XVII

     Je marchais derrière Edmond pour atteindre mon cours de langue française. Celui-ci se retournait régulièrement. Il vérifiait si je le suivais toujours ou non. C'était idiot. Nos avions toujours cours ensemble. Enfin, cette fois-ci, j'y allais seulement pour prévenir mon professeur de mon absence. Cela me semblait plus correct, je ne voulais pas qu'il pense que je séchais.

Edmond referma la porte juste derrière lui lorsqu'il entra dans la salle. Il l'avait fait en sachant que je me tenais juste derrière.

Mais quelle bonté...

Quelques secondes après qu'Edmond ait disparu dans la salle de classe, je toquais à mon tour. Quand j'entrai, le professeur afficha une mine sévère.

— Depuis quand est-ce un moulin ici ? Il fut un temps où tout les élèves étaient présents en temps et en heure.

Je bredouillais d'idiotes excuses et lui demandait si je pouvais passer à l'infirmerie. Il soupira, ne me cachant pas son agacement. Je rougis de honte, me sentant humiliée au beau milieu de la classe.

— Tu ne te sens pas bien ? Edmond, accompagne là. Puisque tu es en retard, autant l'assumer.

Ce dernier venait tout juste de déposer ses affaires sur sa table. Il me fusilla du regard. Mais, il ne pouvait rien dire contre notre professeur, alors il accepta simplement.

— Je peux y aller toute seule, précisai-je.

— Je ne vais pas laisser une élève en mauvaise forme errer toute seule dans les couloirs. Ne discutez pas.

Je baissais les yeux et laissait Edmond me rejoindre.

— C'est dingue. Je fais tout pour arriver à l'heure et tu arrives quand même à me mettre en retard. Tu cherches à me nuire ou quoi ?

Je cherchai une trace d'humour dans ses yeux mais ne vis rien. Ou bien son sarcasme était extrêmement bien exécuté ou bien il était sérieux. Je ne savais pas.

— Tu es vraiment parano mon pauvre...

Il ne répondit pas. Pendant un petit moment, nous marchions côté à côte sans un bruit. Le blanc devenait pesant. Pourtant, je n'étais pas sûre que parler diminuerait mon malaise. Et puis je n'avais rien à dire de toute façon.

Je me mentais à moi-même. C'était flagrant.

Evidemment que j'avais des choses à lui dire. Je voulais lui raconter ma vie. Je voulais qu'il me raconte la sienne. Il avait été l'un de mes premiers amis. Je voulais lui demander s'il se souvenait de la fois où je m'étais retrouvée coincée dans un arbre, de son premier concert de violon que je n'aurais loupé pour rien au monde. Il m'avait manqué. Maintenant que je le revoyais, il me manquait encore plus. Je ne pouvais plus réellement chérir son souvenir maintenant que je pouvais contempler ce qu'il était devenu. C'était dommage. Nous avions appris à écrire ensemble. Le sort était cruel. Aujourd'hui, l'écriture était la raison de notre rivalité.

— Tu pourras dire à Elliot de me prendre les cours, s'il te plaît ? demandai-je tandis que nous arrivions devant la porte.

Je n'étais pas spécialement proche de lui mais cela valait tout de même mieux qu'Edmond. Au moins lui n'avait rien contre moi.

— Qu'ai-je donc en échange ?

Encore une fois, je ne pouvais distinguer s'il était sérieux ou non.

— Le plaisir d'avoir une bonne conscience ? hasardai-je.

— Et toi Esmée, as-tu bonne conscience ?

Je restai interdite, plantée devant l'infirmerie. Lui me jeta une dernière parole avant de s'éloigner :

— Je te laisse méditer sur ça.

Je le regardai s'éloigner.

— Et mes cours ?

Ce n'était certainement pas la chose à demander. Mais c'était la première pensée qui m'était venue à l'esprit.

— Ne t'inquiète pas, répondit-il sans se retourner. Je transmettrai ton message.

Un petit temps se passa avant que je me décide à enfin toquer à la porte. Je fonctionnais au ralenti. Edmond avait réduit à néant le peu de mes neurones qui étaient encore en état de marche. « Et toi Esmée, as-tu bonne conscience ? » m'avait-il dit. Qu'entendait-il par-là ?

L'infirmière m'avait ouvert la porte. Je ne l'avais pas vue tout de suite, plongée dans mes réflexions. Elle posait sur moi un drôle d'air.

— Tout va bien ?

Si mais j'avais envie de faire un tour.

La réponse était évidente.

— Je ne me sens pas très bien.

Elle me désigna son bureau de la main. Elle ferma la porte tandis que je m'installai. Elle s'installa ensuite en face de moi et je tremblais de la jambe. Tous ses gestes étaient si lent que j'avais envie de ranger ses affaires à sa place, de placer moi-même ses fines lunettes sur son nez et de me servir toute seule dans le placard à médicaments.

— Quel est ton nom ?

Elle déroulait chaque syllabe avec la rapidité d'un paresseux. Mon esprit encore dans les vapes s'amusa à me montrer un mélange entre la dame et cet animal.

— Esmée. Esmée Cumel. C U M E L.

Plus le temps passait, plus ma jambe tremblait et moins elle allait vite.

— Bien. Que se passe-t-il Esmée ?

— Je suis très fatiguée. Et...

Elle me mit son doigt devant ma figure, me demandant de me taire. Elle prenait dans notes dans une fiche comprenant ma photo.

— Tu as bien dormi cette nuit ?

— Non, il y avait...

Derechef, elle m'empêcha de dire un mot de plus. Les lettres qu'elle formait étaient petites et rondes.

— As-tu d'autres symptômes ?

— Je me sens vaseuse, j'ai mal à la tête et j'ai des vertiges.

Un temps infini se passa avant qu'elle ne sorte un thermomètre de l'un de ses tiroirs. Elle me le pointa dessus et pendant un instant, je m'imaginais être tenue en joue.

— 38.2. Tu as de la fièvre mais rien de grave.

Elle rangea son appareil et me donna une pilule blanche.

— Tu fais bien plus de cinquante kilogrammes ?

J'hochai la tête.

— As-tu pris du paracétamol il y moins de six heures ?

Si je m'étais levée à deux heures du matin pour aller manger du doliprane ? Non. Je secouai la tête. Elle me donna le cachet que j'avalais.

— Je te laisse te reposer dans la salle d'à côté, fit-elle en me désignant une porte bleue. Si tu as le moindre souci, viens me voir.

Je la remerciais et entrait dans l'autre salle. Une demi-douzaine de lits y étaient installés mais j'étais seule. Mon unique compagnie était cette odeur persistant d'eugénol et de bétadine.

Je m'étendais sur un matelas au hasard. Les draps étaient solidement accrochés au fond du lit et je forçais pour couvrir mes épaules. Mais très vite, ce ne fut plus un problème car mes songes prirent le dessus.  

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