La Scala de Milan

Tintin entra au conservatoire, plongé dans ses pensées. Depuis qu'il avait relâché Evanleck, il s'inquiétait pouf Jeanne. Oh, il la savait bien capable de se défendre, mais dans certaines situations, elle ne pourrait rien faire.
Elle était si forte, si intelligente, si belle...
Cela faisait quelques temps que, dès que, pensant à la jeune chanteuse, il s'approchait un peu trop du terrain de ses propres sentiments. Il s'arrangeait alors inconsciemment pour fixer son attention sur autre chose, de sorte qu'il ne s'avouerait jamais à lui-même une évidence; son coeur semblait battre plus fort depuis sa rencontre avec Jeanne.
Il l'aperçu. Elle était dans la salle de pause, recroquevillée dans un fauteil, une tasse de chocolat paraissant énorme dans se mains frêles. Le jeune homme s'approcha, avant de lui souhaiter le bonjour.
- Bonjour, Jeanne !
Elle releva la tête, et fit un pâle sourire, avant de faire une petite caresse à Milou, qui s'était déjà installé à ses côtés
- Bonjour ! Comment allez-vous ?
Il remarqua que son visage était creusé, et que de grandes cernes s'étendaient sous ses yeux.
- Bien... mais.... et vous ?
Elle afficha une moue piteuse
- Je suis morte de peur. Je n'arrive pas à produire un son, je suis tendue comme une corde d'archet, et le chef d'orchestre m'a envoyé me relaxer un peu.
- Pourquoi avez-vous peur ? La questionna son ami avec sollicitude.
- Ce soir... la Scala de Milan... voyons, rien que d'y penser, je suffoque...
- Voyons, vous savez que vous subjuguez tout le monde à chaque fois que vous chantez ! Fit-il avec une tendresse un peu trop évidente. Le visage de la jeune musicienne se colora à nouveau, et désarmé, elle équarquilla les yeux;
- C'est... c'est vrai ? Je vous subjugue quand je chante ?...
Il s'apprêtait à répondre, quand il fut interrompu par une voix un peu trop familière à son goût;
- Madonna ! Vous voilà, Jeanne ! Je vous ai cherchée partout !...
Elle s'arrêta devant eux, avec un regard réprobateur;
- Encore en train de conter fleurette ? Regardez moi votre visage ? Avez vous dormi, cette nuit ?
La jeune femme rentra la tête dans les épaules.
- Je ne suis pas une enfant !...
- Oh si, tant que vous ne serez pas capable d'être raisonnable, vous serez une enfant ! Venez, nous allons arranger ça !
Elle attrapa la main de sa protégée, et, malgré ses protestation, l'entraîna.
Celle-ci se tourna, jetant un regard mortifié à son ami, qui dût se mordre la langue pour ne pas rire.

Ce soir-là, il descendit de l'hôtel avec le Capitaine, qui, mécontent, ne cessait de grommeler. Les deux hommes prirent un taxi.
- Eh bien, Capitaine... ce n'est pas si terrible...
- Entendre chanter la Castafiore... pas si terrible, dîtes-vous ?!
- Elle n'a qu'un rôle mineur. C'est quelqu'un de très talentueux qui a le rôle principal. Vous vous rappelez de Jeanne ?
- Ah, la petite chanteuse à qui vous contez fleurette ? 
- Oui... euh... Non ! Bien sûr que non !
S'exclama-t-il, offusqué.
Le vieux marin sourit malicieusement, voyant qu'il avait réussi son effet. Tintin se tourna vers la fenêtre, tentant en vain de masquer sa gêne.
- Alors, cette jeune femme est talentueuse, selon vous ?
- Oh oui, elle chante merveilleusement bien... hum... Voyant qu'il se laissait emporter, il sentit à nouveau ses joues s'embraser, et se racla la gorge sous le regard amusé de son ami.
Heureusement, ils arrivèrent à destination.
Tintin paya le chauffeur, avant de descendre de l'automobile et de contempler le magnifique bâtiment.
C'était vraiment splendide.
Dans le crépuscule, le célèbre opéra brillait de mille feux.
Il entrèrent, et, après avoir montré leur invitation au guichet, ils s'installèrent sur le balcon principal.
Le coeur du jeune homme battait très fort.
Il attrapa Milou, qu'il se mit à caresser nerveusement. Le petit chien japa, comme pour le réconforter.
Le noir se fit dans la salle, et la scène fut soudain éclairée.
Le prélude, les actes un et deux s'enchaînèrent, puis Jeanne fit son apparition. Elle qui tremblait le matin même semblait maintenant tout à fait calme.
La lumière blanche  illuminait ses traits, et, dans sa robe blanche vaporeuse, elle ressemblait à une apparition. Comme chaque fois qu'il la voyait, Tintin oublia tout le reste.
Le Capitaine Haddock, à ses côtés, ne douta pas une seconde que ce jeune ange soit celle dont son ami lui avait tant parlé. Le regard de celui-ci était rempli d'étoiles, et il ne quittait pas la jeune fille des yeux. Elle se mit à chanter, et, comme à chaque fois que sa tendre voix s'élevait, toute le public entra en transe. Elle irradiait littéralement, envoutant chacun de ses auditeurs.
Elle jouait à merveille, montrant les sentiments de son personnage avec tant de justesse, que, malgré les incursions vocales désastreuses de La Castafiore, saluées par la fuite immédiate du Capitaine, la salle entière restait charmée.
Puis l'acte final arriva. Tintin, fébrile, la vit décider de ce sacrifier, puis ressentit un terrible pincement au coeur en voyant la lame fendre l'air. La jeune fille s'effondra, et la scène fut si réaliste que le jeune reporter sentit les larmes lui monter.
Tandis que l'ombre se faisait sur la scène, où Rigoletto tenait le cadavre de sa fille, il fut sorti de sa contemplation par son ami;
- Mais... Tintin... Vous pleurez ?
- L'émotion, sans doute.
- Comme je vous comprends. C'était splendide.
Son jeune ami se tourna vers lui, incrédule.
- Eh bien oui, je l'admet, Tonnerre de Brest ! C'était beau ! Mais la Castafiore était épouvantable !
La lumière se fit à nouveau, et le rideau se releva. Les deux amis applaudirent avec enthousiasme les chanteurs, qui venaient saluer le public. Jeanne, rayonnante, apparut, surprise par une pluie de roses. Le public en liesse saluait le talent de la jeune artiste.
- Eh bien, moussaillon, vous avez bon goût ! Elle ressemble à une petite figurine de porcelaine, cette fille ! Ravissante !
Le jeune homme réagit à la boutade par un rire gêné;
- Faîtes attention, elle est extrêmement susceptible quand à sa taille.
- Je suppose que vous voulez aller saluer votre dulcinée ?!
Son ami devint encore plus mal-à-l'aise.
- Excusez-moi une minute, je revient, et nous irons !...
Et le jeune reporter s'enfuit sans demander son reste. Quand il revint, il avait à la main un magnifique bouquet de roses blanches. Il fit mine d'ignorer le regard lourd de sens du vieux marin, et ils traversèrent le coulisses en direction des loges. Il arrivèrent devant une porte, avec un écriteau: Gilda.
- C'est ici.
Il frappa doucement.
- Entrez !
Il ouvrit et entra, le Capitaine sur les talons.
Jeanne était assise devant son miroir, et brossait ses longs cheveux bruns.
Elle tourna la tête vers lui, et lui sourit en croisant son regard. 
- Tintin ! Quel plaisir !
Le jeune journaliste rougit, mais se repris rapidement.
Il lui tendit les fleurs, sous le regard amusé de son ami. La jeune fille équarquilla les yeux, puis rosit en recevant le présent.
- Me...merci beaucoup !
- Jeanne ? Permettez-moi de vous présenter le Capitaine Haddock, mon ami de longue date.
La jeune musicienne se leva, et, souriant de manière charmante, tendit la main au Capitaine, qui la serra.
- Mademoiselle, c'est un honneur. Cela fait une semaine que Tintin ne fais que parler de vous.
Le vieux loup de mer fut satisfait de son effet, quand il vit que sa remarque avait jeté la confusion, et que les deux jeunes gens, embarrassés, se trouvaient dans des positions similaires.
- Ai-je bien chanté ? Demanda la jeune musicienne à son ami.
Celui-ci sourit ;
- A merveille. C'était splendide, j'étais ému aux larmes.
Le Capitaine Haddock restait à l'écart de la conversation, à les observer. La jeune femme semblait rayonnante, et Tintin, à ses côtés, n'était pas en reste. Il ne l'avait jamais vu si souriant que depuis qu'il avait rencontré cette petite.
Il connaissait Tintin depuis déjà quelques années, mais il restait d'importantes zones d'ombres sur le passé du jeune homme. Malgré tout, le Capitaine, qui lui servait autant de figure paternelle que fraternelle, savait qu'il n'avait jamais connu ses parents, et qu'il avait eu une enfance malheureuse. Chose qu'il partageait avec cette jeune fille, qui semblait particulièrement bien le comprendre. Ils s'entendait bien, c'était un fait, mais le marin sentait quelque chose de plus fort dans chaque regard qu'ils échangeaient. C'était indubitable, pour la première fois, le jeune aventurier tombait amoureux.
Cela rendait le vieux capitaine particulièrement comblé. Tintin était quelqu'un de bon, courageux et généreux. Il méritait d'être heureux.
Son attention se fixa sur la jeune artiste, qui, toute vêtue de blanc, le bouquet de roses dans les mains, ressemblait à une apparition. Pas étonnant que son jeune ami sois sous le charme !
Tintin, quand à lui, était aux anges. Elle était adorable. Ses sourires, ses gestes... il était conquis.
Elle repris;
- En tout cas, je me sens euphorique. Je n'arriverais jamais à dormir !
Ils décidèrent de rentrer à l'hôtel ensemble, et, après que Jeanne se soit changée, ils se dirigèrent vers la sortie déserte. Arrivé devant l'Opéra, Tintin proposa de rentrer à pied, mais le Capitaine, se prétendant trop fatigué, appela un taxi et s'éclipsa sans leur laisser le temps de répliquer.
Les deux jeunes gens rougirent, puis se mirent en marche. Il faisait doux, et la nuit était claire.
Le journaliste admirait en silence la jeune artiste, qui, les yeux levés vers les étoiles, contemplait la céleste étendue.
Il sentait son coeur battre.
- Vous avez chanté incroyablement. Votre sacrifice, et votre mort... le sacrifice et la mort de Gilda... c' était troublant de réalisme.
- Quand je joue, je pense à ce que je ferais si la personne que j'aimais était menacée de mort, répondit-elle, candide. Elle réalisa brusquement ce qu'elle venait de dire, et une rougeure un peu trop évidente apparut sur ses joues. Ce charmant spectacle ne passa pas inarperçu aux yeux de son ami, qui l'imita. Ils arrivèrent devant l'hôtel, trop gênés pour dire quoi que ce soit, et montèrent les marches côte à côte. 
Ils s'apprêtaient à se séparer, quand Tintin, prenant son courage à deux mains, posa sa main sur l'épaule de la belle chanteuse, et déposa un léger baiser sur sa joue. Elle planta son regard dans le sien, s'empourprant violemment.
- Bonne nuit, Jeanne, dit-il, les jambes en coton, avant de s'enfuir.
La jeune fille resta plantée de le couloir, le bouquet de roses dans les bras. Elle ne put s'empêcher de se demander si c'était totalement impossible qu'il soit amoureux d'elle.
Que crois-tu, pauvre idiote ? Qu'irait faire quelqu'un de courageux, généreux et célèbre avec toi, petite artiste dont toute l'existence est associé à une effroyable organisation criminelle ?  Tu ne peux que lui attirer des ennuis.
Elle se repris, se demandant pourquoi elle avait ce genre de pensées. Ce n'est pas par ce qu'elle avait plus ouvert son coeur à ce jeune homme qu'a quiquonque qu'elle devait se laisser aller à imaginer quoi que ce soit. Malgré cette drôle de sensation dans les bas ventre, Tintin était son ami, rien que son ami.

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