Saisonnalités Automne 2020 - Twice
— Fly va bien ? s'empressa de demander Miss Lalie d'un grand sourire dès que la porte s'ouvrit.
Le Soleil était haut dans le ciel et pas un nuage ne venait lui faire de l'ombre. On entendait déjà le ricanement des mouettes et le roulis de l'eau contre les poutres de bois.
— Oui, plutôt bien, répondit l'intéressé, et toi ?
La jeune femme ne prit pas la peine de répondre et s'éloigna à grands pas sur le ponton. Même sans voir son visage, Fly savait qu'elle souriait encore. Il la rattrapa rapidement d'une course de quelques mètres sur les lattes de bois, et lui sourit à son tour.
Un agréable vent frais soulevait ses cheveux, et l'odeur de l'océan à ses pieds ne fit que raviver sa joie et sa hâte.
— Miss Lalie est contente d'aller à la fête avec Fly ! clama la jeune femme quelques minutes après.
— Tu y vas souvent, à cette fête ? s'enquit l'intéressé, qui ne savait toujours pas vraiment en quoi elle consistait.
— Miss Lalie aime beaucoup aller à la fête, répondit-elle sans pour autant le regarder, mais Miss Lalie n'y est encore jamais allée avec des amis ! Et quand Miss Lalie est toute seule, elle ne doit pas s'approcher trop près des gens.
Fly hocha pensivement la tête. C'est vrai que la jeune femme pouvait être sage, mais aussi se comporter comme une bombe et courir un peu partout. Il devrait sûrement faire attention à elle.
La marche était longue. La fête était – selon Miss Lalie – installée sur une sorte de module flottant au bord de la périphérie Ouest. Ce n'était pas la zone la plus éloignée de la périphérie Nord-Est, où résidaient les deux amis, mais Hydran était si grande qu'il fallait au moins une heure à vive allure pour y parvenir.
Lorsqu'enfin l'endroit pointa le bout de son nez dans le champ de vision du jeune homme, il était essoufflé, et fatigué à force de suivre Miss Lalie à son train rapide.
Un ponton un peu plus clair était accroché à un de ses semblables à la bordure de la ville, et menait tout droit à l'installation temporaire, montée sur d'immenses doubles-planchers de bois qui semblaient stables malgré leur peu d'attaches à la cité sur l'eau.
Après une courte pause à la demande de Fly, les deux amis s'engagèrent sur le ponton rajouté, et ne tardèrent à atteindre la fête. L'endroit était bondé, des gens marchaient ici et là, et parlaient par petits groupes, créant une sorte de tumulte ambiant.
Miss Lalie marchait tranquillement à côté de Fly. Elle bridait sûrement son excitation, habituée à faire attention. C'était certainement le vieux Kan qui le lui avait demandé, inquiété par son décalage notoire avec la société. Qui d'autre ça aurait pu être ? La jeune femme n'avait que le vieil homme, qui s'occupait d'elle avec la bienveillance d'un père. Elle souriait toujours, gonflant ses pommettes comme une enfant et se déplaçant par petits sautillements.
Ce n'est que lorsqu'ils eurent dépassé le guichet que le jeune homme prit pleinement conscience du temps qu'ils passeraient à faire chaque attraction, et il se demanda comment on avait pu installer quelque chose d'à la fois aussi grand et temporaire.
— Tu as envie de faire quoi ? demanda-t-il les yeux toujours rivés sur les constructions colorées autour desquelles fourmillaient les foules.
— Miss Lalie veut monter dans le chat !
— Le chat ?
Elle s'avança sans répondre, et il ne fallut qu'un instant au jeune homme avant d'écarquiller les yeux en évaluant le chat en question. C'était une sorte d'automate immense couché au sol, à l'arrêt. Ses couleurs étaient vives et joyeuses, tout en rappelant une texture de métal irrégulier caractéristique des jeux mécaniques d'un âge passé. Quelques personnes patientaient devant une petite cabane où une femme habillée et maquillée en chat parlait dans un grand sourire avec une petite fille. Fly et Miss Lalie ne tardèrent pas à rejoindre la file. L'édifice avait beau être majestueux, le jeune homme était perplexe quand à l'intérêt d'entrer dedans.
Il s'engagea cependant d'un pas rapide dans la gueule de l'animal lorsque celle-ci s'ouvrit, confiant en la joie de sa camarade. L'intérieur était sombre, et devint totalement noir lorsque la gueule se referma. Les parois étaient ornées de rambardes, ce qui n'était pas très rassurant. Un soubresaut ébranla le sol et la structure se mit en mouvement ; elle semblait s'élever. Peu à peu, deux fentes horizontales s'ouvrirent dans un des murs et s'étirèrent jusqu'à obtenir la forme de deux gigantesques amandes, chacune coupée en deux par une ellipse verticale. Tous les clients s'y dirigèrent. A travers ces grandes fenêtres, qui n'étaient autres que les yeux du chat, on pouvait voir l'ensemble – ou du moins une grande partie – du module temporaire. Des couleurs s'étiraient ici et là, et le mouvement désynchronisé des différentes structures formait comme un nouveau peuple de créatures fantastiques qui dépassaient du sol grouillant. On voyait aussi l'océan, presque discret et calme derrière l'agitation de la fête.
Lorsqu'enfin la tête du chat sembla s'arrêter de monter, elle pivota sur le côté, d'un mouvement peu stable qui signifiait sûrement que le reste du corps bougeait aussi, pour plus de réalisme de l'extérieur. On avait désormais vue sur Hydran elle-même. La ville s'étirait au loin. On ne pouvait pas la voir dans toute sa largeur, mais on apercevait derrière les pontons sinueux de la périphérie Ouest des kilomètres de bois de couleurs différentes, puis les immeubles du centre-ville, qui élevaient leur silhouette effilée depuis les îles artificielles que l'on ne pouvait voir. Le ciel était d'un bleu éclatant, et l'apparente infinité de l'océan autour avait de quoi couper le souffle, même aux habitués.
Une porte s'ouvrit à l'arrière du crâne du chat, derrière laquelle s'élevaient des escaliers métalliques. Fly et Miss Lalie s'y engagèrent et se retrouvèrent sur la tête, les cheveux au vent. Le paysage était quasiment le même, mais les trois cent-soixante degrés qui étaient désormais offerts à la vue semblaient remplir tout le corps.
Le chat effectua encore quelques mouvements, puis redescendit sa tête, et le groupe put regagner le ponton.
— C'était... magnifique ! commenta Fly, époustouflé.
— Miss Lalie aime beaucoup le chat ! répondit la jeune femme avec son ton habituel, qui rappelait toujours l'émerveillement.
Le jeune homme resta encore quelques instants à contempler l'animal mécanique, qui recommençait déjà à avaler des gens qui se présentaient à sa gueule. Le chat se redressa peu à peu dès que sa mâchoire fut refermée, puis ouvrit les yeux, découvrant des sourires et des yeux étoilés. Ses mouvements ressemblaient à ceux d'un véritable félin, les scientifiques qui l'avaient conçu y avaient sûrement passé beaucoup de temps.
Fly soupira, de bonheur, semblait-il.
— Tu veux faire quoi, maintenant, Miss Lalie ? demanda-t-il.
L'intéressée ne répondit pas. Fly se tourna vers elle pour observer sa réaction, mais aucun visage ne le regardait. Il n'y avait à sa gauche, à sa droite et derrière lui que les passants, les gens qui marchaient dans des directions contraires autour de lui, immobile, et désormais seul.
L'angoisse monta rapidement en lui. Miss Lalie avait disparu, qui sait ce qui pourrait lui arriver, seule au milieu des gens ? Il n'avait aucune piste pour la trouver ; il ne savait tout bonnement pas quoi faire, mais ne pouvait se contenter de rester innactif, planté comme un piquet sur le ponton de bois.
Fly jeta un rapide coup d'œil aux gens qui montaient désormais sur le crâne du chat, mais aucune Lalie ne semblait y apparaître. Le jeune homme se dirigea dans la direction opposée, vers le stand le plus proche. Des enfants se pressaient pour tirer sur des ballons, mais aucune couette ne dépassaient de la file.
Le jeune homme passa ainsi devant une dizaine de stands, sans succès.
Il commençait à perdre espoir, lorsque ses yeux se posèrent sur une paire de couettes brun clair disparaissant dans l'ombre du train fantôme.
— Lalie ! s'écria-t-il en courant comme il le pouvait vers l'attraction.
L'intéressée avait déjà disparu dans l'attraction, sans se retourner ni lui répondre. Fly courut vers l'entrée, espérant la rattraper.
— Faites la queue, comme tout le monde ! lui lança une femme en agrippant son t-shirt.
Elle attendait en effet dans une immense file. Le temps qu'il en arrive au bout, Miss Lalie serait déjà sortie du train !
— Je... je n'ai pas le temps ! se justifia-t-il. Je dois vite rattraper quelqu'un qui est à l'intérieur, sinon je ne saurai pas où elle va...
— Bah attendez-la à la sortie ! vociféra la cliente.
Fly la regarda quelques secondes. C'était l'idée la plus simple du monde, et pourtant il n'y avait pas pensé.
— M... Merci, bégaya-t-il en s'élançant dans l'autre sens.
Mais où pouvait être la sortie ? Fly regarda un peu autour de lui, cherchant de quel côté aller pour être le plus tôt possible derrière le bâtiment.
Un train vide passa devant lui, s'arrêtant quelques instants après pour accueillir ses nouveaux passagers.
— Mais oui, s'exclama-t-il pour lui-même, je n'ai qu'à suivre ces rails !
Il s'élança donc dans la direction de la petite voie ferrée désormais vide, et arriva bientôt à la sortie de l'attraction, qui n'était pas bien loin, mais cachée à la vue de ceux qui attendaient.
Il scruta quelques instants l'embrasure béante dont ne sortait malheureusement aucun train, jusqu'à ce qu'une voix l'interpelle.
— Vous cherchez quelque chose ? demanda une femme maquillée en squelette.
— Euh, oui, répondit Fly, je cherche une jeune femme avec des couettes, et des cheveux bruns, enfin, brun clair !
— Ah je vois, une jeune femme comme ça est sortie il y a deux minutes, elle est partie par là.
Fly remercia rapidement son interlocutrice et s'élança dans la direction de son bras.
Il ne tarda pas à apercevoir la coiffure de son amie émerger de la foule devant lui, et à la rattraper.
— Lalie ! s'écria-t-il, soulagé, en posant sa main sur son épaule.
La jeune femme se retourna, mais son front était couvert d'une frange, et ses yeux encerclés de lunettes.
— On se connaît ? demanda l'inconnue.
Le sourire de Fly retomba aussitôt. Lui qui se croyait tiré d'affaire !
— Non, pardon ! lança-t-il en s'éloignant déjà.
Où pouvait-elle bien être ? Le jeune homme, désespéré, continua donc de scruter chaque stand, espérant y voir un visage jovial.
Épuisé, il s'arrêta finalement au milieu d'une place, les mains sur les genoux pour souffler un peu. Il ne pouvait pas abandonner, et pourtant il ne savait plus quoi faire. Il avait tout donné pour la retrouver, il aurait mieux valu ne pas la perdre.
— Vous allez bien, jeune homme ? demandait un passant attentionné de temps à autres.
— Oui, oui, ne vous inquiétez pas, répondait-il en s'efforçant d'afficher un sourire.
Il finirait bien par la retrouver, elle aurait à sortir du module à un moment donné, et même si elle ne le faisait pas, elle finirait seule sur l'installation temporaire et serait facile à retrouver. Il n'avait plus qu'à espérer qu'elle ne fasse pas de bêtise, et à passer la pire journée de sa vie en déambulant entre les attractions.
— Quelque chose ne va pas ? demanda une silhouette qui venait de s'arrêter à ses côtés.
— Ne vous inquiétez pas, tout va b...
Fly venait de tourner le regard vers son interlocutrice et de voir une ceinture à laquelle étaient accrochés des stylos de toutes les couleurs. Il se redressa subitement, et se retrouva face au sourire intarissable de son amie, le visage peinturluré.
— Lalie ! Où étais-tu ? s'exclama-t-il, entre joie et inquiétude.
— Miss Lalie est maquillée, répondit-elle en désignant son visage.
— Pourquoi es-tu partie sans moi ? Je... j'ai eu peur pour toi !
— Miss Lalie n'a pas eu peur !
La jeune femme fit demi-tour sans ajouter un mot, et Fly courut cette fois dès qu'il s'en aperçut pour la rattraper.
— Où va-t-on ? demanda-t-il essoufflé.
— Miss Lalie veut une peluche ! s'enthousiasma-t-elle.
Elle tourna à droite, vers un stand où l'on tirait sur de petites cibles en léger mouvement. Des peluches de taille différentes étaient exposées derrière, et Miss Lalie tendit le cou pour mieux les voir, émerveillée.
— Fly veut une peluche aussi ? lui sourit-elle.
L'intéressé ne put s'empêcher d'étirer ses lèvres à son tour.
Il avait toujours semblé que son sourire était un baume, et son insouciance, un petit Soleil qui réchauffait le cœur.
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