

Sur le chemin, repensant aux commentaires d'Elias, je ne pus que le comprendre. Ceci dit, son positionnement semblait révéler une indiscutable et surprenante étroitesse d'esprit et je décidai qu'il faudrait que je lui en parle.

Tout le monde s'écarta sur notre passage.

Anor mena la marche, terrifiant tout le monde et à mes côtés marchait Jon. Je croisai même le regard d'Awen, qui s'inquiétait pour moi. Comme ces deux-là avaient été jusqu'ici plutôt sympathiques à mon égard, je trouvai toutes ces réactions assez exagérées.

Tandis que les deux s'asseyaient sur un banc, je jetai mon sac au sol et m'apprêtai à les questionner lorsqu'une force herculéenne me souleva de terre. Des bras fortement musclés me tenaient et reconnaissant l'odeur de celui qui m'avait prise par surprise, je relevai ma tête vers la sienne.

- Ma petite Shana ! Toujours aussi nulle sur tes angles morts !

- Aydan ! Ça pour une surprise !

Mon loup préféré m'avait encore eue.

Il me posa doucement au sol et me fit une accolade. Il me sourit comme un louveteau qui revoit son amie après une longue séparation. Son grand sourire et ses yeux verts pétillants illuminaient son visage. Avec les années, ses cheveux roux avaient poussé et il les avait attachés en une queue de cheval basse. Du reste, il était habillé très formellement et de façon élégante avec un costume bleu foncé et une chemise blanche.

Jetant rapidement un coup d'œil autour de nous, je vis trois autres loups-garous dix mètres derrière lui.

Anor nous observait calmement et Jon, je le vis, préparait une de ses répliques.

- Ah c'est drôle de voir des faibles se retrouver !

- Sans déconner Jon...

Dans sa réplique, Anor sembla encore plus désespéré que d'habitude.

Je vis alors Aydan prendre conscience de ma compagnie et il me regarda complètement effaré.

Il mit ensuite sa main sur mon épaule.

- J'ai appris pour ta nomination ! J'étais si content ! Tu vas pouvoir m'aider... Mais écartons-nous, je ne veux pas être entendu.

Me poussant vers les arbres afin de discuter tranquillement, il me tendit un téléphone.

- Écoute, je suis venu pour te donner ça. Il est sécurisé et personne ne sait que tu l'as. Il faut que ça reste ainsi. Tu dois m'aider à organiser le prochain siège des Grands avec leurs successeurs. Je dois savoir s'ils sont fiables et je n'ai confiance qu'en toi pour ça.

- D'accord. Ils sont tous les trois dans ma classe de toute façon. Sois tranquille et appelle-moi à la rescousse si besoin.

Prenant le téléphone et le cachant dans la poche de ma jupe je regardai Aydan, heureuse d'enfin le revoir. Mais je savais qu'il devait vite repartir et le laissai filer. Il m'embrassa tendrement la joue puis partit rejoindre les trois autres loups-garous.

De mon côté, je m'avançai vers Jon et Anor qui m'attendaient assis sur le banc, les bras croisés.

La venue d'Aydan m'avait chamboulée et j'en oubliai ce que je voulais dire à mes deux camarades. Regardant mon ami partir, je me rendis compte qu'absolument tout le monde me dévisageait.

Mal à l'aise devant tant d'attention, je soupirai longuement.

- Quand se tiendra le prochain siège des grands avec leurs successeurs ?

- C'est dans trois mois Shana.

- Anor, tu la sens la rencontre absolument passionnante qui va finir en bain de sang grâce à cette chère humaine ?

- Tout justement Jon, il faut qu'on se prépare et convaincre Elias de se ranger avec nous, sinon mon abruti de père va essayer de la bouffer et ainsi déclencher une guerre inter-espèces ! Génial !

Choquée par le dernier détail d'Anor, je fronçais les sourcils en le citant.

- Une guerre inter-espèces ?

- T'es sérieuse ? Vu comment ton ami loup-garou tient à toi, il ne laissera rien passer.

Anor avait encore une fois vu juste. Son discours laissait supposer qu'il était de mon côté mais je n'en étais pas encore totalement sûre. Quant à Jon, c'était encore plus incertain. Il fallait que je sache de quel côté les deux cruels, comme Elias les appelait, se positionnaient.

Puis Jon se leva et s'allongea dans l'herbe. Anor était assis, pensif. Moi j'étais debout, les mains dans les poches.

- Et sinon... Pourquoi Elias vous a appelé les « deux cruels » ?

- À cause de nos pères...

Les deux avaient répondu en cœur.

Je me rendis compte que ces deux-là étaient victimes de préjugés tenaces. Puis Anor se leva et nous indiqua qu'il était l'heure d'aller en entraînement.

- Naru, tu vois, tu me rappelles Aydan ! Toujours là pour dire ou faire une connerie et surtout, là quand on a besoin de toi. Tu sais, j'ai eu beaucoup d'hommes dans ma vie mais hormis Anor et Jon, il n'y a qu'Aydan dont je me languisse et dont le deuil me sera impossible...

Revenant à mes côtés, Naru se secoue puis me tire par la main afin de m'amener vers la cascade. Mes habits tombent et dans l'eau, ondule mon tatouage tandis que je plonge afin de me vider l'esprit.



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