6


Je les suis dans la montée des marches, évitant les trous et ignorant les craquements sous mes pas. Arrivée en haut, le choix est difficile. Repérer les planches manquantes pour ne pas tomber, ou regarder les innombrables photos de classe éparpillées sur les murs du couloir. Il n'y a aucun visage. Seuls des bandages habillés par quelques chapeaux remplissent les bancs. On ne voit que des billes noires luisantes au flash de l'appareil photo. Je passe de cadre en cadre, cherchant un professeur ou un directeur. Mais rien. J'imagine que c'était eux qui prenaient les photos. C'est assez frustrant d'ailleurs, toujours aucun cliché d'adultes.

    Je passe devant des salles de classe vides, délabrées certes, mais à l'humeur stricte éternelle. Les tables sont parfaitement alignées, les chaises rangées au millimètre prêt, rien ne dépasse. On ne voit juste pas le sol, il est recouvert de cahiers et de feuilles de cours. Les murs laissent entrer le lierre qui paraît s'affranchir de failles trop petites. Ces pièces se ressemblent toutes, les fenêtres sur le côtés gauche tamisent l'ensemble dans une belle lumière claire. C'est silencieux et ça raisonne en même temps. Cet endroit est comme figé, une respiration que l'on retient avant le grand plongeon. Sauf qu'ici, il n'y a jamais eu d'émersion. C'est peut-être ça cette sensation.
En apesanteur dans ce couloir comme si l'on était sous l'eau.

    Les deux bandés m'attendent devant le dernier encadrement. Toute en bois massif et lourd parquet, la petite bibliothèque a quelque chose de féérique sous le toit absent de la pièce. Le lierre a étouffé les poutres restantes et filtre la lumière pour donner l'impression d'être sous une pépinière. Les étagères auxquelles je fais face ont quelques manquement. Des ouvrages aux côtes épaisses laissent un espace dans la poussière. Il y a de la Science, des Maths, de la Littérature, de l'Histoire générale, et l'Histoire de Marble Hill. Les enfants me montrent l'étagère à ma droite, plus particulièrement la seconde rangée du haut.

Elle est exclusivement réservée aux indiens, qu'ils soient Apaches, Comanches, Navajos, Sioux ou Cherokees, chaque peuple du nord a son récit. Le plus grand des bandés me donne un des livres. Une couverture ancienne et très simple, avec rien de marqué dessus. Au milieu de la première page est finement inscrit "Cherokees". Il prend un autre des livres, l'ouvre à une page bien précise pour en sortir une photo qu'il a sûrement voulu protéger. On y voit plusieurs indiens, dont le chef au vu des plûmes, aux côtés d'hommes blancs, posant tous pour le photographe.

Le plus jeune cette fois fouille dans mon sac, et sort les pages que j'ai trouvé dans le grenier de la maison. Il les pointe du doigt, puis montre le chef indien de la photo. Il répète son mouvement plusieurs fois, puis glisse la photo dans le vieux livre. Il le ferme subitement, le jette dans mon sac et le recouvre de feuilles, avant de disparaître en vitesse, ce qui franchement ne leur ressemble pas. Le plus grand est parti avec lui. Je me retrouve seule devant pleins de feuilles en piteux état. Je suis tentée de prendre d'autres livres avant de réaliser que des voix résonnaient dans la cour. L'école devait être le point de ralliement avant le changement de groupe. Mince. En plus je peux pas courir, déjà ça va faire du bruit mais en plus j'arriverai jamais au bout du couloir. Au vu des trous qui parsèment le plancher, j'ai plutôt intérêt à regarder ou je mets les pieds. Tant pis pour l'escalier, je descends vite. C'est le long couloir du bas que je n'aime pas. Il me donne comme une sensation de froid, pas vous ? 

La douce voix de Barn accueille les premiers baliseurs. Il est au portail, je ne vois que son dos, et je dois trouver vite une explication à ma présence dans l'enceinte de l'école. Il récupère les feuilles, tout en voyant qu'à chaque fois les élèves regardent derrière lui. Agacé il se retourne vers moi, puis sort comme un cri de petite fille surprise par une souris.

- Enfin mais qu'est-ce que tu fous là ?! Décidément t'es toujours où il faut pas ! aller, ta feuille.

J'ai du lui marmonner un truc du genre que je faisais le tour de l'école, voir de quoi elle avait l'air. En voulant sortir ma carte balisée, je commence par tirer une des lettres trouvées. Je la fourre vite au fond du sac et lui tend ma feuille, puis je m'écarte au fin fond du groupe. Il a marqué un arrêt, mais je ne sais pas vraiment s'il a vu quelque chose.

    Il regarde sa montre. Tout le monde est là, il faut laisser la place au groupe de nuit, que l'on commence à entendre au croisement. Mme Davis, toute heureuse, récupère les cartes, puis débute ses instructions. Barn en rajoute évidemment pour "insister fortement" sur le fait de ne pas prendre et toucher quoi que ce soit.
C'est avec regrets que j'arrive au bus, les heures passent tellement vite ici. Dernière à entrer dans le bus, je sens quelqu'un me tirer violemment le bras. Je me retourne, mais rien. En voulant rentrer de nouveau je fais face à Barn, qui me pointe du doigt.

- Toi.

- Moi...

- Oui toi. Pourquoi t'es toujours toute seule, et pourquoi ton sac est bien épais ? Pourquoi je tombe TOUJOURS sur toi à des endroits où tu devrais pas être. Va falloir que tu trouves ta place et que t'y restes !

- Je vous assure, je ne fais que la chercher.

Je n'attends pas de réponse de sa part, je passe par dessus son épaule et fonce m'asseoir dans le bus. Je crois que j'ai un flair collé à un aimant pour ces types là. En s'asseyant, au milieu forcément, je vois un groupe de gars me regarder le sourire en coin, puis se retourner comme si de rien n'était à leurs affaires. Pourquoi faut toujours que je tombe avec des imbéciles.

    C'est l'heure de manger. Enfin. J'avais vraiment trop envie de tester leur cuisine. Arrivée à l'encadrement du gigantesque réfectoire, je jette un œil depuis l'ombre histoire de voir s'il y a pas trop de gens. Y'a pas tout le monde mais quand même. Deux filles arrivent dans mon dos, en passant elles me rentrent un peu dedans, histoire de. Je me fais des plus discrètes pour aller jusqu'à l'îlot me servir. Et comme je suis du genre à ne pas faire les choses à moitié, je croise les gugus qui m'ont dévisagé tout à l'heure. L'un d'eux fait mine de rien, pis s'approche vers moi. Il tente des phrases d'approche. Le pauvre. C'est pas qu'il est moche hein, loin de là, mais alors qu'est-ce que je ne les supporte pas ces faux-semblants. Ces remarques sont tellement débiles que je ne répond que par mes mimiques bien à moi.

- Eh, tu me dis si je te gêne hein ? Je sais que t'es pas bien bavarde mais bon, quand même. Ca fait un moment qu'on te vois, pis ben, on sait pas grand chose sur toi en fait.

- Oh y'a pas grand chose à savoir. Pis c'est pas pour te vexer, mais qu'est-c'tu veux que je réponde à tes remarques toutes vides là ?

- Vide ? Tu me trouves vide ? Dis moi si tu me trouves trop chiant ça sera plus simple !

C'est qui se trouve drôle en plus. Du coup j'ai rien trouvé d'autre qu'une mimique. Je pars trouver ma table bien loin, et lui il reste là, un peu con, sans rien dire. Il ne s'y attendait pas, en général les nanas lui tombent dans la poche. Ses potes pouffent de rire, dont les deux filles. Je comprends mieux.

Collée à ma vitre, j'essaye de me faire un petit résumé de mes trouvailles et de ma journée. Il fait noir dehors, on voit bien les étoiles, comme j'aurais aimé les voir depuis le grenier de la maison. Je retourne à mes pâtes chinoises, pis je vois un plateau se poser en face à ma table. Il me regarde, et commence à manger.

- Bon je sais pas ce que tu veux Jeff, mais j'ai vraiment rien à te dire.

- Je veux juste apprendre à te connaître c'est tout !

- C'est pour ça que tes potes pouffent de rire et nous fixent depuis que t'es là ? Continue de me prendre pour une conne, t'iras loin.

Je prends mon plateau et vais sur la terrasse. Là au moins y'a personne. Lui il a pas bougé, il me regarde un peu noir, et finit son assiette. Ses potes sont morts de rire, mais il est pas retourné les voir. Il doit sacrément être déçu d'avoir raté son pari.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top