Chapitre 1


Elle était assise là, la fille. Sur son banc, comme d'habitude, à regarder les gens passer à la sortie des cours. Ses écouteurs sur les oreilles et un bouquin dans les mains. La foule qui passait la regardait en ricanant mais elle n'y faisait plus attention depuis longtemps.Tout le monde dans son lycée la connaissait. Enawelle l'associable, Enawelle la bizarre, la pauvre surtout. Mais elle, elle s'en fichait. Elle avait ses bouquins et sa musique et elle était très bien comme ça.

Mais aujourd'hui elle avait l'impression que quelque chose était différent sans parvenir à trouver quoi. Pourtant autour d'elle, c'était toujours les mêmes murs décrépis, les mêmes mauvaises herbes entre les fissures du bitume et le même ciel en permanence nuageux au dessus de sa tête. Les gens aussi étaient égaux à eux mêmes. Toujours avec leurs joujou électroniques greffés dans leurs mains et même pour de plus en plus d'entre eux, carrément une puce implantée sous la peau et permettant à la fois de jouer, accéder à l'internet mondial et tant d'autre choses encore. Une sorte d'ordinateur intégré en somme. A croire que le gouvernement avait cru bon de passer le divertissement de la population devant les rénovations d'après guerre. Mais bon, ça permettait de distraire le bas-peuple et de cacher la misère du monde alors personne ne disait rien.

Pourtant on avait pas évité quelques émeutes. On se souvenait encore d'il y a cinq ans, à Madrid, lorsque la population était descendue dans les rues en revendiquant plus de droits et une réhabilitation rapide de la ville. Hélas, le monde était en ruine tant sur le plan matériel qu'économique, la plupart de l'argent étant passé dans un armement de plus en plus meurtrier durant la grande guerre. Le peuple avait été réprimé. Violemment. En tout aussi vite les émeutes s'étaient atténuées partout sur le globe jusqu'à disparaître complètement. Tant par la peur d'une répression que par la montée en puissance de la religion également. La foi tendait à prendre de plus en plus d'importance dans la vie des gens qui, dans cette période de désespoir, s'accrochait à la moindre parcelle de lumière qu'on daignait à leur offrir.

Les croyances avaient la fâcheuse tendance à devenir omniprésentes en temps de crise, cela Enawelle l'avait bien remarqué. En même temps, difficile de passer à coter, la télévision n'ayant de cesse de vanter les mérites de la foi. Néanmoins il fallait admettre que depuis quelques temps, une secte (appelons les choses par leur nom) avait vraiment pris le dessus sur les autres si bien qu'elle s'était rapidement imposée comme la solution pour le salut des désespérés.

Celle ci était menée d'une main de fer par un asiatique d'une trentaine d'années du nom de Delon. L'homme était de tout évidence taillé pour diriger. Il avait, dans sa jeunesses, étudié la psychologie et n'avait vraisemblablement pas oublié comme l'utiliser. Son regard hautain semblait capable de sonder votre âme pour y déceler les plus noirs secrets et les relever au grand jour. Pour cette raison, ses fidèles lui vouaient une adoration sans borne mêlée d'une crainte certaine ;

Toute ses apparitions publiques étaient soigneusement orchestrées et avaient lieu, par un hasard surprenant, chaque foi que les croyances du peuple semblaient défaillir. Néanmoins, la seule présence de Delon avait le don de réaffirmer les convictions de ses fidèles et sa voix pouvait convaincre les plus sceptiques.

A l'origine pourtant, le delonisme était loin d'être aussi puissant qu'il l'était aujourd'hui.Pour beaucoup au départ, ce n'était qu'une petite organisation d'après guerre, prônant la paix, l'amour et le bonheur. Le genre de chose que les arrières grands-parents avaient eu coutume d'appeler des hippies. Mais , petit, à petit, les idées s'étaient précisées, les convictions affermies, et le pouvoir de Delon en tant que leader était rapidement devenu incontestable.

Mais pourtant, aujourd'hui dans la court du lycée, ce n'était ni le fanatisme, ni la désolation qui semblait poser problème. C'était un je-ne-sais-quoi qui flottait dans l'atmosphère, indéfinissable mais pourtant bien présent.

Enawelle, soucieuse, se leva. Elle avait beau chercher, elle ne voyait pas se qui clochait mais pourtant il était rare que son intuition se trompe. Elle ouvrit son sac et en sortit un vieux cahier, dans un état lamentable mais de toute manière, les livres se faisaient rares, la technologie ayant rapidement pris le dessus. Gratification instantanée et des milliers de possibilités de divertissement valaient bien mieux que de longues heures de lecture fastidieuse. Mais pas pour elle. Ce qu'elle aimait elle, c'était écrire. S'asseoir dans un coin, regarder le monde et griffonner des notes sur tout ce qui lui passait par la tête. Et c'est ce qu'elle fit. Elle écrivit cette impression de...danger n'était pas le mot, plutôt une sorte d'oppression, une menace en sourdine qui paraissait flotter dans l'air. Une nouvelle fois, la jeune fille observa les alentours. Discrètement, elle n'aimait pas être remarquée. Soudain, un petit groupe d'étudiants de la fac d'en face s'approcha d'elle. Et merde !

-Alors p'tite sœur ! Encore en train de rêvasser ?

-Fiche moi la paix Ty'. Il y a un problème. Rétorqua t-elle, agacée d'être interrompue.

Le dénommé Ty', Tymon de son nom complet regarda sa sœur avec un sourire moqueur. Il était habitué aux pseudo-crises de suspicion de sa cadette qui s'inventait toujours des problèmes là où il n'y en avait pas. La fois dernière, la brune s'était mise en tête d'emmener sa famille en exil sous prétexte que la météo s'était trompée toute la semaine et que cela signifiait forcément un complot mondial. Bien évidemment, personne ne l'avait crue.

Encore à t'inventer des histoires hein ? Quand est-ce que tu comprendra que ça ne sert à rien. Tu devrais laisser tomber ce vieux cahier et sortir un peu, te faire des amis, faire quelque chose de ta vie quoi !

- Comme passer ma vie sur un terrain de basket parce que je suis frustrée de pas pouvoir me payer une puce comme tout le monde c'est ça ? Répondit Enawelle un peu agressivement.

Tymon lui jeta un regard noir. Il ne l'admettrai jamais devant elle, mais sur ce qui était du ressenti des gens, sa sœur touchait souvent jute et cette fois ne faisait pas exception.

- Oh et puis fais ce que tu veux, après tout c'est pas mon problème. lacha-t-il. Tu pensera à passer au Bureau pour maman, c'est ton tour cette semaine.

Enawelle leva les yeux au ciel. C'était toutes les semaines son tour de passer au Bureau pour aller chercher le courrier, les factures et tout un tas de paperasse afin de les encourager à abandonner cette pratique moyenâgeuse qu'était la boite au lettre et de passer à l'informatique.

Elle ne répondit rien mais hocha la tête ce qui suffit à satisfaire son frère qui fit demi-tour suivi de ses amis. Pensive, elle observa les cheveux blonds de son frère s'éloigner au loin avant que son oppression la reprenne. Elle ne parvenait toujours pas à mettre le doigt sur ce qui n'allait pas. Avec un haussement d'épaule, elle ramassa son sac, attacha ses cheveux noirs en un chignon négligé puis se mit en route pour rentrer chez elle.

La famille d'Enawelle habitait dans un petit village, ou du moins ce qu'il en restait, en campagne. 5 kilomètre les séparaient de la ville mais la jeune fille tenait à faire le chemin à pieds. D'une part car il était bien connu que les Lancaster n'avaient nullement les moyens de payer les transports mais aussi et surtout car cela lui permettait de rêvasser en chemin et d'observer les alentours qu'elle avait finit par connaître par cœur.

En somme, il n'y avait pas grand chose à voir. Les ruines des vieux buildings succédaient à des constructions ultra modernes jamais achevées. Des pancartes et des tags de ci de là étaient restés et permettaient de se rappeler de l'horreur qu'avait été la guerre. Enawelle avait un an à ce moment, son frère cinq. Sa mère n'avait jamais voulu leur en parler mais les ruines dans les rues parlaient d'elles-mêmes. « Sauvez nous », « Aidez nos enfants », « pitié ». Et les images des corps mutilés qui passaient chaque année à la TV, comme un ultime rappel de ce que tout le monde souhaitait oublier.

Bien sur, il y avait eu d'autres guerres avant, personne ne reniait cela. Mais elles avaient aboutis à des traités, des réconciliations, jamais rien d'aussi violent que ce qui était arrivé. 2 tiers de la population mondiale anéantie. Des famines aux quatre coins du globe et, bien évidemment, les États Unis d'Amérique rayés de la carte. Bombardés, assaillis, l'armé la plus puissante du monde avait succombé et désormais seule ce qu'on appelait aujourd'hui le Continent subsistait. Du reste du monde, Australie, Afrique, on était sans nouvelles.

Enawelle en était là, ressassant ces pensées au fur et à mesure que les bâtiments se succédaient quand, soudainement, elle se stoppa. Elle avait enfin mit le doigt sur ce qui n'allait pas. Les amis de Tymon, habituellement les premiers à lui faire une réflexion ou une plaisanterie mal placée n'avaient pas prononcés un mot de toute sa conversation avec son frère. Maintenant qu'elle y pensait, ils avaient été étrangement calmes, amorphes presque. Et le reste du lycée, était dans le même état à la sortie des cours. Pas de rires, de chahut, juste des gens au regard terne, sans expression.

Inquiète, la jeune fille partit vers sa maison en courant. Quelque chose allait mal et ce n'était pas le fruit de son imagination.


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