Chapitre 3
Dehors, loin des élucubrations d'une gamine vaguement dérangée, la vie continuait son cour. Les gens commençaient depuis peu à regouter à la joie, lentement, pas après pas comme des enfants à qui on apprenait à marcher. Le monde ne s'était pas stoppé. Les choses avaient changées, certes, mais l'essentiel était qu'ils soient toujours là. Vivants.
A travers sa fenêtre embuée, Enawaëlle regardait le monde vaquer à ses occupations. Au loin elle apercevait les premiers immeubles de la ville qui se découpaient dans la brume , pareils à des carcasses échouées au milieu de nulle part. Elle observait, comme à son habitude, mais cette fois-ci dans un but précis. Repérer une faille dans ce monde en apparence sauvé. Trouver la moindre brèche lui prouvant qu'elle ne se faisait pas des idées.
Pas encore.
Elle avait surmonté les fantômes qui jadis la hantait, ce n'était pas pour qu'ils reviennent maintenant.
Après réflexion, elle en vint à la conclusion que rester dans sa chambre était loin d'être la solution idéale pour parvenir à ses fins. Elle redescendit donc les escaliers grinçant qu'elle avait monté à peine vingt minutes plus tôt. Dans le salon, le bourdonnement de la télévision était toujours présent. Enawëlle passa discrètement derrière le sofa afin d'atteindre la porte d'entrée.
- Ena ? Ne pars pas, il faut que je vous dises quelque chose à toi et à ton frère.
Décidément, sa mère choisissait toujours les pires moments pour « annoncer des choses » qui, la plupart du temps, étaient loin d'être d'une importance capitale. La jeune brune retourna donc sur ses pas et alla se poster à côté de sa mère. Tymon arriva juste peu de temps après, ayant parfaitement entendu ce que Mme Lancaster venait de dire. Il fallait avouer que les murs étaient loin d'être épais, du moins, ceux qui n'étaient pas totalement fissurés.
-Qu'est ce qu'il y a 'man ? Il faut que je finisse un truc pour la fac.
Comme à son habitude Ty' avait toujours une bonne excuse pour échapper aux pseudo-réunions familiales. La plupart du temps, cela marchait plutôt bien d'ailleurs, mais cette fois-ci Emilia lui intima de rester. Boudeur, le blond alla s'asseoir sur un bout du canapé, les bras croisés dans une attitude de défi. Enawëlle, elle, n'avait pas bougée. Elle attendait tout simplement. Elle ne s'attendait à rien de particulier quant à l'annonce de sa mère mais elle était loin de prévoir ce que celle-ci allait annoncer.
-Les enfants, je pars pour Londres durant quelques temps.
La femme venait d'annoncer la nouvelle le plus calmement du monde, comme si Londres était la ville voisine et qu'ils avaient les moyens de se permettre ce genre de trajet. Ses enfants la regardaient d'un œil rond, ne comprenant pas la soudaine décision de leur mère.
-Maman, Londres est de l'autre coté de la Manche et...c'est pas comme si on avait les moyens d'y aller tu sais... essaya de raisonner Ty'.
Mais Emilia restait inflexible. Elle irait à pied, peu importait le temps que cela prendrait. Après tout, le pont reliant la France à l'Angleterre était toujours debout, il n'y aurait pas de problème.
-Mais...pourquoi ? Insista Tymon, incapable de donner un sens à cette décision fantasque.
Enawëlle, elle, avait finit par comprendre. Ne laissant rien transparaître de son avis sur le projet de sa mère, elle répondit simplement :
-Delonisme.
Sa mère hocha la tête. Il était en effet vrai que le foyer du pouvoir tant sur le plan politique que religieux se situait à Londres, le statut d'île de l'Angleterre lui ayant permit d'éviter trop de dégâts durant la Guerre. Déterminée dans ses idées, leur mère leur expliqua la situation. Ils étaient endettés jusqu'au cou et n'avaient quasiment aucune chance de s'en sortir seuls. Le delonisme leur offrait la solution. Elle irait là bas, se convertir, et alors la communauté serait en mesure de les aider. Emilia avait l'air tellement enthousiaste à l'idée de sortir sa famille de la misère qu'il aurait été cruel de lui briser ses espoirs. Radieuse, elle ajouta même que, grâce à l'immense générosité de Delon -Ty' ne pu retenir un ricanement à ce moment vite étouffé par le regard noir de sa mère- les membres du delonsime se verraient tous offrir une de ses fameuses puces que tout le monde commençait à posséder et qui allait vite devenir indispensables à la vie quotidienne . Sa décision était ferme et, bien que déçue par le regard que lui lançait ses enfants, elle était décidé à partir. C'était seulement l'histoire de quelques semaines, après ça tout irais pour le mieux.
- Je compte sur toi pour prendre soin de ta sœur Tymon. D'ailleurs, j'ai cru comprendre qu'elle avait l'intention de sortir. Accompagne la et passez au Bureau tous les deux.
Le changement brutal de sujet signifiait clairement que la discussion était close et qu'il n'était pas la peine d'insister. Enawëlle embrassa longuement sa mère, doutant d'être rentrée avant le moment de son départ. Cette décision était loin de l'enchanter, mais comme elle, sa mère se montrait entêtée dans ses décisions. La savoir sur les routes pendant des semaines n'était pas une pensée plaisante mais elle se rassura en se disant que sa mère trouverait sans aucun doute des compagnons de route. Déjà nombreux, les fidèles de Delon ne cessaient de croître et l'obligation de se convertir à l'église principale de Londres poussait de nombreuses âmes sur la route. Sa mère irait bien.
Enawëlle sortit donc, rapidement suivie de son frère exaspéré à l'idée de devoir jouer les nourrices pour sa petite sœur. Bon gré, mal gré, il suivit la chevelure cendre de sa cadette qui s'éloignait en direction de la ville.
Après une heure de marche, ils arrivèrent dans le centre. Au grand étonnement de Ty', contrairement à son habitude sa sœur ne marchait pas la tête basse et avait abandonné sa démarche rapide et sèche de ceux qui veulent passer le moins de temps possible en compagnie des autres. Au contraire, elle avait la tête haute et déambulait devant les rares commerces encore en état dans une rue qui, a une époque avait du être luxueuse.
Enawëlle scrutait chaque personne, chaque devanture, chaque véhicule, dans le but de trouver une faille dans cette vision banale de la vie. Les gens dans la rue étaient égaux à eux mêmes, en apparence tout du moins. Toujours pressés, ne regardant pas les autres ou alors ils le faisaient avec une sorte de méfiance permanente au fond des yeux. Pourtant, une fois encore, elle ressentait cette impression bizarre. Ce n'était pas quelque chose qu'elle aurait pu aisément décrire. Plutôt une sorte d'instinct renforcé par la vision des regards éteints des gens de son lycée. La vision qu'elle avait cru voir. S'était-elle de nouveau laisser emportée par son imagination ? Non ! Elle ne voulait y croire ! Derrière elle, elle entendait son frère bougonner qu'ils perdaient leur temps et feraient mieux de passer au Bureau tout de suite. Peut être était-ce lui qui avait raison au final ?
Non ! Là ! Elle venait de repéré ce qu'elle cherchait ! En face de la petite boutique couleur vieux rose, de l'autre coté du trottoir, un homme se tenait. Le regard vide, ne fixant rien de particulier et ayant l'air totalement déconnecté de la réalité. Rien n'indiquait qu'il était connecté à un quelconque réseau par le biais de sa puce, petite lumière visible à son poignet, aussi Enawëlle fut elle convaincue que c'était la preuve qu'elle cherchait. Elle se retourna, victorieuse, pour montrer à son frère la preuve du bien fondé de ses affirmations quand, soudain, tout s'arrêta.
Les gens se figèrent, au milieu des rues, dans les magasins, dans les transports. Qui eux, continuèrent d'avancer. Inutile de décrire le chaos qui en résultat. Sous les yeux horrifiés d'Enawëlle et Tymon, figés au milieu du trottoir par le choc et l'incompréhension, ils virent des files de voitures s'emboutir les unes dans les autres. Certaines s'enflammèrent immédiatement colorant le ciel brumeux d'une teinte rougeâtre.
Mais le plus horrifiant n'était ni les voitures en flammes, ni les gens paralysés avec un regard mort, ni les quelques autres qui, à l'instar du frère et de la sœur, restaient intouchés par le phénomène. Non. Le plus effroyable était le silence. Pas un cris ne s'échappait des carcasse de voiture, pas un murmure ne s'élevait au dessus du crépitement des flammes et pas un moteur n'était audible à des kilomètres. Juste le silence. Effroyable. Oppressant.
Enawëlle, désarmée face à ce qu'elle avait sous les yeux restait pétrifiée, incapable du moindre mouvement ou de la moindre pensée rationnelle. Ce n'était pas possible ! Ce genre de chose ne pouvait pas arriver ! Pas maintenant que le monde commençait seulement à panser ses plaies. Soudain, une main se posa brusquement sur son épaule, la tirant de sa torpeur.
-Ena' faut qu'on bouge, ça craint ici. Les yeux verts de son frère la fixait avec insistance et sa voix, d'ordinaire assuré, s'efforçait de ne pas trahir sa panique.
Reprenant ses esprits, la jeune fille esquissa un pas, puis deux avant de se mettre violemment à tousser à cause de la fumée et, également, de l'odeur poisseuse du sang. Elle sentait la main de son frère toujours sur son épaule. Une présence rassurante dans ce monde devenu fou. Mais pour combien de temps encore ?
Ensembles, le frère et la sœur continuèrent à avancer pour s'éloigner loin de cette atrocité. D'un coup, comme si l'horreur actuelle ne suffisait pas, les silhouettes figés s'effondrèrent toutes sur le sol, pareil à des pantins dont on aurait coupé les fils. Toujours aucun bruit ne venait troubler cette scène irréelle.
Ty' et Enawëlle s'étaient stoppés de nouveau, incapable de détourner les yeux des poupées de chiffon gisant désormais au sol. Les autres encore debout les fixaient également, avec terreur, teinté d'une fascination malsaine.
Une minute s'écoula. Puis deux. Puis cinq. Personne n'avait encore osé rompre le silence dans lequel baignait la rue.
Petit à petit, les masses commencèrent à bouger. Puis se relevèrent. Tous avaient le même regard terne et vide d'expression. Et quelqu'un commença à hurler.
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