XX. Chapitre

            La cantine était bruyante. Bien plus que la salle de repos dans laquelle j'avais passé les dernières heures. Le contraste me réveilla. Je trouvai mes amis à leur place habituelle. Tous avaient à moitié mangé leur plat principal, sauf Anaël qui n'avait toujours pas fini son entrée.

— Tu vas mieux ? s'inquiéta Astrid tandis que je m'installai.

— Oui, merci. J'ai dû dormir quatre heures, ça m'a fait du bien.

Je parcourais rapidement la carte des menus pour ne plus avoir à parler. Je repensais à mon rêve. Ou à mon cauchemar, si je voulais être plus précise. N'oublie pas de contempler avec ton âme. Oh Dieu, comment aurais-je pu inventer quelque chose d'aussi loufoque ? Si je suivais le conseil de la blonde, il fallait que je suive mon instinct. Enfin, il me semblait qu'il s'agissait de ce qu'elle avait voulu dire.

— Mademoiselle ? Vous désirez ?

Le serveur était juste là. Je l'avais appelé en me disant que je choisirais en l'attendant, mais j'avais oublié de réfléchir. A cours d'inspiration, je jetai un coup d'œil à l'assiette d'Astrid.

— Je vais vous prendre juste un plat et un dessert, s'il vous plaît. Ce sera un blanc de cabillaud et le crumble à la banane.

Il me remercia en s'en alla dans les cuisines. Alors que je le regardais s'éloigner, mon regard dériva vers les autres tables. Celles des étudiants supérieurs. Le cerveau humain était incapable de créer des visages, donc je devais forcément avoir croisé les étudiants de mon rêve quelque part. Je fis chou blanc. Même l'inconnu n'était pas là. Je les avais certainement croisés autre part.

— Tu penses à quoi ? me questionna Anaël. Tu n'as presque rien dit depuis que tu es là.

— Excusez-moi. Je pense au rêve que j'ai fait tout à l'heure. Il était tellement réaliste que ça en devient perturbant.

Lorsque le garçon m'interrogea à son sujet, je lui racontais brièvement son contenu. Je n'entrais pas dans les détails.

— Tu étais malade, fit Astrid. C'est sûrement pour ça. Ne te prend pas trop la tête.

J'acquiesçai, seulement à moitié convaincue. Astrid était pragmatique et m'avait fournie une explication logique. Mais pour moi, les rêves avaient des significations. Cela allait au-delà de ce qui était mathématique ou scientifique.

◈ ◈ ◈

Cette après-midi, le cours de Morot passa au ralentit. Je n'avais été que très peu attentive. J'avais passé la première heure à attendre la seconde et la seconde à attendre la fin de la journée. Lorsque j'avais un doute, il y avait quelque chose que je faisais presque automatiquement. Je me demandais même comment je n'avais pas pu y penser plus tôt.

A peine la cloche avait-elle sonnée que je m'étais enfuie en direction des dortoirs. Une fois dans ma chambre, j'eu un doute. Où l'avais-je mis déjà ? Je retournais mes sacs et mes placards pour finalement le retrouver dans ma bibliothèque. Enfin. Il était là. Mon jeu de tarot. Impatiente, je commençai à le déballer.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Je lâchais un petit cri de surprise et fit chuter les quelques cartes au sol. Gaïa était à la porte – que je n'avais certainement pas fermé.

— Oh pardon !

— Ce n'est rien...

Je me penchai pour ramasser ce qui était tombé. Toutes les cartes étaient tournées face contre terre. Toutes, sauf trois. Trois arcanes majeurs. La Tour, la Lune et le Diable.

— Oh mais tu as un tarot ! C'est trop stylé, j'ai toujours... Ça ne va pas ? Qu'est-ce qu'elles veulent dire ces cartes ?

Je ne répondis pas tout de suite, cherchant à mettre les pièces du puzzle en place. Je meublais le blanc en rangeant mon jeu. Visiblement, il n'y avait plus besoin de tirage. Il s'était fait tout seul, presque à mon insu.

— Tu y crois ? demandai-je.

— Oui, bien sûr.

Evidement qu'elle croyait au tarot. Sa table de chevet était remplie de pierres de lithothérapie. Je ne savais même pas d'où était venu le doute. Peut-être que je craignais toujours de passer pour une folle, ou je ne sais quoi d'autre.

— Ces cartes... Tu as a bien vu : c'étaient les seules retournées. Elles représentent mon rêve. C'est pas possible que cela soit un hasard.

— Et concrètement, cela signifie quoi ?

— Rien de bon.

Je lui montrais la carte de la Maison-Dieu. Elle représentait une tour qui s'effondrait, soumise aux colères des cieux. Dans mon rêve, c'était l'école tout entière qui tombait en ruine.

— Cette carte-là, c'est l'allégorie de la destruction. Enfin, au sens métaphorique du terme. Le château ne va pas être démoli, du moins ce n'est pas ce qu'elle nous dit. Quelque chose va se produire, et plus rien ne sera comme avant. Je te le dis directement, il n'y aura rien de positif.

Gaïa fronça les sourcils. Elle s'était allongée sur mon lit, face aux trois cartes étalées devant nous. Elle reposa la Tour et saisi le Diable.

— Celle-ci n'est pas mieux je présume... Dans ton rêve, c'était lui qui démolissait l'école, n'est-ce pas ? Donc il représente la cause de sa chute. Enfin je suppose.

— Je pense aussi. Tu vois ces deux personnes enchaînées au cou ? Elles sont les esclaves du Diable. L'arcane représente la manipulation, l'emprise. Une sorte de force supérieure à laquelle on ne peut se soustraire.

Gaïa reposa précieusement la carte sur mon lit. Cela avait était presque imperceptible, mais je l'avais vu. Mon geste n'avait pas été naturel. Elle avait voulu cacher un frisson.

— Donc c'est encore pire. Et la Lune ?

Je me pinçais les lèvres. Cette lame était mystérieuse et son interprétation pour le moins ambigüe.

— Elle représente l'intuition mais aussi l'angoisse. Je pense qu'elle veut nous prévenir et nous inciter à suivre notre instinct.

— Et c'est comme ça que l'on échappera au Diable ?

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Mes tirages s'étaient souvent avérés. Mais, d'une certaine manière, cela restait assez lointain. Désormais, tout me paraissait plus réel. Et plus dangereux.

— Oui.

Il y eu un silence.

— Mais il ne faut pas oublier que le tarot est une question d'interprétation aussi. Peut-être que je me trompe qu'on se monte la tête. Le Diable est peut-être simplement la représentation des examens. Quant à la Maison-Dieu, elle nous dit probablement que nous ne reviendrons pas l'année suivante. Et puis, la Lune, c'est aussi le symbole de l'imagination. L'imagination, pour des artistes, c'est pas si délirant. Non ?

Je ne croyais pas un mot de ce que je disais. Mon intuition me disait qu'il y avait quelque chose de pourri dans le château. Qu'avait dit la Lune déjà ?

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